Chapitre 7: Substances toxiques et facteurs antinutritifs

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Manioc
La patate
La pomme de terre
Le taro
Bananes et plantains
L'igname
Le phytate

 

Comme la plupart des végétaux, les plantes-racines contiennent de petites quantités de toxines et de facteurs antinutritifs potentiels, tels les inhibiteurs de trypsine. Mis à part le manioc, qui contient des glucosides cyanogénétiques, les variétés cultivées de la majorité des tubercules et des racines comestibles ne contiennent pas de toxines dangereuses. Les espéces sauvages renferment parfois des doses létales de principes toxiques; il faut donc les traiter correctement avant de les consommer. Ces espèces sauvages sont des réserves utiles dans les périodes de famine ou de pénuries alimentaires. Les populations locales sont conscientes des risques potentiels que comporte leur utilisation et ont mis au point des techniques appropriées pour détoxiquer les racines avant de les consommer.

Manioc

Le principe toxique essentiel qui existe en quantités variables dans toutes les parties de la plante de manioc est un composé chimique appelé linamarine. Il coexiste souvent avec son homologue méthylique appelé méthyllinamarine ou lotaustraline. La linamarine est un glucoside cyanogénétique qui est transformé en acide cyanhydrique toxique ou acide prussique lorsqu'il entre en contact avec la linamarase, une enzyme qui est libérée quand les cellules des racines de manioc se rompent. La linamarine est par ailleurs un composé assez stable qui n'est pas modifié durant la cuisson du manioc. Si elle passe de l'intestin dans le sang comme glycoside intact, elle est probablement excrétée inchangée dans l'urine sans dommage pour l'organisme (Philbrick, et al., 1977). Cependant, la linamarine ingérée peut libérer du cyanure dans l'intestin durant la digestion.

L'acide cyanhydrique (HCN) est un composé volatil. Il s'évapore rapidement dans l'air à des températures supérieures à 28 °C et se dissout facilement dans l'eau. Il peut aisément être perdu durant le transport, l'entreposage et l'analyse des échantillons. La teneur normale en cyanogène des tubercules demanioc se situe normalement entre 15 et 400mg de HCN/kg de poids frais(Coursey,1973). La concentration varie largement entre les variétés (fig. 7.1) de même qu'avec les conditions écologiques et culturelles. La concentration des glycosides cyanogénétiques augmente du centre vers la périphérie du tubercule (Bruijn, 1973). Généralement, la teneur en cyanure est beaucoup plus élevée dans la peau du manioc. Le goût amer n'indique pas avec certitudè la présence de cyanure.

Figure 7.1 Effet des techniques do transformation traditionnelles de quatre variétés do racines de manioc, pour la préparation du gari, sur la teneur en cyanure total et libre à chaque étape de la transformation

Les méthodes traditionnelles de transformation et de cuisson du manioc, si elles sont appliquées avec soin, peuvent réduire la teneur en cyanure jusqu'à des niveaux non toxiques. Une méthode de transformation efficace libérera la linamarase en désintégrant la microstructure de la racine de manioc. En amenant cette enzyme en contact avec la linamarine, le glucoside est transformé en acide hydrocyanique. Le cyanure libéré se dissout dans l'eau quand la fermentation est provoquée par un trempage prolongé, et s'évapore quand le manioc fermenté est séché. Le séchage au soleil de petits morceaux de manioc frais pendant une courte durée n'est pas un bon procédé de détoxication. Le cyanure ne sera pas complètement libéré et l'enzyme sera détruite pendant le séchage. Les techniques de transformation par séchage au soleil ne réduisent que de 60 à 70 pour cent la teneur totale en cyanure durant les deux premiers mois de conservation. Les résidus de cyanure peuvent être très importants dans les tubercules secs, de 30 à 100 mg/kg (Casadei, 1988). La simple cuisson à l'eau de morceaux de racine fraîche n'est pas toujours une garantie de non-toxicité car le cyanure ne pourrait être que partiellement libéré, et une fraction seulement de la linamarine passerait dans l'eau de cuisson. La réduction des cyanures varie si le produit est mis dans l'eau froide (27 °C) ou directement dans l'eau bouillante (100 °C). Après 30 minutes de cuisson, les cyanures ne sont plus, dans le premier cas, que huit pour cent de leur valeur initiale, et dans le second cas environ 30 pour cent (Essers, 1986).

