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Deuxième partie: Les utilisations de l'acacia dans l'économie rurale


2.1 Produits ligneux
2.2 Produits non ligneux
2.3 Services


2.1 Produits ligneux


2.1.1 Combustible
2.1.2 Bois d'œuvre


2.1.1 Combustible

Il généralement admis que l'utilisation actuelle des arbres pour la production de combustible dépasse leur potentiel de croissance. Le volume sur pied que l'on peut tirer des terres boisées en acacias de vingt ans n'est que de 8,5 m³ par hectare (Vink, 1989), ce qui représente une augmentation annuelle moyenne de l'ordre de 0,42 m³ à l'hectare.

Wilson (1983) a obtenu des valeurs annuelles par habitant allant de 0,50 à 0,62 m³ de bois de feu, à Niono, au Mali; il donne, pour le nord de l'Éthiopie et le nord du Nigéria, des valeurs de 0,62 m³ et 0,63 m³ respectivement. Dans les régions très peu boisées de l'Ethiopie, les déjections animales (qui seraient utilisées à meilleur escient sur les cultures) sont désormais le principal combustible, comme, par exemple, à Makallé, dans la province du Tigré, dont la consommation de bois de feu par habitant est de 0,15 m³ dans les zones où le bois abonde, elle peut aller jusqu'à 1,5 m³. D'autres auteurs donnent des valeurs différentes pour la consommation de bois de feu utilisé principalement pour la cuisine; elles vont, au Sahel, de 0,7 m³ (Maydell, 1987), à 1,5 m par habitant (Montalembert et Clément, 1983) et atteignent 2,1 m par habitant à Dar-es-Salaam, en Tanzanie (Hines et Eckman, 1993). Quant aux tranches de consommation plus élevées, il est difficile de savoir si la consommation de bois de feu ne concerne que le seul usage domestique, ou si elle comprend aussi le bois utilisé en boulangerie, en brasserie, dans les briqueteries, les poteries, les forges, etc. Étant donné que le degré de séchage et l'efficience comme combustible ont également une incidence sur la consommation de bois de feu, il ne faut pas tirer des indications ci-dessus des conclusions somme toute peu probantes; on peut toutefois en retenir cette évidence: la consommation de bois de feu dépasse largement l'offre et doit inéluctablement affecter aussi les autres utilisations.

L'accroissement démographique actuel, de l'ordre de 2 à 3 pour cent par an, et l'augmentation concomitante de la demande en bois de feu et en terres cultivables exercent une pression insupportable sur les ressources forestières existantes, particulièrement dans les zones les plus sèches. La régions du Mbeere, au nord du Kenya, a dû réduire sa consommation de combustible; on n'y voit plus désormais ces grands feux de bois qui brûlaient jour et nuit, naguère, dans les cantonnements (Riley et Brokensha, 1988). Des économies analogues vont assurément devoir être faites dans l'ensemble du continent africain, où une explosion démographique exponentielle crée une demande qui dépasse la régénération naturelle des sources de combustible. Notons cependant que des fourneaux plus efficaces permettraient de réduire considérablement la consommation de combustible et, par conséquent, diminuer les pressions qui s'exercent sur les ressources existantes.

Si l'on peut avancer que la consommation de combustible des populations rurales, qui se servent principalement de bois mort, et la régénération des peuplements sont à peu près équilibrés, les populations urbaines, elles, exercent des prélèvements non durables sur les ressources de bois de feu. Défricher des terres pour les cultiver, surtout dans le cadre de programmes de développement mal conçus, c'est également se priver pour l'avenir de ressources potentielles en bois de feu (M.A. Trossero, informations verbales de 1993). Ce qui précède est bien illustré par les changements intervenus à Khartoum, au Soudan, dans l'approvisionnement en bois de feu.

La source originelle de bois de feu était les peuplements relativement denses d'Acacia tortilis, subsp. spirocarpa, situés à l'est de Khartoum (Harrison et Jackson, 1958). Bien que l'abattage d'arbres vivants fût illégal, les bûcherons clandestins n'avaient guère de difficulté à faire d'un arbre vif un arbre mort. Des querelles les opposaient fréquemment aux pasteurs, qui leur reprochaient d'abattre des arbres, les gousses constituant une alimentation animale recherchée pendant la saison sèche.

