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Module II : Genre, fécondité/mortalité en milieu rural et régime foncier


Module II : Genre, fécondité/mortalité en milieu rural et régime foncier

Quelles relations peut-on établir entre genre, fécondité/ mortalité d'une part, et régime foncier d'autre part a ?

[ a Le régime foncier représente un ensemble de droits, dont certains seulement sont détenus à chaque instant par un individu particulier ou par une institution sociale. Ces droits concernent aussi bien les organisations politiques d'une société que des individus qui peuvent les avoir obtenus par l'intermédiaire d'autres individus (comme par exemple les métayers qui ont acquis leurs droits sur la terre du locataire d'une tierce personne). Plusieurs types de régimes fonciers co-existent. De fait, il est fréquent de trouver plusieurs individus détenant des droits divers sur la même parcelle de terrain qu'ils utilisent à des périodes différentes. En Afrique de l'Ouest, un groupe peut avoir des droits de «propriété» sur la récole de gomme arabique, tandis qu'un autre groupe utilise la même terre pour faire paître son bétail, et qu'un autre encore aura obtenu le droit de ramassage de tout le bois mort. Jim Riddell, Statement on Land Tenure for the Agrarian Reform and Land Seulement Service, FAO, 1993, p. 1. ]

Remerciements: Ce module est le produit d'une collaboration entre le Service du programme de population (SDWP) et le Service de la réforme agraire et de l'habitat (SDAA) et/de l'aide du Service pour l'intégration des femmes dans le développement (SDWW). Nous remercions en particulier Jim Riddell, Paolo Groppo et Richard Trenchard qui ont apporté une contribution significative à ce module, ainsi que Tim Aldington, Sally Bunning et Alain Marcoux pour leurs commentaires.

Depuis quelques années, le besoin d'articuler politiques agricoles et politiques démographiques se fait de plus en plus sentir. Il semble en effet que le contexte démographique influence les principaux objectifs du développement agricole, tels que les améliorations de la productivité des exploitations, la fixation de droits d'exploitation indiscutables et la redistribution des terres De façon similaire, l'environnement rural, qui comprend les aménagements et les conditions d'utilisation des sols, conditionne en partie les comportements et tendances démographiques.

Le genre est un élément important de l'interrelation entre la terre et la combinaison fécondité-mortalité. Les dispositions institutionnelles et les normes socio-économiques et socioculturelles peuvent contribuer de différentes façons aux expériences vécues par les hommes et les femmes en relation avec la terre et la fécondité. Cette question concerne certes tous les ménages ruraux, mais les contraintes spécifiques qui pèsent sur les ménages dirigés par des femmes valent également d'être reconnues.

Le présent module se propose de stimuler les discussions entre spécialistes des régimes fonciers, du genre et de la population à propos des interrelations entre le genre, la fécondité et la mortalité en milieu rural et les régimes fonciers en vue d'identifier les problèmes fondamentaux pour la mise en oeuvre de politiques et les besoins correspondants en termes de recherche. Les questions examinées sont les suivantes: quels sont les principaux obstacles que rencontrent les hommes et les femmes lorsqu'ils veulent obtenir des terres, s'assurer de les cultiver en toute sécurité et de façon durable, et comment ces obstacles se répercutent-ils sur la fécondité et la mortalité ? Certaines conditions d'occupation des terres contribuent-elles à dégager des réponses démographiques spécifiques et, si oui, quel est le rôle du genre ? Comment des changements du régime foncier peuvent-ils engendrer des réactions favorables sur le plan démographique, particulièrement en matière de fécondité et de mortalité ?

Dans la plupart de leurs travaux sur ce sujet, les démographes ont cherché à établir des liens directs et des relations déterministes entre l'organisation foncière et la situation démographique. Les spécialistes des régimes fonciers considèrent cependant que ces liens directs schématisent à tel point ces relations qu'ils en occultent la complexité. C'est pourquoi ce module cherche à construire un cadre plus holistique dans lequel inscrire l'interface entre régime foncier et fécondité/mortalité dans une perspective centrée sur le genre. Ce cadre repose sur l'hypothèse que les ménages dont les situations démographiques diffèrent sont soumis à des organisations foncières également différentes, et, réciproquement, que certains types d'aménagements conviennent mieux aux ménages se trouvant dans certains types de situation démographique.

Figure 1 : Interrelations entre régime foncier et démographie

Situation démographique (fécondité/mortalité) _ réponse en termes de régime foncier

Organisation foncière _ réponse démographique (fécondité/mortalité)

En d'autres termes, certains types de régimes fonciers optimisent certaines situations démographiques. Une rupture survenant dans l'équilibre entre les deux systèmes nécessite l'intervention publique pour faciliter les ajustements requis.

Faire l'hypothèse que la diversité des conditions démographiques vécues par les ménages amène des aménagements divers dans le domaine foncier et vice versa n'implique cependant pas la possibilité de généraliser la nature et l'impact précis de ces relations. Une des critiques que l'on peut en effet adresser aux auteurs est leur tendance à privilégier un sur-déterminisme déductif: ils tirent la plupart de leurs arguments et conclusions d'hypothèses et de généralisations excessives. C'est qu'ils ont bâti leurs règles générales au départ de l'observation de certaines relations et tendances entre fécondité /mortalité et régime foncier dans des contextes spécifiques. De telles généralisations peuvent cependant induire en erreur. Tout d'abord, les relations entre genre, régime foncier et démographie sont compliquées par la présence d'un grand nombre d'autres facteurs non démographiques. Par ailleurs, ces relations dépendent largement de conditions locales et sont donc spécifiques à leur contexte.