Plusieurs auteurs ont suggéré différents niveaux minimauxpourlatoxicité. Rosling (1987) a exprimé l'opinion qu'une dose de plus de 20 mg pour 100 g de manioc est toxique, tandis que Bolhuis (1954) a établi la dose toxique de 50 à 60 mg par jour pour un adulte européen.

Le tableau 7.1 montre la teneur en HCN de divers produits transformés à base de manioc. Il indique qu'une réduction considérable de la teneur en acide cyanhydrique du manioc cru a eu lieu pendant la transformation. Le trempage dans l'eau améliore la détoxication carles cellules sont décomposées par osmose et fermentation, ce qui facilite l'hydrolyse des glycosides. Un trempage de courte durée (4 heures) n'a pas d'effet, mais s'il se prolonge (de 18 à 24 heures), les quantités de cyanure peuvent baisser de moitié (tableau 7.2). Comprimer le produit est une étape fondamentale dans l'élimination des cyanures solubles.

Tableau 7.1 Teneur en HCN de divers produits à basa de manioc durant la transformation

Aliment Etape de la détoxication HCN restant
Moyenne
(mg/kg)
Pourcentage
Mpondu Feuilles fraîches 68,6 100,0
Feuilles lavées (à l'eau froide) 63,9 93,1
Feuilles séchées 66,1 96,3
Feuilles bouillies (15 mn dans l'eau) 3,7 5,4
Feuilles bouillies (30 mn dans l'eau) 1,2 1,7
Manioc bouilli Racines fraîches (douces) 10,7 100,0
Racines bouillies (20 mn dans l'eau) 1,3 12,1
Foufou Racines fraîches (douces et amères) 111,5 100,0
Racines trempées (3 jours) 19,4 17,4
Racines séchées (3 jours) 15,7 14,1
Foufou cru (farine et eau) 2,5 2,2
Foufou cuit 1,5 1,3
Fuku Racines fraîches (douces) 25,5 100,0
Fuku cru (chauffé) 4,2 16,4
Fuku cuit 1,2 4,7
Gari Pulpe 90,1 100,0
24 h de fermentation 73,2 81,2
48 h de fermentation 55,3 61,3
48 h de compression 36.0 40,0
Rôtissage 25,8 28,6
Lafun Pulpe 16,5 100,0
Trempage (5 jours) 35,9 21,8
Trempage (5 jours) + séchage (48 h) 25,5 15,5
Trempage (5 jours) + séchage (96 h) 19,6 11,9

Sources: Bourdoux et al., 1982; Oke, 1984.

TABLEAU 7.2 Effets du trempage sur la teneur en HCN de six racines amères de manioc

Durée du trempage
(jours)
HCN restant
(pourcentage)
0 100,0
1 55,0
2 42,3
3 1 9,0
4 1 0,9
5 2,7

Source: Bourdoux et al., 1983.

Pathophyalologie de l'intoxication par le cyanure

Le cyanure est détoxiqué dans L'organisme par la conversion en thiocyanate, un composé soufré ayant des propriétés goitrigènes. La conversion est catalysée par une enzyme, le thiosulfate de cyanure: la sulfurtransférase (rhodanase), présente dans presque tous les tissus humains, et à un moindre degré par un mercapto-pyruvate, la sulfurtransférase de cyanure, présente dans les globules rouges (Fiedler et Wood, 1956). Les substrats essentiels pour la conversion du cyanure en thiocyanate sont le thiosulfate et 3-mercapto-pyruvate, dérivés principalement de la cystéine, de la cystine et de la méthionine, les acides aminés contenant du soufre. La vitamine B12 sous la forme d'hydroxycolabamine influence vraisemblablement la conversion du cyanure en thiocyanate. L'hydroxy-colabamine augmenterait l 'excrétionparvoie urinaire de thiocyanate chez des animaux expérimentaux ayant ingéré de petites doses de cyanure (Wokes et Picard, 1955; Smith et Duckett, 1965). De 60 à 100 pour cent du cyanure injecté en concentration toxique sont transformés en thiocyanate en l'espace de 20 heures et la transformation enzymatique représente plus de 80 pour cent de la détoxication du cyanure (Wood et Cooley, 1956). Le thiocyanate est largement distribué dans les liquides du corps, y compris la salive, dans laquelle il peut facilement être détecté. Chez l'homme en bonne santé, un équilibre dynamique entre le cyanure et le thiocyanate est maintenu. Un régime pauvre en protéines, particulièrement un régime dans lequel les acides aminés soufrés font défaut peut réduire la capacité de détoxication et rendre ainsi une personne plus vulnérable à l'effet toxique du cyanure (Oke, 1969, 1973). La consommation excessive de manioc, comme source unique d'énergie alimentaire et source principale de protéines, pourrait donc accentuer la sensibilité à la toxicité du cyanure.

