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Apport économique de la foresterie à un développement durable

M. Simula

Markku Simula est professeur associé en économie sylvicole à l'Université d'Helsinki.

Cet article est une adaptation du mémoire général présenté au XIe Congrès forestier mondial, «Contribution économique de la foresterie au développement durable».

Eucalyptus arrivé à maturité en Ouganda. Les forêts et les arbres doivent être évalués correctement pour un développement durable

Macroéconomie et foresterie

La contribution sectorielle des forêts peut être évaluée avec des indicateurs traditionnels tels que la part du produit intérieur brut (PIB), l'impact sur la balance des paiements ou le revenu des exportations. la production industrielle, et la création d'emplois et de revenus. Ainsi qu'il en est souvent fait mention, les systèmes de comptabilité usuels. particulièrement dans les pays en développement, ont tendance à ignorer une part importante de cette contribution sectorielle au PIB et des indicateurs qui y sont rattachés: de même, les variations des stocks physiques ne sont pas enregistrées (Gregersen et al., 1997: Poschen, 1997). Lorsqu'il s'agit de prendre les décisions politiques relatives aux allocations de financement, cela a pour conséquence de minimiser la contribution de la foresterie au développement.

Un effort substantiel a été réalisé pour estimer les liens en amont et en aval des industries forestières. afin de compléter la quantification de l'impact sectoriel sur l'économie nationale ou régionale. Cependant, l'analyse hirshmanienne traditionnelle ne suffit pas à rendre compte de manière satisfaisante de l'impact dû à la consommation finale et aux revenus additionnels ainsi générés. Haltia (1994) a prouvé que ces effets pouvaient être importants, tout en remarquant que. à des fins stratégiques. cette analyse devrait aussi prendre en considération l'efficacité et les avantages comparés.

En plus de la quantification des effets multiplicateurs, il serait souhaitable de connaître les mécanismes de liaison. L'analyse en grappes (Porter. 1990), qui identifie ces mécanismes un outil précieux qui donne des indications précises pour les décisions politiques. L'exemple de la Finlande est tout à fait indiqué ici, puisque seule une analyse en grappes a su révéler l'ampleur de l'importance stratégique du secteur forestier pour le développement national, en tenant compte non seulement des fournitures d'intrants intermédiaires, mais aussi de la technologie et des autres retombées. Les politiques promouvant la foresterie et les industries forestières doivent aussi envisager quelles options de développement offrent les différentes activités économiques de soutien (technologies de base et technologies auxiliaires, savoir-faire logistique, etc.). aussi bien du point de vue de leur propre apport qu'en tant qu'instruments d'amélioration de la compétitivité du secteur forestier.

La croissance économique peut avoir deux origines: la croissance extensive à travers l'utilisation étendue des ressources et la croissance intensive à travers une utilisation plus efficace des ressources. Plus le niveau de développement est élevé, plus la part de croissance totale générée par cette augmentation de la productivité est importante. Il est probable que les stratégies de développement élaborées dans le passé pour le secteur forestier étaient déviées vers la croissance extensive.

La productivité a fait l'objet de beaucoup d'attention. en tant qu'objectif visant à optimiser la quantité physique de bois d'œuvre à l'hectare, ou la consommation unitaire des facteurs de production tels que les matières premières ou la main-d'œuvre. A ce jour, de nombreuses recherches ont été effectuées sur la productivité des industries forestières (par exemple CEE/FAO, 1993), mais c'est un thème qui a été négligé en matière de sylviculture, où de nombreux problèmes méthodologiques, dus au décalage dans le temps entre l'apport des intrants et les résultats de la production, attendent d'être résolus (Castrén et Simula, 1995).

Il est indispensable de se pencher sur certains des liens existant entre macroéconomie et environnement. La macroéconomie influence la foresterie de différentes façons. Tout d'abord, la stabilité macroéconomique crée les conditions nécessaires à la conservation de la forêt. L'instabilité est typiquement caractérisée par des taux d'inflation élevés, des déficits fiscaux importants, des taux de change fluctuants, une croissance économique lente ou négative et un fort taux de chômage. Ces caractéristiques tendent à empêcher les investissements en foresterie (notamment parce que celle-ci implique de longs délais entre investissements et production), et peuvent constituer une incitation perverse à exploiter de façon excessive et sauvage les ressources forestières. En second lieu, la dégradation des forêts est due avant tout aux défaillances du marché et de la politique (Repetto, 1990). Les défaillances du marché apparaissent lorsqu'il n'y a pas de mécanisme formel intégrant les coûts sociaux et écologiques dans les prises de décisions du privé tandis que les défaillances politiques proviennent du fait que les gouvernements ne sont pas capables de faire payer un loyer convenable pour l'exploitation des forêts, qui en refléterait la réelle importance sociale. Ces problèmes devraient donc être abordés dans un cadre politique favorable et traités par des politiques sectorielles.

A long terme, les pratiques de foresterie non durable ont un impact négatif sur la macroéconomie. Les effets de la dégradation des ressources forestières, de l'érosion du sol, ou de l'interruption des captages d'eau, sont progressifs et se répartissent sur de vastes zones. En conséquence, ils ont tendance à être ignorés au niveau des prises de décisions macroéconomiques. Les politiques macroéconomiques manquent souvent d'une vision à long terme et s'attachent à résoudre les problèmes urgents sur le court terme. On lorsque ce type d'approche se prolonge, cela peut déboucher sur une situation où les conditions biophysiques ne sont plus suffisantes pour permettre un développement durable.