Par exemple, des démographes ont montré que certaines formes de régime foncier ne laissaient guère d'autres choix aux couples que d'avoir plus d'enfants pour s'assurer une sécurité économique et un soutien pendant leur vieillesse. Pour ne prendre l'exemple que du Mexique, on y a découvert une relation positive entre statut de locataire et fécondité dans le système des ejidos b . Les familles individuelles y reçoivent des parcelles à cultiver sans pouvoir les vendre, les donner en location ou les hypothéquer. Leurs droits sont transmis à leurs héritiers, qui peuvent cependant les perdre s'ils ne cultivent pas les parcelles pendant deux années consécutives. Les démographes en ont conclu qu'en octroyant le seul droit d'usage sur les terres, le système des ejidos incite les femmes à être très fécondes (pour accroître la main-d'oeuvre familiale, assurer une occupation durable des parcelles et consommer les produits cultivés) 1.

[ b Les Ejidos sont des terres qui ont été distribuées à la population pendant la révolution de 1910-1917. Ils sont constitués de lopins individuels regroupant des parcelles familiales destinées à être cultivées collectivement. FAO, The Legal Status of Rural Women in Nineteen Latin American Countries, 1994, p. 44. ]

Ce seul exemple d'une relation positive entre droit d'usage et fécondité dans le cadre de l'ejido est insuffisant pour formuler des recommandations de politique générale. En d'autres termes, ce n'est peut-être pas le système d'attribution du droit d'usage sur les terres qui crée comme tel des incitations pronatalistes chez les femmes. Le système de l'ejido est modelé en fonction du contexte socio-économique, socioculturel et politique qui l'a vu naître; en son absence, le mode d'occupation de la terre pourrait être très différent et dès lors inapplicable dans d'autres circonstances.

C'est de manière inductive qu'il convient d'aborder les interrelations entre genre, système foncier et fécondité/mortalité. A cet effet, il faut concevoir un large cadre conceptuel et identifier les facteurs qui, dans chaque contexte particulier, influencent en pratique ces relations. Cette façon de procéder rend possible l'élaboration de lignes directrices générales qui faciliteront l'arrimage des considérations d'ordre foncier à la formulation et aux procédures d'exécution des programmes portant sur la population et le genre. Les lignes directrices qui sont proposées reposent sur deux hypothèses. Quel que soit le contexte rural, tout changement dans le profil démographique des ménages appelle en théorie une réponse équivalente dans le système d'occupation et d'aménagement des terres. Cette réponse peut prendre la forme de changements dans la superficie des lopins, dans l'utilisation des terres arables, dans les modes et l'intensité de l'exploitation, etc. De la même manière, on peut supposer qu'une modification du régime foncier induit en théorie un ajustement démographique.

Cependant, comme ces hypothèses ne découlent pas de constatations empiriques, des considérations additionnelles s'imposent. Les réponses démographiques ne dépendent pas uniquement du régime foncier et vice versa. Néanmoins, certains programmes de population seront moins efficaces si les agriculteurs ne peuvent procéder aux ajustements souhaités ou appropriés sur le plan foncier. Ceux-ci ne sont d'ailleurs pas universels, car ils varient en fonction de la région géographiques, du site, du type de producteur, des caractéristiques et stratégies démographiques antérieures des ménages, des attitudes socioculturelles dominantes, des conditions socio-économiques, etc. Ceci signifie que l'on ne peut pas anticiper une réponse unique au changement de tel ou tel élément sans tenir compte de l'ensemble de relations entre des facteurs opérant à tous les niveaux de la société et sans évaluer l'impact des changements démographiques et fonciers sur les ménages. L'utilisation d'un cadre conceptuel peut néanmoins aider à identifier certains secteurs clés d'analyse et les interrelations les plus significatives entre genre, régime foncier et fécondité/mortalité.

Trois conditions doivent être remplies pour qu'un ménage puisse apporter une réponse appropriée en matière foncière: accès à la terre, sécurité et viabilité. Tout d'abord, les hommes et les femmes sont-ils en mesure d'acquérir la terre dont ils ont besoin ? Ensuite, les droits et conditions permettant une occupation durable de leurs parcelles (lois, coutumes, règles et règlements) leur sont-ils garantis ? Enfin, les ménages disposent-ils des moyens d'utiliser la terre de façon viable, c'est-à-dire de gérer les ressources naturelle d'une manière rationnelle qui entretienne et améliore son potentiel productif, en évitant leur dégradation et leur épuisement par des pratiques productives garantissant la préservation des sols. Si ces trois conditions sont remplies, le système doit pouvoir procéder à l'ajustement de son régime foncier appelé, sinon nécessité, par les changements démographiques.

L'analyse des interrelations entre genre, régime foncier et fécondité/mortalité doit en conséquence s'attacher à identifier les contraintes systémiques locales qui font obstacle à l'adaptation des ménages. Existe-t-il par exemple, au niveau national, des obstacles propres à un contexte donné ou systémiques qui freinent l'accès des hommes et des femmes à la terre ? Ces obstacles peuvent varier selon la localisation, le type de producteur et le revenu du ménage. Même s'ils n'entraînent pas nécessairement des changements dans les comportements démographiques, ils peuvent y contribuer de concert avec d'autres facteurs. Il incombe aux décideurs de prendre conscience non seulement de l'impact qu'exercent probablement certains types de contraintes, qui peuvent contrecarrer la réalisation d'ajustements appropriés dans le domaine foncier, mais plus encore, du besoin d'examiner la nature de ces contraintes dans un contexte spatial donné.

