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Première partie: L'acacia dans l'écosystème


1.1 L'acacia en Afrique et au Proche-Orient
1.2 Les écosystèmes
1.3 Production de biomasse


1.1 L'acacia en Afrique et au Proche-Orient

On dénombre environ 1250 espèces d'acacias, dont 134 (représentées par 170 taxons) sont originaires d'Afrique; 20 (26 taxons) sont présentes jusqu'en Asie, et 6 (7 taxons) sont natives d'Asie orientale (Ross, 1979; Hassan et Styles, 1990; Lock, 1989, 1991). Aux fins de la présente étude, nous avons également inclus Faidherbia albida (anciennement dénommée Acacia albida); en effet, son rôle dans l'économie rurale est si proche de celui de l'acacia qu'il serait peu judicieux de l'omettre en raison de subtils distinguos taxonomiques; nous userons néanmoins tout au long de ce document de l'appellation Faidherbia albida. On trouvera en Annexe A les dénomination communes des espèces et leurs synonymes.

Si abondantes que soient les espèces d'acacias, seul un petit nombre d'entre elles ont été étudiées: Acacia nilotica, A. senegal, A. tortilis et Faidherbia albida. Leur taxonomie et leur répartition, étudiées par Brenan (1983) sont évoquées dans la quatrième partie de la présente étude. Cela ne signifie nullement que les autres espèces soient sans valeur. En fait, certaines, ont une grande importance locale et toutes jouent un rôle écologique et économique important en offrant ombrage, abri, fourrages, combustible, etc., et en assurant la stabilisation et la fertilité des sols. (Voir tableau 1.1)

1.2 Les écosystèmes

55 pour cent environ des terres émergées de l'Afrique sont arides ou semi-arides (Jahnke, 1982, cité par Seif el Din, 1991), ainsi qu'on l'expose à l'Annexe B. Ces régions sont caractérisées par des précipitations annuelles allant de moins de 100 mm à 600 mm environ, se produisant pendant une courte saison des pluies qui dure de 2 à 4 mois. Dans certaines régions de l'Éthiopie, du Kenya et de l'Ouganda prévaut un régime bimodal et, bien que les précipitations annuelles totales puissent être supérieures, leur répartition et l'intensité de la saison sèche imposent un régime semi-aride. Le volume total des précipitations annuelles dans les régions arides et semi-arides varie grandement d'une année à l'autre, de même que leur répartition à l'intérieur d'une même année. Ces faibles précipitations inégalement réparties expliquent que la productivité des récoltes annuelles soit imprévisible, surtout dans les zones où il tombe moins de 400 mm d'eau par an, ce qui confère d'autant plus de valeur aux plantes vivaces d'une région, et notamment aux arbres polyvalents tels que l'acacia.

Les écosystèmes semi-arides de l'Afrique tropicale sont constitués, à peu d'exceptions près, par des broussailles épineuses et des savanes. L'acacia en est l'espèce dominante; on le trouve en peuplements distincts, sous forme, par exemple, de la broussaille épineuse Acacia mellifera, de la savane épineuse A. seyal, ou d'Acacia albida (plus justement connue désormais sous le nom de Faidherbia albida) que l'on trouve sur les terres boisées riveraines, etc. Ces écosystèmes constituent des zones de pacage de valeur pour l'élevage, notamment dans les zones où A. tortilis abonde.

Herbages et graminées ne peuvent assurer à eux seuls la pérennité de l'élevage dans les régions semi-arides; le broutage joue, à cet égard, un rôle capital, notamment celui des acacias. Les herbivores ont besoin d'un apport de 20 à 25 pour cent de brout, dont 5 pour cent sont consommés à la saison des pluies, quand les herbages sont relativement abondants, et 30 pour cent durant la longue saison sèche. Il s'ensuit que la disparition des acacias et des autres espèces appétables obligerait à donner au bétail une alimentation d'appoint onéreuse pendant la saison sèche, ce qui, sur le plan économique, serait désastreux. La pratique de l'élevage est assurément la mieux adaptée à l'utilisation de terres à pâturage; encore faut-il opter pour la durée, non pour la seule exploitation des ressources. Certains avancent que si les tendances actuelles à la surexploitation et à la désertification du Sahel se poursuivent, la plupart des espèces appétables disparaîtront dans les 20 à 25 prochaines années, et que l'élevage, principale activité économique de la région, se trouvera gravement menacé (Le Houérou, 1989).