Dans les années 40, soucieux de faire baisser la destruction des arbres aux environs de Khartoum, le gouvernement importait par rail du bois de feu subventionné provenant des plaines argileuses de la région de Guédaref, à 370 km au sud-est. On se servait à la fois d'A. mellifera et d'A. seyal, mais on préférait A. mellifera car A. seyal est vulnérable à un coléoptère, le bostrychide Sinoxylon senegalense et, s'il n'est pas utilisé rapidement, peut rapidement être réduit en poussière (J.K. Jackson, communication personnelle de 1994). La production de charbon de bois a permis de surmonter cette difficulté, et aussi de résoudre l'épineux problème du transport. Cependant, depuis les années 60, une bonne part de ces plaines argileuses ont été presque entièrement défrichées au titre de programmes d'irrigation et de culture mécanisée, de sorte qu'A. mellifera a disparu sur de vastes superficies. Les coupeurs de bois ont également réussi à détruire tous les A. tortilis de la région de Khartoum.

L'effet de ces programmes de défrichement a été que le charbon de bois, naguère tiré d'A. mellifera, espèce locale, est désormais fourni par A. seyal, qui provient de régions plus éloignées. Vu son abondance, ce dernier est aujourd'hui considéré comme la principale source de charbon de bois au Soudan (Badi et al, 1989). La conséquence de l'abattage des arbres et arbustes est que la fréquence et la gravité des habboub (tourbillons de poussière) ont également augmenté. Non seulement les communautés végétales locales ont été décimées, mais les habitants de ces régions ont été arrachés à leur terre natale et leur structure sociale a été détruite. Nombreux sont ceux qui ont été déplacés vers de nouveaux lieux d'habitation, soit vers des terres de faible rendement, soit vers de nouvelles zones d'agriculture, récemment ouvertes, de sorte que le cycle du déboisement s'est poursuivi.

Les peuplements naguère denses d'A. nilotica, sbspp. nilotica et tomentosa, étaient naguère d'importantes sources de combustible pour les trains et les vapeurs qui descendaient et remontaient le Nil, ainsi qu'une source de traverses de chemin de fer et de bois d'œuvre pour la construction des felouques (Muriel, 1901); on s'en servait même pour payer l'impôt (Scheinfurth, 1893). Les nouvelles plantations de ces espèces constituent aujourd'hui une source mineure de combustible pour Khartoum.

Des problèmes de combustible du même ordre frappent d'autres régions urbaines, par exemple Niono, au Mali (Wilson, 1983), Nairobi, au Kenya (Kinyanjui, 1985) et Kano, au Nigéria (Cline-Cole et al., 1990).

Maydell (1986) considère A. nilotica, subspp. adstringens et tomentosa comme supérieur à tous les autres candidats, en termes de pouvoir calorifique, d'utilisation polyvalente, de régénération naturelle, de croissance rapide et de productivité en milieu sahélien; la sous-espèce nilotica, qui diffère de tomentosa en ce que ses gousses sont glabres ou presque et qu'elle porte des ramilles pubérulentes, n'est pas mentionnée mais devrait cependant être incluse.

Se reporter au tableau 2.1.1 pour l'utilisation des espèces d'acacias comme bois de feu et comme source de charbon de bois. En l'absence d'autres sources de combustible, toutes les espèces d'acacias - y compris A. oerfota aux branches grêles et à l'odeur nauséabonde - sont utilisées comme bois de feu, même si les auteurs susmentionnés n'en font pas état. La conversion du bois en charbon de bois exigeant certaines qualités spécifiques, les espèces énumérées donnent sans doute une image plus précise de l'utilisation réelle des acacias.

2.1.1.1 Bois de feu

Selon Riley et Brokensha (1988) et Hines et Eckman (1993), les espèces destinées à la production de charbon de bois doivent satisfaire aux critères ci-après:

1. Croissance rapide; productivité élevée; capacité de constituer des taillis et d'émettre des rejets après la coupe; gestion minimale.

2. Forte densité ligneuse et faible teneur en eau; facilité de coupe et de manutention, rareté ou absence d'épines, fendage et transport faciles; le bois récolté pendant la saison des pluies ne doit pas absorber l'humidité (c'est pourquoi les Mbeere du Kenya préfèrent, malgré leur petite taille, A. brevispica et A. ataxacantha, grimpantes ou non).

3. Combustion lente et pouvoir calorifique élevé, avec faible production de fumées (non toxiques) et production minimale d'escarbilles ou d'étincelles.