Une autre dimension vient s'ajouter aux besoins en terres. Les problèmes d'occupation des sols et de leur type d'utilisation ont souvent une spécificité liée au genre, car les femmes et les hommes en ont une pratique différente. Il est donc indispensable d'intégrer la notion de genre comme composante spécifique du cadre conceptuel, afin de tenir compte des problèmes et contraintes particuliers qui différencient les hommes et les femmes dans les rapports à la terre et dans ses modes d'occupation.

En fait, il convient de souligner davantage les contraintes et les besoins des femmes si l'on veut résoudre leurs problèmes et répondre à leurs besoins. Partout dans le tiers monde, les lois explicites ou coutumières, les règles et les règlements ont tendance à défavoriser les femmes, que celles-ci soient ou non chefs de ménage. Lorsqu'elles le sont, la discrimination que leur imposent la législation traditionnelle ou les coutumes socioculturelles peut réduire de beaucoup leur capacité à acquérir ou à conserver des terres. Dans les ménages dirigés par un homme, l'attention doit porter sur la répartition des activités et sur les stratégies relatives à l'exploitation et à l'utilisation des terrés.

Les recherches et les programmes négligent trop souvent d'examiner les différences dans les expériences que font les hommes et les femmes au sein du ménage. Ces différences peuvent avoir un impact très net sur la capacité des ménages à s'adapter aux changements démographiques. C'est ainsi, par exemple, que dans beaucoup de régions d'Afrique sub-saharienne, ce sont les femmes qui sont principalement responsables de la sécurité alimentaire du foyer. De même, nombreux sont les cas où l'accès des femmes à la terre dépend de mécanismes d'attribution distincts de ceux dont relèvent les hommes. Dans de telles situations, la capacité des familles à accueillir de nouveaux membres dépend en grande partie de l'accès qu'ont les femmes à la terre plutôt que de l'accès qu'en ont les familles. Il va cependant de soi que dans de telles circonstances, les disparités selon le sexe dans l'attribution et la sécurité d'occupation des parcelles frappent surtout les ménages dirigés de droit ou de fait par des femmes. C'est pourquoi les expériences et les contraintes rencontrées par ce type de ménages requièrent une attention particulière.

L'approche choisie dans ce module rompt de plusieurs manières avec les approches antérieures de l'interface terre/démographie. D'abord, elle offre un cadre plus large, plus holistique, qui privilégie les contraintes structurelles. Ensuite, elle évite les généralisations et les suppositions et invite plutôt au respect des spécificités locales et des différences entre expériences. Ce sont les conditions et les contraintes locales qui fixent les relations entre population, régime foncier et genre dans cette approche. C'est pourquoi chaque contexte est considéré dans sa spécificité. Les démographes spécialistes des rapports hommes-femmes et les décideurs doivent prendre conscience de ces différences et du besoin d'entreprendre des analyses des conditions et contraintes locales en vue de mieux comprendre les relations reliant ces variables dans un contexte donné. Une fois prise en compte la nécessité d'intégrer les particularités de l'environnement local, il est cependant possible de développer des lignes directrices générales pour aider les décideurs à concevoir un système d'occupation répondant de façon optimale à la diversité structurelle des ménages.

Relations entre genre, fécondité/mortalité et régime foncier

Accès à la terre c

[ c La notion d'accès à la terre fait allusion aux mécanismes institutionnels (publics et privés) qui permettent aux individus d'acquérir le droit de posséder, d'utiliser et de transférer la terre. ]

Aux situations démographiques différentes des ménages doivent correspondre des aménagements appropriés quant à l'utilisation des sols. Ces derniers peuvent être regroupés en fonction de caractéristiques physiques, d'une part, des droits d'occupation des terres, d'autre part. Parmi les premières figurent la taille et le degré de parcellisation, la localisation et la qualité des sols. Les seconds font référence aux droits, à la sécurité d'occupation, aux conditions d'exploitation et au statut juridique attachés à chaque champ de propriété individuelle (ou collective). Le rapport à la terre des ménages est principalement déterminé par sa capacité d'accès. Une analyse des tendances de la fécondité et de la mortalité devrait dès lors intégrer l'étude des contraintes qui pèsent sur cette capacité de façon à identifier les réponses appropriées aux changements démographiques d.

[ d Il faut également examiner les modes de production et d'utilisation de la terre ainsi que les autres contraintes. ]

Les contraintes générales qui entravent le plus souvent l'accès à la terre sont :

· les disposition légales

· les coûts de transaction

· le crédit / l'épargne

· le revenu

· le prix des terres

La nature particulière et la pertinence de chacune de ces contraintes génériques dépendent des conditions spécifiques propres aux différentes régions, aux contextes socio-économiques et socioculturels, qui impliquent pour chaque ménage une combinaison de facteurs sociaux, culturels, économiques, politiques et démographiques constituant son environnement. D'où l'impossibilité de procéder à des généralisations quant au contenu et à l'impact précis de ces contraintes, sinon pour tracer de grandes lignes directrices. Comme les problèmes d'accès à la terre dans la plupart des pays du tiers monde se caractérisent en outre par une forte inégalité entre hommes et femmes, cette question recevra aussi une attention spéciale.