L'incidence écologique des politiques macroéconomiques, en particulier des programmes d'ajustement structurel, a donné lieu à de nombreux débats. Comme il a été mentionné ci-dessus, bien que la stabilité macroéconomique soit une condition préalable indispensable aux investissements forestiers, des avis se sont exprimés sur la contribution potentielle de ces programmes, par manque de garde-fous adaptés, pour lutter contre la déforestation et l'exploitation excessive des ressources forestières. En effet, une libéralisation du marché qui ne serait pas accompagnée par une correction du marché sectoriel, conjuguée aux carences politiques, risquerait de conduire à une gestion et à des pratiques d'exploitation quasiment indifférentes à l'impact provoqué sur l'environnement.

A part quelques exceptions notables, il s'est révélé difficile - voire impossible dans les pays en développement - d'imposer des contraintes environnementales aux politiques macroéconomiques. Along terme cela changera, mais une approche progressive pourrait être mise en place dans un premier temps, afin de mesurer l'impact négatif des politiques macroéconomiques sur l'environnement et les ressources naturelles, grâce à des indicateurs appropriés intégrant la notion de durabilité. Cela implique une révision des procédures comptables et une évaluation économique des ressources non commercialisées (Pearce et Hamilton, 1995).

Seule la compréhension totale des liens existants entre la macroéconomie et la foresterie peut laisser espérer que les problèmes sectoriels seront effectivement pris en compte au plus haut niveau des décisions politiques. Il faut donc approfondir les recherches dans ce domaine qui, d'un côté, est typiquement en marge de l'économie générale et, de l'autre, déborde les limites de l'économie forestière traditionnelle cantonnée aux seuls problèmes sectoriels.

L'emploi généré grâce aux forêts

Les catégories d'emploi dépendant des forêts sont diverses, mais on n'en recense habituellement qu'une partie (Poschen, 1997). De nouveaux services dans le secteur forestier, par exemple le tourisme, offrent des sources d'emplois forestiers, même si les activités productives traditionnelles continuent à en fournir la majeure partie.

En foresterie et dans les industries forestières, le développement technologique a conduit, grâce aux progrès de la mécanisation et de l'automatisation, à réduire la main-d'œuvre. Une croissance rapide de la productivité du travail a provoqué une diminution de l'emploi, dans la mesure où la productivité a augmenté plus vite que le volume de la production. Cette situation, que beaucoup de pays connaissent met en lumière les difficultés réelles de l'application pratique du concept de durabilité: l'emploi sectoriel doit être «sacrifié» au profit d'une production durable qui doit être compétitive. Dans la mise en pratique de la durabilité, le problème des compromis ne se limite pas à des évaluations comparatives entre les secteurs économique, social et environnemental, mais il concerne aussi chaque secteur en particulier. Il y a des limites évidentes à l'établissement des objectifs liés à l'emploi.

Lorsqu'il est question d'investissements majeurs dans le secteur «vert», tels que des usines de pâte et de papier, une attention particulière doit être accordée au choix des technologies et des niveaux de salaire. L'expérience a montré que le fait d'introduire dans une région des niveaux de salaire bien plus importants que les niveaux habituels pour attirer la main-d'œuvre peut aussi avoir des retombées parfaitement négatives. Des niveaux de salaire artificiellement gonflés encouragent l'introduction trop rapide de systèmes de récolte mécanisés, ce qui se traduit finalement par une diminution de la main-d'œuvre. Si les augmentations des niveaux de salaire se diffusent rapidement au sein d'une région, cette situation crée une pression sur les autres organisations qui offrent des emplois similaires.

Grumes de pin et de cèdre d'Afghanistan. La demande de produits forestiers continuera de croître

Reconnaître que le personnel constitue la ressource la plus importante d'une organisation implique qu'il ne peut pas y avoir de brusques réductions des effectifs. ou alors qu'elles doivent s'accompagner de mesures de création d'emplois alternatifs à l'intérieur ou à l'extérieur de l'organisation.

Évaluation des forêts

L'aspect de la sous-évaluation des biens, des services et des autres attributs liés à la foresterie (y compris les avantages hors marché), a été identifié comme l'une des contraintes clés pour une gestion forestière durable (IPF, 1997). En effet, l'évaluation pratiquée en permanence au niveau de la prise de décisions sur la gestion des forêts reste en grande partie implicite. obscure et déformée.

Cet artisan indien est formé à des techniques de sciage plus efficaces. La durabilité est étroitement lise à la valorisation des ressources humaines

Or. la théorie des valeurs liées à la nature et aux ressources naturelles est riche et il faut en reconnaître pleinement toute la portée. En premier lieu. les décisions concernant l'utilisation des ressources naturelles sont politiques, car elles impliquent, avant toute optimisation (par exemple en termes économiques), un jugement entre différentes valeurs. Les systèmes de valeur tiennent compte de la distinction entre la valeur intrinsèque, c'est-à-dire ce que chaque aspect vaut en lui-même (par exemple la nature. les espèces), et la valeur instrumentale. c'est-à-dire l'utilité de ces objets pour d autres usages (par exemple le bien-être économique) (Norton. 1987). Tant que la diversité biologique est utile à l'homme, sa conservation en est aisément défendable. mais la question fondamentale est de savoir si en dehors de l'Homo sapiens, les autres espèces ont une valeur intrinsèque. Cette question philosophique sort évidemment du cadre de la gestion forestière, dont les standards sont pourtant conditionnés par la réponse que l'on donne.

