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Utilisation et aménagement des ressources naturelles dans les zones protégées d'Argentine

R. Burkart

Rodolfo Burkart est chef du Département des plans et projets de la Direction de la conservation et de l'aménagement à l'Administration des parcs nationaux à Buenos Aires (Argentine).

Analyse du développement historique de l'aménagement des zones protégées d'Argentine et du défi qui consiste à progresser vers la conservation et l'utilisation durable de ressources multiples

Introduction

Malgré la réputation de grand producteur agricole dont jouit l'Argentine, plus de 80 pour cent de son territoire sont incultes. Ses terres, qui représentent une superficie totale de 279 millions d'ha, sont essentiellement des pâturages et des forêts productives, car elles ne sont pas aptes à des usages autres que celui des ressources vivantes que l'on y trouve - herbages, savanes, maquis et forêts situés dans des environnements soit très secs, soit trop humides, soit montagneux. Les forêts, denses et humides ou clairsemées et sèches, occupent aujourd'hui 36 millions d'ha, soit près d'un tiers de leur superficie d'origine, et les forêts plantées couvrent à peine 760000 ha (Di Pace, 1992).

Les caractéristiques naturelles de l'Argentine sont analogues à celles du reste de l'Amérique latine: une étude réalisée en 1988 par la FAO sur ce continent a montré que les terres cultivées occupent à peine 10 pour cent de la superficie totale, alors que les terres et les forêts naturelles actuellement ou potentiellement productives en couvrent 76 pour cent. On peut donc considérer que c'est un continent naturel. Cependant, cela ne signifie pas qu'il s'agisse d'un continent - et dans notre cas d'un pays - inhabité. Mis à part les hautes cimes andines, on peut dire que tout le territoire est peuplé (la densité humaine étant proportionnelle à la productivité de chaque région à l'hectare) mais que les investissements y sont très faibles.

Dans ce contexte, les zones protégées d'Argentine couvrent 13 millions d'ha, superficie qui représente 4,7 pour cent du territoire national. Comme il s'agit d'une république fédérale, chacune des 23 provinces qui la composent jouit de l'autonomie de décision sur son territoire. C'est pourquoi l'ensemble des zones protégées se divise en deux catégories, celles qui relèvent de juridictions provinciales et celles qui relèvent de la juridiction fédérale, toutes étant gérées par l'Administration des parcs nationaux.

Selon la banque de données du Réseau national de coopération technique en matière de zones protégées, les zones protégées relevant de la juridiction fédérale constituent 26 unités administratives, qui couvrent 2,8 millions d'ha; celles qui relèvent de juridictions provinciales (y compris de municipalités, d'universités, de propriétés privées, etc.) sont au total 184 unités, couvrant 10,2 millions d'ha.

Sur le total de la superficie protégée des parcs nationaux ou provinciaux, 22 pour cent correspondent à des catégories strictement protégées excluant la présence et les activités productives de l'homme, qui n'est admis que comme visiteur. Les 78 pour cent restants appartiennent à des catégories non exclusives, ce qui suppose la présence d'habitants et d'exploitations agricoles, forestières ou d'élevage. Il s'agit en majorité de réserves «polyvalentes», «aménagées» ou «de biosphère» et, pour la juridiction fédérale, de «réserves nationales» (UICN, 1984; APN, 1991), jouant de diverses manières le rôle de zones tampons autour des parcs nationaux.

Vue du parc national de Nahuel Huapí en Argentine

Bref historique de l'utilisation des ressources naturelles dans les zones protégées

Le premier parc national de toute l'Amérique latine a été le Nahuel Huapí, fondé en 1922 dans les forêts de la Cordillère australe. En 1934, ont été créés, d'une part, la Direction (aujourd'hui Administration) des parcs nationaux et, d'autre part, les grands parcs de cette région privilégiée du sud composée de lacs, de montagnes et de forêts. Dans le reste du pays, seuls existaient le parc national de l'Iguazú, autour des fameuses chutes qui sont aujourd'hui «site du patrimoine mondial».

