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Chapitre 6 - RELATIONS ENTRE TRAVAIL DU SOL, UTILISATION DE L'EAU PLUVIALE ET PRODUCTION DES CULTURES ANNUELLES TROPICALES


Méthodes d'étude de l'utilisation de l'eau par la culture
Travail du sol et utilisation de l'eau par la culture
Relations entre travail du sol et production
Conclusions


Jean-Louis Chopart, Agronome, CIRAD-CA, 01 BP 1465, Bouaké, Côte d'Ivoire

En zone tropicale sèche, il existe une grande variabilité de la pluviosité et de la production. Il faut, pour améliorer et régulariser celle-ci, proposer au paysan des variétés et des techniques adaptées à cet environnement. L'eau peut aussi être temporairement excédentaire du fait de l'intensité de certaines averses. Il faut donc également maintenir ou améliorer l'infiltrabilité du sol. Quel est le rôle du travail du sol dans le domaine de la gestion et de l'utilisation de l'eau pluviale et de l'efficience de celle-ci pour améliorer et régulariser la production? Comment choisir un mode de gestion du sol adapté au milieu local?

On citera des exemples concrets de résultats obtenus en Afrique de l'Ouest, après avoir rappelé brièvement les méthodes d'étude utilisées pour caractériser l'alimentation hydrique de la culture.

Méthodes d'étude de l'utilisation de l'eau par la culture


Bilan hydrique à l'échelle de la parcelle cultivée
Infiltration hydrodynamique de surface
Systèmes racinaires


Bilan hydrique à l'échelle de la parcelle cultivée

La méthode la plus rigoureuse pour établir un bilan hydrique sous culture, est l'utilisation d'un humidimètre à neutrons couplé à des tensiomètres (Gardner et Kirkam, 1952; Vachaud et al., 1985). Une sonde est introduite dans le sol à travers des tubes d'accès enfoncés verticalement et maintenus en place pendant toute la culture. Cet appareil permet d'évaluer le taux d'humidité du sol et sa variation dans le temps, au même endroit. Cette variation de l'humidité a, globalement et en absence de ruissellement, trois sources: les apports d'eau, la consommation en eau de la culture (extraction racinaire) et les flux hydriques (drainage, remontées capillaires sous la zone racinaire). Pour évaluer les différents termes du bilan, il faut donc estimer les flux sous la zone racinaire. Ceci se fait généralement grâce à des tensiomètres placés en profondeur. Il s'agit là de techniques relativement complexes et délicates à mettre en oeuvre. De nombreuses références bibliographiques, expliquant de façon plus complète ces méthodes, sont disponibles (Gardner et Kirkam, 1952; Vachaud et al., 1985). A défaut de cette technologie, on peut plus simplement utiliser une tarière pour prélever du sol et mesurer son humidité pondérale après séchage à l'étuve. On ne mesure alors que des variations d'humidité dans le profil.

Une autre méthode consiste à utiliser un modèle de simulation du bilan hydrique. L'évaluation des termes du bilan se fait par calcul. Différents modèles de simulation plus ou moins sophistiqués sont disponibles. L'un d'eux (Chopart et Siband, 1988; Chopart et al., 1991) s'est montré bien adapté à des études au niveau de la parcelle en milieu tropical. Dans tous les cas, il est évident que la précision et la validité des paramètres de sortie du modèle (ETR, drainage) dépendent de la précision des paramètres d'entrée (pluies, ETP, ETM, dynamique racinaire, etc.).

Infiltration hydrodynamique de surface

L'aptitude du sol à infiltrer l'eau à sa surface (infiltrabilité) est classiquement étudiée in situ à l'aide d'essais de type Muntz, dit aussi "infiltromètre à double anneaux". On étudie l'infiltration de l'eau contenue dans un anneau placé sur le sol, l'eau étant maintenue à une charge positive constante. On peut aussi utiliser des cases de ruissellement dans lesquelles on recueille, en bas de pente, toute l'eau de ruissellement (Roose, 1977). Cette méthode est intéressante mais assez lourde et délicate à mettre en oeuvre lorsque l'on veut étudier l'effet du travail du sol. Il faut en effet que, sur le dispositif, le travail du sol et l'évolution de l'état de surface restent représentatifs, malgré l'appareillage. Les apports d'eau peuvent être naturels ou artificiels, faisant appel à un simulateur de pluie. Lorsque certaines conditions expérimentales sont réunies (absence de drainage), il est possible d'évaluer la quantité d'eau infiltrée à partir d'un suivi de l'évolution des profils hydriques.