Nombre d'acacias satisfont à ces critères, de même que plusieurs espèces de combretaceae. Bien qu'aucune étude comparative n'ait été faite, l'observation suggère que certaines variétés de Combretum croissent plus lentement que les acacias, ainsi qu'en atteste la préférence marquée des Mbeere pour les combretaceae comme source de charbon de bois, la dureté du bois étant considérée comme gage de pousse lente (Riley et Brokensha, 1988). En Afrique de l'Ouest, l'une des espèces les plus prisées pour la production de charbon de bois est Anogeissus leiocarpus (une combrétacée), tandis que d'autres membres de cette même famille, Combretum spp. et Guiera senegalensis, les taillis les plus facilement disponibles sur les jachères, fournissent l'essentiel du bois de feu.

Au Burkina Faso et au Niger, les espèces sahéliennes les plus prisées, en raison de leur fort pouvoir calorifique et de leur combustion sans fumée ni étincelles, sont Acacia ehrenbergiana, A. tortilis, subsp. raddiana, et A. nilotica, subsp. adstringens, nilotica et tomentosa, tandis que le bois d'A. macrostachya et d'A. erythocalyx, en revanche, est peu prisé, donc peu utilisé (Guinko, 1991). Du fait qu'on les trouve en vastes peuplements, faciles à abattre et à traiter, les formations d'A. seyal ont joué un rôle tout particulier dans l'approvisionnement en charbon de bois des villes en expansion de la zone soudano-sahélienne, comme Dakar, N'Djamena, et de nombreuses autres villes du Soudan, où l'agriculture mécanisée et les besoins en combustible ont contribué à l'épuisement de vastes zones naguère recouvertes par des peuplements purs d'Acacia seyal.

Vu l'appauvrissement des ressources, l'utilisation effective ne se fonde plus désormais sur les préférences. Ce qui emporte la décision, c'est la disponibilité et du bois et la facilité du ramassage (Riley et Brokensha, 1988). L'utilisation, au Yémen, d'un combustible aussi nauséabond qu'A. oerfota ne peut être tolérée que parce que toutes les autres sources de bois de feu ont déjà été exploitées; son abondance sur les basses terres peut être attribuée à un surpâturage et au remplacement d'espèces à l'odeur agréable par d'autres, moins appétable (Al-Hubaish et Müller-Hohenstein, 1984).

2.1.1.2 Charbon de bois

Que ce soit par goût ou pour une simple raison de disponibilité, le charbon de bois est souvent le combustible préféré, voire le seul combustible utilisé en milieu urbain. Son exploitation peut être lucrative, mais des techniques de fabrication inadéquates nuisent à l'efficacité de la conversion, dont le taux descend parfois jusqu'à 15 pour cent, de sorte qu'il y a là un grand gaspillage.

Les qualités attendues du charbon de bois sont analogues à celles que l'on attend du bois de feu. Il exige surtout des peuplements uniformes produisant du bois de dimensions convenables et dense (de 0,7 à 0,9), ce qui facilite la carbonisation et en accroît le rendement. Les caractéristiques du produit fini s'établissent comme suit: teneur en eau < 7 pour cent, cendre < 3 pour cent, carbone fixe > 75 pour cent et densité apparente > 0,3g/cc (FAO, 1962).

2.1.2 Bois d'œuvre

On trouvera au tableau 2.1.2 un exposé des propriétés exigées du bois d'œuvre et de ses utilisations. D'après Hines et Eckman (1993), les qualités attendues des bois de perche et de construction s'établissent comme suit:

1. Croissance rapide, troncs droits de taille uniforme et petites branches, capables d'autoélagage et d'autorégénération rapide.

2. Etre dotés de bonnes propriétés physiques, mécaniques, faciles à sécher, à traiter et à conserver et résistant aux insectes, aux moisissures et aux pourritures.

D'autres propriétés sont exigées des bois servant à des usages domestiques et à l'artisanat (fabrication d'écuelles, de cuillers, de navettes de tisserands, de mortiers, de manches d'outils, d'instruments de musique, de sculptures, d'arcs et de flèches, etc.); quant aux bois servant à fabriquer des cuillers et des bols, ils doivent, en outre, être peu perméables aux liquides.