En 1968, on comptait déjà 14 parcs nationaux occupant 2,4 millions d'ha, dont toutefois 150000 ha seulement (6 pour cent) se situaient en dehors de la région de la forêt patagonienne et constituaient sept unités beaucoup plus petites que celles de cette région. Les objectifs de conservation de l'époque ne concernaient ni la biodiversité, ni les ressources génétiques, ni la viabilité écologique; il s'agissait de protéger un patrimoine public de paysages exceptionnels contre le risque d'appropriation privée discrétionnaire (Bustillo, 1968).

A l'époque, seul le gouvernement fédéral prenait des initiatives en matière de zones protégées, mais à partir des années 70 les initiatives locales se sont succédé à un rythme vertigineux. Les statistiques le montrent bien: au cours de la période 1970-1991, les parcs nationaux se sont développés au rythme moyen de 16000 ha par an, tandis que les zones protégées relevant de juridictions provinciales s'accroissaient de 415000 ha par an. En 1970, 86 pour cent de la superficie protégée relevaient de l'Etat fédéral: en 1991, la proportion n'était plus que de 22 pour cent.

Comme le montrent ces chiffres, parler de l'utilisation des ressources dans les zones protégées jusqu'en 1970 revient à analyser presque uniquement ce qui se passait dans les parcs nationaux de la Cordillère australe: exploitations forestières (sous concession) et élevage (dans de grandes estancias privées ou par des occupants à titre précaire); il s'agissait là d'activités héritées de l'époque d'avant la création des parcs. L'activité nouvelle, vivement encouragée par la Direction des parcs nationaux à partir de 1934, a été le tourisme, facilité par de gros investissements de l'Etat dans les infrastructures routières, hôtelières et de transport dans ces régions périphériques du pays.

La Direction des parcs nationaux a été une pionnière dans cette région, non seulement en développant le tourisme (centré sur la ville de Bariloche), mais aussi en aidant au peuplement par la création d'écoles, d'églises et d'autres services publics de base. Dans un premier temps, la promotion du tourisme s'est adressée à une élite internationale; par la suite, les gouvernements populaires ont plutôt encouragé le tourisme social - mais dans les deux cas l'opération a été fortement subventionnée.

On a tenté d'éliminer des parcs l'activité d'élevage, mais on n'est parvenu qu'à la limiter, au détriment surtout des occupants à titre précaire qui ne bénéficiaient d'aucun soutien juridique ou politique. L'activité forestière a été maintenue (avec instauration d'un contrôle sur les concessions et déploiement d'efforts d'amélioration), mais elle s'est fondée sur la transformation de la forêt par l'introduction d'espèces de l'hémisphère Nord, ce dont témoignent encore quelques plantations de plus de 60 ans d'âge réalisées dans les forêts natives de hêtres du sud (Nothofagus, spp.).

Conversation entre un vulgarisateur (debout) et le président d'une coopérative d'élevage de bovins, de lamas et d'alpagas, située dans la réserve de la biosphère de la Laguna de los Pozuelos en Argentine

Depuis la fin des années 60, sous l'influence de la conception nord-américaine des parcs nationaux, les activités de sylviculture ont commencé à se restreindre dans ce type de parcs. En 1968, une nouvelle loi sur les parcs nationaux introduisait pour la première fois différentes catégories de zones protégées et créait la notion de réserves nationales qui devaient jouer le rôle de zones tampons autour des parcs. C'est dans ces réserves, une fois délimitées sur le terrain, que l'on a commencé à transférer les activités d'élevage et de sylviculture. Malgré cette loi, il reste cependant encore des parcs nationaux partiellement habités, et beaucoup de zones protégées provinciales posent des problèmes d'occupation ou d'utilisation des ressources contraire aux objectifs de conservation. Toutefois, dans la plupart des cas, la question ne concerne que quelques dizaines de familles par zone protégée et constitue donc un problème moins grave qu'en Amérique centrale, au Pérou ou au Brésil.

En dehors de ces zones protégées traditionnelles, ont été créées à la même époque des réserves forestières, aussi bien dans les forêts du sud que dans les forêts subtropicales du Chaco et du Paraná. Séparées matériellement et institutionnellement des parcs et des réserves nationales, ces réserves dépendaient de la Direction des forêts, devenue par la suite Institut forestier national.

