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Chapitre 11 : L'agroforesterie, la fertilisation minérale et la GCES au Rwanda


Problematique
Diagnostic du milieu
Les méthodes traditionnelles
Propositions pour la gestion des eaux de surface
Propositions pour la gestion de la fertilité des sols


Figure

Eric Roose
Directeur de Recherche en Pédologie, ORSTOM, Montpellier, France

François Ndayizigiye
Géographe chercheur, ISAR, Station Rubona, Rwanda

ATTEINDRE L'AUTOSUBSISTANCE ALIMENTAIRE DANS UNE REGION DE MONTAGNE TROPICALE A FORTE DENSITE DE POPULATION

Problematique

Le Rwanda est un petit pays (26 000 km2 ) montagneux (altitude: 900 à 4200 m), isolé en Afrique Centrale à plus de 1 000 km de l'Océan Indien et 2 000 km de l'Atlantique.

Pays aux mille collines, le Rwanda présente des paysages très variés. On y distingue six zones bioclimatiques principales en fonction du soubassement géologique et des formes de paysage, de la densité de population, des cultures et surtout des précipitations qui augmentent avec l'altitude (Delepierre, 1974; Gasana, 1990) (voir figure 70).

Ce pays a connu récemment une très forte croissance démographique: la population du Rwanda était estimée à 1 million d'habitants au début du siècle, 2,6 millions à l'indépendance (1962), 8 millions en 1992 et dépassera 10 millions vers l'an 2000. Le taux de croissance est l'un des plus élevés du monde (3,7 %): la population double en 17 ans ! La croissance économique ne peut plus suivre la croissance démographique: la population paysanne a dépassé les limites de la pauvreté. Comme ce pays n'a presque plus de réserve foncière, la taille moyenne des exploitations diminue dangereusement: elle est inférieure à 0,8 hectare et plus de 25 % des familles doivent survivre sur moins de 0,4 ha.

Trois communautés vivent dans ces paysages tropicaux d'altitude: les artisans (5 %), les agriculteurs (85 %) et les éleveurs (10 %). Les agriculteurs, les plus nombreux, cultivaient les versants des collines de moyenne altitude, tandis que les éleveurs s'établissaient sur les sommets en saison des pluies et exploitaient les bas-fonds en saison sèche. Sous la pression démographique, l'agriculture a envahi rapidement toutes les terres cultivables tandis que l'élevage des grands troupeaux de bovins était refoulé dans les savanes de l'est ou sur les hautes terres (Crète Zaïre-Nil et volcans). En outre, 50 % des ménages d'agriculteurs possèdent aujourd'hui quelques caprins/ovins et 30 % ont une ou deux vaches. Avec des exploitations de 0,4 hectare, il n'est plus possible de développer l'élevage et la culture fourragère: la jachère est sur le point de disparaître et les pâturages sont restreints aux abords des chemins et aux bosquets privés ou communaux. On tend inexorablement vers un élevage de petits animaux en stabulation quasi permanente (chèvres, cochons, poules). Ceci pose le problème de la fumure des terres jusqu'ici assurée par le fumier de bovins: déjà, la disponibilité en fumier ne permet plus d'entretenir la fertilité que sur 30 % du terroir (Roose et al., 1991). Il va donc falloir intensifier la fumure organique (stabulation) et faire appel à un complément minéral et au paillage.

FIGURE 70

: Carte des zones agroécologiques du Rwanda en fonction de l'altitude (<1500, <1900 et >1900 mètres d'altitude) et des précipitations (< 900 mm. < 1 500 mm. > 1 500 mm) (d'après Delepierre, 1974)

Le problème majeur de ce pays à vocation agricole (plus de 90 % de sa population vit de l'agriculture), sans grande ressource minérale ni commerciale, est d'assurer l'autosuffisance en aliments et en bois à la population très nombreuse (150 à plus de 800 habitants/km2 ), sans dégrader les paysages formés de grosses collines allongées.

Parce que les situations sont très variables au Rwanda, du point de vue des risques d'érosion, nous n'aborderons pas la zone volcanique (1/3 du territoire) ni la bordure du lac Kivu, ni la Crète Zaïre-Nil où les risques de glissement de terrain sont d'autant plus élevés que les pentes sont raides, les pluies abondantes (jusqu'à 2 000 mm) et les secousses sismiques fréquentes. Nous nous limiterons à présenter les résultats obtenus sur le plateau central (dans la région de Butare) et dans la zone basse des savanes de l'Est (Karama).