Il existe une méthode récente, 'l'infiltrométrie multidisques' (Perroux et White, 1988; Smettem et Clothier, 1989). Cette méthode offre l'avantage d'être portable et de mesurer l'infiltration sous une charge nulle ou faiblement négative, comme sous une pluie naturelle. Le système de base est constitué de trois disques de diamètres différents. Chaque disque, muni d'une membrane perméable à l'eau, est surmonté d'un dispositif qui permet un apport contrôlé d'eau à la surface du sol, sous différentes succions. Une description plus détaillée de l'appareil, de la méthodologie d'utilisation et d'interprétation des résultats, figure dans une publication faisant état des premiers résultats obtenus en Afrique de l'Ouest (Vauclin et Chopart, 1992).

Systèmes racinaires

L'évaluation des caractéristiques du système racinaire est un élément primordial de diagnostic de l'aptitude de la culture à utiliser l'eau et de l'effet du travail du sol dans ce domaine. Les méthodes d'étude des systèmes racinaires sont décrites dans la partie relative à l'effet du travail du sol sur les systèmes racinaires.

Travail du sol et utilisation de l'eau par la culture


Accès de la culture à l'eau du sol
Consommations et efficience de l'eau consommée


Il ressort des différents travaux menés au Sénégal et en Côte d'Ivoire avec des cas de ruissellement, ou plus récemment, par l'infiltrométrie multidisques, que le labour à la charrue a pour effet immédiat d'améliorer de façon spectaculaire la perméabilité de la surface du sol (Charreau, 1969; Kalms, 1977; Casta et al., 1989; Vauclin et Chopart, 1992). Toutefois, cet effet est dépendant de la qualité du travail. Il est parfois très fugace, mais on retrouve aussi des effets favorables du labour un an après la dernière intervention si celle-ci a été de bonne qualité (Chopart, 1994). Par ailleurs, un travail du sol réalisé après la récolte, en début de saison sèche, a généralement un effet bénéfique sur la conservation de l'eau stockée dans le sol, en supprimant les mauvaises herbes, en asséchant rapidement la surface du sol et donc en rompant les liaisons capillaires entre le sol humide et l'air. Cette eau mise en réserve pendant toute la saison sèche pourra être utile à la culture suivante (Chopart et al., 1979).

Accès de la culture à l'eau du sol

Le travail du sol peut induire une meilleure infiltration de l'eau dans le sol. Encore faut-il que cette eau stockée dans le sol soit utilisée par la culture, en particulier l'eau stockée en profondeur. L'effet du travail du sol dans ce domaine a pu être évalué grâce à un suivi des profils d'assèchement maximum du sol, en période de forte sécheresse. On observe, en Côte d'Ivoire (Chopart, 1994) et au Sénégal (Chopart et Nicou, 1976) un effet légèrement favorable du labour sur la capacité du système racinaire du maïs à épuiser les réserves hydriques en profondeur. Les différences, de l'ordre de 10 mm pour une réserve totale de 60 mm, ne sont pas spectaculaires, mais il s'agit, par définition, d'"eau utile", pouvant permettre à la plante de prolonger de plusieurs jours sa survie, en cas de sécheresse prolongée.

Consommations et efficience de l'eau consommée

Les bilans hydriques à la sonde à neutrons, obtenus au Burkina Faso, au Sénégal et en Côte d'Ivoire montrent, malgré une grande variabilité des résultats, que les consommations en eau sont légèrement plus fortes en présence d'un labour, du fait d'un plus grand développement végétatif (Chopart et Nicou, 1976; Chopart et Kone, 1985; Chopart, 1994). Une des conséquences directes de cette plus grande consommation, liée à une meilleure interception racinaire de l'eau, est une réduction des flux de drainage. L'efficience de l'eau consommée est légèrement améliorée, au moins lorsque l'on considère la production de matière sèche totale pendant la première moitié du cycle (Chopart et al., 1979; Chopart, 1994). Toutefois, sur le maïs, cette efficience de l'eau consommée diminue en cas de fort stress hydrique, avec également une réduction de l'effet du travail du sol sur cette variable (Chopart, 1994).

