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Chapitre 6: Stratégies de survie


Zone de savane
Zone forestière


Zone de savane


Note préliminaire
Domaine financier
Domaine agroéconomique
Cas particulier des femmes


Note préliminaire

Des données relativement précises recueillies dans chacune des deux zones de l'enquête en Côte d'Ivoire permettent de bien saisir la diversité des choix dans les stratégies de survies utilisées. Certaines sont propres à une zone donnée, d'autres relèvent de la situation particulière de chaque unité de production touchée par le SIDA.

Domaine financier

Pour défrayer les charges médicales entraînées par la présence d'un(e) sidéen(ne), les unités de production de la Province de Korhogo en Côte d'Ivoire ont eu recours à trois types d'interventions:

i) l'utilisation de leur épargne (dans 67 pour cent des cas);

ii) la vente des réserves de vivriers destinées à l'alimentation (un peu moins de 20 pour cent des exploitations) ou encore d'animaux (poulets, pintades, petits ruminants, voire bœufs, dans environ 12 pour cent des unités de production) et, parfois, d'équipements (poste de radio, bicyclette, dans 12 pour cent des cas); et

iii) la sollicitation d'emprunts extérieurs auprès d'autres membres de la communauté, contre promesse de remboursement lors de la vente du coton, la principale culture de rente et source de revenu (22 pour cent des exploitations). Les deux tiers des unités de production ont été contraintes d'épuiser leur épargne pour affronter la situation.

L'action conjuguée de ces trois types de comportements contribue de façon significative à l'amenuisement des ressources matérielles et financières disponibles pour les unités de production touchées. Dans cette optique, plus la période entre la manifestation de la maladie et le décès est longue, plus l'exploitation s'enferme dans un cercle vicieux d'endettement, donc de paupérisation croissante.

Deux types de solutions ont été mises en œuvre par les exploitations touchées pour faire face à cette situation. Dans 28 pour cent des cas, certains membres rapportent s'être constitués en manœuvres sur des exploitations non familiales contre rémunération en nature ou en espèces. Les ressources monétaires ainsi obtenues ont pu être affectées à l'acquisition de produits alimentaires. Toutefois, grâce à leur épargne, 22 pour cent des unités de production ont pu s'approvisionner en produits vivriers sur le marché, en dépit des dépenses entraînées par la maladie. Il convient de signaler que le besoin de ressources financières pour faire face à la maladie dans les unités de production interviewées n'a toutefois entraîné ni détournement ni vente d'intrants chimiques préalablement destinés à l'agriculture.

Domaine agroéconomique

Plusieurs stratégies de survie (redéploiement des ressources productives) ont été mises en œuvre par les membres des unités de production touchées par la maladie dans les localités de l'étude. On notera que la conséquence essentielle de cette maladie étant la réduction du nombre d'heures ouvrées due à une pénurie de main-d'œuvre, la plupart des ajustements dépendent de cette contrainte.

Dix-sept pour cent des unités de production touchées par le fléau ont été obligées de s'engager dans des activités hors exploitation (petit commerce et élevage essentiellement) afin de pouvoir survivre.

Soulignons, enfin, que dans certains ménages, le travail des femmes s'est considérablement accru, dans le but de remédier au manque de main-d'œuvre occasionné par la maladie.

Cas particulier des femmes

En pays sénoufo, les femmes, en général, sont très vulnérables à cause de leur accès limité aux moyens d'acquérir des ressources économiques. La situation des veuves qui n'ont pu se remarier et qui ont de jeunes enfants à élever est particulièrement mauvaise. L'interdiction (ou l'impossibilité temporelle) pour les femmes de s'adonner à la culture du coton rend leur situation de veuve extrêmement précaire dans la mesure où, dans le village de leur mari décédé, leurs chances de se remarier s'amenuisent de jour en jour. Les solutions qui s'offrent à elles sont celles auxquelles les agriculteurs les plus démunis ont recours: travail contractuel dans les champs d'autrui, collecte et vente de bois, lavage de vêtements, préparation et vente de bière locale, vente de tabac ou de boissons gazeuses. Certaines femmes circulent d'exploitation en exploitation pour piler les céréales ou coudre les calebasses.

Zone forestière


Domaine agroéconomique
Cas particulier des femmes
Remarques finales


Domaine agroéconomique

Dix pour cent des exploitations ont réduit les superficies allouées aux cultures de rente, en l'occurrence le café et le cacao; pendant que 13 pour cent procédaient à une diminution des superficies affectées aux cultures vivrières.