Si un certain nombre d'espèces peuvent fournir du bois de perche, largement utilisé dans la construction, les grumes commerciales proviennent essentiellement d'A. nilotica, subspp. indica, nilotica et tomentosa, et d'A. polyacantha et A. sieberana.

2.2 Produits non ligneux


2.2.1 Fourrages
2.2.2 Gommes
2.2.3 Tanins
2.2.4 Fibres
2.2.5 Utilisation à des fins médicinales
2.2.6 Utilisation à des fins alimentaires
2.2.7 Utilisation en artisanat
2.2.8 Usages domestiques divers


2.2.1 Fourrages

D'après Hines et Eckman (1993), les qualités exigées des fourrages sont:

1. Production de feuilles et de fruits appétables nutritifs, et non toxiques
2. Résistance au broutage, à l'émondage et à l'élagage et capacité de former des rejets
3. Croissance rapide, notamment aux premiers stades de la croissance.

On entend par fourrages tous les aliments herbacés et brouts accessibles au bétail et au gibier; le fourrage, parfois improprement appelé affouragement, est un matériel végétal séché provenant de cultures telles que le maïs et le sorgho, y compris les grains. Quant au brout, il se compose des petites branches tendres et des pousses feuillues des plantes ligneuses (Ibrahim, 1975); Skerman comprennent les fruits dans cette définition. Aux fins du présent document, nous nous servirons de l'ancienne définition, qui exclut les gousses car, selon la taille des arbres ou arbustes, les gousses tombées au sol sont accessibles à certains petits mammifères, tandis que le feuillage reste hors de leur portée.

Les acacias fournissent un brout apprécié du bétail et du gibier; ils donnent en outre des gousses hautement nutritives qui peuvent être stockées et servir de complément alimentaire de saison sèche pour le bétail (Tableau 2.2.1). Il arrive, selon les espèces, que des pousses nouvelles apparaissent en fin de saison sèche, avant que les herbes ne commencent à repousser avec les premières pluies (voir à l'Annexe B les analyses proximatives du brout d'acacia). La végétation ligneuse fournit ainsi une alimentation de bonne qualité à une période critique correspondant, pour la plupart des ongulés, à la fin de la gestation. Encore faut-il bien souligner que cet premier débourrage, qui représente le plus important accroissement saisonnier de biomasse au-dessus du sol, ne constitue pas, à proprement parler, une croissance en soi mais une réimplantation de ressources alimentaires stockées à la dernière saison de croissance. La croissance proprement dite commence après cette première poussée, avec la production saisonnière des premiers produits de photosynthèse.

Le brout est indispensable à tous les herbivores vivant en milieu aride ou semi-aride, les graminées ne suffisant pas à satisfaire leurs besoins et à assurer leur croissance pendant plus de quelques mois par an (Tableau 2.2.1.1). Ainsi, privé de brout de saison sèche, le bétail du Niger présentait une carence grave en vitamine A. En outre, l'amaurose pseudo-contagieuse, une maladie du bétail caractérisée, elle aussi, par une carence en vitamine A, est courante dans les régions déboisées du Sahel (Le Houérou, 1983b). En général, la teneur brute en protéines de la plupart des brouts est considérablement plus élevée que celle des graminées, sauf au début de la saison de végétation (Walker, 1983).

Il vaut la peine de rappeler ici une déclaration publiée dans le bulletin n°10 du Commonwealth Agricultural Bureau et citée par Skerman et al., en 1988: " Il est mortifiant pour un expert en pâturages de découvrir qu'il y a probablement plus d'animaux qui se nourrissent d'arbres et d'arbustes' ou de combinaisons d'aliments où arbres et arbustes jouent le premier rôle, que de véritables herbages et graminées de prairie. " Ce besoin de brout reflète l'écophysiologie qui permet aux arbres et arbustes de survivre dans des écosystèmes semi-arides et de fournir davantage de fourrage nutritif qu'on n'en peut tirer des graminées et des herbacées.

Vu leur petit nombre, les acacias indigènes ne jouent qu'un rôle infime dans le régime de broutage de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient; ils n'en ont pas moins une importance locale considérable là où il s'en trouve (voir sections 3.5 et 3.6). Dans les régions arides, semi-arides et sub-humides de l'Afrique subsaharienne, les espèces ligneuses sont une importante source de fourrage et ont une incidence sur le caractère saisonnier et la productivité de la strate herbacée poussant sous leur couvert.