Maladies liées à la toxicité du manioc

Plusieurs maladies ont été associées aux effets toxiques du manioc. Son rôle a été confirmé dans l'état pathologique de l'intoxication aiguë par le cyanure et dans le goitre. Il existe aussi des signes qui lient deux types de paralysie aux effets combinés d'une dose élevée de cyanure et d'une dose faible de soufre, comme cela peut se produire dans un régime alimentaire dominé par le manioc insuffisamment traité. Dans ces deux maladies, la neuropathie ataxique tropicale et la paralysie spastique épidémique, la paralysie fait suite à un endommagement de la moelle épinière. Le rôle de la toxicité du cyanure dans les diabètes tropicaux et dans la malformation congénitale n'a pas été établi. De même, ses effets bénéfiques supposés sur l'anémie à hématies falciformes, la schistosomiase et les tumeurs malignes sont encore hypothétiques.

Intoxication aiguë par le cyanure. Les symptômes apparaissent quatre à six heures après un repas composé de manioc cru ou insuffisamment traité et consistent en des vertiges, vomissements, malaises et entraînent dans certains cas la mort en l'espace d'une heure ou deux. Le traitement est trés efficace et peu onéreux. Il s'agit d'accroître la capacité de détoxication du patient en lui injectant, par piqûre intraveineuse, du thiosulfate qui augmente la quantité de soufre disponible pour la conversion du cyanure en thiocyanate.

Goitre endémique. L'ingestion de cyanure présent dans les aliments conduit à sa détoxication dans l'organisme grâce à la production de thiocyanate. Le thiocyanate a la même taille moléculaire que l'iode et intervient sur la dose d'iode par la glande thyroïde (Bourdoux et al., 1978). En cas d'ingestion de quantités importantes de manioc insuffisamment traité, il peut y avoir une surcharge chronique de cyanure conduisant à une élévation du niveau de thiocyanate dans le sérum qui passe à 1-3 mg/100 ml, le niveau normal étant d'environ 0,2 mg/100 ml. Dans de telles conditions, la présence d'une excrétion accrue d'iode et d'une absorption réduite d'iode par la glande thyroïde aboutit à un rapport d'excrétion thiocyanate/iode (SCN/I) faible. Il semble que si ce rapport dépasse trois, le goitre endémique apparaît (Delange, 1983). Ce phénomène ne peut se produire que si la dose d'iode est inférieure à 100 mg par jour. Quand le rapport SCN/I est inférieur à deux, il existe un risque de crétinisme endémique, état caractérisé par une grave arriération mentale et des anomalies neurologiques (Erman et al., 1983).

Des études réalisées au Zaïre ont montré que les habitants d'Ubangi, qui consomment de grandes quantités de manioc séché au soleil mais non fermenté, présentent un rapport SCN/I faible allant de deux à quatre et sont atteints de goitre endémique et de crétinisme. Mais à Kirn, où les habitants mangent de la pâte de manioc fermentée et séchée, le rapport SCN/I passe de trois à cinq et les cas de goitre sont peu fréquents. Dans le bas Zaïre, où l'on consomme des produits à base de manioc convenablement préparés, le rapport SCN/I est supérieur à sept et aucun cas de goitre n'est signalé. Un faible rapport conduit à des quantités anormales de l'hormone stimulant la thyroïde et à de petites quantités de thyroxine (T4). Ayangade et al. (1982) ont constaté que, chez les femmes enceintes, le niveau de thiocyanate dans le sang du cordon était proportionnel à celui du thiocyanate dans le sérum maternel, indiquant que le thiocyanate peut traverser la barrière placentaire et affecter le fcetus.Toutefois, il y a très peu de thiocyanate dans le lait matemel, ce qui indique que les glandes mammaires ne concentrent pas le thiocyanate et les enfants nourris au sein ne sont pas affectés.Quand des suppléments d'iode sont donnés, par exemple, par l'adjonction d'iodure de potassium aux réserves locales de sel, le goitre est réduit malgré une ingestion élevée et continue de produits dérivés du manioc. Là où la ration de sel est modérée ou variable, l'huile iodée, absorbée par voie orale, fournit une protection pour un ou deux ans. Dans la jungle amazonienne, certains indigènes consomment jusqu'à I kg de manioc frais cuit par jour et jusqu'à trois litres de bière de manioc fermenté, mais on n'a pas signalé de cas de goitre ou de neuropathie ataxique. Ces tribus consomment aussi d'énormes quantités de protéines animales et de protéines de poisson et trouvent ainsi dans leur alimentation un apport important d'acides aminés soufrés et d'iode.