Relativement aux valeurs instrumentales. un objet a une «valeur de demande» s'il peut satisfaire une préférence exprimée, sa valeur dépendant de l'intensité de cette préférence. Par opposition à la valeur de demande, un objet a une «valeur de transformation» s'il peut donner l'occasion de remettre en question ou de modifier une préférence exprimée, plutôt que de simplement la satisfaire. Les valeurs de transformation découlent du fait que certaines préférences ont plus d'importance que d'autres et que les valeurs et les préférences de chacun peuvent être modifiées par l'expérience (Norton, 1987).

Les écologistes «purs» se fondent sur les valeurs intrinsèques pour légitimer leur non-anthropocentrisme (Ferry, 1992). Cependant, les débats philosophiques qui sous-tendent la question du «droit des arbres» ne font pas l'objet de ce document. Quoi qu'il en soit. il faut retenir que la nature n'est pas dénuée de valeur et que nous avons des devoirs à son égard, quand bien même elle ne serait pas sujet légal.

La nature dynamique des valeurs doit être reconnue. Dans les sociétés à bas revenus. qui visent à la modernisation. les aspects économiques sont privilégiés mais, avec l'augmentation des revenus, les aspects sociaux, culturels, écologiques et autres, reprennent graduellement tout leur poids.

En foresterie, les méthodes d'évaluation ont bénéficié d'un effort de recherche considérable depuis qu'elles ont été identifiées comme une lacune clé dans la prise de décisions (par exemple IPF, 1997). Or ce travail s'est presque exclusivement concentré sur l'identification des différentes valeurs de demande, en termes économiques (par exemple FAO, 1995; FAO, 1997). L'un des objectifs principaux de cet effort d'évaluation est de faciliter les décisions, en collectant les valeurs de demande susceptibles de servir de signaux pour les agents économiques (propriétaires et gestionnaires forestiers, industries, etc.). Ainsi, comme le font remarquer Gregersen et ses collaborateurs (1997), on applique généralement trois mesures de valeur économique (prix du marché, prix du marché des substituts, et mesures de valeur hypothétique), mais il n'apparaît pas encore clairement jusqu'à quel point ces informations - qui sont souvent le fruit de longues et coûteuses études - sont effectivement utilisées. Une limitation évidente en est que ces valeurs ne sont pas reconnues si les bénéfices correspondants ne sont pas réalisés, c'est-à-dire que les compromis ne se font pas s'ils ne sont pas «négociables». Or l'estimation de la valeur n'est que le premier pas. qui doit impérativement être suivi de mécanismes d'intégration de l'in formation dans les politiques et dans les décisions de gestion. Kengen (cité dans FAO, 1997) remarque que les doutes qui entourent la crédibilité des estimations constituent l'une des raisons majeures de l'utilisation insuffisante des informations inhérentes à ces valeurs. C'est là un problème à rattacher à la complexité des méthodologies et au manque de reconnaissance des limitations conceptuelles et méthodologiques des estimations de valeur. Cela dit. les économistes devraient admettre qu'il existe des valeurs non économiques qu'il est impossible d'exprimer en termes économiques. En conséquence, les décisions devraient toujours se fonder sur des critères multiples.

Une autre contrainte est liée à la spécification de la fonction de production de la gestion forestière. L'optimisation doit être calculée idéalement dans un contexte de bénéfices multiples. qui nécessite la connaissance de leurs avantages comparés mais aussi de leurs valeurs mesurées de la même façon. Dans les deux cas. des problèmes se posent. Les isoquants du compromis sont impossibles à définir pour toutes les productions, par manque d'informations, notamment en ce qui concerne la diversité biologique. Lorsque certains produits sont plus simples que les autres à évaluer en termes économiques, ils prennent facilement une importance démesurée dans l'analyse de la décision.

Une approche pragmatique pourrait consister: i) à évaluer en termes économiques les avantages et les coûts des produits pouvant être convertis en unités monétaires; ii) à établir des valeurs seuils minimales alternatives pour les autres produits; iii) à étudier les conséquences économiques résultant de l'application de ces valeurs seuils comme contraintes dans la gestion; et iv) à faire une estimation comparée des différentes options dans le respect scrupuleux du principe de précaution. Par conséquent, une analyse d'impact appropriée incluant les aspects économiques, sociaux et écologiques suffirait certainement aux décideurs pour faire leur choix sur les options de développement.

En conclusion, la priorité doit être accordée à l'utilisation des informations données par les méthodes existantes sur la valeur des forêts, en insistant particulièrement sur la façon dont ces valeurs peuvent peser sur les prises de décisions à différents nivaux. En outre, il est indispensable de développer des guides d'utilisation des valeurs non économiques. L'IPF (1997) a plaidé pour de nouvelles méthodes d'évaluation qui prendraient en compte les critères suivants: la neutralité et la validation scientifique, l'applicabilité pratique, la simplicité et la clarté, la multidisciplinarité, l'efficacité des coûts et l'orientation vers des biens et services généralement non commercialisables.

Politiques économiques nationales et gestion forestière durable

Les instruments de politique économique qui influencent la foresterie sont nombreux, allant du niveau macroéconomique au niveau sectoriel. Cette section est centrée sur les politiques qui influencent directement la gestion forestière, tout en sachant que ces politiques resteront lettre morte tant qu'elles n'auront pas un cadre approprié politique, macroéconomique ou plus largement sectoriel, cadre qui établira les conditions préalables indispensables à l'efficacité d'une politique forestière.