Dispositions légales: règles, règlements et coutumes

Un ensemble de règles et de règlements président aux décisions de chaque ménage dans l'acquisition d'un lopin additionnel de terre. Il peut s'agir de lois nationales ou locales, de coutumes ou de stipulations énoncées dans le cadre de politiques publiques. Chacune d'entre elles impose cependant au ménage certaines contraintes dans l'accès à la terre. Il est donc essentiel d'analyser toute la gamme de dispositions légales et coutumières et les conditions politiques qui influencent cet accès de manière à en déterminer les différents niveaux selon les types de ménages ruraux sans oublier de prendre en compte le genre. Il importe en effet de garder présente à l'esprit la tendance à favoriser la propriété et le contrôle masculins dans l'interprétation des lois, tant modernes que traditionnelles, et le fait que dans certains cas les lois peuvent interdire aux femmes d'acquérir une terre ou d'en disposer sans l'autorisation de leur mari. Les conséquences peuvent en être très lourdes pour les ménages dirigés par des femmes: c'est ainsi qu'en Afrique sub-saharienne, les veuves sont parfois obligées d'abandonner complètement la terre et de retourner dans le village de leurs parents.

Coûts de transaction

Les procédures institutionnelles d'acquisition d'une propriété foncière entraînent souvent des coûts de transaction (c'est-à-dire des droits d'enregistrement) qui peuvent être prohibitifs pour des ménages ruraux pauvres. En outre, comme les femmes ont généralement des revenus inférieurs à ceux des hommes, elles peuvent être trop démunies pour y faire face.

Crédit / épargne

Beaucoup de ménages paysans n'ont pas accès au crédit agricole, car ils ne disposent pas de la contrepartie - habituellement titre foncier ou bétail - requise à cet effet. D'où le cercle vicieux - sans terre pas de crédit, et sans crédit pas d'acquisition de terre - qui fait souvent de leur forte fécondité une des rares stratégies dont disposent ces ménages pour améliorer leur statut foncier. Les femmes se heurtent à des obstacles socioculturels et à des présomptions d'insolvabilité, de sorte qu'elles se voient refuser l'accès à de nombreuses sources institutionnelles de crédit, telles que banques, coopératives et associations. Une analyse des modes de crédit prévalant au Kenya, au Malawi et en Sierra Leone indique que les femmes y ont reçu moins de 10 pour cent des prêts accordés aux petits propriétaires terriens et un pour cent de l'ensemble des crédits agricoles 2.

Localisation

Les paysans pauvres ne disposent souvent que de parcelles éloignées et dispersées. Leur productivité s'en trouve réduite tandis que leur charge de travail est alourdie (il leur faut en effet souvent plus de temps pour s'y rendre et pour transporter outils, fournitures et récoltes d'un lopin à un autre). Ces conditions augmentent le besoin en main d'oeuvre et encouragent donc les hommes et les femmes à avoir plus d'enfants. Les terres qui échoient aux femmes sont souvent encore plus éloignées et marginales, et elles sont aussi généralement moins fertiles.

Revenu

La capacité d'un ménage à acquérir de la terre dépend de la somme des revenus de ses membres (revenus de la terre et autres, plus versements reçus). Beaucoup de ménages ne disposent souvent pas du revenu nécessaire à l'achat d'une terre sans emprunt. Aussi voient-ils fréquemment dans le grand nombre de leurs enfants un moyen d'accroître leurs moyens financiers et d'être ainsi en meilleure position pour procéder à cet achat. Le revenu des femmes tend à rester bien inférieur à celui des hommes du fait que leur travail domestique dans le ménage ne reçoit pas de compensation financière et que leurs activités annexes, notamment dans le secteur informel, sont faiblement rémunérées.

Prix de la terre

La terre est souvent trop chère pour de nombreux ménages ruraux, surtout pour ceux qui sont dirigés par des femmes, lesquelles se voient en outre refuser souvent tout crédit. Les familles démunies choisissent parfois une fécondité élevée dans l'espoir d'améliorer ainsi leurs revenus et, par là même, leur capacité à acquérir des terres.

_ Disparités entre hommes et femmes dans l'accès à la terre

Les disparités entre hommes et femmes dans l'accès à la terre sont pratiquement universelles. En Amérique latine, il n'y a pas égalité d'accès à la terre entre hommes et femmes, même dans les pays dont la législation sur la propriété terrienne a supprimé les barrières selon le sexe 3. Dans ce sous-continent tout comme dans les Caraïbes, les femmes accèdent à la terre, et généralement à la propriété d'autres biens, par l'intermédiaire d'un parent masculin.

La répartition de la propriété privée selon le sexe apparaît naturelle, tout comme la division du travail, au point, dès lors, de ne pas devoir être remise en cause. Dans les régions rurales des l'Inde, l'exclusion effective des femmes de la possession et du contrôle de la terre est responsable pour une large part de leur subordination et de leur dépendance par rapport aux hommes.

Source : G. Kelkar, "Violence against women in India", Bangkok, Asian Institute of Technology, Gender Studies Occasional Paper 1, 1992, p. 16

La plus grande partie de l'Afrique (patrilinéaire) est caractérisée par la prépondérance du droit d'usage dont les pratiques coutumières d'utilisation des terres en fixent les termes par rapport au droit de propriété. Les femmes y sont essentiellement les gardiennes temporaires de la terre, qui est transmise de leur père à leur fils, bien qu'elles puissent diriger de fait le ménage. Exploitant sans rémunération les champs de leur mari tout en cultivant aussi des lopins séparés pour leur propre compte, les femmes perdent habituellement tout droit sur la terre après le décès de leur époux 4. Les veuves et les divorcées n'ont virtuellement aucun droit d'occupation ni d'héritage qui garantirait leur survie et celle de leurs enfants (puisque leur accès à la terre est conditionnée par l'existence d'un intermédiaire masculin qui peut être leur fils ou appartenir au lignage de leur conjoint) 5.