Bien que le critère principal d'amélioration forestière ait toujours été dans ce pays le remplacement par des essences exotiques à croissance rapide, grâce aux travaux techniques réalisés aussi bien à l'intérieur qu'à partir de ces réserves forestières, on est arrivé à accumuler un capital considérable de connaissances des espèces natives, de leur qualité commerciale, de leur reproduction et de leur culture. Malheureusement, depuis les années 70, l'effort de développement de notre richesse forestière s'est considérablement ralenti en même temps que diminuait le rôle directeur de l'Etat On a alors assisté à une sylviculture de pins et d'eucalyptus menée par le secteur privé, essentiellement la branche des pâtes et papiers. Les réserves forestières en ont progressivement subi l'impact, et aujourd'hui les expériences pilotes, les parcelles permanentes et les plans d'aménagement sont presque totalement abandonnés.

État actuel de l'utilisation et de l'aménagement des ressources naturelles dans les zones protégées

Comme il a été mentionné au début de cet article, 78 pour cent environ des zones protégées d'Argentine appartiennent officiellement à des catégories non exclusives, conçues comme des exemples d'utilisation gérée des terres; pourtant, les progrès réels dans ce sens sont extrêmement limités. Voyons maintenant la situation actuelle, analysée par type de ressources naturelles puisque celles-ci ont toujours été utilisées sur une base sectorielle par des institutions distinctes.

Ressources récréatives

Le développement du tourisme dans les zones protégées s'est toujours limité aux activités engagées à l'initiative des parcs nationaux sur les sites présentant le plus grand potentiel, c'est-à-dire les forêts et les lacs du sud (en particulier le parc national de Nahuel Huapí) et les chutes de l'Iguazú, Chacun d'entre eux reçoit aujourd'hui environ 300000 visiteurs par an.

A côté de ces initiatives de l'administration fédérale, des ressources récréatives ont été protégées et mises en valeur plus récemment par des initiatives autonomes provinciales. Le cas le plus remarquable est celui de la province du Chubut en Patagonie, qui a mis en place son système propre de zones côtières protégées. Ces zones contiennent des sanctuaires d'oiseaux et de mammifères marins (phoques et éléphants de mer, baleines franches, orques, pingouins, mouettes, etc.) qui reviennent à chaque saison et constituent aujourd'hui une importante attraction touristique. D'autres initiatives provinciales des cinq dernières années prospèrent dans des régions aussi distantes que les Andes centrales (Mendoza) et la forêt du Paraná (Misiones) tout près du parc national de l'Iguazú, Les gouvernements provinciaux ont en outre conjugué la création de nouvelles zones protégées et la mise en place d'une législation spéciale les concernant à une promotion active du tourisme.

Les loisirs sont les seules activités admises par la loi pour certaines catégories de zones strictement protégées, comme les parcs et monuments naturels; mais l'infrastructure de services correspondante doit s'installer à l'extérieur, par exemple dans les zones tampons qui entourent ces parcs et monuments.

Les chutes du parc national de l'Iguazú, où se rendent environ 300000 visiteurs par an, ont été déclarées «site du patrimoine mondial»

Ressources forestières

L'exploitation des ressources forestières dans les zones protégées fédérales est actuellement limitée à cinq zones ne dépassant pas 1000 ha chacune, dans les réserves nationales du sud, gérées par des concessionnaires et supervisées par l'Administration nationale des zones protégées.

Ces entreprises fonctionnent sous un excellent contrôle technique mais ne représentent que des volumes très réduits: de 10000 à 20000 m³ de bois rond par an. Elles extraient également du bois de feu, mais limité à l'usage local. La politique de l'administration donne la priorité dans ces réserves à l'objectif de conservation; c'est pourquoi elle n'encourage pas le développement forestier, bien que dans ce cas cela soit permis par la loi.

Les réserves forestières qui dépendent d'instituts technologiques ou d'universités comportent, ou ont comporté, des zones de gestion expérimentale dans les forêts australes ainsi que dans les forêts subtropicales du nord du pays (forêt du Paraná et du Chaco). Il y a eu des expériences isolées qui ont duré peu de temps; d'autres sont récentes mais se poursuivent encore. Les réserves provinciales des régions forestières ont quant à elles très peu de réalisations de ce genre à leur actif.