Diagnostic du milieu

Du point de vue des risques d'érosion, les deux zones choisies diffèrent sérieusement.

- La zone des plaines basses (alt: 900 à 1500 m), couverte de savanes arbustives, reçoit 800 à 1000 mm de pluie par an au cours de deux saisons humides. C'est une zone moins accidentée (pentes inférieures à 15 %), moins arrosée et moins peuplée (malaria et diverses maladies tropicales) et par conséquent, moins exposée aux risques d'érosion que le reste du pays. La majeure partie de l'est de cette zone est actuellement vouée à l'élevage extensif, bien que les sols soient souvent assez fertiles. Les sols ferrallitiques ou ferrugineux y sont moins acides et moins désaturés qu'ailleurs, mais les pluies y ruissellent plus facilement (croûte de battance) et les cultures souffrent chaque année de l'irrégularité et du déficit pluviométrique. La gestion des eaux superficielles est probablement le problème majeur du développement agricole de cette zone: les pertes par érosion et par drainage sont modérées.

- Le plateau central (alt.: 1500 à 2000 mètres) reçoit entre 1200 à 1500 millimètres de pluie en dix mois. L'érosivité des pluies (RUSA de 250 à 500 unités) est importante et la population agricole très dense (250 à 800 habitants/km2 ) est obligée de cultiver toutes les terres, y compris les pentes de plus de 40 % sur les flancs des collines convexes.

Durant la première saison (septembre à décembre), les pluies sont fines et deux fois moins énergétiques qu'en Afrique occidentale (Roose et al., 1991): elles tombent sur un sol sec, bien drainant, bien travaillé manuellement et font assez peu de dégâts. Par contre, en deuxième saison (février à juin), on observe quelques averses intenses et plus importantes (60 à 100 mm/jour): si elles tombent sur des sols humides, des champs en forte pente ou finement préparés pour recevoir les semences, elles forment des rigoles qui décapent toute l'épaisseur du sol cultivé sur toute la longueur de la parcelle. Ces masses de terre colmatent facilement les fossés antiérosifs, qui débordent: le ruissellement accumulé dans les fossés creuse alors des ravines qui vont détruire l'aménagement antiérosif jusqu'au bas du versant.

L'horizon humifère est rapidement décapé, non seulement par l'érosion en rigole, mais aussi par l'érosion mécanique sèche, suite aux nombreuses façons culturales: deux labours profonds (pour enfouir les adventices) et deux sarclages à chaque saison culturale entraînent 30 à 60 tonnes de terre à migrer le long du versant jusqu'au premier obstacle, de telle sorte que les talus croissent de 15 à 30 cm par an.

A ce régime, la couverture pédologique des sommets des collines est vite élimée et laisse apparaître les altérites et des blocs de roche. Le réservoir d'eau qu'elle constitue diminue: lors des séquences pluvieuses importantes, des masses d'eau dévalent de ces sommets dégradés et ravinent les versants, modifient le rythme des rivières, augmentent les débits de pointe, attaquent les berges et charrient les galets qui tapissent le fond des rivières. L'équilibre précaire de ces montagnes est rompu par les défrichements abusifs, le surpâturage, les cultures peu couvrantes sur des pentes affolantes et l'exploitation, pour les constructions, des pierres qui protègent le fond des rivières.

Les sols ferrallitiques sont généralement très désaturés, acides (les pH 5 à 4 sont fréquents), carencés en P et N et pauvres en bases. Ils semblent très perméables en général, sauf s'ils sont localement tassés (pistes, chemins de bétail, cours d'habitation) ou battus par les pluies. Ces sols retiennent peu l'eau (1 mm d'eau disponible par centimètre de sol) et les nutriments (1 à 5 méq/100 g de terre fine): d'où l'importance de maintenir un taux de matières organiques suffisant. Ils sont souvent rajeunis par l'érosion avec une nappe de gravats ou de graviers ferrugineux entre 30 et 100 cm de profondeur. L'érodibilité des sols est faible (à moyenne sur schiste): l'indice K de Wischmeier est généralement inférieur à 0,20 (Roose et Sarrailh, 1989 ; Ndayizigiye, 1993).

