2.1.5. Les bassins laitiers des villes africaines

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Lorsque des camions de ramassage assurent, à partir d'une unité de traitement, la collecte de lait, on peut aisément définir un bassin laitier, mais lorsque le système informel assure l'essentiel des approvisionnement d'une cité, cette définition s'avère délicate. Si le marché solvable se montre porteur, les laits et produits laitiers peuvent arriver à la ville sur des distances parfois importantes où tous les moyens de transport sont utilisés: à pied, à vélo, en voiture, camion, train, etc. Le beurre présent sur le marché d'Addis Abéba peut provenir de plus de 150 km: mais dans tous les cas, il est certain que le réseau routier dans un état satisfaisant en toute saison constitue l'élément structurant principal d'un bassin laitier au delà d'une distance pouvant être parcourue normalement à pied dans un délai de 2 à 3 heures. Le lait frais et le lait caillé seront ainsi rassemblés dans un rayon de 5 à 12 km; l'utilisation du vélo, du vélomoteur ou de l'automobile (taxi) porteront ce rayon jusqu'à 35 à 50 km. Au delà les coûts deviennent importants, la collecte porte alors sur des produits de plus forte valeur ajoutée: beurre et très rarement fromage.

Quant à la densité du cheptel laitier présent sur la zone de collecte, elle n'est déterminée qu'à partir d'approximations successives dont les résultats ne coïncident pas toujours avec les volumes de lait exploités dans le bassin et se retrouvant dans la ville.

Ainsi à Bujumbura les quantités semblent surestimées. A l'inverse, les quantités de lait et produits laitiers d'origine locale arrivant sur Dakar sont d'un niveau particulièrement faible -0,6 kg/hab/an - alors que la région des Niayes, située à 35 km environ de la ville, apparaît comme une zone propice à l'élevage laitier au Sénégal;

Le potentiel d'approvisionnement d'une ville en lait et produits laitiers locaux repose sur le bassin laitier environnant et il importe d'en connaître tous les paramètres: nombre de bovins, de femelles lactantes, performances laitières des animaux, possibilités de pâturages et de complémentation, réserves en eau, réseaux de routes et pistes etc., afin de définir les actions à mener dans le cadre d'une politique laitière cohérente. La méconnaissance, voire l'absence de telles données laissent les décideurs devant des incertitudes majeures. Comment dès lors définir des coûts de production, de collecte ? Comment organiser la production, le ramassage, le traitement du lait ?

En fonction des données disponibles, on peut seulement avancer que la ville d'Addis Abeba dispose d'un bassin laitier satisfaisant pour l'approvisionnement de ses habitants, mais que pour une large part cet approvisionnement est assuré par le circuit informel, à hauteur de 90 % pour le lait frais. Avec une forte incertitude statistique, des observations identiques peuvent être formulées pour Bujumbura. Ailleurs, l'environnement laitier des grandes villes africaines s'avère très nettement insuffisant pour satisfaire les besoins des populations urbaines en lait et produits laitiers d'origine locale: on reste très éloigné du niveau d'approvisionnement moyen observé en Afrique - 17,5 kg/hab/an - et encore beaucoup plus éloigné du niveau souhaitable préconisé par les organisations internationales.

Les données concernant les bassins laitiers des villes étudiées sont reprises dans les tableaux VII et VIII.

2.1.6. Productivité des troupeaux bovins en Afrique

Dans plus de 90 % des cas, les troupeaux bovins sont menés en Afrique de façon traditionnelle, c'est à dire que la production du lait - et donc la productivité des vaches laitières ne sont pas prises en considération. La sélection y est limitée à l'identification des meilleurs vaches laitières, mises à part du reste du troupeau, mais sans contrôle de la reproduction, et la complémentation reste quasi-inconnue. Les études locales et fragmentaires conduisent toutes à des résultats du même ordre de grandeur que l'on peut regrouper dans le tableau IX.

Il semble que ces résultats soient figés depuis de nombreuses années et que seule l'augmentation en effectifs du troupeau soit à l'origine d'une sensible augmentation de la production dans plusieurs pays (Burkina Faso, Mali). À l'inverse, la baisse des effectifs entraîne une chute de la production au Burundi. L'examen des chiffres de productivité des troupeaux africains aurait dû conduire depuis très longtemps à la définition d'une politique de l'élevage plus cohérente que celle qui a abouti à ces piètres résultats. Or, si le premier chaînon de la filière Lait est "déficient", l'ensemble de la filière sera plus difficile à mettre en place.