Relations entre travail du sol et production


Effets du travail du sol en début et en cours de cycle
Effets du travail du sol sur le rendement et ses composantes


Pour illustrer et argumenter les conclusions relatives aux effets du travail du sol sur la production dans les zones à risques climatiques, on utilisera des résultats de terrain obtenus au Sénégal (Chopart et Nicou, 1989; Chopart et al., 1981) et dans la zone centre de Côte d'Ivoire (Chopart, 1990; 1993; 1994). On prendra comme exemple l'une des techniques de travail du sol: le labour à la charrue à soc, en traction bovine au Sénégal, en traction motorisée en Côte d'Ivoire. Ce n'est pas, bien sûr, la seule méthode de travail du sol, mais elle est parmi les plus communes pour réaliser un travail sur une profondeur significative, supérieure à 10 cm.

Effets du travail du sol en début et en cours de cycle

Le labour a, en général, un effet bénéfique dès le début du cycle de la culture, avec des différences qui atteignent leur maximum au moment de la montaison des céréales. Le Tableau 3 montre l'effet du labour à la charrue sur la vitesse de croissance des parties aériennes du maïs à 85 jours en début de cycle en Côte d'Ivoire (Chopart, 1993).

TABLEAU 3 - Effet du labour à la charrue sur la croissance des parties aériennes du maïs en début de cycle en Côte d'Ivoire. Cycle du maïs: 85 jours (Chopart, 1993)

Stade de végétation

Nombre de résultats annuels

Témoin

Labour

Différence en %

3-4 Feuilles (13 JAS)

3

14

17

+ 20

Début épiaison (35 JAS)

3

1000

1620

+ 60

TABLEAU 4 - Effets du labour à la charrue sur la production utile (grains kg ha-1) des principales cultures annuelles dans les zones semi-arides d'Afrique de l'Ouest (Nicou et al., 1993)

Culture

Nombre de résultats annuels

Témoin

Labour

Différence en %

Mil

55

1421

1676

+ 18

Sorgho

84

1693

2157

+ 27

Maïs

56

2029

3118

+ 54

Riz pluvial

29

1360

2329

+ 71

Cotonnier

26

1351

1587

+ 17

Arachide

79

1084

1299

+ 20

L'effet du labour dépend de l'état physique initial du profil et de la qualité du travail (Chopart, 1994). Il en est de même pour les racines. On assiste à un accroissement de la vitesse de croissance et de colonisation du profil (Chopart, 1980; Chopart et Nicou, 1976; Chopart, 1994). L'effet du labour en début de cycle est accru en cas d'alimentation hydrique insuffisante. On l'a vu, l'infiltration est améliorée, l'enracinement est mieux développé et l'efficience de l'eau consommée légèrement meilleure. Ces différents facteurs participent à l'effet global de la technique sur la croissance végétale en début et en milieu de cycle.

Effets du travail du sol sur le rendement et ses composantes

Il existe de nombreux résultats, dont certains déjà très anciens, permettant d'évaluer l'action globale du labour à la charrue sur la production en Afrique de l'Ouest (Charreau et Nicou, 1971; Nicou, 1977; Nicou et al., 1993). Si l'on se limite à l'examen des moyennes obtenues à différents endroits et sur plusieurs années, on aboutit à des effets positifs sur chaque culture (Tableau 4).

Toutefois, des auteurs obtiennent des résultats inverses dans certains environnements, en particulier en zone tropicale humide (Lai, 1983; 1985). On observe souvent une forte variabilité interannuelle de l'effet du travail du sol.

L'augmentation de la production d'arachide par le labour fluctue de +7% à +67% au cours d'une expérimentation d'une durée de 20 ans. Il existe enfin des différences de comportement d'une espèce à l'autre, sur un même terrain (Chopart, 1986). Il est nécessaire de trouver une ou des explications à cette grande variabilité de l'effet du travail du sol. Celle-ci peut avoir pour origine:

L'état physique du sol initial plus ou moins bon

La sensibilité de l'espèce à l'état du profil cultural

La qualité variable du travail

L'intervention de facteurs limitant la manifestation de l'effet du travail du sol: carences minérales, enherbement, variété inadaptée, etc.