Les peuplements purs d'A. mellifera ou, dans les zones à pluviométrie plus élevée, d'A. seyal, se trouvent souvent sur des plaines argileuses. Celles-ci peuvent se prêter à l'irrigation, telles les terres " cotonnières " des plaines alluviales argileuses du quaternaire que l'on rencontre dans les régions du Nil bleu et du Nil blanc, au nord du Soudan. Au cours des dernières décennies, coupes à blanc et défrichements ont affecté de vastes superficies pour permettre la culture industrielle du coton, du sorgho, des arachides, de la canne à sucre, etc. Cela n'a pas manqué d'avoir des conséquences désastreuses: épuisement du bois de feu et érosion des sols, celle-ci semblant directement liée à l'augmentation -en nombre et en gravité- des tourbillons de poussière. (Wickens, 1968). Il convient de noter que les terres cotonnières noires (argiles noires tropicales) du bassin du lac Tchad sont nettement plus difficiles à travailler que celles du Soudan, même si la végétation y est analogue, et se prêtent mieux à la riziculture qu'à la culture du blé.

Les communautés riveraines d'Acacia nilotica (subsp. nilotica ou tomentosa) qui poussent sur les sols alluvionnaires du Nil bleu et du Nil blanc sont largement utilisées aussi pour les cultures irriguées: céréales, haricots, cucurbitacées, tomates, oignons, etc., tant à des fins vivrières que pour la vente. Du fait de l'arrivée massive dans la vallée du Nil de nomades déplacés par la sécheresse prolongée des dernières années, ces formations ont fait l'objet de coupes excessives pour l'obtention de bois de feu et sont donc menacées d'extinction. (Wickens, op. cit.).

Les peuplements clairsemés de Faidherbia albida, ceux, notamment, de l'Afrique de l'Ouest, sont très prisés en raison du rendement accru des cultures poussant sous leur couvert, et parce qu'ils fournissent un broutage fort nutritif pendant la saison sèche. Les peuplements riverains du Ouadi Aribo, au Soudan occidental, représentent sans doute la plus forte concentration de Faidherbia albida de toute l'Afrique et le bassin de l'Aribo a la réputation d'un pâturage de saison sèche de premier choix. Les arbres de cette région sont tout aussi appréciés que ceux de l'Afrique de l'Ouest, encore que les peuplements soient actuellement menacés par l'élagage et l'émondage excessifs pratiqués, au cours des deux dernières décennies, par les chameliers nomades qui ont envahi la région par suite de la désertification de leurs anciens pâturages.

Ce ne sont là que quelques exemples des ravages occasionnés sur des écosystèmes de grande valeur, sans tenir aucun compte de leur importance pour l'économie rurale; on en fournira d'autres dans la suite de ce rapport. D'une manière générale, les écosystèmes se caractérisent par un certain équilibre entre la pluviométrie et le sol, entre le degré d'humidité et le facteur humain: feu (pour le défrichement et la chasse), pâturage, cultures, récolte de bois de feu, etc. Une pression anthropique excessive conduit immanquablement à la désertification, processus insidieux, autrement plus destructeur en région aride ou semi-aride que le déboisement des forêts ombrophiles, dans la mesure où une régénération même partielle est presque toujours impossible.