Ressources fourragères

Les zones protégées ont relativement peu contribué à la généralisation de l'utilisation durable d'écosystèmes à vocation d'élevage, mais il ne faut pas en conclure qu'elles ne pourraient pas le faire. Il existe très peu de portions du territoire argentin qui ne conviennent pas à l'élevage; la présence de bétail est possible et même recommandable jusque dans les meilleures terres de la pampa (cycles agriculture/élevage). A l'autre extrême de l'échelle des écosystèmes, l'élevage sur les terres boisées a gagné du terrain jusque dans l'intérieur des forêts subtropicales humides (comme les vallées chaudes du nord de l'Argentine).

De vastes régions arides, humides ou montagneuses conviennent à l'élevage fondé sur l'utilisation fourragère des herbages, des maquis, des bois xérophiles ou des broussailles. Cependant, l'absence de pratiques d'aménagement et le manque d'investissement dans les clôtures et les points d'eau est si généralisée, à part quelques exceptions méritoires, qu'ils obligent aujourd'hui à classer la dégradation des terres par le surpâturage parmi les problèmes d'environnement les plus graves de l'Argentine. Cela dit, des zones naturelles extrêmement stables telles que les pampas restent en général relativement exemptes de ce phénomène. Parmi ces écosystèmes, les plus étendus de la géographie argentine, les zones protégées existantes n'ont jamais dans la pratique - excepté quelques secteurs expérimentaux - joué le rôle qui aurait pu être le leur de modèles d'aménagement de l'élevage sans dégradation de l'environnement.

L'Administration nationale des zones protégées encourage le développement rural dans les forêts australes de la réserve nationale de Lanín, où se trouvent des établissements autochtones de Mapuches

Faune sauvage

En ce qui concerne l'utilisation de la faune sauvage, qui revêt en Argentine une importance majeure sur le plan commercial et sportif (mais qui reste beaucoup moins utilisée dans l'alimentation), les zones protégées n'ont pas non plus joué le rôle qu'elles auraient dû jouer comme réserves cynégétiques et encore moins comme zones pilotes d'aménagement durable. Il existe une réglementation et un contrôle de la chasse, et des expériences techniques ont été menées dans ce domaine, mais pas dans le cadre de zones protégées servant de modèles juridiques et institutionnels pour cela. L'aménagement de la faune sauvage exotique (cerfs, sangliers et lièvres d'Europe) pour la chasse sportive, dans les réserves des parcs nationaux du sud et dans les réserves provinciales de la pampa, constitue une exception. Des exploitations privées utilisent aussi de plus en plus ces ressources pour la chasse, dans l'espoir qu'elles leur apporteront un meilleur revenu que l'élevage traditionnel.

Utilisation polyvalente des ressources

Les possibilités de conjugaison de diverses activités productives traditionnellement fondées sur l'exploitation d'une seule ressource de toute la gamme qu'offre une zone naturelle (bois d'œuvre, bois de feu, faune, miel ou autres) ont jusqu'ici été très peu explorées. Même sur les terres du domaine public, les populations qui chassent ou cueillent les produits de la forêt appartiennent à des groupes ethniques ou sociaux différents de ceux (par exemple dans le Chaco) qui font de l'élevage. Bien que l'on reconnaisse en théorie l'avantage d'une utilisation polyvalente, l'expérience de systèmes mixtes (agroforestiers, sylvopastoraux, d'élevage et de chasse) est partielle, et il s'agit presque toujours d'expérimentations de courte durée ou isolées.

Les autorités chargées des zones protégées commencent à étudier la question, encore que de façon limitée. Il y a environ six ans, l'Administration nationale des zones protégées a engagé des expériences de développement rural dans ce sens dans la réserve nationale Lanín, dans les forêts australes, avec des populations de l'ethnie indigène mapuche (Osidala, Romero et Corvalán, 1992). Les populations mapuches de la réserve reçoivent aujourd'hui une aide pour l'amélioration du fourrage, les cultures de subsistance, l'artisanat et les services touristiques. En réponse à l'inquiétude exprimée par ces populations, on a mis en place cette année des micro-entreprises sylvicoles d'extraction de bois d'œuvre et de bois de feu destinés à la commercialisation.