Le fourrage tiré des acacias n'est pas consommé par les seuls herbivores. Sur le plan local, un certain nombre d'espèces sont considérées comme une excellente source de pollen et de nectar pour les abeilles (Tableau 2.2.1.2). Le miel sauvage est, pour une bonne part, recueilli dans les cavités naturelles des arbres, ou bien dans des ruches rudimentaires suspendues aux branches. Le miel d'acacias est un aliment sous-exploité autant pour le marché local que l'exportation et sa production devrait être encouragée.

2.2.1.1 Utilisation des fourrages

La quantité de brout consommé dépend des espèces. Toutefois, les sécheresses récurrentes de l'Afrique subsaharienne ont largement prouvé que la consommation de brout d'une espèce donnée dépend, elle aussi, des circonstances et de l'existence d'une biomasse utilisable. Les bovins, les ovins, les équidés, les gnous, la plupart des antilopes, les gazelles, le rhinocéros blanc et l'hippopotane sont essentiellement des ruminants, mais cela ne les empêche nullement, à la saison sèche, d'équilibrer leur régime par le broutage. D'autres espèces: chèvres, dromadaires, élans, impalas, koudous, éléphants, girafes, rhinocéros noirs et plusieurs variétés d'antilopes sont essentiellement brouteuses et peuvent prospérer avec une alimentation exclusivement constituée de brout (Le Houérou, 1983c).

La ration alimentaire des herbivores, sauvages ou domestiques, provient presque entièrement de la végétation locale. Ainsi que Dougall et al. l'ont fait observer, il importe de savoir quelles plantes sont consommées par les différents animaux tout au long de l'année, et quels éléments nutritifs ils en tirent. Par exemple, un éléphant du parc national de Tsavo, au Kenya, absorbe en une seule journée de mai (saison sèche) des aliments appartenant à 64 espèces différentes et représentant 28 familles, dont 10 seulement sont des graminées (Dougall et Sheldrake, 1964), encore que l'on ne sache pas ce que serait son choix durant les autres mois de l'année.

La végétation locale est très riche en aliments convenant à la faune sauvage et aux animaux domestiques; la survie de ces espèces animales exige que l'on garantisse sa pérennité, sa régénération et sa productivité. On trouvera au tableau 2.2.1 la liste (non exhaustive) des animaux -bétail et herbivores sauvages - qui consomment du brout; se reporter aussi à la section 2.3.4 où l'on discute plus en détail de la survie des herbivores et du brout.

La structure de la communauté des herbivores en milieu sauvage peut être très complexe; mais dans des conditions pastorales, il existe un rapport direct entre le gros (ovins) et petit bétail (ovins - caprins), d'une part, et, de l'autre, l'incidence de ces herbivores sur la végétation. Pour assurer la stabilité du système, il importe absolument d'instaurer un équilibre entre la communauté herbivore et la structure de la végétation (Walker, 1983). Dans certaines régions, on pratique l'étêtement des arbres pour s'assurer que le brout reste accessible aux animaux.

Un pâturage ininterrompu peut empêcher toute régénération naturelle, de sorte que les peuplements deviennent séniles et très vulnérables à la sécheresse et à la maladie. Ainsi, les peuplements d'acacias qui jalonnent les rives du fleuve Sénégal deviennent surannés, voire sénescents, vu l'absence totale de régénération ou l'incapacité de la végétation à se reconstituer, en raison d'un pâturage excessif. La plupart des peuplements âgés ont succombé à la sécheresse prolongée vers la fin des années 70 et les arbres morts ont servi de combustible (M.L. Malagnoux, information transmise oralement à l'auteur).

Les épines de nombreuses espèces d'acacias leur confèrent une manière de défense contre un broutage excessif; on voit ainsi apparaître sur les branches d'A. drepanolobium, régulièrement broutées par les chèvres, des épines plus longues que sur celles qui sont hors de portée des herbivores (Young, 1987). Ces épines n'empêchent toutefois pas les girafes de brouter A. tortilis, par exemple, dans les plaines de Serengeti, mais elles ralentissent le broutage jusqu'au moment où un seuil critique est atteint: quand il faut trop de temps à la girafe pour atteindre les pousses entre les épines, elle passe à la plante suivante (Pellew, 1984). Si l'on ôte les épines de ces acacias, l'intensité du broutage augmente chez les girafes en liberté (Milewski et al., 1991). Si l'acacia est trop jeune, un broutage excessif peut même le réduire à un arbuste affectant la forme d'un coussin épineux. Le développement des épines peut constituer pour les éleveurs un indicateur de gestion permettant d'évaluer la charge limite de pâturage.