Tableau V: Éléments de la production laitière en Afrique (Données 1991/92)

PAYS

Effectifs de
bovins

Effectifs de
vaches

Effectif de
vaches traites

Production
moyenne/V.L/
Lactation
kg

Production
destinée à la
consommation
humaine
T/an

Auto-
consommation
T/an

Production
commercialisée
T/an

Volume de lait
disponible
kg/hab/an

BURKINA FASO 4 100 000 1 640 000 460 000 260 kg 120 000 T 70 000 (60%) 46500 (40 %) 12,6 kg
BURUNDI 450 000 180 000 60 000 275 kg 16 500 T 11 500 5 000 2,9 kg
COTE D'IVOIRE 1 173 000 450 000 100 000 180 kg 18 000 T 9 000 9 000 1,4 kg
ETHIOPIE 30 000 000 12 000 000 4 500 000 167 kg 752 000 T 500 000 (2/3) 252 000 (1/3) 16,0 kg
MALI 5 197 000 2 070 000 676 000 290 kg 196 000 T 130 000 66 000 23,0 kg
SENEGAL 2 578 000 1 050 000 335 000 480 kg 170 000 T 130 000 T 40 000 T 21,5 kg
AFRIQUE
SUBSAHARIENNE
85 000 000 32 700 000 25 600 000 356 kg
(hors R. S .A .)
9 123 000 T     17,5 kg

 Tableau Vl: La production laitière en Afrique subsaharienne (lait de vache)

  1961 1974 1989 1992 % de croissance
1989/61
Nombre de vaches laitières (1000) 12 586 14 888 23 244 25 600 + 84 %
Production/V. L. /an kg 298 kg 305 353   + 18 %
Production totale laitde vache T/an 3 748 000 4 545 000 8 208 000 9 123 000 + 119 %
Disponibilité parhab/an kg 16,5 kg 16 kg 17 kg 17,5 kg + 5,7 %

N.B.: en 1961, sept pays se partageait 71 % de la production en Afrique subsaharienne: le Nigéria, l'Ouganda, la Tanzanie, Somalie, Ethiopie, Soudan et Kenya; en 1989, ces sept pays ont augmenté leur production de 144 % par rapport à 1961 (+ 3,5 %/an en moyenne) et totalisaient 80 % de la production en Afrique subsaharienne; le Kenya triplait sa production sur la même période et offrait près de 100 kg de lait/hab/an à la population du pays alors que pour l'ensemble de la population subsaharienne, en croissance de près de 3 % en moyenne, la disponibilité de lait local évoluait à peine (16,5 kg à 17,5 kg de 1961 à 1988).

Tableau VIl: Le bassin laitier des villes africaines (bilan journalier en l/j)

PAYS Rayon
d'approvision-
nement
Quantités journalières
arrivant sur la ville
Nombre de producteurs dans les différents systèmes Quantitéslivrées par:
Saison
humide
Saison
sèche
Éleveurs
ruraux
Éleveurs
urbains et
péri urbains
Fermes
laitières
TOTAL Circuit
informel
Circuit
moderne +
traitement
Bobo-Dioulasso(Burkina-Faso) 35 km 2 000 l/j 700 l/j oui - oui 1 750 l/j 1 500 l/j 250 l/j
Bujumbura
(Burundi)
70 km 34 400 l/j 13 600 l/j 2 000 200 à 300 8 500 T ? 23 500 l/j 13 500 l/j 10 000 l/j
Kochogo
(Côte d'ivoire)
40 km 2 500 l/j 1 000 l/j oui - oui 1 950 l/j 1 950 l/j -
Bouaké
(Côte d'ivoire)
30 à 35 km 900 l/j 1 200 l/j - oui 8 éco-fermes 1 100 l/j 1 100 l/j -
Addis Abéba 1 jusqu'a 70 km

- assez
équilibré -

pour le beurre dominants 9 fermes d'état 98 000 l/j 87 000 l/j + 11 000 l/j
(Ethiopie) pour le bourre           + 102 000 l/j 102 000 l/j  
Bamako (Mali) 100 à 160 km 10 000 l/j 5 000 l/j oui oui - 8 000 l/j 3 500 l/j l/j 500 l/j
Dakar (Sénégal) 35 à 50 km 1 500 l/j 4 500 l/j Dominants - -   3 000 l/j 3 000 l/j

