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La transformation en fromage du lait de dromadaire


Matériel et méthodes
Fabrication des fromages
Analyses
Résultats
Conclusion
Références

J.P. Ramet

Le docteur Ramet est professeur de Technologie laitière à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie et des industries alimentaires à Vandœuvre-lès-Nancy (France). Il a effectué de nombreuses missions pour/a FAO et, entre autres, des recherches et mises au point en matière de technologie du lait de chamelle en Arabie saoudite (1984) et en Tunisie (1987)

La transformation du lait en fromage est une méthode de conservation du lait très largement utilisée dans le monde au plan artisanal et industriel. Dans le cas particulier du lait de dromadaire, cette opération est réputée délicate ou impossible en raison des difficultés rencontrées pour réaliser la coagulation. De précédents travaux ont montré qu'il était possible d'améliorer l'aptitude à la coagulation en ajoutant du chlorure ou du phosphate de calcium au lait avant emprésurage. Le présent article a pour but d'estimer l'aptitude fromagère du lait de dromadaire au cours de la coagulation, mais également pendant les autres phases de la fabrication des principaux types de fromages.

Région de l'étude - Survey area - Región objeto del estudio

Le lait est un milieu d'origine biologique fortement altérable par voie microbienne et enzymatique en rai son de sa forte teneur en eau, de son pH voisin de la neutralité et de sa richesse en composants biodégradables (lactose, protéines, lipides). Parmi les différentes techniques développées pour préserver cet aliment et en différer la consommation, la transformation en fromage tient une place essentielle. Dans les fabrications traditionnelles, comme dans les procédés modernes, la protection souhaitée du milieu est apportée par acidification lactique et déshydratation partielle dirigées. En pratique, cette évolution est conduite dans les deux premières phases de la fabrication, coagulation et égouttage, la troisième phase ou affinage correspondant à une transformation par voie enzymatique et microbienne du substrat (Ramet, 1985a).

Dans la plupart des fromages, la coagulation est obtenue par voie enzymatique en ajoutant de la présure au lait. Cette préparation renferme deux protéases actives: la chymosine (85 pour cent) et la pepsine (15 pour cent) qui hydrolysent spécifiquement la fraction Kappa de la caséine. Il s'ensuit alors une déstabilisation générale des autres caséines a, b qui conduit à l'agrégation des micelles en un réseau formant le gel (Alais, 1984); la présence de calcium ionisé est nécessaire pour réaliser les liaisons intermicellaires.

L'opinion la plus répandue, tant parmi les nomades que parmi les praticiens, est que la fabrication de fromage à partir de lait de dromadaire est impossible en raison des écueils rencontrés pour obtenir la coagulation. Toutefois, certains auteurs (Rao, Gupta et Dasturn, 1970; Yagil, 1982) mentionnent la possibilité de fabriquer du fromage uniquement après avoir mélangé le lait de dromadaire à du lait de chèvre et de brebis. Par ailleurs, d'autres auteurs (Gast, Maubois et Adda, 1969) signalent la nécessité d'employer la présure à une concentration très élevée, correspondant à 50-100 fois la dose habituelle, pour obtenir un coagulum qui, malgré cela, reste très mou et friable. Plus récemment, Farah et Farah-Riesen (1985) ainsi que Farah et Bachmann (1977) précisent également que la coagulation du lait de chamelle est plus difficile et de 2,5 à 3 fois plus lente que celle du lait de vache.

Les observations de l'auteur (Ramet, 1985b, 1986, 1987a) ont confirmé cette difficulté à coaguler qui implique de surdoser d'environ quatre fois la concentration en enzyme coagulante; il a en outre montré que cette difficulté peut être partiellement évitée par l'ajout au lait de chlorure ou de phosphate de calcium (Ramet, 1985b, 1987a); ces sels modifient l'environnement ionique de la micelle de caséine et entraînent un abaissement du pH du milieu qui favorise l'activité de la présure et le processus d'agrégation de la caséine qui conduit à la coagulation (Ramet, 1985a).

