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Chapitre 5: Conséquences sociales et alimentaires


Répercussions sur l'organisation sociale
Conséquences sur l'alimentation


Répercussions sur l'organisation sociale


Mise en veilleuse de certaines traditions
Dispersion des orphelins
Retrait de certains enfants de l'école
Emergence de très jeunes chefs d'exploitation


Mise en veilleuse de certaines traditions

Traditionnellement, dans tous les groupes ayant fait partie de l'enquête, une veuve qui le souhaitait était remariée par un des proches parents du défunt, notamment si elle avait des enfants et était encore en âge de procréer. Partout, cette coutume est en baisse ou en veilleuse. Chez les Gourounsi du Burkina Faso, la plupart des hommes considèrent qu'il est désormais nécessaire d'attendre au moins deux ou trois ans avant de remarier une veuve pour s'assurer que son état de santé ne sera pas préjudiciable à leur bien-être et à celui de leur(s) femme(s). Chez les Mossi du Burkina Faso et les Sénoufo de la Côte d'Ivoire, la pratique du remariage nominal avec un enfant masculin ou celle du «tuteur économique» (deux formes de mariage où les rapports sexuels sont exclus) semblent prendre de l'expansion même quand la veuve est jeune.

Même si ces coutumes évitent à la veuve de subir une humiliation totale en étant abandonnée par la famille de son ex-mari, les données de terrain laissent entendre que ces solutions ne sont pas toujours satisfaisantes du point de vue de la veuve, une jeune femme ayant généralement besoin d'un compagnon sexuel, d'un appui émotif masculin pour elle et ses enfants, et de quelqu'un sur lequel elle puisse compter sans défaillance pour certaines corvées agricoles et domestiques.

Une veuve non remariée à part entière est généralement confrontée à une situation extrêmement difficile pour assurer la subsistance de ses enfants. La situation est particulièrement dramatique en pays sénoufo du Nord de la Côte d'Ivoire (du moins dans la zone touchée par l'enquête), puisqu'il est difficile pour les femmes de s'adonner aux cultures de rente, vu leurs obligations dans le domaine des cultures vivrières et leur calendrier agricole chargé. Les solutions qui s'offrent à ces veuves sont celles auxquelles les agriculteurs les plus démunis ont recours: travail contractuel comme manœuvre dans les champs d'autrui, collecte et vente de bois, mendicité. Les deux histoires de cas (encadrés 9 et 10) de la Côte d'Ivoire mettent bien en évidence les difficultés auxquelles sont confrontées certaines veuves de sidéens.

Dispersion des orphelins

Les orphelins (de père, de mère, ou des deux) sont très souvent distribués à divers parents, donc séparés les uns des autres. Certains enfants aboutissent même dans des orphelinats.

Retrait de certains enfants de l'école

Faute de fonds, certains enfants sont retirés de l'école. La production agricole des veuves n'est généralement pas suffisante pour assurer une alimentation et un mode de vie corrects aux enfants et l'aide attendue de la communauté n'est ni toujours prompte ni même présente. Faute de moyens, ou parce que trop de dépenses ont grevé le budget de la famille d'accueil au moment de la prise en charge, plusieurs enfants sont contraints soit d'interrompre leurs études, dans le cas où ils allaient déjà à l'école, soit de ne jamais y mettre les pieds. Les cas les moins dramatiques sont ceux où la veuve arrive à diversifier ses sources de revenus ou à se faire prendre en charge par un (ou plusieurs) des frères assez à l'aise du mari défunt, susceptible de lui apporter un soutien plus conséquent.

Encadré 9: Difficultés rencontrées par une veuve sénoufo (Nord de la Côte d'Ivoire)

Partis pour la Basse-Côte en quête d'un avenir meilleur, Jeanne et Roger, son mari, sont finalement revenus au village d'origine du mari, à la suite d'une maladie très débilitante que celui-ci n'arrivait pas guérir loin de chez lui. Après quelques tentatives de soins, Roger est finalement décédé au village. La coutume destinait Jeanne à un remariage avec l'un des frères de Roger. «Mais on raconte au village que je souffre du SIDA, la maladie qui a emporté mon mari et les hommes me fuient», confie la jeune femme. Si le fils aîné de Jeanne, qui est d'âge scolaire, peut aller à l'école, c'est grâce aux religieuses d'une communauté catholique installée non loin du village. Pour assurer sa survie et celle de ses deux enfants, Jeanne ramasse du bois, loue sa main-d'œuvre à d'autres femmes en échange de quelques bottes de riz. Il lui arrive aussi parfois de vendre des condiments au marché le plus proche. Alors que, par le passé, elle et ses enfants mangeaient régulièrement de la viande et du poisson, ce n'est plus possible maintenant, à moins d'un occasionnel cadeau de sa belle-famille. Le toit de sa modeste case coule et devrait être réparé. Mais aucun de ses beaux-frères n'a proposé ses services. Jeanne n'a pas les moyens d'embaucher quelqu'un pour le faire.