Limites des politiques nationales

On a tendance à juger les politiques dans un contexte soit national soit international. Pourtant, elles se répercutent aussi sur les communautés locales, en influençant le comportement des entreprises et des producteurs individuels. Comme l'illustre la matrice des objectifs possibles, les objectifs ne coïncident pas toujours à ces quatre niveaux. Les politiques ont pour but d'influencer les agents économiques, afin que leur comportement permette la réalisation des objectifs sectoriels au niveau national. Toutefois. aux conflits d'intérêts entre les secteurs public et privé, ou entre les impacts à long et à court termes, il faut en ajouter plusieurs autres. Lorsque le secteur privé doit faire des sacrifices, les communautés locales sont également affectées. De même, les priorités concernant la conservation de l'environnement peuvent avoir des divergences entre niveau national et niveau local. Il manque des indications claires sur la façon de traiter de telles situations, où les intérêts locaux et nationaux, privés et publics, diffèrent largement les uns des autres.

Emplois forestiers: jeunes gens dans un atelier de charpenterie à Olagankanda (Sri Lanka)

Matrice des objectifs possibles (exemples)

NIVEAU DE DÉCISION

COURT TERME

LONG TERME

Entreprise
· Foresterie
· Industrie forestière

Rentabilité
Liquidité

Fourniture durable de matière première
Compétitivité

Communautés locales
· Propriétaires, fermiers
· Employeurs
· Entrepreneurs
Autres

Emploi local et revenu Revenu fiscal

Développement communautaire Disparition risque lié au chômage et production de revenus
Maintien des valeurs et des droits culturels et traditionnels
Conservation de l'environnement

Nation

Stabilité macrocconomique Prévention de la pollution

Développement durable
· économique
· social
· environnemental

Communauté mondiale

Paix
Alimentation

Conservation de l'environnement et des ressources mondiales

L'une des méthodes pragmatiques les plus efficaces pour parvenir à un compromis entre des objectifs contradictoires est probablement la mise en place de processus participatifs visant à développer la cohérence des objectifs des différentes parties intéressées. Les programmes nationaux forestiers (FAO, 1996), ainsi que des approches similaires de planification de l'utilisation des terres au niveau local, sont des instruments précieux pour la résolution de ce problème majeur.

Privatisation des forêts et de la gestion forestière

C'est une opinion largement répandue que les gouvernements des pays en développement, en raison de leur faiblesse structurelle intrinsèque, se révèlent généralement des gestionnaires médiocres de l'exploitation des forêts. En revanche, dans les pays développés, la gestion gouvernementale peut éventuellement accomplir un bon travail, mais au prix fort. Dans les pays en transition, la privatisation est subordonnée à la mutation du système politique et à la restitution des anciens droits de propriété. Dans les pays en développement, le passage à l'économie de marché a souvent été piloté par des programmes d'ajustement structural. Ces développements ont débouché sur la conclusion que le secteur public devrait avant tout s'attacher à réglementer et à faciliter l'action des secteurs non gouvernementaux (Oksanen, Salmi et Simula, 1994). La question de savoir jusqu'où aller dans cette direction reste toutefois sans réponse.

Quant à la gestion forestière, elle fait l'objet à présent d'un nombre croissant de pressions explicites sur les objectifs écologiques et sociaux. Parallèlement, les administrations publiques ont vu fondre les ressources qui leur étaient allouées pour gérer ce secteur à un niveau plus élevé. En conséquence, l'intervention directe du secteur public a donné naissance à des outils politiques visant à façonner le comportement du secteur privé. Dans la pratique, les contraintes environnementales croissantes pesant sur la foresterie signifient qu'on attend des propriétaires forestiers privés qu'ils produisent plus de biens publics que par le passé.

Dans les pays en transition, l'expérience du processus de privatisation a révélé toute sa complexité lorsqu'il faut établir, à partir de rien, un cadre institutionnel, de nouvelles capacités et une nouvelle culture économique (Csóka, 1997).

Certains gouvernements, qui reconnaissent leur faiblesse en tant que gestionnaires forestiers, également à cause des contraintes budgétaires, ont créé des partenariats avec les communautés locales. ce qui a généré des résultats prometteurs et des bénéfices partagés pour les uns et les autres (Lynch et Talbott, 1995). Dans beaucoup de cas, ces arrangements sont la seule voie possible vers des systèmes de gestion forestière durable.

Attribution des concessions et évaluation économique des forêts

Dans de nombreux pays, l'attribution des droits liés aux forêts incombe au gouvernement, et des intérêts commerciaux à grande échelle tendent à peser sur les prises de décisions en dehors des zones occupées par les communautés locales ou qui leur sont réservées. On estime que 90 pour cent du bois industriel sont exploités sous accord de concession, dans le cadre duquel le gouvernement, propriétaire de la ressource forestière, accorde le droit d'exploiter et de gérer une zone spécifique (Douglas et Magrath, 1996). Il est de première importance que ces concessions soient allouées par le biais de procédures et dans des termes capables à la fois de promouvoir une gestion forestière durable et d'assurer une contribution économique au développement global durable.

