2. L'offre de lait et de produits laltiers

Table des matières - Précédente - Suivante


2.1. L'offre locale de lait et de produits laitiers dans les pays africains
2.2. Les importations de lait et produits laitiers en Afrique


Si la tradition d'élevage est largement répandue en Afrique, son objet est difficile à appréhender dans la logique économique. A la fois instrument d'épargne, possession de prestige, la finalité de l'élevage bovin en Afrique a longtemps répondu à des objectifs socio-culturels perceptibles lors de cérémonies ou fêtes (mariages, retrouvailles...) au cours desquelles était consommée de la viande. La tête de bétail perçue comme unité monétaire a toujours été utilisée comme telle lors de transactions commerciales, du paiement de l'impôt ou de la dot. L'élevage est également mené en fonction de la gestion du risque au niveau individuel, c'est à dire des aléas - climatiques, familiaux, etc. - pris en compte par l'éleveur pour assurer la survie du groupe.

Dans ces conditions, la production laitière devenait accessoire et ne servait qu'à l'éleveur et sa famille; la commercialisation restait exceptionnelle. De plus, toute une large zone où sévissait la trypanosomiase était interdite à l'élevage: la consommation du lait y était donc inexistante.

Dans les années 80, l'Afrique subsaharienne représentait environ 1 % de la production laitière mondiale pour quelques 12 % de la population du globe. Généralement, hormis chez les éleveurs, le lait ne faisait pas partie des habitudes alimentaires des Africains. En 1986, la consommation moyenne au sud du Sahara ne dépassait pas 20 kg EqL par habitant et par an; ce chiffre descendait à 8 kg en Afrique de l'Ouest. Face à une demande aussi faible, l'offre n'a jamais été stimulée, si bien que, sur plusieurs décennies, les indications sur la productivité laitière en Afrique restent toujours à un niveau très bas (cf. tableau IX):

Toutefois, le processus d'urbanisation rapide de l'Afrique et la transformation profonde des habitudes alimentaires qu'il induit, a modifié sensiblement la situation prévalant depuis toujours. Le lait et les produits laitiers sont devenus depuis les années 60 une des composantes de l'alimentation en Afrique. De nombreux projets de développement laitier ont été initiés dans la plupart des pays africains, mais les échecs ont été fréquents, si bien que n'a pu se réaliser une adéquation entre l'émergence de cette nouvelle demande et une offre figée dans ses rigidités; c'est donc à l'importation qu'a été dévolu le rôle de satisfaire les besoins des consommateurs urbains. Cette situation est générale en Afrique de l'Ouest, alors qu'en Afrique Orientale et Australe, on observe un meilleur équilibre entre l'offre et la demande locales: de meilleures conditions techniques et géo-climatiques expliquent en partie cette réussite, mais il faut aussi noter l'affirmation d'une volonté politique constante en faveur d'un développement laitier national dans des pays comme le Kenya et le Zimbabwe, devenus d'ailleurs exportateurs nets de lait et produits laitiers dans les années 80.

Sur la période 1961-1977, la production laitière en Afrique a enregistré une croissance de 2%/an en moyenne et de 2,7% de 1977 à 1986. Mais ces résultats ont été obtenus à partir d'un niveau très faible, si bien que l'autoapprovisionnement au Sud du Sahara est passé de 95 % en 1960 à 82 % sur la période 1977-1986, et que les importations de lait et produits laitiers ont dû être multipliées par 6 entre 1961 et 1986 pour satisfaire une demande croissante essentiellement urbaine (Shahala Shapoui et Stacey Rosen, 1992). C'est cet approvisionnement des villes qui constitue aujourd'hui un problème aigu, car le coût des importations est difficilement supportable pour des économies fragilisées et la production locale n'a pas réussi à se développer de façon satisfaisante. Ce sont les termes de cette alternative importations/production locale - que nous allons examiner à présent.