Troubles neurologiques

L'apport de cyanure dérivant d'un régime alimentaire où le manioc domine serait un facteur contribuant à deux formes de neuropathie d'origine nutritionnelle, qui sont la neuropathie ataxique tropicale au Nigéria (Osuntokun, 1981) et la paralysie spastique épidémique (Cliff et al., 1984). Ces troubles existent aussi dans certaines régions de Tanzanie et du Zaïre où l'on cultive du manioc.

Neuropathie ataxique tropicale. Cette maladie est fréquente dans une zone du Nigéria où la population consomme de très grandes quantités de manioc, sans ingérer suffisamment d'aliments supplémentaires riches en protéines aptes à assurer un apport approprié d'acides aminés soufrés pour la détoxication du cyanure ingéré. Le produit à base de manioc consommé, appelé purupuru, est préparé sans fermentation suffisante du manioc, ce qui laisse un résidu de cyanure pouvant atteindre 0,10 M mole/g. Chaque jour, 2 kg de cette denrée sont consommés, ce qui correspond à l'ingestion de quelque 50 mg de cyanure. La dose toxique pour un adulte est d'environ 60 mg. Le cadre clinique est dominé par le dommage causé à un desnerfs sensoriels dans la moelle épinière, qui entraîne une démarche titubante appelée ataxie.

Quand les patients arrivent à l'hôpital, ils ont un taux élevé de thiocyanate dans le plasma. Au moment de leur admission, on leur fait suivre un régime d'hôpital très nutritif qui comprend du manioc seulement deux fois par semaine. En peu de temps, le taux de thiocyanate dans le plasma est réduit à un niveau normal, et les patients guérissent. Cependant, à la sortie de l'hôpital, ils reprennent leur régime précèdent à base de manioc et les symptômes réapparaissent (Osuntokun, 1968).

Tous les cas signalés sont originaires de la région où l'on cultive et consomme de grandes quantités de manioc, aucun cas n'étant signalé dans les zones voisines où l'igname domine. Un changement dans le régime de la population à risque, au Nigéria, a réduit la fréquence de cette maladie.

Paralysie spastigue épidémique. C'est une situation de dépendance vis-àvis de variétés très toxiques de manioc cultivé pour la sécurité alimentaire (Cliff et al., 1984). Dans certaines régions du Mozambique, une variété amère toxique de manioc est souvent plantée comme réserve alimentaire à cause de son rendement élevé. Le manioc constituant à peu près 80 pour cent du régime, on le prépare selon une méthode classique qui rend sa consommation non dangereuse. Le manioc, qui contient environ 327 mg de HCN/kg est épluché, coupé en rondelles et seché au soleil pendant trois semaines environ, jusqu'à ce que le niveau du cyanure tombe à quelque 95 mg/kg. On le réduit alors en farine à laquelle on ajoute de l'eau chaude pour former une pâte appelée chima. On mange généralement cette pâte accompagnée de haricots, de poisson ou de légumes, pour constituer un repas bien équilibré.