Toutefois, on a enregistré en Côte d'Ivoire des effets contradictoires d'un même type de labour, sur un même terrain, avec une même variété de maïs, la même année. Le seul facteur significatif de variabilité était, ici, un échelonnement des dates de semis ayant entraîné des conditions contrastées d'alimentation hydrique (Chopart, 1990). La variabilité de l'effet du travail du sol sur la production utile (grains) est allée d'un effet spectaculairement positif (+175%) à un effet négatif tout aussi marqué (-75%).

En fait, il apparaît, à travers les différents résultats de terrain obtenus au Sénégal et en Côte d'Ivoire, que l'alimentation hydrique du peuplement végétal est un facteur explicatif essentiel de la variabilité spatiale et interannuelle de la production et de l'effet du travail du sol (Chopart et Nicou, 1989; Chopart et al., 1991). Ces auteurs montrent également que la seule mesure de la pluviosité est insuffisante pour caractériser le niveau d'alimentation hydrique de la culture dans le but d'analyser la production et l'effet du travail du sol à l'échelle de la parcelle. Il leur a été nécessaire, pour cela, d'estimer, sur un pas de temps aussi court que possible, le taux de satisfaction des besoins en eau de la culture ainsi que les éventuelles périodes d'excès d'eau.

Conclusions

Il ressort de cette revue de résultats obtenus en zone tropicale sèche ouest africaine, à pluviosité irrégulière, que les effets d'une même technique de travail du sol, le labour à la charrue par exemple, peuvent être très variables. La variabilité dépend de l'espèce, du sol, et de la qualité du travail. Les liaisons entre travail du sol et production sont donc complexes et indirectes. Elles dépendent, en particulier, des conditions d'alimentation hydrique des cultures.

Pour tenter d'expliquer les résultats variables du travail du sol sur le terrain et aller vers une modélisation des processus, il faut disposer:

· D'un schéma d'analyse reliant la technique à la production, en intégrant le milieu physique (sol, climat), l'utilisation de l'eau pluviale et le peuplement végétal, en particulier l'enracinement

· D'outils de diagnostic in situ opérationnels en milieu paysan (évaluation des racines, des termes du bilan hydrique, etc.)

De façon simplifiée, un travail du sol profond améliore la perméabilité du sol en surface, la croissance et l'utilisation de l'eau du sol et l'efficience de l'eau consommée. On aboutit, en particulier en cas d'alimentation en eau limitante, à une plus grande production des parties végétatives en début et en milieu de cycle. L'amélioration de la production finale dépend, elle, du degré de sécheresse subi pendant la période de reproduction. S'il est relativement modéré, l'effet reste positif toutefois. En cas de sécheresse très forte, l'action positive de la technique tend à disparaître ou, dans quelques cas, devient négative.

Le travail du sol, comme d'autres techniques d'intensification (engrais), améliore donc le potentiel de production mais augmente également le risque en cas de sécheresse située à la phase critique de formation de la production utile (épiaison, floraison des céréales). Le paysan doit donc raisonner ses choix de travail du sol en fonction des critères classiques (disponibilité en matériel et en temps, coûts, effets moyens attendus), mais aussi en termes de risque. Le risque climatique entraîne une variabilité de l'efficacité de la technique, augmentant donc le risque économique.

On a présenté ici un exemple concret d'analyse des effets du travail du sol en relation avec l'alimentation hydrique, montrant la complexité des interactions et la variabilité des résultats. Les conclusions pratiques et le choix raisonné d'une politique de travail du sol qui en découlent ne peuvent donc, à l'évidence, concerner que les milieux représentatifs des terrains d'étude. Il n'est pas possible de généraliser ces résultats à d'autres milieux ou à de vastes régions, sans analyse critique. Dans certains milieux, le travail profond à la charrue sera la meilleure solution (ou la moins mauvaise); dans d'autres situations, parfois très proches géographiquement, des techniques de semis direct seront préférables.

En matière de travail du sol, partout, mais surtout dans les zones à risque climatique, le rôle du chercheur ou de l'agent du développement ne peut être que d'aider à une décision raisonnée par l'agriculteur. Ce choix local doit se faire à partir d'une connaissance de l'environnement physique, d'un référentiel d'effets des techniques de travail du sol pouvant être obtenu chez l'agriculteur et d'outils de diagnostic agronomique et d'aide à la décision.


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