L'étape de la coagulation, bien qu'indispensable, n'est toutefois pas suffisante à elle seule pour juger de l'aptitude globale d'un lait à la production de fromage. En effet, il faut connaître en outre les propriétés rhéologiques des gels formés, suivre l'évolution de l'égouttage et de l'affinage ainsi qu'évaluer les rendements obtenus (Ramet, 1985a).

Le présent travail réalise la synthèse des observations faites en ce sens lors d'essais de fabrication destinés à produire les principaux types de fromages à partir de lait de dromadaire. Cette expérimentation a été conduite en Tunisie pendant l'été 1987, à l'Institut des régions arides (IRA) à Médenine, dans le cadre d'un travail soutenu par la FAO (Ramet, 1987b).

Matériel et méthodes

Origine des laits

Les laits utilisés pour les essais de fabrication ont été collectés dans le sud tunisien dans les zones de la Choucha et de l'Aouara situées au sud-ouest de la ville de Ben Gardane, proche de la frontière libyenne. Ces laits proviennent d'animaux élevés de manière extensive traditionnelle sur des parcours naturels et se trouvant en moyenne au sixième mois de lactation. Immédiatement après la traite du matin, les laits ont été refroidis entre 5 et 15°C et transportés dans un délai de quatre à huit heures à la fromagerie expérimentale de l'IRA à Ben Gardane. Après analyses d'acidité et de densité, les laits individuels provenant de 15 à 20 dromadaires, et jugés de bonne qualité, ont été mélangés en vue de la transformation.

Fabrication des fromages

L'objectif des travaux a été de produire une gamme diversifiée de fromages correspondant aux grandes catégories suivantes: fromages frais, fromages de type chèvre, fromages à pâte molle, fromages à pâte persillée (type bleu), fromages à pâte pressée non cuite (type gibneh, type gouda), fromages de lactosérum (type ricotta).

Les méthodologies de fabrication qui ont été utilisées sont dérivées des protocoles classiques employés pour les fromages de lait de vache et précédemment décrits (Ramet, 1985a); les adaptations nécessaires des procédés à l'utilisation de lait de dromadaire sont données ci-après avec les résultats.

Les références des principaux auxiliaires de fabrication employés sont les suivantes:

- présure de veau, en poudre, de force 1/100 000 unités Soxhlet, renfermant 5 200 mg de chymosine/kg;

- préparation coagulante en poudre, issue de Mucor miehei, de force 1/150 000;

- ferments lactiques mésophiles lyophilisés pour ensemencement direct;

- sels de calcium (chlorure et dihydrogénophosphate), anhydre, de qualité «Pro Analysis».

Analyses

Les différentes analyses élémentaires (acidité, pH, densité, matière sèche, matière grasse) faites sur les laits, les fromages, les lactosérums ont été réalisées selon les protocoles des méthodes officielles d'analyses décrites par la Fédération internationale de laiterie (FIL).

Résultats

Aptitude à la coagulation

Le lait cru de dromadaire, produit en élevage extensif de type traditionnel, peut être coagulé par voie enzymatique à l'aide des deux types de coagulants les plus utilisés actuellement: présure de veau et préparation enzymatique coagulante issue de Mucor miehei. Par rapport au lait cru de vache, les concentrations en enzymes nécessaires pour coaguler le lait de dromadaire dans les mêmes temps sont environ quatre fois supérieures. Ces valeurs correspondent à celles qui ont été observées antérieurement (Farah et Farah-Riesen, 1985; Ramet, 1985b. Ramet, 1986).

L'apport d'un sel de calcium soluble (chlorure-phosphate) permet de réduire sensiblement les temps de floculation. Il ressort de l'ensemble des essais effectués que l'ajout préféré est de 15 g/100 litres de lait. Dans ces conditions, une réduction de 20 à 50 pour cent de la durée des temps de floculation témoins est observée selon l'origine et l'acidité des laits.

Pour les concentrations en sels calciques plus élevées, il existe un risque important de formation de précipités lorsque le lait est acide et de développement de défauts organoloptiques (texture crayeuse, goût de lessive, saveur amère) dans le produit fini.