Pendant une période de sécheresse prolongée, toutes les cultures vivrières de cette zone ont été perdues à l'exception de la variété toxique de manioc. Les magasins d'alimentation ont été dévalisés et de nombreuses familles n'ont pas eu d'autre choix que de se nourrir du manioc toxique. Le temps consacré normalement à la préparation a été réduit par I'urgence, et il n'y a pas eu de détoxication appropriée. Les habitants le savaient, mais c'était peur eux la seule chance de survie. En mangeant du chima mal préparé, sans leur complément habituel d'aliments en protéines, ils se sont plaints que son goût était plus amer qu'à l'accoutumée. Après quatre à six heures, ils ont eu des nausées, des vertiges et des troubles divers. Les malades présentaient un niveau élevé de thiocyanate dans le sérum et une excrétion dethiocyanate dans l'urine environ 10 fois supérieure à celle des groupes qui ne mangent pas de manioc au Mozambique. Une apparition soudaine de nombreux cas de paralysie spastique survint alors, indiquant une épidémie très étendue. Cette maladie affecte principalement les femmes et les enfants. Elle endommage les nerfs de la moelle épinière qui commandent les mouvements et cause ainsi une paralysie spastique des deux jambes (Rosling, 1987). De nouveaux cas ont été signalés durant la saison sèche dans deux régions du Zaïre (Nkamany et Kayinge, 1982) et lors des sécheresses dans une région du Mozambique (Cliff et al., 1984) et une région de Tanzanie (Howlett, 1985).

Durant ces périodes de sécheresse, environ 500 g de manioc séché, soit 1,5 kg en poids de matière fraîche, sont consommés chaque jour, représentant un apport de 1 500 kcal et 50 mg de cyanure par jour. Ce niveau se rapproche du niveau toxique de 60 mg. L'organisme peut sans danger détoxiquer à peu prés 20 mg de cyanure par jour, mais si ce niveau augmente pour atteindre 30 mg, des symptômes d'intoxication aiguë apparaissent chez la plupart des consommateurs, et commence alors l'épidémie. S'il se trouve une période durant laquelle coïncident une ration abondante de manioc et une faible ingestion d'aliments riches en protéines aptes à fournir des amino-acides soufrés pour la détoxication, cette combinaison précipite l'apparition de la maladie. La situation peut être comparée à l'épidémie de lathyrisme qui a affecté certaines régions d'Inde touchées par la sécheresse à cause de la forte consommation d'un pois résistant à la sécheresse, Lathyrus sativa.

Production d'aliments à faible teneur en cyanure

La mise au point d'une méthode plus précise pour la détermination de la teneur en cyanure des aliments par Cooke (1978), ainsi qu'une étude en profondeur de certains aliments traditionnels à base de manioc, a permis de mieux comprendre le mécanisme de détoxication du cyanure dans les aliments et de formuler de meilleures recommandations pour la transformation du manioc.

Le cyanure est présent dans le manioc et ses dérivés sous deux formes, la forme glucosidique, qui est la linamarine elle-même, et la forme non glucosidique ou forme liée qui est la cyanohydrine. Dans des conditions normales d'hydrolyse, quand la linamarase réagit avec la linamarine, elle est hydrolysée en cyanohydrine qui, en se décomposant, donne de l'acétone et de l'acide cyanhydrique. Toutefois, en milieu acide (pH 4 ou moins), qui tend à se créer dans certaines fermentations lactiques du manioc, la décomposition de la cyanohydrine est bloquée et il devient stable. Il est relativement facile de se débarrasser du cyanure libre, qui est présent dans la proportion d'environ 10 pour cent dans le manioc épluché et frais, notamment en solution, mais le cyanure non glucosidique peut être très lentement hydrolysé et aboutir à un résidu de cyanure important dans les dérivés du manioc. Ainsi, faire sécher des cassettes de manioc dans un four à l'air à 47 °C et à 60 °C provoque une baisse de la teneur en cyanure lié de 25 à 30 pour cent, alors qu'avec un séchage plus rapide à 80 °C ou 100 °C, la réduction du cyanure lié n'a été que de 10 à 15 pour cent. Cependant, les pertes de cyanure libre ont été respectivement de 80 à 85 pour cent et de 95 pour cent (Cooke et Maduagwu, 1978). Le séchage entraîne une augmentation apparente de la concentration du cyanure due à la perte d'eau (Bourdoux et al., 1983). Plus le séchage est long, plus la perte d'eau est importante. Environ 14 pour cent de l'eau peuvent être éliminés le premier jour, et jusqu'à 70 pour cent après huit jours. Cela conduit à une augmentation de la concentration de cyanure qui passe de 70 mg/kg le premier jour à 91 mg/ kg après huit jours.