A l'autre extrémité du pays, sur les hauts plateaux qui s'étendent jusqu'à la Bolivie, la réserve de biosphère de la Laguna de los Pozuelos, dirigée par un conseil de représentants d'institutions et de collectivités locales, entreprend des activités d'amélioration des pâturages pour les troupeaux de moutons et de lamas et de développement de l'artisanat local (García Fernández et Tecchi, 1991). Il existe des perspectives de participation de diverses autres zones protégées à des plans d'utilisation polyvalente des ressources naturelles dans plusieurs régions du pays, plans qui sont en cours de préparation.

Financement et rentabilité financière

Bien que nous ne disposions pas de statistiques détaillées, nous pouvons affirmer que le tourisme est de loin le facteur de revenu le plus important dans les zones protégées du pays. Au cours des quatre dernières années, on a commencé à envisager l'autofinancement - même partiel de ces zones. Historiquement, elles ont été administrées et financées par l'Etat et les revenus de concessions, les taxes, etc., étaient plus symboliques que réels. Aujourd'hui, des mesures sont prises pour aménager et augmenter les recettes provenant de concessions et de droits d'usage, et faire payer l'accès des visiteurs aux parcs nationaux. Cependant, en matière de procédures comptables, on n'a encore entrepris aucune innovation qui permettrait d'assurer le retour direct de ces recettes à l'administration centrale ou locale des zones protégées sans qu'elles se diluent dans la comptabilité générale de l'Etat Dans certains systèmes provinciaux de zones protégées - par exemple ceux de Chubut et de Mendoza -, des sommes importantes provenant des revenus du tourisme reviennent à l'administration des zones protégées.

Évaluation et perspectives

Nous avons parcouru de vastes régions très diverses appartenant à un pays qui, il y a encore 20 ou 30 ans, imaginait qu'elles représentaient une source inépuisable de ressources naturelles. Un simple indice en est le malheureux 1 pour cent du territoire qui avait été déclaré protégé jusqu'en 1970 et, 20 ans plus tard, après une prise de conscience de la situation réelle, le chiffre actuel de 4,7 pour cent, insuffisant mais satisfaisant en quantité s'il l'est beaucoup moins en qualité. Venons-en maintenant aux conclusions que nous pouvons tirer de notre analyse et aux perspectives qui se dessinent pour l'avenir.

Dans les pays d'Amérique latine, où l'exploitation des ressources naturelles a ressemblé à un pillage par des conquérants, comme cela le fut dans une grande mesure à l'époque du colonialisme, le conservatisme actuel s'est développé avec la méfiance et le refus de tout ce qui était exploitation de la nature. La réaction des «productivistes», qui virent dans la délimitation des réserves une confiscation de sources de revenus, n'a pas été moins forte. Aussi, le dialogue et la conjugaison d'efforts entre des pôles opposés mais qui ne sont pas hostiles au développement durable impliquent un processus de rapprochement lent et pénible. C'est pourquoi «la sage utilisation de la nature» est un concept qui n'a guère eu de succès dans le monde, non plus qu'en Amérique latine (Wells et Brandon, 1993) et moins encore en Argentine, comme le montre notre analyse: si l'extension et la proportion de zones protégées non exclusives sont considérables, jusqu'ici les améliorations de l'utilisation des ressources ont été minimes.

Etant donné les conditions écologiques et socio-économiques qui prévalent en Argentine (vastes étendues à très faible capacité de subsistance de l'homme), les technologies d'utilisation durable des ressources naturelles, extensives et à faible intensité d'intrants - sylviculture des forêts naturelles, élevage extensif, aménagement de la faune sylvestre, écotourisme, et combinaisons viables de ces diverses ressources - devraient être largement diffusées et valorisées sur le plan socio-économique, mais c'est loin d'être encore le cas.

L'intégration intelligente entre la conservation de la vie sylvestre et la mise en valeur de ses attraits en tant que ressource touristique constitue une solution d'utilisation des terres qui devient très importante en Amérique latine, avec la croissance dynamique de l'écotourisme et de ses variantes dans le monde entier. Un bon exemple en est donné par des pays comme le Brésil, le Costa Rica, l'Equateur et le Guatemala. Conduite par les autorités locales avec une juste conscience des aspects écologiques et sociaux, cette politique peut engendrer toute une variété de sources d'emploi pour la population rurale des régions périphériques.