2.1. L'offre locale de lait et de produits laitiers dans les pays africains


2.1.1. Remarque préulable: l'écueil statzstique
2.1.2. Les conditions de l'élevage bovin en Afrique
.1.3. Les systèmes de production laitière en Afnque
2.1.4. L'offre de lait local dans les pays africains
2.1.5. Les bassins laitiers des villes africaines
2.1.6. Productivité des troupeaux bovins en Afrique


2.1.1. Remarque préalable: l'écueil statistique

Les données de base concernant le secteur de l'élevage sont le plus souvent le fruit d'estimations ou d'extrapolations effectuées à partir d'éléments partiels recueillis lors de diverses enquêtes ou missions spécialisées. La multiplicité des systèmes de production, les fortes variabilités dues aux conditions géo-climatiques ou aux potentialités génétiques, la méconnaissance de la part de la production réellement prélevée dans un but d'autoconsommation ou de ventes, conduisent à une forte incertitude sur le niveau réel des quantités de lait effectivement produites.

Cet écueil statistique auquel s'est heurtée il y a encore peu d'années l'étude de l'économie laitière en Europe, se fonde également sur les points suivants:

L'ensemble des données chiffrées doit donc être considéré comme une approche, et les distorsions observées d'une série statistique à l'autre sont seulement le résultat d'observations réalisées selon des méthodes différentes, dont le point commun est la faiblesse des moyens mis en oeuvre sur le terrain.

Pour éviter le maximum de dérapages sur cet écueil statistique, il est tout d'abord souhaitable que les coefficients de conversion des divers produits laitiers en Equivalents-Lait (EqL) soient employés avec discernement et de toute façon avec une valeur identique dans toutes les études, ce qui n'a pas été toujours le cas dans les travaux rassemblés ici. Chaque fois que cela a été nécessaire, nous avons repris les calculs avec les valeurs de référence de la F. A. O. Certes ces coefficients de conversion sont à revoir en fonction de l'évolution des produits mis sur le marché, en particulier pour le beurre dont la conversion en EqL est porteuse de distorsions incompatibles avec la recherche d'une approche aussi valable que possible. En ce qui concerne l'étude sur l'Ethiopie, le coefficient de conversion retenu pour le beurre (x 20) est très éloigné du coefficient FAO (x 6,6), ce qui introduit une profonde distorsion d'autant moins admissible que le beurre est d'abord une matière grasse utilisée comme telle (usage culinaire) et n'apporte pas les nutriments les plus profitables du lait, à savoir les protéines, qui ne constituent qu'une une part infime du beurre !

2.1.2. Les conditions de l'élevage bovin en Afrique

L'élevage bovin se développe depuis toujours dans de vastes zones de l'Afrique subsaharienne comprenant essentiellement la large bande sahélo-soudanienne et soudano-guinéenne s'étendant de l'Atlantique à l'Ouest à la Corne de l'Afrique à l'Est, ainsi que tout au long de la zone du Rift située de part et d'autre de la haute vallée du Nil et de la région des grands lacs africains.

Les six pays pris en compte dans la présente étude se retrouvent assez largement englobés dans la zone soudano-guinéenne où les saisons des pluies s'avèrent suffisantes pour favoriser une pousse satisfaisante sinon régulière de l'herbe nécessaire à la conduite de troupeaux bovins plus ou moins importants.

Au Nord, dans la partie sahélo-soudanienne, c'est la hauteur des pluies qui détermine la limite septentrionale des zones d'élevage (plus de 300 mm/an) alors qu'au Sud, dans la zone soudano-guinéenne, ce sont les conditions sanitaires (trypanosomiase et peste bovine essentiellement) qui constituent une barrière au développement de l'élevage bovin. Par contre, à l'Est. le long du Rift, l'altitude va modifier les données climatiques et autoriser un large développement de l'élevage bovin (Éthiopie mais aussi Tanzanie, Kenya, Rwanda, et Burundi).

Les considérations ethno-sociologiques conditionnent la conduite des troupeaux, qui se traduit le plus souvent en terme de possession (patrimoine) qu'en terme d'exploitation (production laitière). Le maintien et plus encore l'augmentation du nombre de têtes demeurent l'objectif des éleveurs. Ce n'est que récemment que la croissance quantitative des troupeaux a été freinée dans plusieurs pays par suite de la pression foncière exercée par les agriculteurs à la recherche de nouvelles terres à exploiter, diminuant par là-même les possibilités de parcours (prairies et zones de transhumance) jadis fort développés dans ces régions. Ainsi au Burundi où la pression démographique est particulièrement forte, le nombre de bovins est en sensible régression (cf tableau V).