Des adjudications de concessions à long terme et transférables. accompagnées des garanties indispensables (contrôles, obligations de résultats, etc.), ont été proposées en raison de leur transparence pour: i) percevoir une part plus importante du loyer économique des forêts; ii) éliminer les irrégularités dans les procédures d'attribution et iii) établir les conditions préalables à une gestion forestière durable. En pratique, cela sous-entend la mise en place d'un marché des adjudications, la mise à disposition d'une information appropriée sur les ressources et la capacité institutionnelle de gestion du système. Mais l'expérience ayant prouvé que seul un nombre très faible de pays en développement réunissent ces conditions de départ, il faut poursuivre les autres options, telles que les procédures de régulation.

Par le passé, les analyses et les orientations politiques concernant les droits de concession et l'évaluation économique des ressources n'ont pas suffisamment tenu compte des aspects structurels de la demande de bois sur pied sur le marché, ni des conséquences socioéconomiques des politiques proposées. sans doute pour rendre celles-ci plus attractives aux gouvernements.

Dans l'optique d'une gestion forestière durable, une meilleure perception du loyer des forêts n'est pas suffisante, puisque des mécanismes devraient être établis pour générer des ressources suffisantes à la sylviculture. Dans l'optique industrielle, les gouvernements n'ont peut-être pas suffisamment mesuré le risque lié au fait que les investissements dans la foresterie tropicale étaient exclusivement supportés par le secteur privé. Afin de pouvoir ajuster les prix administratifs des ressources, les gouvernements ont insisté sur la transparence complète des informations financières provenant de l'industrie. Or, compte tenu de l'intégration financière de la filière commerciale et industrielle, il est à prévoir que ce problème sera plus aisément résolu à travers un suivi des marchés mondiaux et par des études spécialisées, plutôt qu'en insistant sur la seule «ouverture des livres comptables».

Industrialisation liée aux forêts

Augmentation des besoins en matériau

Le débat international qui s'est focalisé sur les problèmes d'environnement a sous-estimé le rôle que tient la forêt pour satisfaire les besoins en matériau. La consommation des produits forestiers. perçue comme une cause de destruction des ressources, est la cible de nombreuses attaques. Des secteurs concurrents proposent leurs produits comme des substituts ne nécessitant plus la coupe d'arbres. On tout cela se fait sans qu'on sache vraiment si ces modifications des schémas de consommation contribuent en bien ou en mal au développement durable. Le dilemme est d'importance, car c'est le marché qui crée la valeur des produits forestiers et fournit la justification directe de la conservation des ressources. On considère traditionnellement que les marchés ont été créés par les gestionnaires forestiers, qui ont ainsi outrepassé leur sphère d'influence. C'est un point de vue qui doit cependant être révisé, comme le font remarquer Juslin et Lintu (1997). Quant au rôle du marché dans son apport à une gestion forestière durable. il offre des possibilités encore inexplorées.

Transport de grumes du dépôt de bois à la scierie (Zimbabwe)

L'étude exhaustive de Brooks (1997), faite à partir de documents prospectifs, montre que la demande de produits forestiers va continuer de croître, mais à un rythme plus lent que par le passé et avec de plus en plus d'incertitudes quant à l'importance future des forces motrices du marché. Parallèlement, la composition de la demande mondiale par produit et par zone géographique va se modifier, en partie à cause de la croissance économique, notamment en Asie, et en partie à cause des développements technologiques.

Les forêts mondiales seront biologiquement capables de fournir la quantité et le type de bois nécessaires dans le futur, mais une gestion efficace est indispensable pour assurer la disponibilité des biens et des services issus des forêts (Solberg, 1996). En dépit de ce scénario, qui ne laisse pas prévoir de crise mondiale en matière de fourniture de bois, beaucoup de zones continueront à souffrir de pénuries ou de déficits. leur bas niveau de pouvoir d'achat leur interdisant tout achat de substitut. Cette situation tend à contribuer à la poursuite de la destruction des ressources forestières résiduelles dans ces régions.

Mondialisation et durabilité

Dans le secteur de la foresterie, la «mondialisation» n'est pas uniquement rattachée à la dépendance au commerce et aux contraintes d'approvisionnement locales, dans la mesure où elle est aussi entraînée par la libéralisation des marchés de capitaux et par les modifications des modèles de propriété dans les industries forestières. La commercialisation des technologies et l'accélération des progrès techniques et de leur diffusion constituent également des facteurs importants à prendre en compte. Les flux de capitaux internationaux recherchent la rentabilité à court terme la plus élevée possible. La performance financière est récompensée par l'accès à de nouveaux financements à des conditions intéressantes. tandis que les autres critères, comme l'impact écologique ou social, ne sont pris en compte que dans le contexte du respect des réglementations gouvernementales et dans celui des analyses de risque (par exemple. publicité négative ou instabilité sociale). Les marchés de capitaux internationaux commencent à reconnaître le potentiel et les caractéristiques spécifiques des investissements forestiers. perçus comme des opportunités à long terme et à relativement bas risque. avec des rentabilités positives réelles et susceptibles de compléter un portefeuille d'actions traditionnel. Toutefois il est indispensable d'instruire les marchés de capitaux internationaux sur les exigences spécifiques de la foresterie durable. et il faudra créer de nouveaux instruments de financement si l'on veut diminuer le risque mondial des investissements liés aux systèmes durables de gestion forestière (Crossley et al., 1996).