Le trempage dans l'eau à 30 °C, l'ébullition ou la cuisson éliminent le cyanure libre, mais seulement 55 pour cent environ du cyanure lié est libéré après 25 minutes. Cependant, le cyanure lié est éliminé par un trempage prolongé au début de la fermentation (tableau 7.2), sous l'action de la linamarase qui est libérée par la désintégration des tissus tubéreux. Si l'on ajoute de l'eau, la plus grande partie du cyanure est éliminée. Meuser et Smolnik (1980) ont pu améliorer la production de gari en lavant la pulpe après fermentation pour enlever le résidu de cyanure lié qui était encore présent sous forme de cyanohydrine à cause de sa plus grande stabilité en milieu plus acide.

Tableau 7.3 Effet du séchage sur la teneur en HCN du manioc

Technique de séchage   HCN (ppm)
Lyophilisabon Pulpe 439
Séchage ultra-rapide Rondelles 432
Séchage à l'air 40°C Cossettes, pulpe 13
Séchage à l'air chaud 180°C Cossettes 14
  Pulpe fermentée 77
Séchage au tambour Pulpe 8
  Pulpe fermentée 121
HCN dans la pulpe Libre et lié 900

Source: Meuser & Smolnik. 1980.

Le résultat de différentes techniques de séchage est présenté au tableau 7.3. La lyophilisation ou le séchage ultra-rapide ont éliminé seulement le cyanure libre, qui représentait environ 50 pour cent de la totalité du cyanure présent. Le séchage aux cylindres de la pulpe fraîche à un pH de 5,5 à 5,7 a éliminé pratiquement tout le cyanure, alors que si la pulpe fermentée était séchée sur des cylindres ou des tambours, de grandes quantités de cyanure restaient dans le produit séché à cause du degré d'acidité (pH 3,8) de la pulpe fermentée. Dans la détoxication des produits à base de manioc, la fermentation est plus efficace quand la pulpe acide est comprimée et lavée. Le résidu de cyanure peut encore être réduit par le séchage au soleil ou la friture. Cela a été confirmé par Hahn (1983) comme l'indique la figure 7.1. Dans les préparations traditionnelles de divers produits dérivés du manioc, il peut y avoir des résidus de cyanure à cause d'une désintégration insuffisante des tissus durant la transformation et d'un lavage insuffisant.. C'est le résidu de cyanure qui est responsable de la toxicité. Certaines de ces préparations ont été simulées en laboratoire et modifiées afin d'abaisser les niveaux de cyanure (Bourdoux et al., 1983).

La patate

La patate contient de la raffinose, un des sucres responsables de la flatulence. Trois parmi les sucres présents dans les tissus végétaux, la raffinose, la stachyose et la verbascose ne sont pas digérés dans la partie supérieure du tube digestif, et ainsi fermentent sous l'action des bactéries du colon produisant des gaz intestinaux, de l'hydrogène et du gaz carbonique. La quantité de raffinose présente dépend du cultiver. Dans certaines contrées d'Afrique, les cultivars utilisés sont considérés comme trop doux et provoquent la flatulence (Palmer, 1982). Lin et Chen (1985) ont établi que la patate présente une activité de l'inhibiteur de trypsine allant d'une inhibition de 90 pour cent dans certaines variétés à 20 pour cent dans d'autres. Il existe une corrélation significative entre la teneur en inhibiteur de trypsine et la teneur en protéines de la variété de patate. Quand on chauffe pendant quelques minutes à 90 °C, les inhibiteurs de trypsine deviennent inactifs. Lawrence et Walker (1976) ont considéré l'activité de l'inhibiteur de trypsine dans la patate comme un facteur contribuant à la maladie Enteritis necroticans. Cette conclusion semble douteuse car la patate n'est généralement pas consommée crue et l'activité de l'inhibiteur de trypsine est détruite par la chaleur.

A la suite d'une blessure ou d'une exposition à des agents infectieux, en réaction à une stimulation physiologique ou à cause de l'exposition d'un tissu blessé à la contamination fongique, la patate produit des métabolites. Certains de ces composés, en particulier les furano-terpanoides, sont connus pour être toxiques (Uritani, 1967). La contamination fongique des tubercules de patate par Ceratocystis fimbriata et plusieurs espèces de Fusarium conduit à la production d'ipomoeamarone, une hépatotoxine, alors que d'autres métabolites comme 4-ipoméanol sont des toxines pulmonaires. La cuisson au four ne détruit que 40 pour cent de ces toxines. Catalano et al., (1977) ont signalé qu'il suffit d'éplucher les patates meurtries sur 3 à 10 rnm autour de la zone affectée pour éliminer presque toutes les toxines.

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