Les normes socio-économiques et socioculturelles ainsi que l'organisation institutionnelle accentuent l'inégalité des femmes dans l'accès à la terre, ce qui encourage indirectement une fécondité élevée. Le fait, par exemple, que les titres de propriété foncière et l'occupation des terres sont l'affaire des hommes découle certes de la loi, mais il reflète aussi la tradition socioculturelle. C'est ainsi qu'en Inde, les filles renoncent habituellement à leurs droits fonciers en faveur de leurs frères pour éviter d'être qualifiées d'«égoïstes» et de risquer d'être rejetées par leur famille 6. Ces circonstances incitent donc les femmes à mettre au monde autant de fils que possible, puisque ceux-ci constituent l'un de leurs seuls espoirs d'accéder à la propriété foncière. Au Moyen-Orient, les femmes sont rarement propriétaires de la terre, et lorsque c'est le cas, c'est souvent un parent homme qui supervise et gère les lopins jusqu'à leur mariage, puis les titres de propriété sont transmis directement à leurs fils 7.

Même lorsque les femmes obtiennent un droit d'usage, elles n'ont qu'un contrôle limité sur les bénéfices de leur travail. La faiblesse même de leur pouvoir de négociation pour l'utilisation de leur propre production ne les encourage pas à prendre des décisions favorables à la scolarisation de leurs filles, laquelle, on le sait, tend à retarder l'âge au mariage et à la première naissance, réduisant ainsi la fécondité et la mortalité.

Sécurité d'occupation foncière e

[ e La sécurité d'occupation foncière renvoie aux processus de protection des droits (et de leur valeur). ]

La sécurité d'occupation des terres est un autre facteur important dont dépend la relation entre celles-ci et les ménages ruraux; il s'agit de la capacité qu'ont les hommes et les femmes à maintenir les droits et les conditions leur garantissant l'utilisation durable de la terre. Cette garantie d'usage résulte en grande partie d'un contrat social par lequel une communauté accorde à chaque ménage le droit de cultiver des champs. Ce droit socio-économique et psychologique fondamental est accordé aux hommes et aux femmes sur une base individuelle ou à des groupes d'individus selon diverses modalités d'occupation foncière. La garantie d'usage permet aux individus et aux groupes de tirer les bénéfices de leur travail et d'assurer à leurs enfants un futur droit sur ces terres. Une analyse des tendances de la fécondité et de la mortalité devrait dès lors inclure un examen des contraintes (y compris de genre) qui pèsent sur la capacité qu'ont les différents types de ménages à conserver leurs droits d'usage pour un meilleur ajustement aux conditions démographiques.

Leur statut socio-économique inférieur et leur accès restreint aux ressources et aux services fait de cette sécurité un enjeu particulièrement important pour les femmes, susceptible d'influencer leur vie à la fois productive et reproductive. Les contraintes pesant sur la garantie d'usage des parcelles sont associées à une série de facteurs, parmi lesquels la propriété des terres, leur utilisation et leur encadrement réglementaire (incluant leur démarcation et leur adjudication).

Figure 2: Modes d'héritage de la terre en Inde

Héritage de la terre en Inde : Etude basée sur 145 communautés indiennes

Source: FAO, Most Farmers in India are Women, 1991, p. 16.

Propriété foncière

Les démographes ont particulièrement étudié un aspect de la sécurité d'occupation des terres, à savoir la propriété foncière et ses relations avec la fécondité, et ils ont établi une relation négative entre cette propriété f et la taille de la famille. Leurs résultats suggèrent que la propriété foncière tend à réduire la fécondité en offrant au problème de ressources des personnes âgées une solution de rechange qui se substitue donc à l'aide fournie par les enfants. Ils s'appuient sur des travaux menés aux Philippines et en Inde pour montrer que les propriétaires fonciers ont moins d'enfants que les fermiers et métayers 8. Une étude de la FAO parue en 1978 sur la population et le changement socio-économique dans la Hongrie des 18e et 19e siècles indique que les paysans sans terres ne pouvaient que bénéficier d'une nombreuse progéniture, tandis que les fermiers propriétaires, pour lesquels la parcellisation des champs par héritage représentait une lourde perte, se caractérisaient par les taux de fécondité les plus bas 9. Un autre argument associe négativement la propriété terrienne à la fécondité par son effet sur l'éducation des femmes et la rigidité des normes traditionnelles dans la communauté villageoise 10. La propriété de la terre n'est cependant en soi qu'un élément de la sécurité d'occupation du sol et elle n'en garantit pas nécessairement les droits.

[ f Selon les démographes, «la propriété foncière comprend toutes les dispositions légales et institutionnelles qui précisent la manière d'utiliser la terre et d'en répartir les fruits.» Voir C.S. Stokes, et W.A. Schutjer, "Access to Land and Fertility in Developing Countries", dans Rural Development and Human Fertility, op.cit., p. 197. Selon le Service d'occupation des terres et de l'habitat rural de la FAO, le terme propriété réfère à l'ensemble des droits sur la terre. La fonction des institutions (juridiques ou autres) est de contrôler la manière dont ces droits sont détenus, exploités et transmis. ]

Utilisation du sol

Dans de nombreux pays du tiers monde, c'est l'utilisation de la terre qui en garantit la sécurité d'occupation. Tant que le paysan ou la paysanne cultive son champ, il ou elle bénéficie de cette sécurité. Des pressions externes (dues à la croissance démographique, à la concurrence pour les moyens de mise en valeur des terres irrigables, etc.) peuvent cependant compromettre ces droits d'usage g. Les femmes sont les premières à subir cette expropriation. La polygamie et une forte fécondité (dans beaucoup de régions d'Afrique sub-saharienne) sont non seulement des facteurs résultant du besoin en main-d'oeuvre, mais servent aussi, dans certaines sociétés, de mécanismes d'assurance du droit d'usage des terres.