Les objectifs traditionnels d'exploitation prenaient peu en compte la production laitière des troupeaux et rarement la production de viande; les critéres de sélection retenus pouvaient être la taille des cornes (Burundi) ou la couleur de la robe (Burkina Faso, Niger). C'est seulement depuis 10 ou 15 ans, avec l'intensification des échanges marchands et la très forte croissance démographique - et son corollaire l'explosion urbaine générale dans toute l'Afrique que les éleveurs d'un côté et de l'autre les responsables économiques - privés ou publics - ont ressenti le besoin d'organiser, d'améliorer, d'encourager la production laitière dans un double souci d'approvisionnement des populations urbaines et de développement rural. Mais les filières Lait qui se sont mises en place spontanément pour répondre à la demande n'ont pas toujours entraîné les effets escomptés, particulièrement en amont où la productivité reste médiocre. Pour pallier cette insuffisance, il a été fait largement appel aux importations qui aujourd'hui couvrent une bonne partie d'une demande encore trop modeste au regard du minimum souhaitable5.

Or, le potentiel bovin de nombreux pays d'Afrique devrait pourtant aboutir à une bonne adéquation entre l'offre et la demande de lait et produits laitiers: l'étude des filières Lait menée dans six pays africains à la demande de divers organismes doit constituer une base solide pour la recherche de cette adéquation et ainsi envisager l'avenir en terme de sécurité alimentaire, sinon d'autosuffisance, au sud du Sahara.

2.1.3. Les systèmes de production laitière en Afrique


2.1.3.1. Évolution des systèmes de production
2.1.3.2. Situation actuelle: les systèmes de production
2.1.3.3. Conduite et gestion des troupeaux


2.1.3.1. Évolution des systèmes de production

Il subsiste actuellement en Afrique un système traditionnel dominant d'élevage bovin aux mains des ethnies qui de tous temps ont eu pour activité principale la conduite de troupeaux: en Afrique de l'Ouest, ces éleveurs appartiennent en majorité à l'ethnie Peul; en Éthiopie, où l'élevage bovin est largement répandu, la tradition la plus forte vient des Ohromos, alors qu'au Burundi il est largement associé à l'agriculture.

La recherche de pâturages reste un objectif primordial pour les conducteurs de troupeaux, recherche qui s'est longtemps traduite par un nomadisme permanent ayant pour aire de développement les immenses zones herbeuses de la savane sahélo-soudanienne ou des hauts plateaux de l'Est. Aujourd'hui le nomadisme recule devant différentes contraintes, et notamment l'effet de l'emprise agricole au Nord et la nécessité d'intégration dans des systémes agricoles ou agro-pastoraux au Sud. La mobilité reste cependant un élément nécessaire à la survie: la transhumance saisonnière (Sahel) ou le déplacement quotidien (Burundi) permet de trouver un minimum de nourriture, lorsque la saison sèche s'installe, ou lors de sécheresses qui poussent inexorablement les éleveurs vers le sud du Sahel ou les fonds de vallées humides. Une évolution des systémes d'élevage nomades semble nécessaire pour nombre de transhumants: fixation, utilisation de sous produits agro-alimentaires, de co-produits agricoles, de cultures fourragères...

Les sécheresses sévères (1973 en Afrique de l'Ouest), la volonté politique de sédentariser les nomades, le désir pour les pasteurs d'intégrer leurs enfants dans un systéme agro-pastoral plus porteur d'avenir (éducation, diversification des activités) ont conduit la plupart des nomades à se fixer, la nécessité de transhumer se faisant sur une période plus courte et avec une partie seulement du troupeau (mâles, vaches taries).

En se sédentarisant, les éleveurs ont souvent développé des activités de cultures, alors que parallèlement les agriculteurs ont vu dans les activités d'élevage une possibilité de diversifier leurs productions tout en bénéficiant des animaux comme force de travail et sources d'engrais (fumier).