Les coagulums formés se caractérisent par une très grande fragilité; la transition liquide-gel, qui permet de définir visuellement le temps de floculation, est très difficile à saisir au niveau de la cuve de coagulation; si l'on observe la formation de petits flocons de paracaséine sur une lame en verre OU en acier inoxydable préalablement plongée dans le milieu, l'appréciation est plus aisée.

Traite manuelle traditionnelle dans le désert - Traditional hand-milking in the desert - Ordeño manual tradicional en el desierto (a)

Traite manuelle traditionnelle dans le désert - Traditional hand-milking in the desert - Ordeño manual tradicional en el desierto (b)

Bergers au repos autour du puits - Shepherds resting around a well - Pastores descansando alrededor de un pozo

Dromadaires s'abreuvant à une source - Camels drinking at a spring - Camellos bebiendo en una fuente

Fromages affinés de type semi-frais (1) et de type pâte persillée (2) - Ripened cheeses: "semi-fresh" (1) and vein textured (2) cheeses - Quesos maduros de tipo semifresco (1) y de tipo azul (2)

Découpe de fromages de type gibneh pour conservation dans l'huile d'olive et la saumure - Cutting Gibneh-type cheeses to be preserved A olive oil and brine - Corte de quesos de tipo Gibneh para su conservación en aceite de oliva y en salmuera

Présentation d'échantillons des divers fromages fabriqués - Presentation of samples of various manufactured cheeses - Presentación de muestras de diversos quesos

En cas d'acidification du milieu (utilisation de laits acides, prolongation des temps de coagulation au-delà de 1,5 à 3 heures), la friabilité du gel devient extrême. Elle interdit tout traitement mécanique ultérieur du gel dans des conditions satisfaisantes. Ce comportement rhéologique particulier du coagulum de lait de dromadaire implique en pratique de coaguler le lait rapidement pour éviter toute friabilisation du gel, consécutive au développement de l'acidification, lorsque la technologie de fabrication du fromage comporte des opérations mécaniques énergiques (tranchage, brassage, moulage). Ainsi, pour les pâtes molles, les pâtes pressées non cuites et les pâtes persillées, la limite inférieure de pH à l'emprésurage sera 6,2. Il conviendra également d'ajuster les temps de floculation entre 5 et 10 min et de ne pas mouler au-delà de 45 à 60 min de temps de coagulation totale pour ne pas laisser se développer une acidification excessive.

Le traitement thermique du lait, qui peut être pratiqué avant coagulation pour améliorer la qualité microbienne du milieu, influence également les propriétés rhéologiques des gels formés. Lorsque le chauffage est réalisé à une température supérieure à 65°C, avec une durée de chambrage supérieure ou égale à 1 min, la floculation est retardée et les gels formés présentent une fermeté très faible et une extrême friabilité.

La grande friabilité des gels résulte principalement de la faible teneur en matière sèche totale (9,46 pour cent) des laits traités (voir tableau). Un essai a montré qu'il était possible, en enrichissant le lait de dromadaire avec 4 pour cent de poudre de lait de vache de qualité fromagère (faible teneur en germes, séchage à basse température), de renforcer considérablement le gel et de le travailler dans des conditions correctes. En ce sens, le mélange à du lait frais produit localement (chèvre, brebis, vache, zébu) pourrait être également envisagé et utilisé avantageusement.

Aptitude à l'égouttage

L'aptitude à l'égouttage des gels formés est conditionnée directement par les propriétés rhéologiques observées après la phase de durcissement suivant la floculation.

D'une manière générale, en raison de la fragilité des coagulums, il y a lieu de réaliser les traitements mécaniques de l'égouttage avec grande précaution, de manière à éviter tout bris incontrôlé du gel. Pour les pâtes molles, les pâtes pressées, les pâtes persillées, il convient, pour obtenir un grain suffisamment ferme au moment du moulage, d'augmenter le degré de tranchage et d'accroître la durée de l'égouttage en cuve. Pour les pâtes à humidité et acidité élevées (type chèvre, type pâte fraîche), la mise directe en moule n'est pas possible en raison des pertes importantes de caillé se produisant par les trous des supports d'égouttage; il est nécessaire de réaliser l'égouttage partiellement (préégouttage) ou totalement en sacs textiles, qui seuls peuvent assurer une rétention et une filtration efficace du caillé et permettent d'éviter une perte exagérée de matière sèche dans le lactosérum.