De même, certaines substances chimiques dissuasives peuvent apparaître chez les espèces moins épineuses, comme A. oerfoeta. Meurtries, les feuilles de cette espèce dégagent une odeur si nauséabonde que dans la province de Kordofan, au Soudan, on prétend qu'elle dissuade même les chameaux de brouter (Hunting Technical Services, 1964); au cours des dernières années, cependant, plusieurs auteurs ont rapporté que le bétail broutait désormais cette plante (par exemple Seif el Din, 1991). C'est-là un phénomène récent, dû, vraisemblablement, à la pénurie de brout consécutive à la sécheresse qui a frappé le Sahel à partir de la fin des années 60; il semble que le bétail local ait maintenant une appétence pour cette espèce. De même, Ibrahim et Barker (1986) ont rapporté qu'en Somalie, A. horrida était souvent rejetée par le bétail du fait de son odeur déplaisante, mais ils ne mentionnent aucun rejet d'A. oerfoeta, qui figure sur la liste des espèces broutées! Dougall et al. (1964), ainsi que Skerman et al. (1988) rapportent qu'A. oerfoeta est, au nord du Kenya, un brout de choix. Sans doute la notion de sapidité varie-t-elle en fonction des aliments disponibles. Il se peut qu'il existe plusieurs familles chimiques d'A. oerfoeta, et donc plusieurs degrés d'appétabilité.

2.2.1.2 Valeur nutritionnelle

On trouvera en annexe C les analyses approximatives des diverses espèces d'acacias. La plupart sont fondées sur des échantillons uniques et, ainsi que Walker l'a fait remarquer en 1983, elles peuvent induire en erreur dans la mesure où les variations au sein d'une même espèce prélevée en différents endroits de l'Afrique australe peuvent être importantes, davantage même qu'entre différentes espèces appartenant à une même communauté. Rien ne permet de penser qu'il en aille différemment sur le reste du continent. D'une manière générale, le fourrage arboré a une teneur en protéines élevée, mais, à en juger par le peu d'informations disponibles, seule la moitié de la matière sèche est digeste. Notons, au passage, la forte teneur en calcium de l'écorce d'A. tortilis subsp. spirocarpa (5,68 pour cent) et d'A. xanthophloea (4,07 pour cent).

En 1935, Stein et Rimington ont décelé des glucosides cyanogènes dans les gousses d'A. erioloba, A. hebeclada subsp. hebeclada, A. lasiopetala, A. tortilis subsp. hereracantha et A. robusta. Ces auteurs concluaient cependant que cela ne présentait aucun danger, pour autant que les gousses soient ingérées lentement, c'est à dire en petites quantités, par un bétail point trop affamé.

On trouve des tanins dans la plupart des plantes vasculaires; chez les acacias, ils existent en concentrations suffisantes pour servir au tannage du cuir (voir section 2.2.3) Les tanins jouent aussi un rôle antinutritionnel en raison de leur capacité à précipiter les protéines d'une solution aqueuse. On trouve également des quantités appréciables de tanin dans le feuillage des arbres, aussi bien dans les fibres détergentes neutres (FDN) que dans les fibres détergentes acides (FDA); ce tanin adhère étroitement aux parois et aux protéines de la cellule et semble jouer un rôle dans la baisse de digestibilité. On en reconnaît deux groupes: les tanins condensés et les tanins hydrolysables. Si les premiers sont plus efficaces pour la baisse de digestibilité, les seconds, en raison de leur action hydrolysante sur le rumen, peuvent être à l'origine de diverses toxicités. Ils exercent, de ce fait, une action importante sur la digestibilité du fourrage arboré. Les tanins condensés de l'apport alimentaire (2-3 pour cent) peuvent également faciliter la digestion en formant un complexe protéine-tanin, amenuisant par là même le gaspillage que constitue la dégradation des protéines. Ces tanins condensés sont présents dans les gousses d'A. nilotica; on sait qu'ils peuvent ralentir la croissance des ovins par leur capacité de réduire la digestibilité de l'azote et des FDN. Les tanins hydrolysables contenus dans les gousses d'A. sieberiana ont un effet similaire.


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