Les modifications des modèles de propriété se caractérisent par une concentration accrue à travers des fusions et des acquisitions dans l'industrie de la pâte et du papier, et par une extension des compagnies asiatiques jusqu'en Afrique et en Amérique latine pour l'exploitation et la transformation mécanique du bois. En outre, de nouveaux groupes papetiers, puissants et extrêmement compétitifs grâce à des coûts de production bas, émergent en Asie. Enfin, les contraintes locales en matière d'approvisionnement en bois ne laissent pas à l'industrie d'autre choix que de s'étendre ailleurs, ce que l'on peut observer à la fois dans les corporations européennes, nord-américaines ou japonaises Répondre aux futures demandes en produits forestiers de la Chine, de l'Inde et des autres pays asiatiques importateurs nets constitue à moyen terme, la force dynamique principale de l'industrie.

La mondialisation est à la fois une opportunité et un défi pour le secteur forestier. Théoriquement, elle offre des gains d'efficacité permettant à l'industrie de mieux assurer ses responsabilités écologiques et sociales. La croissance économique et l augmentation des revenus devraient aussi aider les pays à protéger leurs ressources naturelles en y accordant davantage d'attention que par le passé. L'accès facile aux marchés mondiaux va également conduire l'industrie à maximiser les profits liés à l'économie d'échelle. ce qui signifie moins d'unités de production mais une plus grande vulnérabilité aux perturbations externes.

Ce processus de mondialisation nécessite une harmonisation croissante des politiques de gestion des forêts. Cela va aussi dans le sens de l'intérêt à long terme des compagnies industrielles responsables opérant dans le monde entier. Il est intéressant d'observer que ce sont les industries ayant une perspective de maximisation des profits à court terme qui ont créé le lobby le plus puissant contre la création d'un cadre de réglementation international en faveur d'une gestion forestière durable. La mise en œuvre de systèmes de qualité et de gestion de l'environnement (Normes ISO 9000 et 14000) constitue un premier pas vers des systèmes de gestion améliorés. même s'il faudra prévoir en parallèle un cadre commun pour les performances écologiques de la foresterie et de l'industrie forestière.

Compétitivité

Dans le cadre de la production de biens. la dotation en ressources et la compétitivité des coûts sont traditionnellement les facteurs décisifs du choix des lieux d'implantation des unités de production. Lorsqu'on compare les alternatives en vue d'un investissement international, on applique habituellement une analyse statique. Or, il est clair que c'est une approche inadéquate, car elle néglige des facteurs dynamiques tels que le potentiel de croissance de la productivité et l'évolution future du prix des facteurs de production locaux (notamment le bois sur pied et la main-d'œuvre).

Les objectifs macroéconomiques tiennent généralement compte du PIB et de l'emploi, ce qui a conduit les gouvernements à encourager la transformation du bois plutôt que l'exportation de rondins ou de sciages grossièrement coupés. Par ailleurs, plus le degré de transformation
est important, moins l'industrie est dépendante de la matière première locale. Les exemples de l'Italie du Danemark nous ont prouvé que l'excellence en matière de design, jointe à la productivité et aux performances commerciales, a plus d importance que les faibles coûts de la main-d'œuvre ou que la disponibilité locale des matières premières. Une stratégie, basée exclusivement sur la main-d'œuvre à bon marché ou sur la matière première nationale, a donc peu de chances de tenir la route sur le long terme.

Comme le remarque Hamilton (1997), le développement technologique va devoir affronter de nombreux défis. L'un des problèmes clés à envisager est comment rendre les petites et moyennes entreprises (PME) - par ailleurs souhaitables sur le plan socioéconomique - plus compétitives. Beaucoup de facteurs économiques et d'actuels développements technologiques semblent privilégier plutôt la production à grande échelle. Or, avant que les PME ne puissent prendre part au développement industriel porteur, ce sont autant les conditions macroéconomiques que microéconomiques qui devront être favorables.

L'intégration économique mondiale allant croissant, la productivité et l'efficacité deviendront sur le long terme les éléments fondamentaux de la compétitivité dans les industries lices aux forêts. Les coûts peu élevés, qui résultent essentiellement d'une politique de bas salaires, n'offriront plus qu'un avantage temporaire. Les industries forestières gagnantes seront celles qui. au lieu de se laisser diriger par les coûts, maîtriseront l'ensemble de leurs activités, de leur concept commercial et de leur unicité.

Apports du commerce à une gestion forestière durable

Liens entre forêts, environnement et politiques commerciales

Le commerce exerce sur l'environnement une influence directe et indirecte. D'autre part. les politiques et les réglementations environnementales influencent la compétitivité des producteurs individuels, affectant ainsi les flux commerciaux. La théorie des avantages comparés est donc étendue pour englober les aspects environnementaux. Le commerce a également été pressenti comme un agent éventuellement susceptible de contribuer aux systèmes durables de gestion des ressources naturelles. D'autre part, la libéralisation du commerce et les réformes des politiques macroéconomiques ont conduit à une extension des exportations des pays en développement. surtout en ce qui concerne les biens. On n'a pas encore entièrement évalué l'incidence écologique de ces politiques sur les ressources naturelles, mais on devra aussi s'attendre à observer des résultats négatifs.