TABLEAU 40 : Erosion (t/ha/an) et ruissellement (% des pluies annuelles) sur petites parcelles (5 x 20 m) sur des sols ferrallitiques à pente forte (25 à 60 %) au Rwanda et au Burundi (d'après les résultats de ISAR à Rubona (Ndayizigiyé 1988-93, du PASI à Butare (König, 1991), de l'IRAZ (Rishirumuhirwa, 1992) et de l'ISABU (Duchaufour et Bizimana, 1992)

Couvert végétal

Aménagement

E t/ha/an

Ruissellement KRAM %

Sol nu

cultivé dans le sens de la pente

300 à 550

10 à 40 %

Manioc ou patates, maïs/haricots ou pois-sorgho en cultures associées

traditionnel à la houe

50 à 150
(300).

10 à 37 %

Cultures + idem + 200 arbres/ha

litière 50 kg/arbre/an

30 à 50
(111)

5 à 7 %

Idem + arbres + haies vives tous les 5 à 10 m

biomasse de 3 à 6 kg/m/an

an 1 :7 à 16
an 4: 1 à 3

10 à 15 % 1 à 3 %

Idem + arbres + haies vives

± billons couverts tous les 5 mètres

1 à 4

0,1 à 2 %

Bananeraie

ouverte, paillis exporté (10 t/ha/an) ou

20 à 60

5 à 10 % (45)


complète, paillis étalé ou en cordons

1 à 5

0 à 2 %

Caféière ou manioc

paillis épais (20 t/ha/an)

0 à 1

0,1 à 10 %

Forêts de Pinus, prairies, vieilles jachères

(5-15 t/an de litière)

0 à 1

1 à 10 %

( ) = valeurs maximales observées

En dehors des deux périodes de plantation, les paysages sont verdoyants car les pluies sont réparties (bien qu'irrégulièrement) sur toute l'année. Les risques d'érosion seraient donc modérés si les pentes cultivées n'étaient pas aussi raides (Berding, 1991). Au cours de deux enquêtes dans l'ensemble du pays, il est apparu que 50 % de terres cultivées ont plus de 18 % de pente, 20 % ont plus de 40 % de pente, 5 à 6 % ont plus de 65 % (limite des terrasses) et 1 % des terres a plus de 84 % de pente.

Deux phénomènes viennent aggraver localement les risques d'érosion:

- Les problèmes fonciers: Lors d'un héritage, par soucis d'équité, chaque héritier reçoit une part égale de chaque terre, ce qui revient à découper la parcelle originale en autant de lanières verticales qu'il y a d'héritiers. Il en résulte que sur les collines à forte densité de population (installation ancienne), des parcelles étroites et très longues sont mises en culture au même moment, ce qui aggrave sérieusement les risques d'érosion en nappe décapante jusqu'en bas du versant. Une fois ce décapage amorcé, il se répète d'année en année aux mêmes endroits car il est difficile d'empêcher le ruissellement de rejoindre les points bas du champ. La terre est rapidement ruinée. Le droit foncier devrait être modifié.

- Les glissements de terrain: Lors d'une campagne d'aménagement d'une colline' lorsqu'on creuse des fossés d'absorption totale sur des pentes de plus de 40 % ou sur des sols peu profonds sur une altérite glissante (schiste, gneiss, roche micassée ou cendres volcaniques sur dômes granitiques), on déséquilibre le versant. Il arrive qu'à la fin d'une longue série d'averses (surtout s'il y a des secousses sismiques), la couverture pédologique gorgée d'eau glisse à partir d'un de ces fossés jusqu'à la rivière que la masse de terre peut barrer temporairement.

Les résultats expérimentaux démontrent combien il est urgent de combiner toutes les méthodes antiérosives disponibles pour stabiliser les terres sur les versants, mais aussi pour augmenter substantiellement leur productivité (voir tableau 40).

On dispose d'environ 250 mesures fiables d'érosion annuelle à l'échelle de parcelles de 100 m2 (20 m de longueur) assez voisines des champs paysans, réalisées sur des pentes fortes (25 à 60 %) (sauf pour les bananeraies de l'IRAZ où p = 8 %) sur des sols ferrallitiques plus ou moins rajeunis ou colluvionnés, très désaturés et acides, mais résistant bien à l'agressivité des pluies (K < 0,2 à0,1). De ces résultats expérimentaux il ressort:

- que les risques d'érosion en nappe plus rigole sont très élevés sur les sols nus: ils varient de 300 à550 t/ha/an, beaucoup plus en fonction des averses que de la pente; il suffirait donc de 5 à 10 ans pour décaper l'horizon humifère (20 cm);