La synérèse du coagulum observée, soit lors de l'égouttage en cuve et en moule (pâtes molles, pâtes pressées non cuites, pâtes persillées), soit lors de l'égouttage en sacs textiles (pâtes fraîches, chèvres), est extrêmement rapide comparativement au comportement des gels issus des laits de vache. Ainsi, un caillé de type chèvre peut être égoutté presque totalement en 4 à 6 heures (figure 1). L'égouttage d'un caillé de type pâte pressée du Proche-Orient (gibneh) s'effectue en quasi-totalité pendant le travail en cuve et est pratiquement terminé 15 min après le début du pressage.

L'analyse des résultats (voir tableau) montre par ailleurs que les rendements fromagers sont faibles comparativement à ceux observés habituellement avec du lait de vache ou de chèvre (Ramet, 1985a). Le faible niveau des rendements s'explique par la moindre teneur en matière sèche des laits de dromadaire utilisés, mais également par l'importance des pertes en matière sèche dans le lactosérum. Ainsi, bien que les extraits secs du lait de dromadaire utilisé soient d'environ 30 pour cent inférieurs à ceux du lait de vache, les extraits secs moyens mesurés dans les lactosérums sont du même ordre que ceux obtenus lors de la transformation du lait de vache.

Il y a lieu de souligner l'importance de la perte en matière grasse dans le lactosérum: elle est trois fois plus élevée que celle observée pour des fabrications homologues au lait de vache et correspond à 48 pour cent de la matière grasse initiale du lait de dromadaire transformé. On peut expliquer cette perte très élevée par la grande friabilité des gels précédemment évoquée, qui provoque la formation de fines particules de caillé qui ne sont pas retenues dans le fromage, mais entraînées mécaniquement dans le lactosérum. Par ailleurs, l'état particulier des globules gras du lait de dromadaire, caractérisé par une faible taille et une liaison étroite aux protéines (Jardali, 1988; Wilson, 1983; Yagil, 1982), semble également être à l'origine de cette perte.

Le traitement thermique préalable du lait avant mise en coagulation modifie sensiblement l'aptitude à la synérèse des coagulums; celle-ci se trouve très fortement ralentie (figure 2) après pasteurisation du milieu (75°C, 1 min). Pour obtenir un égouttage dans des conditions de temps et de rendement satisfaisantes, il convient de limiter le traitement thermique préalable du lait aux conditions d'une thermisation (62-65°C, 1 min), notamment pour les pâtes molles et les pâtes pressées. L'effet négatif du chauffage sur l'égouttage s'explique par le caractère fortement hydrophile des protéines lactosériques dénaturées par le traitement thermique (Farah, 1986; Gnan et Sherina, 1985).

Enfin, il y a lieu de formuler trois remarques à propos du lactosétum: la première a trait à la cinétique d'acidification, qui se déroule un peu plus lentement que pour le lait de vache. Cette différence pourrait résulter de l'action d'inhibiteurs naturels sur les bactéries lactiques (Barbour et al., 1984) et d'un pouvoir tampon propre au lait de dromadaire (Ramet, 1985b).

La deuxième concerne sa couleur très caractéristique: contrairement au sérum de lait de vache qui présente un aspect verdâtre, celui du lait de chamelle est très blanc et d'aspect peu différent de celui du lait.

La troisième concerne la possibilité de récupération des protéines lactosériques par traitement thermique en vue de fabriquer du fromage de sérum de type ricotta (Ramet, 1985a). Bien que de nombreuses variantes de traitement aient été appliquées, il n'a pas été possible d'obtenir une séparation nette du floculat protéique et de le collecter par une technique simple. Les flocons de protéines, qui apparaissent dès que la température atteint 72-75°C, restent en effet très petits et isolés; leur agrégation en amas plus importants, qui permettraient une filtration, ne se fait pas. Seule une centrifugation permet de séparer aisément les fractions thermo-coagulées.