La désertification peut se définir comme destruction, du fait de l'activité humaine, de la végétation naturelle autour de certains sites de concentration: points d'eau, zones d'habitation, routes empruntées par le bétail, etc. Avec le temps, la destruction s'étale de manière centrifuge jusqu'à ce que les différentes zones dévastées se fondent en une seule, donnant, à tort, l'impression d'une avancée frontale du désert. La désertification est indépendante de la sécheresse qui, elle, est un phénomène climatique; mais celle-ci peut, bien évidemment, aggraver les effets de la désertification, d'où la terrible dévastation actuelle du Sahel. La question de savoir si l'effet d'albédo provoqué par la désertification a une incidence sur le climat et prolonge la sécheresse n'est pas encore tranchée.

Bien qu'on ait maintes fois avancé (par exemple, Seif el Din en 1991) que l'agriculteur et le berger apprécient la végétation naturelle à sa juste valeur, nous pensons qu'il s'agit là d'une généralisation excessive et sans doute inexacte. La récente étude SOS sur l'histoire du Sahel, telle que transmise par la tradition orale, montre bien que la quasi-totalité des personnes interrogées n'ont compris que trop tard le rôle des arbres dans la prévention de la désertification (Wickens, ouvrage en préparation). A la lecture de l'étude susmentionnée, il apparaît clairement que les nomades du désert méconnaissent la valeur des arbres, sans doute, et c'est compréhensible, parce qu'ils vivent dans des régions où les arbres sont aussi rares que clairsemés et qu'ils saisissent donc mal leur rôle dans la prévention de l'érosion.

Les limites de végétation entre les différentes communautés ne sont nullement statiques. A l'exception des limites pédologiques abruptes, comme celles qui séparent A. senegal et A. mellifera au Soudan, où un système de dunes jouxte une plaine argileuse, on définit généralement comme limite de végétation le point d'entrecroisement où l'on constate un changement abrupt de dominance, comme c'est, par exemple, le cas des sols argileux où A. mellifera cède la place à A. seyal. Au cours de l'actuelle sécheresse prolongée, l'ancienne limite d'A. seyal, plus mésophyte, a reculé devant le xérophyte A. mellifera. Si les précipitations retrouvent leur niveau " normal " d'avant la sécheresse, le processus sera inversé. Cependant, la régénération risque d'être très lente là où le désert a empiété sur les prairies de savane faiblement boisées d'A. tortilis. Un sol nu et une pénurie de semences ne favorisent guère une régénération rapide. Et de fait, d'après Le Houérou (1989), la plantation d'espèces ligneuses indigènes dans les régions francophones du Sahel, dans le cadre des programmes de relèvement, a été largement couronnée d'insuccès là où les précipitations annuelles sont inférieures à 400 mm. Les sols dénudés par la sécheresse sont généralement peu hospitaliers à la vie végétale et l'auteur du présent rapport estime que mieux vaut établir la couverture des sols avant que de planter des arbres, suivant les différents stades de dessèchement.

On trouvera au tableau 1.2 ci-dessous les principales régions et subdivisions de végétation concernées par la présente étude, telles que identifiées par White (1983).

Tableau 1.2 L'Afrique par régions de végétation; principales subdivisions où l'on trouve des acacias de zone aride

Région

Superficie (en km²)

Unités cartographiques

Méditerranée/Zone régionale de transition du Sahara

473 000

Argania spinosa - forêt arbustive et broussailles
Acacia gummifera-Ziziphus lotus Broussailles
Maquis succulent subméditerranéen Paysage anthropique subméditerranéen

Zone régionale de transition du Sahara

2 842 000

Désert côtier atlantique
Désert côtier de la mer Rouge
Herbages semi-désertiques du Sahel - Prairies sahéliennes boisées à acacias et maquis feuillus

Région Somalie/massaï

1 873 000

Acacias de la Région Somalie/ massaï - Brousse et fourrés à Commiphora

Région Karoo-Namib

661 000

Maquis feuillus d'acacias du Kalahari et prairies arbustives
Désert du Namib

Superficie totale:

5 849 000


Les acacias sont les arbres ou arbustes dominants des unités cartographiques ci-dessus. Malheureusement, si l'on connaît les superficies des diverses régions, on n'a pas calculé celles des différentes unités cartographiques; on les estime à quelque 4 500 000 km².