[ g Au Nicaragua, par exemple, les gouvernements successifs de ces quarante dernières années ont distribué des titres fonciers aux petits paysans sans invalider d'abord les anciens titres et sans procéder à un quelconque bornage. Au lieu d'accroître la sécurité d'occupation des terres, ces nouveaux titres ont donc créé l'effet opposé, en aggravant les conflits sur la terre. Cette situation a engendré un nouveau type de mouvements de guérilla pour la lutte en faveur de la sécurité d'occupation des champs, qui se sont substitués à ceux des Sandinistes et anti-Sandinistes. Le cas du Nicaragua doit être appréhendé dans une perspective historique: jusqu'à la fin des années quatre-vingt, la pression sur la terre était maîtrisée par une série de politiques (les partisans de Somoza et les Sandinistes exerçaient un contrôle ferme sur l'allocation des terres). Lorsque le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir, instituant un nouvel ordre économique, une ruée sur les terres les plus fertiles s'est immédiatement produite et c'est seulement à ce moment-là que les problèmes d'une délimitation légale des champs sont apparus. ]

Réglementation foncière (délimitation des parcelles et adjudication entre autres)

La délimitation des parcelles consiste à identifier physiquement et à enregistrer les champs afin de faciliter la résolution des conflits de propriété et/ou de bornage. Elle est aussi un préalable indispensable à la mise sur pied des cadastres ruraux et des systèmes d'enregistrement. Cette délimitation constitue un élément crucial de la sécurité d'occupation, sans lequel, sous certaines conditions, les titres fonciers peuvent perdre toute signification 9. Alors que la délimitation des terres est chose courante dans beaucoup de régions d'Asie et d'Amérique latine, ce n'est pas encore le cas en Afrique, sauf à la périphérie des villes où la valeur du sol s'accroît à cause de son potentiel d'investissement. A son tour cependant, l'Afrique inscrit progressivement cette délimitation parmi ses priorités par suite de la rareté des terres qu'entraînent leur dégradation, la pression démographique, etc.

Certains affirment que l'insécurité dans l'occupation des terres ne provient pas des systèmes fonciers autochtones eux-mêmes, mais plutôt de facteurs ou de pressions externes qui ne tiennent pas compte de la structure et du fonctionnement de ces systèmes tels qu'ils existent ni de leur impact socio-économique 11. L'organisation foncière traditionnelle éprouve souvent de grandes difficultés pour s'ajuster aux changements apportés par des facteurs exogènes, tels que pression démographique, guerres et conflits civils, sécheresse, famine, dégradation écologique, mouvements de réfugiés chassés par l'épuisement des ressources naturelles et par les conflits, introduction de nouvelles technologies et de cultures de rente, actions de l'État. Chacun de ces facteurs peut engendrer une déstabilisation menaçant la sécurité d'occupation des champs et donner lieu à des conflits d'accès à la terre. Ainsi au Kenya, l'intervention de l'Etat a accru l'insécurité d'occupation à la suite d'un échec du programme d'instauration des titres fonciers. Le système officiel d'enregistrement n'a pu se substituer au système coutumier car les autorités ont cherché à l'instaurer sans la participation de la population et donc sans prendre en compte les traditions culturelles et les contraintes locales 12.

Les enjeux de la sécurité d'occupation des terres deviennent particulièrement significatifs lorsque celle-ci est remise en cause par des pressions externes. Comme le montre la figure 3, la menace apparaît lorsque le rapport des superficies cultivables à la population atteint un niveau ou seuil critique en deçà duquel surgissent les conflits fonciers. Chaque système de production est associé à un seuil qui est déterminé par la surface minimum nécessaire à la survie d'une famille. Lorsque le taux de croissance démographique dépasse la capacité d'ajustement du système de production en termes d'amélioration de sa productivité - déplacement de la ligne A vers la ligne B - la superficie par habitant tombe en-dessous de ce seuil. Au-delà du point indiqué en C, la pression démographique qui ébranle le système existant engendre un problème de sécurité d'occupation de la terre.

Figure 3: Relations entre la terre et la population

_ Disparités selon le genre en matière de sécurité d'occupation

Même lorsque les femmes ont accès à la terre, elles ne dispose souvent que d'une sécurité d'occupation assez précaire. Selon le régime coutumier, les hommes et les femmes ont habituellement des droits clairement définis sur la terre, les arbres et l'eau ainsi que des droits d'usage qui leur sont accordés par les anciens de la communauté villageoise. Les femmes conservent donc une emprise sur la terre qu'elles cultivent et sur leurs récoltes 13. Dans de nombreuses régions, les droits communaux traditionnels sont remplacés par des systèmes d'occupation foncière basés sur l'usage exclusif et l'octroi de titres de propriété qui tendent à limiter les droits des groupes les plus vulnérables que forment les femmes, les minorités ethniques et les nomades. A la Jamaïque par exemple, les hommes ne possédaient encore que 56 pour cent des exploitations en 1954, mais déjà 76 pour cent en 1961. L'inégalité d'accès des femmes à la terre a résulté de l'augmentation des achats de titres légaux conformément à la tradition juridique britannique, qui relie l'usage à la propriété privée. Elle provenait aussi de ce que les programmes d'aménagement foncier privilégiaient les hommes, considérés comme les principaux responsables de la survie du ménage 14. Le fait que, dans la plupart des régions du monde, la production vivrière et la sécurité alimentaire reposent largement sur les femmes était complètement ignoré.