Aptitude à l'affinage

La conduite de l'affinage n'a pas pu être réalisée dans des conditions optimisées en raison de la maîtrise imparfaite des conditions de température. Malgré cela, diverses conclusions peuvent être tirées des observations faites: macroscopiquement, à l'exception d'un dessèchement superficiel assez accentué, l'évolution apparente des fromages a été satisfaisante pour les différentes catégories de produits fabriqués. Pour les fromages comportant des moisissures de surface (type chèvre affiné à l'aide de Penicillium caseicolum) ou internes (type pâte persillée affinée à l'aide de Penicillium roquefortii), la croissance du mycélium s'est faite de manière homogène dans les délais habituels. Pour les pâtes pressées de type baby-gouda et de type gibneh, aucune différence notable n'a été relevée par rapport au comportement classique de ces fromages en cours de maturation.

Du point de vue organoleptique, la qualité des produits a été jugée, d'une manière générale, satisfaisante. L'aspect des fromages a été conforme aux critères spécifiques des catégories concernées. La texture onctueuse a été appréciée pour les fromages frais, pour les pâtes de type chèvre, de type pâtes pressées et pâtes persillées; quelques dégustateurs ont remarqué une texture légèrement rugueuse, qui peut s'expliquer par la faible teneur en matière grasse des fromages due aux pertes élevées dans le lactosérum, ainsi que par un dessèchement non négligeable consécutif à l'hygrométrie basse des ambiances d'affinage. L'odeur des produits fabriqués a été faible, sans dominante caractéristique. Le goût des différents types de pâte a été jugé bon, comparable à celui des fromages de type chèvre non affiné. Une amertume d'intensité faible à modérée a été relevée pour les fromages à pâte pressée non cuite obtenus à partir des laits fortement suppléments en sels de calcium, au-delà de 15 g/100 litres de lait, pendant les deux premières semaines de maturation. En outre, il a été noté que la saveur légèrement salée et amère présentée par certains lots de laits suite à l'ingestion par l'animal de plantes fortement sapides (Rao, Gupta et Dasturn, 1970; Yagil, 1982) ne se transmet pas au fromage.

Conclusion

Les résultats montrent que la consommation du lait de dromadaire peut être différée dans le temps en réalisant sa conservation sous forme de fromage. Comparativement aux autres types de laits habituellement utilisés, l'aptitude à la coagulation, qui conditionne directement les phases ultérieures de la transformation, apparaît moins bonne que pour les laits de vache, de chèvre ou de brebis, d'où la nécessité de surdoser l'enzyme coagulante. Cette situation résulte vraisemblablement de la composition et de la structure particulières des micelles de caséine, qui présentent une taille moyenne différente (Ali et Robinson, 1985; Gnan et Sherina, 1985; Jardali, 1988; Yagil, 1982), ainsi que des fractions caséiniques qui sont, par leurs proportions et par leur charge électrique, autres que celles du lait de vache (Farah et Farah-Riesen, 1985; Gnan et Sherina, 1985; Jardali, 1988; Larsson-Raznikiewicz et Ali Mohamed, 1986). Ainsi, il a été récemment mis en évidence (Jardali, 1988; Ramet et Jardali, communication personnelle), sur des laits de dromadaire d'origines géographiques très différentes, une taille moyenne de micelles de caséine sensiblement constante, mais double de celle mesurée pour le lait de vache. La teneur en caséine est également très spécifique, notamment pour la caséine Kappa qui présente un taux trois fois plus faible que dans le lait de vache. Les équilibres minéraux du sodium et du calcium, dont on connaît respectivement le rôle inhibiteur et l'effet activateur sur la coagulation, interviennent également probablement de manière déterminante (Gnan et Sherina, 1985; Jardali, 1988).

Ces écueils peuvent être évités en partie par des adaptations technologiques adéquates telles que l'ajout d'un sel de calcium au lait permettant de limiter le surdosage du coagulant et la prolongation des temps de coagulation et d'égouttage avant moulage. Moyennant ces ajustements, il a été possible de réaliser, dans des conditions satisfaisantes et simples, des fromages de différents types présentant une bonne qualité organoleptique.