1.3 Production de biomasse

Ainsi que Fagg et Stewart l'ont fait observer en 1994, on n'a effectué jusqu'ici qu'un tout petit nombre d'études quantitatives de la production de fourrage tirée des acacias (voir tableaux 1.3.1 et 1.3.2). Les études préliminaires portant sur A. tortilis, subsp. heteracantha, dans la vallée de la Tugela, en Afrique du Sud (Milton, 1983), font état d'une productivité d'l tonne par hectare et par an (pousses et feuilles sèches). Ce chiffre concorde avec celui de la production de feuilles d'A. tortilis en Inde, soit 2,5 kg par arbre et par an dans les plantations jeunes (dont la densité est de 400 arbres à l'hectare). Dans la province du Kordofan, au Soudan, Booth (1966) a tiré d'un A. senegal âgé de sept ans 2,5 kg de couverture morte, après un séchage au four.

Tableau 1.3.1 Production annuelle de feuilles et de gousses d'A. senegal au Sénégal (Bille, 1980)

Précipitations
(mm par an)

Diamètre
(en cm)

Petites branches
(kg/MS*)

Feuilles
(g/MS)

Gousses
(g/MS*)

250

6,4

2,9

580

200


10,5

4,3

860

300


15,9

19,2

3 840

1 340

Tableau 1.3.2 Production annuelle de feuilles (kg/MS) des espèces d'acacias (Bille, 1980)



Diamètre (en cm)

Espèce

Précipitations
(mm par an)

> 5

5

10

15

20

25

30

A. laeta

440

150

500

2 200

2 500

3 100

3 500

-

A. seyal

400

60

520

1 300

1 700

3 800

6 900

8 000

A. tortilis

400

50

250

300

700

1 100

1 200

1 600

F. albida

600

40

340

1 400

3 200

6 450

9 600

13 000

* MS = Matière sèche

La matière sèche foliaire tirée, au Mali, de Faidherbia albida sur un certain nombre de sites était, en moyenne, de l'ordre de 300 kg par hectare et par an (Cissé et Koné, 1992); pour les gousses, le rendement variait entre 200 et 600 kg par hectare et par an (Montgolfier-Kouevi et Le Houérou, 1983).

Dans le parc national de Serengeti, Pellew (1983a) obtint pour les brouts un rendement (poids sec) de 5.000 kg à l'hectare pour A. xanthophloea, et de 1.725 kg par hectare et par an pour A. tortilis, avec des taux de couverture de 90 et 49 pour cent, respectivement, et un prélèvement par les girafes de l'ordre de 80 et 60 pour cent par an, respectivement, le matériau appétable de la couronne se trouvant à une hauteur de 5,75 m.

La mesure de la production de biomasse est des plus complexes; Bille (1983) en a donné une description assez détaillée. Il semble toutefois y avoir une corrélation très significative entre la circonférence des troncs et la production annuelle de feuilles, fondée sur une relation exponentielle par espèce (Cissé, 1983). Non seulement on connaît mal la productivité fourragère, mais il est, en outre, difficile de la quantifier avec précision. On sait qu'elle est liée au volume des précipitations et à l'environnement et varie entre 100 et 1.000 kg de matière sèche comestible par hectare et par an. Sur le plan énergétique, la valeur de ces fourrages est faible ou, tout au plus, médiocre et varie entre 0,25 et 0,40 FU par kg de MS, soit 400 à 700 Kcal par kg de MS, alors que le taux de protéines digestes est élevé, dépassant ordinairement 4 pour cent et pouvant atteindre 10, voir 30 pour cent pour les capparidacées (Le Houérou, 1983c).


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