Pour évaluer les instruments politiques liés au commerce, il faut se pencher sur trois aspects: i) l'efficacité pour atteindre leurs objectifs spécifiques, en se demandant notamment si la mise en place de mesures particulières est suffisante pour y parvenir; ii) un compromis entre les effets sur l'environnement et les effets sur le développement; et iii) l'efficience. Ces éléments. qui caractérisent l'analyse d'une politique, tendent à être négligés au profit d'un instrument particulier (par exemple. interdiction d'exportation des grumes. certification de gestion forestière). Les incidences écologiques des politiques étant généralement moins connues que leurs impacts sur le développement, les évaluations subjectives sont courantes. Quand on définit des politiques commerciales en fonction d'objectifs environnementaux, il faut garder à l'esprit qu'une intervention de type commercial n'est pas l'approche la plus utile ni la plus efficace aux problèmes de l'environnement (Brooks, 1997).

Politiques commerciales sectorielles

Les interdictions d'exportation des grumes ou des restrictions d'autres natures (quotas par espèce; taxation excessivement élevée à l'exportation des grumes, etc.) ont été utilisées dans beaucoup de pays producteurs, fournissant ainsi de la matière première à bas prix à l'industrie locale pour créer des emplois et ajouter de la valeur. Du côté des importateurs, la baisse des tarifs d'importation décidée lors du Cycle de l'Uruguay semble, dans une certaine mesure. compensée par la hausse des barrières non tarifaires, souvent instaurées à des fins protectionnistes (Bourke, 1995). Plus récemment, les réglementations environnementales sont même apparues comme source potentielle de nouvelles barrières non tarifaires. En outre, dans certains pays importateurs clés (Allemagne, Pays-Bas, Etats-Unis), les gouvernements locaux ont adopté des interdictions applicables au bois tropical, afin de lutter contre la déforestation dans les pays producteurs. Barbier et ses collaborateurs (1993) ont cependant démontré que ce type d'interdiction sélectif pouvait se révéler contre-productif.

Les interdictions d'exportation et les restrictions quantitatives sont nocives pour l'internalisation des incidences écologiques, en distordant la valeur économique de la ressource et de ses produits Cependant, si ces restrictions venaient à être levées de façon abrupte et sans aucune mesure d'accompagnement, il y aurait un risque que la demande croissante en bois ne conduise, à court terme. à une exploitation abusive Par exemple, Carret (1997) explique que si, comme le propose la Banque mondiale, on levait l'interdiction d'exportation des grumes en Afrique, i) le revenu fiscal s'effondrerait, ii) les petites entreprises d'exploitation seraient expulsées hors du marché et iii) les pratiques d'abattage hautement sélectives utilisées actuellement laisseraient la place à une exploitation excessive. Or, vu que les deux arguments clés avancés pour le retrait de l'interdiction de l'exportation des grumes ne tiennent pas compte de l'inefficacité de l'exploitation et de la transformation. pas plus que du faible taux de perception des loyers, c'est aux gouvernements qu'il incombe de juger si la libéralisation du commerce des grumes est politiquement réalisable, voire plus efficace que d'autres outils, pour traiter ces deux problèmes.

En conclusion, le retrait des barrières commerciales internes conduirait à générer une efficacité économique accrue, des gains environnementaux nets, et même des bénéfices destinés à être répartis Cependant, chaque cas doit être analysé séparément, non seulement au niveau de l'évaluation des impacts sur le marché et sur l'environnement, mais également dans la recherche d'une façon politiquement acceptable de mettre en œuvre les réformes politiques voulues.

Commercialisation des avantages forestiers écologiques planétaires et régionaux

La reconnaissance de la valeur environnementale mondiale des forêts offre un potentiel d'utilisation du commerce en tant qu'instrument de financement pour la conservation de cette ressource. Les avantages escomptés sont principalement liés au stockage du carbone atmosphérique et à la conservation de la diversité biologique, mais on peut également citer, dans certains cas, les bénéfices hydrologiques de toute autre nature. Afin de compléter les mécanismes du secteur public qui gèrent les transferts de fonds internationaux au bénéfice de la conservation de l'environnement, de nouveaux arrangements ont été réalisés pour prélever des ressources aussi dans le secteur privé.

Les accords de compensation en carbone sont un instrument grâce auquel les émissions de gaz carbonique dans un pays sont échangées contre la fixation du carbone par les forêts d'un autre pays, et il peut être légalement exigé ou non. Le potentiel de ce système est énorme. tant du point de vue de l'abaissement du niveau moyen des émissions de CO, que si l'on considère la nécessité d'étendre la couverture boisée par plantation ou d'entreprendre la gestion durable des forêts existantes dans les pays en développement. Le nombre d'accords de compensation en carbone existants est encore limité, et il faudra attendre d'accumuler un peu d'expérience dans ce domaine pour en améliorer la conception en vue de son développement à l'échelle mondiale.

Les contrats internationaux sur l'utilisation commerciale de la diversité biologique est un autre instrument récent lié au commerce. Toutefois, il reste de nombreux points à éclaircir pour rendre ces accords attractifs tant pour les gouvernements locaux que pour les investisseurs étrangers, par exemple les prévisions inhérentes à la conservation de la diversité biologique à perpétuité, la durée, l'exclusivité et les limites des droits, ainsi que la répartition équitable des bénéfices entre les communautés locales.

En plus de la commercialisation des avantages écologiques planétaires. il y a aussi un potentiel et des besoins en termes d'arrangements particuliers au niveau régional ou local. particulièrement en ce qui concerne l'aménagement des bassins versants (FAO, 1995). Les approches habituelles pour les bassins versants critiques se basent généralement sur des réglementations strictes et systématiquement mal respectées. La répartition équitable des coûts et des avantages des fonctions hydrologiques des forêts est une tâche complexe, particulièrement si des impacts interpays entrent en ligne de compte. Maintes questions restent donc à résoudre avant qu'un financement allant dans ce sens ne soit accordé (Hueth, 1995).