Tableau VIlI: Le bassin laitier des villes africaines (bilan annuel en tonnes)

PAYS Régions
d'approvision-
nement
Rayon
d'approvi-
sionnement
habituel
Nombre de
bovins
Nombre de
V.L. traites
Production de
la zone
T/an
Quantités
acheminées sur
la ville
T/a
Quantités
disponibles
kg/hab/an
Nombre de
troupeaux
(éleveurs,)parcs
Bobo-Dioulusso
(Burkina-Faso)
Nord de la ville 35 km 35 000 7 700 950 T 600 T 2 kg 800
Bujumbura
(Burundi)
Plaine de l'lmbo 70 km 60 000 ? 12 à 18 000 8 500 T ? 8 500 T ? 31 kg ? 1 300 à 2300 ?
Korhogo
(Côte d'ivoire)
Pourtour de
la ville
40 km n.c. n.c. 1 500 T ? 700 T 4,8 kg 500 à 700 "parcs"
Bouaké
(Côte d'ivoire)
N.E. de la ville 30 à 35 km 13 500 3 300 1000 T 400 T 1,8 kg 763
Addis Abéba Prod. urbaines et jusqu'à 170 km n.c. n.c. 71 300 T 72 000 T 28,8 kg 1 400
(Ethiopie) péri-urbaines pour pour le beurre            
Bamako (Mali) Kati, Dialakoraba 100 à 160 18 000 2 700 5 200 T 2 960 T 3,5 kg 1 000 à 1 200
Dakar (Senegal) Region des Niayçs
La Petite Cote
35 à 50 km 20 000 5000 ? 1500 T ? 1 050 T 0,6 kg 760

 Tableau IX: Éléments synthétiques de la productivité des troupeaux bovins en Afrique

90 à 95 % des animaux sont de races locales ou croisement de
races locales
Production
journalière pourla consommation
humaine
Production
totale en kg
pour lactation
Durée de
lactation
(en jours)
Age au ler vêlage
(en mois)
Espace
intervêlage
(en jours)
Age de
reformé
(anné)
% de vachestraites au sein du troupeau
- Races locales:
Zébu Peul, Taurin N'DamaZébu Gobra, Maure, Ankolé,
etc
1 à 2 kg/j en
saison humide
0,4 à 1 kg en
saison sèche
150 à 300 kg 170 - 200 44 à 53 500 13 12 à 15 %
- Races locales sélectionnées:
Zébu Azaouack
- Croisements races localesx
races exotiques europe.:
2 à 4 kg/j 600 à 800 kg 200 - 250 38 à 45 450 13,5 20 %
Frisonne, Montbéliarde, Brune
des Alpes, Abondance, Jersiaise
etc
 
3 à 6 kg/j 500 à 1 200 kg 200 - 250 36 - 40 400 - 450 11 25 %
- Croisements races localesx races tropicales .
Sahival, Djakore
1 5 - 3 kg/j 200 à 500 kg 180- 220 44 -50 480 13 20 a 25 %
- Races exotiques pures:
Frisonne, Jersiaise
6 à 15 kg/i 1500 à 5000 kg 200- 250 28 - 36 380 - 420 < 10 30 à 45 %
- Éco-fermes de Bouaké 3,5 à 8,9 kg/j 800 - 2300 kg 135 - 267 n.c. 321± 33 n.c. n.c.

2.2. Les importations de lait et produits laitiers en Afrique


2.2.1. Considérationsgénérales
2.2.2. Évolution des importations de lait et produits laitiers
2.2.3. Composition des importations de lait et produits laitiers par pays
2.2.4. Régime des importations, taxations
2.2.5. L'aide alimentaire
2.2.6. Origine des importations
2.2.7. Importations et marché mondial des laits et produits laihers