Mais aujourd'hui la croissance démographique en zone rurale restreint les parcours et pâturages nécessaires aux animaux alors que s'accroît la pression foncière, et l'on assiste à des conflict plus ou moins ouvert entre activités d'élevage et cultures.

A proximité des centres urbains, la demande en produits alimentaires s'est accrue, entraînant un passage progressif des systèmes d'élevage extensif et peu productif vers des systémes agro-pastoraux plus intensifs, nécessitant une nouvelle approche de la conduite des troupeaux (sélection, complémentation, soins vétérinaires...). Cette intensification s'est développée sous l'impulsion de l'initiative privée (éleveurs urbains et péri-urbains), suivant la volonté des autorités locales (fermes d'État, centres zootechniques...), mais aussi sous la pression des bailleurs de fonds (organisations bi ou multilatérales).

2.1.3.2. Situation actuelle: les systèmes de production

En considérant que le nomadisme pastoral a reculé, on retrouve actuellement 5 systèmes d'élevage en Afrique, dans des proportions variables et avec des modalités locales différenciées.

- Le système pastoral traditionnels, dans lequel plus de 50 % du revenu brut proviennent de l'élevage, regroupe encore la plupart des troupeaux bovins en Afrique de l'Ouest, en Éthiopie et dans une moindre mesure au Burundi où la pression foncière est la plus forte. La transhumance est encore largement pratiquée pendant la saison sèche: elle concerne alors de grands troupeaux (30 à 150-200 têtes). Au Burundi, ces déplacements se font vers des fonds de vallées humides sur quelques dizaines de kilomètres, où les animaux peuvent bénéficier de pâturages naturels, toujours plus restreints... Ailleurs, ces déplacements se font sur de plus longues distances et durent toute la saison sèche; dans ces cas-là, les animaux profitent de sous-produits ou de résidus de l'agriculture (fanes d'arachides au Sénégal).

La transhumance concerne la partie des troupeaux pour laquelle aucun objectif commercial n'est envisagé à moyen terme. Le système est strictement extensif et la récolte de lait n'est faite qu'à l'usage des bergers et rarement commercialisée.

Les vaches lactantes restent au campement, le lait sert essentiellement à la nourriture du veau et la traite récupérée - souvent une seule fois par jour - est destinée à l'autoconsommation, rarement à la vente. Les bêtes sont de races locales à faible productivité (0,4 à 1,5 1/jour):

Les animaux sont choisis en fonction de critères morphologiques (robes, cornes), pour leur rusticité, leur résistance à la chaleur, aux maladies endémiques (trypano-résistance des taurins baoulé et N'dama) et la perte de poids en saison sèche.

Les intrants utilisés dans ce système d'élevage extensif se limitent souvent aux produits vétérinaires. Les contraintes rencontrées concernent l'approvisionnement en nourriture et en eau, et de plus en plus, la diminution des parcours et leur dégradation (surpâturage, envahissement par des épineux et herbes indésirables).

La commercialisation du lait issu de ce système pastoral est nulle ou très limitée; seule l'autoconsommation est satisfaite à des niveaux parfois élevés (1/4 litre/personne/jour).

Les investissement - bâtiments - sont faibles, voire inexistants.

- Le système agro-pastoral traditionnel a une double origine:

* sédentaires depuis une ou deux générations, les pasteurs traditionnels ont développé une activité de cultures - essentiellement vivrières - en complément de l'activité d'élevage, il s'agit de Peuls sédentarisés en Afrique de l'Ouest ou des Ohromos d'Éthiopie. La pression démographique en zone rurale et les besoins alimentaires qu'elle engendre condamne à moyen terme les activités de l'élevage extensif nécessitant en moyenne 5 hectares de pâturage par tête de bétail: c'est ce processus qui est à l'origine de la baisse de 50 % des effectifs du troupeau bovin au Burundi en 10 ans: ici, la seule voie pour un développement de la production laitière est donc une intensification de l'élevage sédentaire.