Encadré 10: Difficultés rencontrées par une veuve du Centre-Ouest de la Côte d'Ivoire

Cette veuve est chef d'une unité de production de huit membres, dont un est malade depuis trois ans. La femme, chassée par sa belle-famille après le décès de son mari, vit dans sa propre famille où ses frères, jaloux de sa capacité de travail, menacent de lui retirer les terres qu'ils lui ont cédées. Abandonnée, cette femme cultive du coton, de la banane et du manioc. Après la vente du coton, dont les revenus lui permettent de prendre en charge son unité de production et particulièrement sa fille malade, elle transforme et vend du manioc sous forme d'une pâte alimentaire. Elle vend aussi du bois de chauffe. Telles sont les stratégies qu'elle a développées pour subvenir aux besoins de son unité de production, en l'absence d'un partenaire masculin.

Emergence de très jeunes chefs d'exploitation

Quand le SIDA touche les membres actifs d'une unité de production, il s'ensuit un redéploiement des rôles au sein des membres restants. De très jeunes individus sont par conséquent parfois appelés à assurer sans préparation la direction d'une exploitation agricole.

Une telle situation conduit à une réduction de la capacité de gestion des exploitations et à une baisse de la production agricole en rapport avec l'inexpérience des nouveaux chefs d'exploitation et la réduction de la main-d'œuvre. Comme il en est question dans l'histoire de cas de l'encadré 11, l'équipe a rencontré un jeune homme devenu subitement responsable de ses six frères et sœurs et de l'exploitation agricole de ses parents, tous deux décédés du SIDA.

Encadré 11: Responsabilités héritées par un jeune homme, à la suite du décès de son père et de sa mère (Centre-Ouest de la Côte d'Ivoire)

Anselme est un jeune burkinabé qui, ayant perdu successivement son père et sa mère, s'est retrouvé chef d'exploitation et responsable de ses six frères et sœurs, à 20 ans. Très tôt le matin, Anselme doit préparer à manger pour toute la maisonnée, ce qui n'est pas toujours facile, car il n'a pu cultiver ni riz ni maïs, la base habituelle de l'alimentation de cette famille. Les jeunes frères et soeurs doivent souvent se contenter d'ignames bouillies.

Malgré sa détermination, Anselme n'a pu cultiver toutes les superficies de cultures de rente de ses parents. Il a donc dû se résigner à en céder une partie en métayage à d'autres agriculteurs. Ses revenus sont par conséquent amputés du tiers.

Conséquences sur l'alimentation


Changement de nourriture
Diminution de la ration alimentaire
Disparition de la nourriture favorite
Diminution des protéines animales dans l'alimentation
Réduction des mesures protectrices de la sécurité alimentaire


Changement de nourriture

Le cas le plus fréquemment rencontré concerne le retour d'un homme mourant et de sa femme (ou de ses femmes) et de leurs enfants dans le village d'origine du mari. Dès leur arrivée, les nouveaux arrivants changent brusquement de milieu et de nourriture, en particulier lorsqu'il s'agit de burkinabé installés depuis un certain temps dans le Sud ou le Centre de la Côte d'Ivoire. De nombreux cas d'enfants qui souffrent pendant un long moment de problèmes digestifs ont été rapportés. Dans ce premier cas, ni le type ni la diversité de la nourriture ne sont les mêmes.

Diminution de la ration alimentaire

Lorsqu'un(e) émigrant(e) retourne mourir dans son village d'origine, le couple d'accueil voit parfois, sans transition, le nombre de bouches à nourrir multiplié par deux ou trois. Comme, souvent, les enfants sont en bas âge et le conjoint en mauvaise santé, la quantité de nourriture produite n'augmente pas. Dans ce deuxième cas, les portions diminuent donc et les enfants (du malade et de la famille d'accueil) sont constamment affamés.

Disparition de la nourriture favorite

A cause de la diminution de la main-d'œuvre dans leur propre unité de production, plusieurs adultes de la région du Centre-Ouest de la Côte d'Ivoire se sont également plaints d'avoir «senti la faim», durant et après la maladie de l'un de leurs membres. En revanche, dans certaines unités de production, la gêne alimentaire ressentie est plutôt de nature qualitative que quantitative. Chez certains groupes de la même région, même quand la banane plantain est disponible par exemple, l'on considère qu'il y a famine si l'igname vient à manquer.

Diminution des protéines animales dans l'alimentation

Le cas des veuves qui ne sont pas remariées est encore pire car elles sont privées de bras masculins pour certains travaux agricoles et souvent démunies d'un point de vue économique. Dans ce dernier cas, les quantités de nourriture disponibles pour elle et ses enfants diminuent et il est fréquent que les protéines animales disparaissent à peu près totalement de l'alimentation.

Réduction des mesures protectrices de la sécurité alimentaire

Une enquête récente au Burkina Faso indique que les petits ruminants jouent un rôle très important en période d'insécurité alimentaire. Dans les deux provinces de l'enquête, la prise en charge d'un malade implique généralement de nombreuses visites chez les tradipraticiens qui réclament des dons ou des sacrifices de volailles ou de petits ruminants. La quantité de petit bétail dont doit se départir en moyenne l'exploitation d'accueil du malade est considérable proportionnellement au nombre de petits ruminants possédés.

La réduction du cheptel expose les exploitations, notamment les petites, à la famine en cas de mauvaise campagne agricole.


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