La transformation des modes de production agricole est un autre facteur qui enlève progressivement aux femmes leur sécurité d'occupation traditionnelle. Ainsi, chez les Nair du Kérala en Inde, la commercialisation de l'agriculture et la demande de terres qui s'en est suivie ont affaibli les droits traditionnels des femmes sur le sol 10. Un autre exemple typique se trouve dans le remplacement des cultures vivrières par des cultures de rente. Avant l'introduction de ces dernières, les femmes disposaient d'un droit traditionnel d'accès à la terre parce qu'elles assuraient la production vivrière. Lorsque les cultures commerciales ont été introduites, les hommes ont revendiqué des droits d'accès identiques sur les terres les plus productives. Les cultures de rente apparaissant comme plus rentables que les cultures vivrières, une compétition pour obtenir un droit d'usage sur la terre s'est développée entre hommes et femmes qui pourrait engendrer la marginalisation progressive des paysannes cultivant précédemment des parcelles fertiles. C'est ainsi que la combinaison de facteurs tels que la transformation de l'agriculture et la croissance démographique peut modifier les relations entre genre, terre et population (voir figure 3).

En cas de menace contre la sécurité d'occupation, les femmes figurent parmi les premiers groupes à être dépossédées de leurs droits d'usage. Une fécondité élevée peut en résulter. Une nombreuse progéniture (masculine de préférence) peut en effet apparaître aux parents comme la meilleure stratégie pour améliorer leur sécurité alimentaire et foncière et leur garantir un soutien pendant la vieillesse. Un comportement identique est observé chez les femmes qui choisissent de mettre au monde de nombreux enfants pour compenser la force de travail perdue d'un époux invalide. Il convient cependant de prendre conscience qu'une telle stratégie se paie d'une viabilité moindre et pénalise les générations à venir.

Durabilité

La durabilité est un troisième facteur dont dépend la relation entre ménages ruraux et biens fonciers. Il s'agit de la capacité qu'ont ces ménages à utiliser et à gérer leur terre d'une façon rationnelle pour améliorer son potentiel productif en fonction d'exigences économiques, sociales, culturelles et écologiques à court, moyen et long termes. La durabilité réfère de manière similaire à la capacité de la terre ou des conditions de son occupation à s'adapter aux changements survenant dans son utilisation et dans les pratiques agricoles qui découleraient d'ajustements démographiques. La durabilité représente donc la capacité d'un ménage à tirer les bénéfices de sa production sans compromettre l'utilisation future de la terre par lui-même ou par d'autres ménages.

Toute analyse de la fécondité et de la mortalité doit donc débuter par une étude les obstacles limitant la capacité d'une exploitation durable du sol par les ménages pour s'ajuster de la manière la plus appropriée aux changements démographiques. Ces principaux obstacles sont la superficie des exploitations, la qualité du terroir et les moyens de la contrôler, les ressources en eau, etc. Nous donnerons plus loin quelques exemples de la façon dont la faible superficie et la fertilité médiocre des terres peut compromettre la viabilité dés exploitations.

Superficie des exploitations

Selon les démographes, la taille des exploitations influence la fécondité en modifiant le rapport coût-bénéfice de la valeur d'un enfant additionnel. Des études démographiques menées dans une série de pays du tiers monde, dont l'Inde, le Bangladesh, l'Iran, la Thaïlande et les Philippines, montrent que des propriétés plus grandes peuvent favoriser une fécondité élevée à cause des besoins accrus en main-d'oeuvre 16.

Peut-être plus important encore est le problème urgent de la pression démographique sur les terres, qui se pose dans beaucoup de pays du tiers monde et qui compromet gravement la viabilité et la sécurité d'occupation de ces terres. Rwanda, Somalie, Kenya, Burundi, Lesotho et Malawi ne sont que quelques-uns des pays dont les terres ne pourront nourrir, même avec des techniques agronomiques optimales, la moitié de leurs populations si ces terres continuent à subir la pression démographique actuelle. Selon le State of the World's Population 1990, «au Rwanda, le petit paysan cultivait en moyenne 1,2 hectare en 1984. Avec un indice synthétique de fécondité dépassant huit enfants par femme, dont la moitié de garçons, chaque fils recevrait en moyenne 0,3 hectare au moment de se marier. Avec les taux de fécondité projetés, les petits-fils recevraient moins de 0,1 hectare vers l'an 2040. Ainsi donc, en seulement 60 ans, la taille de l'exploitation agricole moyenne se réduira de plus de 90 pour cent par suite de la pression démographique»10. A l'évidence, une telle situation provoquera une forte émigration lorsque la terre ne pourra plus assurer l'autosuffisance et la couverture des besoins essentiels à la survie des familles.

Quand la superficie de terres arables par habitant diminue, la durabilité et la sécurité d'occupation se réduisent également (voir figure 3). En fait, le degré de durabilité et de sécurité d'occupation des terres est déterminé en grande partie par le rapport de la population aux ressources disponibles:

Lorsque la pénurie de terres menace la viabilité et la sécurité de leur occupation, il peut s'en suivre des conflits portant sur cette sécurité, lesquels, parce qu'ils en exacerbent d'autres (de nature ethnique par exemple), peuvent déclencher des guerres (ce qui est le cas au Rwanda), des migrations ou les deux.