* sont également venus à l'agro-pastoralisme les agriculteurs traditionnels qui ont trouvé dans l'élevage une activité complémentaire peu coûteuse car consommant les co-produits de l'agriculture. Ils y ont trouvé également une force de travail ainsi qu'une source d'amendement organique pour leurs cultures.

Ce système agro-pastoral traditionnel constitue la base la plus solide et la plus large du secteur primaire au Burundi et en Éthiopie. En associant cultures et élevage, les agriculteurs éleveurs reproduisent en Afrique le système polyculture/élevage qui fut largement à la base du développement agricole en Europe.

Les cultures de rente (café, coton..) sont à l'origine des rentrées financières essentielles de l'exploitant. Les cultures vivrières et le lait sont avant-tout destinés à l'autoconsommation.

La conduite du troupeau reste traditionnelle, c'est à dire que sélection, complémentation, infrastructures... sont encore à développer.

- Le système pastoral semi-intensif - dans lequel 10 à 50 % du revenu brut viennent de l'élevage - est né le plus souvent d'initiatives d'origine urbaine. Des commerçants, des fonctionnaires..., toutes catégories socio-professionnelles ayant des revenus satisfaisants se constituent une épargne sous forme de troupeaux: ils achètent des bêtes et les confient à des bouviers qui peuvent ou non associer cette activité à des cultures. Les propriétaires gardent leur activité en ville et sont en général peu soucieux de la productivité laitière de leurs animaux, puisque les critères de rentabilité essentiels pour eux sont la viande... et accessoirement le prestige du nombre de bêtes possédées. Des conflits d'intérêt peuvent parfois apparaître entre propriétaires et bouviers.

Les bouviers utilisent au mieux les possibilités de pâturages et de complémentation obtenues de leurs activités agricoles. Une partie du lait sera commercialisée, d'autant plus facilement que les vaches lactantes resteront dans des enclos proches de la ville alors que le reste du troupeau partira en transhumance en saison sèche: les bouviers, ou des collecteurs, achemineront le lait vers la ville, soit à pied si la distance reste faible, soit en mobylette ou en taxi pour les plus éloignés.

Ce type de troupeau se rencontre fréquemment autour de la plupart des villes. En Afrique de l'Ouest, le bouviers sont des Peuls et dans ce cas ce sont des femmes qui assurent la distribution du lait.

Le système reposant sur l'investissement privé et générant des revenus intéressants pour les bouviers, il s'avère de plus en plus dynamique et pourrait préfigurer les systèmes de production intensive que d'aucuns envisagent de créer autour des centres urbains pour leur approvisionnement en lait et produits laitiers.

Dans le même ordre d'idée, d'une production laitière intensive et rentable permettant d'alimenter un marché urbain proche, il faut citer les groupements de producteurs encadrés. Là aussi, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances placées dans ce type d'action: quantités collectées trop faibles et/ou diminution par rapport aux objectifs (Faso Kossam à Bobo Diculasso, Cooplait au Sénégal).

- Les fermes de production laitière en système intensif et les quelques éleveurs propriétaires confiant leur troupeau de taille importante à des bouviers devraient être la réponse pour un approvisionnement sûr et régulier des centres urbains en lait et produits laitiers.

Le plus souvent, ces fermes sont le fruit de l'initiative publique, avec l'aide d'organismes internationaux et d'O.N.G.; elles sont assez largement répandues sur l'ensemble de l'Afrique, mais c'est à l'Est qu'elles connaissent le développement le plus soutenu. Elles sont devenues, seules ou associées à des centres de recherches zootechniques, les lieux privilégiés des essais de croisements soit entre des races locales, soit entre des races locales et exotiques:

* croisements de races locales: - Azaouak x Taurin Baoulé au Burkina, Zébu Gobra x taurin N'Dama au Sénégal

* croisements races locales x races exotiques tropicales: - Sahiwal d'origine pakistanaise (Burundi) - Bramane du Brésil (Burkina)

* croisements races locales x races exotiques européennes, tels que ceux obtenus avec: - la Brune des Alpes

* parfois on peut trouver des fermes exploitant des races pures exotiques: - Pie Noire en Éthiopie

D'une façon générale, les rendements laitiers de ces fermes à système intensif peuvent apparaître satisfaisants: 6 à 8 litres/V.L./jour avec parfois des résultats de 15 à 20 litres/jour.