Le caractère très bas des indices de rendements fromagers mesurés a été souligné et expliqué comme résultant des faibles teneurs en matière sèche des laits collectés, celles-ci se situant à 9,4 pour cent contre 1213 pour cent, valeurs moyennes citées par plusieurs auteurs (Bachmann et Schulthess, 1987; Gast, Maubois et Adda, 1969; Ramet, 1985a; Wilson, 1983; Yagil, 1982).

Il s'agit là vraisemblablement d'un effet saisonnier dû au stress hydrique consécutif à l'alimentation réduite en eau des troupeaux exploités pendant l'expérimentation et qui est connu pour provoquer une chute de la teneur en matière sèche (Yagil et Etzion, 1980). Il est donc vraisemblable que la transformation de laits provenant d'animaux à régimes alimentaires mieux équilibrés, comme ceux produits en élevage de type intensif (Larsson-Raznikiewicz et Ali Mohamed, 1986; Ramet, 1985b) ou ceux produits en élevage extensif hors saison sèche, ne présenterait pas, en raison de leur plus grande richesse en substances sèches, les difficultés précitées au plan de la technologie et des rendements.

Composition physico-chimique des laits et des fromages

Physical and chemical breakdown of milk and cheese

Composición físico química de las leches y los quesos

Laits

Matière sèche (%)

Matière grasse (%)

Densité


n

12

12

12

M

9,46

2,75

1,0227

±

0,35

0,38

0,0019

Fabrications

Fromages

Lactosérums


Matière sèche (%)

Rendement poids frais (%)

Rendement poids sec (%)

Matière sèche (%)

Matière grasse (%)

Type chèvre

n

5

5

5

5

5

M

35,4

9,61

3,38

6,11

1,32

±

5,2

1,00

0,39

0,32

0,12

Type pâte pressée non cuite

n

7

7

7

7

7

M

43,7

6,88

3,00

6,99

1,32

±

3,0

0,64

0,34

0,21

0,45

1. Evolution du poids et de l'acidification du lactosérum pendant l'égouttage de fromage de type chèvre fabriqué à partir de lait de dromadaire - Changes in whey weight and acidification during the drainage of goat type cheese made from camel's milk - Evolución del peso y de la acidificación del suero durante el escarmiento de queso de tipo de cabra fabricado a partir de leche de dromedario

2. Evolution du poids de lactosérum provenant de caillés obtenus a partir de lait de dromadaire traité à différentes températures (temps de chambrage: 1 min) - Changes in whey weight for camel's milk curd processed at varying temperatures (holding time: 1 min) - Evolución del peso del suero procedente de las cuajadas obtenidas a partir de leche de dromedario tratada a distintas temperaturas (tiempo de reposo: 1 minuto)

Par ailleurs, le mélange au lait de dromadaire de laits d'autres mammifères produits localement (vache, zébu, chèvre, brebis) est une solution simple et pratique pour modifier la composition protéique et minérale du milieu et améliorer son aptitude à la transformation en fromage. Dans ce même but, l'ajout de poudre de lait peut être envisagé.

D'une manière plus générale, il apparaît donc que la transformation du lait de dromadaire en fromage peut constituer une voie très intéressante pour mieux exploiter et valoriser le potentiel laitier représenté par le cheptel camelin traditionnel des régions arides et chaudes et pour régulariser l'apport alimentaire des sociétés concernées. Dans cette perspective, il semble que les fromages les mieux adaptés, tant à une production à caractère artisanal et familial qu'à l'environnement bioclimatique, soient de deux types: des fromages humides, à caractère acide, destinés à être consommés à l'état frais dans un délai limité; des fromages de report à l'humidité réduite, dont la préservation à moyen et long terme pourrait être assurée par des méthodes simples utilisant par exemple la déshydratation à l'air et au soleil, la déshydratation osmotique par immersion dans une saumure concentrée ou l'immersion dans un bain d'huile (Ramet, 1985a).

Références

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