- que les risques de ruissellement (KRAM = 10 à 40 %) peuvent être graves sur ces pentes fortes lorsqu'elles sont mal couvertes (cas des sols dégradés);

- que les méthodes culturales et les associations traditionnelles réduisent déjà sérieusement les risques (C = 0,2 à 0,5), mais pas suffisamment puisque la tolérance ne dépasse pas 1 à 12 t/ha/an selon la profondeur des sols; a que les arbres dispersés dans les cultures améliorent peu la conservation des sols;

- que les haies vives d'herbes ou de buissons disposés tous les dix mètres, complétées par un gros billon couvert de légumineuses ou de patates douces tous les cinq mètres présentent une première solution valable;

- que le paillage (testé sous bananeraie, café ou manioc) est une seconde solution directement efficace même sur pentes fortes;

- que la reforestation en pin (la litière d'aiguilles est très efficace), ou en d'autres espèces sylvicoles admettant un sous-étage, réduisent très vite le ruissellement et l'érosion à des propositions acceptables (Roose, Ndayizigiye, Sekayange, 1992).

FIGURE 71

: Six processus aboutissent à la dégradation du milieu rural (d'après Roose, 1992)

Colline quartzite/schiste

1. Dégradation des sols:

• Matières organiques ¯


• Fertilité ¯ Infiltration ¯

2. Erosion en nappe + rigoles

Décapage horizon humifère

3. Erosion mécanique sèche: creeping

Responsabilité paysanne

4. Ravinement (pistes)

• Accidents graves en aval (boue, inondation

5. Glissements de terrain

Responsabilité de l'Etat

6. Divagation des torrents


Les fossés aveugles et les terrasses radicales ne peuvent être étudiés valablement sur ces petites parcelles (5 mètres de large). Sur les terrains aménagés par les projets de LAE, on a observé que ces méthodes peuvent augmenter les risques de ravinement et de glissement de terrain sur les couvertures pédologiques peu épaisses ou trop pentues (p > 40 %).

Ce ne sont pas les structures antiérosives seules, mais les systèmes de culture, qui jouent le rôle principal dans la stabilisation des versants.

En conclusion, ces paysages verdoyants peuvent donner l'impression d'être stables à certains experts pressés, habitués aux terres ravinées et dénudées des régions semi-arides. En réalité, les sols sont très pauvres, des pentes très fortes (60 à 100 %) sont cultivées par nécessité (manque de terre), les pluies sont surabondantes à certaines époques et trop espacées à d'autres, le couvert végétal offert par les cultures sur les terres les plus dégradées est trop léger pour protéger le sol des divers processus d'érosion en action sur les collines du Rwanda (voir figure 71).

Les méthodes traditionnelles

Les cultures sont réparties autour de l'habitat (dispersé sur les collines) en relation directe avec la fertilisation des sols. Quand un jeune ménage a installé son habitat sur une plateforme taillée dans la colline, il plante tout autour sa bananeraie qui va recevoir la majeure partie des nutriments disponibles (déchets familiaux, résidus de culture, cendres, épluchures et latrines). Entre les bananiers, poussent les cultures vivrières associées: maïs, haricots, colocases, patates et condiments. Un petit champ de maïs associé aux haricots reçoit un peu de fumier/compost; le sorgho semé à la volée, y pousse en deuxième saison.

Les seules parcelles non érodées sont les parcelles paillées sous caféier. En effet, pour éviter les amendes consciencieusement distribuées par les encadreurs du Ministère de l'Agriculture, la parcelle de café (un ou deux ares) est paillée abondamment avec les tiges de manioc, de sorgho, diverses herbes arrachées aux talus et des feuilles de bananier. Les terres restantes (2/3) ne reçoivent ni fumier, ni engrais, et se dégradent forcément sous des cultures très frugales comme le manioc et les patates douces.

Les adventices sont soigneusement arrachées lors du sarclage, soit pour nourrir les bêtes à l'étable, soit pour couvrir les sillons et réduire l'érosion, soit elles sont entassées en gros tas couverts de terre et aussitôt plantés de boutures de patates douces... selon les saisons et les besoins. De toute façon, le recyclage des végétaux est très rapide.