Les intrants alimentaires et vétérinaires sont importants; les investissements en bâtiments et matériels sont élevés, le but étant de fournir du lait en quantité et en qualité pour les populations urbaines. Le plus souvent cette production laitière approvisionne - ou devrait approvisionner - une unité de traitement et/ou de transformation du lait (pasteurisation, fabrication de lait caillé, yaourt, beurre, fromage).

Pouvant regrouper plusieurs centaines de têtes et de vaches lactantes, ces fermes laitières enregistrent souvent des résultats économiques décevants: mauvaise gestion, prix de revient du lait trop élevé, fourniture insuffisante à l'unité de traitement, d'où une rentabilité médiocre des investissements entraînant des surcoûts de production - incompatibles avec l'étroitesse du marché solvable susceptible de payer le coût industriel et commercial qui grève le prix final des produits.

- Les élevages urbains et péri-urbains:

Même avec un faible niveau de consommation par habitant, la présence d'une forte population engendre toujours une demande solvable non négligeable. Avec des coûts d'approche minimes, les éleveurs urbains et péri-urbains ont pris position sur ces marchés assurant parfois plus de 50 % de besoins pour les seuls éleveurs urbains (Addis Abeba).

L'objectif de ces éleveurs est une production de lait - frais, mais aussi caillé - destinée à être écoulée en vente directe, souvent en porte à porte, directement par l'éleveur ou par l'intermédiaire d'un collecteur-colporteur; une faible quantité de ce lait est livrée à une unité de traitement là où elle existe, le prix de cession dans ce cas là étant nettement inférieur à celui obtenu auprès de clients fidélisés: abonnés, restaurants, cafés...

L'utilisation d'intrants alimentaires et vétérinaires atteint un niveau relativement élevé. De même la construction d'abris est nécessaire. Les possibilités d'extension de ce type de production sont faibles car la pression foncière est maximale; l'axe de développement doit être recherché dans l'amélioration génétique du troupeau constitué en grande partie de races locales, sous réserve que les problèmes d'alimentation aient été résolus. Toutefois, le souci de sélection existe et les soins apportés à la conduite du troupeau conduisent à des rendements satisfaisants pouvant atteindre 5 à 6 litres/jour/V.L. voire beaucoup plus quand les animaux sont de races exotiques (10 à 15 litres). Ce système d'élevage urbain et péri-urbain se rencontre partout mais la pression foncière tend à l'éloigner du site intra-muros, sauf à Addis Abeba.

Il faut souligner qu'il s'agit rarement d'un système de production spécialisé. Il est souvent associé à d'autres activités: horticulture, activités extra-agricoles...

2.1.3.3. Conduite et gestion des troupeaux

La gestion des troupeaux en Afrique reste fortement soumise à la tradition et à l'expérience séculaire des éleveurs, ce qui peut être considéré comme un atout, mais qui constitue également un frein au développement de la production. Cette tradition et cette expérience sont porteuses de rigidités d'autant plus difficiles à effacer que l'ancrage dans le passé est profond. L'élevage peul, dominant sur toute l'Afrique de l'Ouest - et même en Afrique Centrale - détermine le système de valeur, les structures sociales et le mode de vie de cette ethnie. Le bétail est conduit de façon à lui permettre d'exprimer des performances zootechniques acceptables et exploitables pour la survie du groupe (Châtaignier, CIRES, 1978).

Dans toutes les exploitations traditionnelles on retrouve les races locales - zébus et taurins - choisies en raison de leurs aptitudes à vivre et à se développer dans des conditions climatiques et sanitaires difficiles. La finalité fut longtemps et reste encore une affaire de positionnement social et une forme de capitalisation. La vente des animaux, et encore moins celle du lait, ne correspond pas habituellement à un raisonnement économique rigoureux mais doit permettre de faire face à des besoins exceptionnels (fêtes, mariages) ou quotidiens (achats de tissus, savon, riz...). C'est d'ailleurs le plus souvent aux femmes que revient la charge de commercialiser la part du lait qui n'a pas été affectée à l'autoconsommation. Il existe donc une dissociation entre les fonctions de gestion du troupeau et celles relatives à l'exploitation laitière.