L'écotourisme peut aussi aider à compenser pour la population locale les restrictions imposées à la chasse, les interdictions de déboisement et d'autres utilisations des ressources jugées incompatibles avec la création, par exemple, d'un parc national. Il faut cependant noter que cette compensation n'est pas automatique; des efforts doivent être faits dans le domaine de la vulgarisation rurale, et il faut offrir aux populations locales des incitations jusqu'à ce que les activités touristiques commencent à produire des revenus.

Le développement d'options d'utilisation de terres jusqu'ici sous-employées contribuera à réduire sensiblement les coûts d'opportunité qu'implique l'entretien des zones protégées. En même temps, le recours à une analyse coûts/avantages en tant qu'outil pour l'affectation des ressources dans les zones protégées donnera aux chiffres la transparence nécessaire pour permettre de déterminer comment couvrir les coûts de certaines activités à l'aide des excédents financiers produits par d'autres.

Les concepts de conservation (non pas tant à propos de la diversité qu'à propos du potentiel productif des ressources naturelles en vue d'en obtenir des rendements durables) étaient considérés dans les milieux des sciences agronomiques et forestières comme des avancées. C'est dans cette optique qu'ont été créées des zones protégées sous forme de stations expérimentales, en particulier pour la gestion des ressources forestières et fourragères. Ces expériences ont cependant été réalisées à trop petite échelle et sans la continuité voulue. D'autre part, les stations expérimentales ne s'occupaient presque jamais de l'utilisation des ressources, sauf dans les réserves nationales australes évoquées plus haut.

Le résultat est que des expériences de grand mérite individuel ou institutionnel ont été et continuent d'être engagées ici ou là, mais que leur manque de continuité et leur isolement ne permettent pas l'accumulation de connaissances technologiques en matière d'aménagement des ressources naturelles (en particulier forestières), qui pourrait se traduire par une option valable de développement durable pour l'ensemble de la région. On assiste au contraire à de fortes pressions pour remplacer par des espèces introduites les ressources naturelles dont on ne connaît pas encore le potentiel de rendement dans le cadre d'une gestion soutenue, et encore moins le potentiel de réponse à des techniques d'amélioration (Burkart, 1993).

Les catégories actuelles de zones protégées non exclusives - c'est-à-dire de parcelles de terre clôturées qui bénéficient d'instruments juridiques et administratifs mieux définis que le reste du territoire sont utiles comme laboratoires, afin de tester non seulement les technologies convenant à une utilisation judicieuse des ressources naturelles, mais aussi des méthodes de cogestion interinstitutionnelle visant à conjuguer des fonctions et des objectifs qui, dans le passé, ont pu être parallèles ou opposés, mais qui dans le contexte du développement durable doivent converger.

Bibliographie

APN. 1991. El sistema nacional de áreas naturales protegidas de la República Argentina. Diagnóstico de su desarrollo institucional y patrimonio natural. Buenos Aires, National Parks Administration.

Burkart, R. 1993. Nuestros bosques norteños: desvaloración y deterioro. Realidad Económica, 114/115: 54-73.

Bustillo, E. 1968. El despertar de Bariloche. Buenos Aires, Editorial Pardo.

Di Pace, M. éd. 1992. Las utopías del medio ambiente. Desarrollo sustentable en la Argentina. Buenos Aires, Centro Editor de América Latina.

FAO. 1988. Potencialidades del desarrollo agrícola y rural en América Latina y el Caribe. Anexo IV - Recursos naturales y medio ambiente. Roma.

García Fernández, J.J. & Tecchi, R., éds. 1991. La Reserva de biosfera Laguna de los Pozuelos: un ecosistema pastoril en los Andes Centrales. Montevideo, Uruguay, Unesco/ORCIT-A.L.

Osidala, N., Romero, R. & Corvalán, C. 1992. Parque Nacional Lanín: manejo de los recursos naturales con pobladores. En S. Amend. y T. Amend. éds. ¿Espacios sin habitantes? Parques Nacionales de América del Sur. Caracas, Editorial Nueva Sociedad - Gland, Suisse, UICN.

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Wells, M.P. & K.E. Brandon, 1993. The principles and practice of buffer zones and local participation in biodiversity conservation. Ambio, 22(2-3): 157-162.


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