Les parcelles sont dispersées parfois à plusieurs kilomètres de l'habitat (champs loués). Les inconvénients sont nombreux (perte de temps en parcours, difficulté de garder et de fumer), mais la dispersion des champs permet aussi de faire face aux risques climatiques (orages et grêle localisés, dégâts dus aux animaux et aux maladies). Les jeunes technocrates rêvent d'habitat concentré dans des villages et de remembrement des terres pour lancer une agriculture intensive, moderne et motorisée. C'est une grave erreur dans un pays ne disposant d'aucune alternative (ni industrie, ni voie d'eau internationale, ni commerce) pour nourrir l'abondante population rurale rejetée des campagnes. De plus, les terres sont trop pentues pour risquer d'y introduire les tracteurs (rentabilité peu probable, risques de tassement) et ce qui fait la richesse des terres actuellement (déchets familiaux) deviendra un polluant bien difficile à gérer à l'échelle d'un village.

Les techniques culturales exigent beaucoup de travail et sont souvent réalisées par des groupes de voisins à l'aide de deux outils élémentaires: la matchette (parfois recourbée en faucille) et une houe à long manche. Après une courte jachère (quelques mois à un ou deux ans), les sols envahis par les herbes sont nettoyés superficiellement puis labourés profondément pour enfouir l'herbe (à 30 cm et plus). Les stolons et autres racines persistantes sont séchées en tas et compostées ou brûlées. Un mois plus tard, la parcelle est retravaillée finement pour le semis en poquets (mais) ou à la volée (sorgho de deuxième saison); un deuxième semis d'une culture associée peut intervenir après le premier sarclage pour remplacer les poquets manquants et couvrir toute la surface.

Tout est travaillé manuellement à la houe. La traction animale, difficile sur les fortes pentes, n'intéresse personne: ce n'est pas la coutume de faire travailler les animaux. Il n'existe pas de motorisation (hors de prix à de telles distances de la mer), si bien qu'on observe peu d'horizon tassé en profondeur et que le drainage semble s'effectuer normalement. Seules, les zones de source mériteraient un drainage profond.

La formation de billons ou de grosses buttes est limitée à la culture des tubercules et à l'enfouissement des adventices. Dans les vallées et les marais par contre, la culture sur planches surélevées ou sur grosses buttes est la règle générale pour assurer un bon drainage.

En dehors de l'épandage de fumier dans les champs proches de l'habitat, la conservation de la fertilité des sols est assurée par les associations culturales, les rotations, l'enfouissement des adventices et la jachère courte. Il existe cependant, une technique de lutte antiérosive traditionnelle réservée aux très fortes pentes, en particulier pour la culture du pois sur schiste et sur les hautes terres du nord et de la Crète Zaïre-Nil (Nyamulinda, 1989). Il s'agit de terrassettes ou microterrasses en escalier d'un mètre de largeur, taillées dans le versant tout en préservant le système racinaire des touffes d'herbes. Ceci permet de dégager l'espace nécessaire à une double ligne de maïs/haricot ou de petits pois. Le talus (de 0,5 à 1 mètre de hauteur) est solidement maintenu en place par le réseau racinaire des graminées. L'intérêt majeur de ces terrasses étroites, c'est de maintenir la planche cultivée dans l'horizon humifère alors que plus les terrasses sont larges et plus on perturbe l'organisation du sol et on met à nu les horizons profonds stériles (Roose et al., 1992). Dans la technique traditionnelle, on bascule la moitié de la planche du haut sur celle du bas en deuxième année... ce qui revient à déplacer mécaniquement la couche superficielle du sol tout au long du versant. Des essais en parcelle d'érosion ont montré que cette méthode améliorée (c'est-à-dire en cultivant les planches en courbe de niveau et en exploitant les herbes du talus) permet d'arrêter toute érosion et de gérer au mieux les eaux de pluie, même sur des sols schisteux sur des pentes de 60 % (Ndayizigiyé, 1993 ; Nyamulinda et al., 1992).

Enfin, on peut observer localement une technique de gestion des eaux ruisselant sur les chemins: il s'agit de creuser une fosse en haut de pente où l'on dirige le ruissellement et sa charge sédimentaire. Dès que la fosse est à moitié pleine de sédiments, on y plante une touffe de bananiers qui profitent de ces apports d'eau et de nutriments. Quand la première fosse est presque pleine, on en creuse une plus bas (= Rudumburi).

En conclusion, les méthodes traditionnelles ont permis de maintenir la stabilité du paysage et un niveau modeste de production. Maintenant que la population est devenue trop dense pour maintenir suffisamment de terres en jachère, il s'agit d'intervenir pour maintenir les terres en place, mais aussi pour augmenter rapidement leur productivité (à la fois en vivrier et en bois de chauffe).


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