Cette dissociation peut constituer un frein sérieux à l'intensification de la production en lait dans les élevages traditionnels. Parmi ces éléments de cette rigidité nous retiendrons les points suivants:

Ces rigidités technico-culturelles ajoutées aux contraintes climatiques (effondrement de la production en saison sèche) et économiques (difficultés d'écouler le lait en zone rurale) maintiennent la production laitière récupérable pour la consommation humaine à un niveau très bas: de 0,41/V.L./jour à 2 1/V.L./jour dans les meilleurs des cas en saison humide. Ce n'est que dans les troupeaux traditionnels urbains et péri-urbains qu'apparaît une maîtrise plus soutenue de la production. Grâce à un recours régulier à la complémentation, surtout en saison sèche, à un certain souci de sélection, à la traite biquotidienne etc., il est possible d'atteindre des rendements honorables de 5 à 6 litres par jour, soit des lactations globales dépassant 1000 à 1200 litres. C'est à Addis Abeba que l'on enregistre les résultats les plus positifs en ce domaine chez des éleveurs urbains et péri-urbains.

En tenant compte de ces résultats, on s'aperçoit que dans son ensemble, les troupeaux bovins des pays africains recèlent d'importants "gisements" de production laitière sous-exploitée. L'encadrement des éleveurs traditionnels conduisant à une gestion plus rationnelle des techniques d'élevage devrait permettre de dégager, là où les conditions agro-climatiques le permettent, des volumes conséquents sans investissement massif: c'est sans doute la voie la plus prometteuse pour asseoir des filières Lait viables en Afrique, mais il faudra également envisager la mise en place des infrastructures nécessaires à la collecte et au traitement du lait.

Quant aux élevages intensifs dans des fermes laitières, les performances zootechniques enregistrées peuvent parfois se comparer aux résultats obtenus dans les pays industrialisés... avec des animaux exotiques. Mais dans ces cas là, les coûts de production sont prohibitifs et les retombées sur le développement rural peu perceptibles.

2.1.4. L'offre de lait local dans les pays africains

Avant d'aborder l'offre globale de lait en Afrique, il nous faut revenir sur l'écueil statistique rencontré dans ce domaine, tant les données obtenues sont disparates et peu précises.

La plupart des auteurs hésitent à avancer des chiffres globaux. Les écarts rencontrés d'une publication à l'autre et sur les séries chronologiques concernant le même pays ne sont pas du domaine de l'incertitude inhérente à toute forme de calcul statistique, mais relèvent le plus souvent d'interprétations et d'extrapolations personnelles très aléatoires.

Cette situation tient essentiellement à la difficulté d'établir des données concernant l'économie laitière en général et à la faiblesse - sinon à l'inexistence - des services statistiques chargés de collecter l'information.

Sur quelles bases peut-on asseoir une analyse de la filière Lait et donc tirer des conclusions et des recommandations satisfaisantes alors même que la plus grande incertitude introduit des distorsions rédhibitoires sur l'ensemble des données chiffrées ?

Les séries statistiques les plus fiables dont nous disposons pour les pays africains concernent l'effectif global de bovins, car pour des raisons sanitaires élémentaires chaque animal doit être vacciné donc enregistré, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas. Au-delà nous ne disposons que d'études partielles dont les résultats très significatifs sont toutefois difficilement extrapolables (ex. Debrah S. et Anteneh B. sur les circuits de commercialisation utilisés en Ethiopie. Etude portant sur 173 producteurs de lait. CIPEA, Mars 1992).

En ce qui concerne la production laitière, il faut déterminer le nombre de vaches traites, la quantité récupérée par vache et la destination du lait, ce qui suppose que l'on soit en possession des données suivantes:

Il existe donc une grande diversité de situation pour les vaches et d'après plusieurs auteurs on peut estimer que le nombre de vaches traites représente 12 à 15 % du troupeau bovin.