2.2.1. Considérations générales

Entre 1960 et 1970, la valeur des importations de lait et produits laitiers est passée de 43 millions USD à 113 millions pour se hisser à 680 millions USD en 1980. A cette date, l'Afrique subsaharienne a consacré aux importations de lait et produits laitiers environ 5 % de ses recettes d'exportations de produits agro-alimentaires. En volume, son maximum a été atteint en 198 1 avec 2,25 millions de tonnes EqL d'importations (V. H. Von Massow). Depuis cette date, les volumes d'importations ont baissé en Afrique de l'Est par suite d'une augmentation de l'approvisionnement local, et parfois de problèmes économiques, alors qu'ils continuaient de croître en Afrique de l'Ouest. Mais les difficultés économiques rencontrées à partir du milieu des années 80 ont entraîné aussi une baisse des importations dans cette partie de l'Afrique (Côte d'lvoire entre autres), et à n'en pas douter, la forte dévaluation du FCFA en janvier 1994 va également jouer à la baisse des importations de lait et produits laitiers dans les pays de la zone franc. Parallèlement les politiques de maîtrise de la production laitière dans les pays industrialisés devrait entraîner une baisse de l'offre mondiale de lait et produits laitiers et donc une hausse des prix rendant l'accès à ce marché encore plus difficile pour les pays africains. Si dans un premier temps l'aide alimentaire peut éventuellement prendre le relais des fournitures de lait et produits laitiers à l'Afrique, le moment est assurément opportun pour définir une vigoureuse politique de relance de la production locale qui à long terme doit supplanter les importations: le potentiel d'élevage bovin de nombreux pays doit apporter une réponse positive à ce problème.

Il est cependant prévisible que les zones équatoriales humides (Côte d'lvoire mais aussi Sierra Leone, Libéria, Guinée, Gabon) continueront pour un certain temps d'avoir recours au marché mondial pour assurer un approvisionnement satisfaisant de leurs populations. De même, au Nord de la zone sahélienne, la dégradation constante des conditions géo-climatiques laisse planer une lourde incertitude sur un fort développement de l'élevage laitier: là aussi, les importations de lait et produits laitiers constituent la seule réponse possible à court terme pour satisfaire les besoins des populations concernées.

2.2.2. Évolution des importations de lait et produits laitiers

Les situations sont sensiblement différentes d'un pays à l'autre, mais pour les dernières années connues statistiquement, après une augmentation constante jusqu'aux environs de 1985, on assiste à une stagnation, voire une diminution des importations pour les périodes les plus récentes.

Les pays à monnaies non convertibles (Ethiopie et Burundi) ont un niveau d'importations faible: la situation exacte n'est pas connue pour l'Ethiopie alors que pour le Burundi, il semblerait que les courants d'importations illégales puissent représenter 40 % des approvisionnements extérieurs du pays en lait et produits laitiers.

Par contre, dans les pays de la zone FCFA, on constate le maintien des volumes des importations de 5 milliards de FCFA pour le Burkina Faso et le Mali à 10/15 milliards pour la Côte d'Ivoire et le Sénégal en moyenne au coure de ces dernières années. Ces deux pays ont les taux d'urbanisation Ies plus élevés relevés dans cette étude (35 - 40 % et les importations de poudre de lait servent pour une bonne part à approvisionner des unités locales travaillant à partir de lait reconstitué.

Les programmes d'ajustement structurel (PAS) et la crise économique ont eu pour conséquence depuis quelques années une baisse sensible du niveau de vie et de la consommation observée pour la plupart des pays. Une très forte diminution des importations commerciales va avoir lieu dans les pays de la zone franc et l'aide alimentaire est parfois envisagée - malgré son impact souvent négatif sur la production locale - pour compenser durant de longues années les aléas nés de cette dévaluation. Les conséquences à long terme sont difficiles à cerner, pour des populations habituées aux situations délicates, mais sachant faire preuve de remarquables capacités d'adaptation face à ces situations (économie informelle).

2.2.3. Composition des importations de lait et produits laitiers par pays

La multiplicité des données rend difficile une synthèse de l'évolution des importations par produits: en fait la composition des approvisionnements extérieurs est relativement stable : les habitudes prises vis à vis du lait et des produits laitiers importés, les structures d'importation mises en place, la nécessité de fournir les matières premières aux unités de reconstitution de lait etc. font que la ventilation des divers produits laitiers au sein des importations varie peu. Seules des actions spéculatives menées par les importateurs peuvent créer quelques mouvements erratiques dans les achats de lait et produits laitiers sur divers marchés : reconstitution de stocks, ruptures "calculées" des approvisionnements, arrivées massives de tel ou tel produit (suite à des ventes de dégagements de producteur (ex. 350 T de fromages importées au Burundi en 1979) etc.

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