Vingt-huit pour cent ont dû abandonner des superficies (cultures de rente et vivrières) par manque de main-d'œuvre propre à l'unité de production. Dans d'autres cas, les charges financières de la maladie ayant érodé considérablement l'épargne des ménages affectés, ceux-ci ont été amenés à réduire ou à abandonner leurs cultures (les abandons atteignent cinq hectares sur certaines exploitations), parce que n'ayant plus les moyens d'engager de la main-d'œuvre salariée pour l'entretien des plantations. Cet abandon de superficies menace à court terme la reproduction des plus petites unités de production.

Vingt-cinq pour cent ont été amenées à inviter des métayers pour cultiver une partie de leurs terres, afin de pallier au déficit de main-d'œuvre pendant la maladie. Dans ce type de contrat, le contractant s'engage à entretenir toute l'exploitation et à assurer la récolte contre rémunération à concurrence d'un tiers de la récolte contre deux tiers pour le propriétaire. Par ailleurs, des formes de contrats de travail à crédit se sont développées, mais de façon secondaire, et uniquement aux profit des planteurs que l'on estime très solvables.

Seize pour cent des exploitations de l'enquête ont décidé d'accroître leurs activités agricoles en diversifiant leur production (deux cas en cultures vivrières et trois cas en cultures de rente).

Quelques unités de production ont choisi de se concentrer sur les cultures de rente, quitte à acheter une partie de leur nourriture. Puisque les rendements obtenus dans les cultures de rente (café et cacao notamment) permettent une bonne rémunération du facteur travail, une concentration presqu'exclusive sur les cultures de rente constitue une stratégie rentable.

Cas particulier des femmes

Les femmes qui perdent leur mari, ou tout autre soutien économique, se retrouvent dans une situation difficile, quoique moins précaire que dans le Nord car, dans certains cas, celles-ci peuvent avoir recours au métayage pour continuer à faire fonctionner leur exploitation agricole.

Parmi les femmes qui n'ont pas cette possibilité, certaines se voient obligées de travailler comme main-d'œuvre agricole non qualifiée. D'autres pilent les céréales de leurs voisines ou exercent des activités lucratives à domicile, à très petite échelle, comme la vente de tabac ou de condiments.

Remarques finales

Comme l'indique le tableau 4, la pénurie de main-d'œuvre occasionnée par le SIDA a entraîné des conséquences relativement différentes dans les deux zones de l'enquête en Côte d'Ivoire.

Tableau 4: Classification des répercussions du SIDA sur les unités de production (u.p.) et de leurs stratégies de survie (en nombre d'u.p. ayant été affectées par la répercussion ou s'étant prévalues de la stratégie)1

Type de répercussion ou de stratégie

No.
D'u.p. (savane)

%

No. d'u.p. (forêt)

%

Pénurie de main-d'œuvre

82

44

16

50

Recours au métayage

-

-

8

25

Déclin des sup. vivrières

5

28

4

13

Déclin des sup. cult. rente

6

33

3

9

Augmentation des sup. vivrières

4

22

2

6

Abandon de superficies

5

28

9

28

Baisse de la produ. vivrière

9

50

13

41

Réduction de la quantité/qualité de nourriture

73

39

124

38

Diminution de la production des cultures de rente

6

33

5

11

Vente de vivriers

3

17

0

0

Vente d'animaux

2

11

3

9

Vente d'équipement

2

11

5

16

Augmentation des activités hors exploitation

3

17

0

0

Endettement

4

22

6

19

1 Réponses cumulatives.

2 pour cent arrondis au nombre le plus proche.

3 Dans le Nord, il s'agit d'habitude de pénurie alimentaire.

4 Dans le Centre-Ouest, il s'agit plutôt d'une baisse de la «qualité» nutritionnelle; les agriculteurs n'arrivent pas toujours à manger la nourriture de leur choix.

A cause de la nature des cultures et du mode d'exploitation des terres, proportionnellement beaucoup moins d'agriculteurs ont été obligés de diminuer leurs cultures de rente dans la région du Centre-Ouest à cause de la possibilité d'avoir recours au système de métayage ou au travail salarié. Même si les revenus diminuent, les marges de manœuvre du producteur restent néanmoins beaucoup plus grandes que dans le Nord et la vulnérabilité, bien moindre.


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