Certification et création d'un label

La certification de la gestion forestière et la création d'un label pour les produits forestiers (C&L) sont considérées comme un instrument majeur qui, en se basant sur l'information, permettrait au commerce de contribuer à la durabilité des ressources naturelles. Cependant, l'efficacité de cet instrument pour atteindre ses objectifs essentiels, qui sont notamment d'améliorer la gestion de la forêt et d'assurer l'accès au marché, n'est pas encore prouvée. Il faut bien reconnaître que la certification ne peut permettre à elle seule d'atteindre ces objectifs (Baharuddin et Simula, 1994). Une série d'objectifs auxiliaires, dont la réalisation passe par une plus grande transparence interne et externe des opérations, peut également être rattachée à la certification. Ces objectifs peuvent être fixés au niveau sectoriel (par exemple, meilleur contrôle des opérations forestières et des modifications de l'occupation des terres, meilleure perception des charges et des taxes forestières), ou au niveau des firmes (par exemple, meilleure productivité totale, diminution des charges).

Le développement du système C&L repose sur la présomption d'une demande pour les produits des forêts gérées de façon durable. Les certitudes demeurent limitées, puisque seul un très faible volume de produits certifiés ou portant le label sont déjà commercialisés. Pour l'instant, les compagnies ont eu des difficultés à récupérer, grâce aux bénéfices du marché, les frais occasionnés par les charges de gestion supplémentaires et les charges directes liées à la certification.

Outre les aspects liés au marché, de nombreux problèmes tout aussi importants devront être résolus avant que le système C&L ne se concrétise et ne se diffuse largement (Baharuddin et Simula, 1996). En effet, sa crédibilité a déjà été mise en doute, car sa mise en place implique des évaluations fiables dans le cadre d'un processus de certification qui ne devra prêter le flanc à aucun intérêt particulier. Il faudrait parvenir à la rentabilité coûts/efficacité, et notamment à la mise au point de procédures ayant un coût raisonnable, pour assurer la certification des forêts de petits propriétaires. Il faudrait également développer des procédures faisables de vérification de la chaîne de surveillance, en tenant compte du problème spécifique posé par les matières premières mélangées. Cependant, le problème qui paraît le plus difficile à résoudre reste bien celui de l'harmonisation au niveau international.

L'harmonisation est nécessaire pour les normes de certification et les procédures. Dans le cas des normes, il y a plusieurs solutions possibles: i) une norme commune internationale applicable dans tous les pays tels les principes et critères du Conseil de gestion des forêts (FSC); ii) le développement d'une norme régionale applicable dans les pays concernés: iii) le développement de normes nationales sur la base des critères et des indicateurs régionaux de gestion forestière durable: et iv) la reconnaissance mutuelle des normes développées au niveau national. Chaque approche a ses avantages et ses inconvénients, même si aucun accord global n'est encore en vue à cause des éléments politiques qui sous-tendent les normes de gestion des forêts.

Pour l'harmonisation des procédures, il y a trois options possibles: i) la reprise du système ISO pour développer des normes et des lignes directrices de certification. le label écologique et l'accréditation des organismes de certification: ii) un organisme d'accréditation universel qui attribuerait une marque de fabrique globalement applicable. destinée à être utilisée comme label; et iii) des solutions intégrées régionales. Le débat international se concentre plutôt sur FSC et ISO. Les deux options sont potentiellement complémentaires, puisque la certification ISO 14001 ne débouche pas sur un label de produit.

Conclusions

La définition fonctionnelle de la durabilité restera toujours un choix public fondé sur une expression des valeurs (Brooks, 1997). La définition varie dans le temps, comme le font également les incidences relatives accordées aux aspects économiques, sociaux et environnementaux. En élargissant le champ de l'évaluation des forêts, on augmente la possibilité de prendre en compte les aspects sociaux et écologiques, non plus uniquement comme des contraintes, mais comme faisant partie d'une fonction objective.

Les objectifs nationaux en matière de développement et de conservation devraient être formulés à partir d'informations aussi complètes que possible. Les forestiers devraient fournir les informations nécessaires, notamment sur les possibilités et les limites des forêts dans le cadre de leur contribution à un développement durable. Toutefois, lors de la rédaction de toute recommandation, il faudra se montrer plus circonspect vis-à-vis des options «économiques» exclusivement fondées sur des critères économiques. Il s'agit d'intégrer la multidisciplinarité dans la profession forestière.

Les politiques nationales, lorsqu'elles sont appropriées. peuvent faire sérieusement avancer la mise en œuvre des conditions préalables indispensables à une gestion forestière durable, en faisant apparaître celle-ci comme une activité économiquement attractive. Des incitations économiques pourraient également être attribuées au niveau international, en établissant des mécanismes de commercialisation et de financement appropriés. Cependant, si on n'internalise pas les coûts et les avantages écologiques et sociaux, ainsi que les bénéfices du marché liés aux produits et aux services forestiers, l'efficacité des autres actions menées en faveur d'une gestion forestière durable sera condamnée à rester limitée, ou même marginale. Cette question primordiale exige donc une préparation importante afin d'élaborer de façon progressive l'ensemble des instruments indispensables.

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