En ce qui concerne la production moyenne par vache traite, il faut pouvoir faire la ventilation entre la quantité prélevée par le veau - il s'agit forcément d'une estimation - et la part qui reste pour la consommation humaine. Les nombreuses études réalisées à ce niveau indiquent généralement une production laitière faible pour les races locales - de l'ordre de 0,5 à 1,5 Kg/V.L./jour dans les systèmes traditionnels; de 2 à 6 Kg/V.L./jour dans les systèmes intensifs péri-urbains à partir de croisements divers (locaux et exotiques) pour arriver à des performances proches de celles des pays industrialisés - 5 à 20 Kg/V.L./jour - dans les fermes laitières spécialisées où la sélection s'opère toujours à partir de races exotiques.

L'immense majorité des systèmes pastoraux et agro-pastoraux se rattache encore au 1er groupe si bien que pour l'ensemble des pays étudiés, la production disponible pour l'alimentation humaine ne dépasse pas 300 kg/V.L./an en moyenne.

Enfin, lorsque le lait est produit, il faut connaître son utilisation et surtout déterminer s ' il est destiné à l'autoconsommation ou bien s'il est commercialisé. En zone rurale, des agriculteurs non producteurs de lait n'ont pas les revenus suffisants pour acheter du lait; la commercialisation en zone rurale est donc souvent marginale. D'autre part en Afrique de l'Ouest, l'accès aux marchés urbains solvables est le plus souvent impossible dans des conditions acceptables (éloignement, état des pistes...). Il en résulte que le lait produit en Afrique est d'abord destiné à l'autoconsommation, le plus souvent sous forme de lait frais ou de lait caillé ; une part plus ou moins importante sera transformée en beurre sous diverses formes: ghee en Afrique de l'Ouest, beurre "humide" (65 % de matière grasse) en Ethiopie, huile de beurre au Burundi. Ainsi stabilisée, une partie de la matière première laitière sera vendue sur les marchés éloignés comme ceux de la capitale (Addis Abeba, Bujumbura). Il en ressort que pour l'ensemble des pays l'autoconsommation représente au moins 50 % de la production récupérable; ce ratio diminue lorsque l'on est proche d'un centre urbain et peut atteindre la totalité de la production en secteur rural très éloigné.

Les tableaux V et VI regroupent l'essentiel des données relatives à la production laitière (lait de vache) récupérable pour la consommation humaine. Vu sous l'angle des disponibilités par habitant, la Côte d'Ivoire (zone humide) et le Burundi (pression foncière) affichent des résultats particulièrement médiocres.

Bien que proches par le climat et les activités traditionnelles d'élevage, le Burkina Faso et le Mali présentent un écart important dans leur approvisionnement local: une politique laitière plus volontariste au Mali peut expliquer cette différence; il n'en demeure pas moins que le niveau global d'approvisionnement reste médiocre et en tout cas bien en dessous des objectifs souhaitables de 50 Kg/hab/an préconisés par la FAO et l'OMS.

Malgré un potentiel élevé dans le secteur de l'élevage, l'Éthiopie ne peut fournir à l'heure actuelle que 16 kg de lait et produits laitiers à ses habitants. Il est cependant permis d'espérer que le rétablissement définitif de la paix dans ce pays va permettre de retrouver les bons niveaux atteints jadis avec près de 30 kg/hab/an. L'Ethiopie devrait ainsi retrouver rapidement sa place parmi les grands pays producteurs de lait en Afrique.

Quant au Sénégal, il possède également de sérieuses bases pour le développement du système agro-pastoral, déjà en forte expansion. Toutefois, aucun des pays étudiés n'a mis à profit le climat socio-économique propice des années 70-80 afin de définir et de soutenir un développement judicieux de la filière Lait tel que cela a été fait dans les pays d'Afrique de l'Est (Kenya, Tanzanie, Soudan) qui offrent aujourd'hui de 70 à 100 Kg de lait et produits laitiers d'origine locale à leurs populations.


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