Comme il n'existe aucune preuve évidente que la pénurie de terre réduit la taille des familles paysannes, la valeur des enfants continue de reposer sur leur nombre en tant que source de main-d'oeuvre au foyer et dans les champs, ainsi que sur l'espoir qu'au moins quelques-uns d'entre eux trouveront un emploi salarié pour compléter le revenu agricole de leurs parents. Le fait de ne pas avoir pu dégager de relation positive entre la fécondité et l'augmentation de la demande de terres (afin d'étendre les propriétés existantes en vue de subvenir aux besoins d'une famille plus nombreuse ou de se consacrer à des cultures de rente) reflète aussi la charge accrue qui pèse sur les paysannes et, dès lors, leur besoin croissant du travail de leurs enfants, comme le démontrent les taux élevés d'absentéisme scolaire en haute saison agricole et dans les proportions significatives d'enfants abandonnant l'école primaire 18.

Qualité des sols

Selon un rapport de la FAO paru en 1995 sur les femmes, l'agriculture et le développement rural dans neuf pays d'Afrique sub-saharienne, les femmes disposent souvent de terres moins fertiles que les hommes 19. Elles doivent donc travailler plus pour une productivité moindre, ce qui oblige leur famille à trouver des solutions alternatives, comme un plus grand nombre d'enfants, pour améliorer les conditions d'occupation du sol.

_ Disparités selon le genre en matière de durabilité

Un rapport de la Banque mondiale paru en 1994 sur l'amélioration de la productivité des agricultrices indique que les efforts entrepris au cours des trente dernières années pour renforcer les droits des femmes sur la terre ont été invalidés par les conséquences de la pression démographique croissante sur des terres progressivement épuisées et parce que cette dégradation des sols amène les femmes à cultiver des parcelles de plus en plus réduites 20. Ajoutée à la petitesse de lopins peu productifs et à la déprivation progressive des droits d'usage sur la terre, la dégradation des sols décourage les femmes d'investir dans les terres et d'adopter de nouvelles techniques et des pratiques agricoles plus saines. Face à ces obstacles apparemment insurmontables, les responsables de la promotion agricole hésitent à travailler avec les femmes, ce qui limite encore plus leur productivité et leurs revenus. Comme nous l'avons mentionné plus haut, dans le cas de l'Afrique sub-saharienne, où la sécurité alimentaire incombe principalement aux femmes, le problème de la viabilité pèse largement sur elles (plutôt que sur les familles); pourtant, le manque de droits et de voix dont disposent les femmes les prive aussi des moyens de répondre aux nouvelles conditions d'accès et d'exploitation des terres.

Ménages agricoles diriges par des femmes

Ce sont les ménages agricoles dirigés par des femmes qui subissent le principal contrecoup des disparités de genre en matière d'accès à la terre, de sécurité d'occupation et de viabilité. Ces ménages sont souvent plus pauvres et plus défavorisés que ceux qui sont dirigés par des hommes. Au Bangladesh, beaucoup de femmes chefs de ménage n'ont pas de terres du tout ou seulement quelques parcelles marginales. Au Guatemala et au Salvador, beaucoup d'exploitations agricoles dirigées par des femmes comptent moins d'un demi hectare. Au Botswana, les femmes à la tête d'une exploitation disposent d'une superficie moindre à cultiver, d'un équipement plus réduit et elles ne possèdent pas autant de gros et de petit bétail que les hommes 21.

Les terres dont les femmes sont propriétaires sont de taille inférieure à celles des hommes aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres (voir tableau 1), et les statistiques foncières ventilées selon le genre sont rares. Parmi les neuf pays d'Afrique sub-saharienne couverts en 1995 par un rapport de la FAO sur les femmes, l'agriculture et le développement rural, cinq n'ont pu présenter de statistiques sur la propriété foncière selon le sexe (voir tableau 2). Selon cette étude, la part des femmes dans la propriété terrienne varie d'un minimum de 3 pour cent au Zimbabwe dans le secteur commercial de petite échelle à un maximum de 25 pour cent au Congo et en Tanzanie. La superficie des propriétés appartenant aux femmes, comparée à celle des hommes, s'étend de la moitié au Maroc à 72 pour cent en Tanzanie. Au Congo, quatre femmes sur cinq cultivent moins d'un hectare de champs, et en Zambie, 86 pour cent des exploitations dirigées par des femmes couvrent une superficie inférieure à la moyenne des terres arables 22.

Tableau 1: Terres cultivées par les femmes, en pourcentage, selon la nature de la propriété. Thaïlande, Trinidad, Nigéria et Syrie

propriété de la terre

Thaïlande %

Trinidad %

Nigéria %

Syrie %

terre de la femme

22.5

9

4

-

terre du mari

39

30

23

41

terre donnée par le mari

-

-

30

-

terre familiale

10

9

12

36

terre domaniale

-

25

-

-

terre communale

-

-

20

-

terre occupée illégalement

-

9

-

-

terre louée

29

19

11

22.5

Source: Manju Dutta Das, Improving the Relevance and Effectiveness of Agricultural Extension Activities for Women Farmers, FAO, 1995, p. 37.

Tableau 2: Femmes, propriété terrienne et superficie moyenne des exploitations en Afrique sub-saharienne

Pays

Pourcentage des exploitations possédées par des femmes.

Superficie moyenne des exploitations (Ha)

   

des femmes

des hommes

Bénin

11

0.98

1.76

Congo

25

   

Maroc

14

0.5

1

Tanzanie

25

0.6 (1986/87)

089 (1986/87)

   

0.53 (1990/91)

0.73 (1990/91)

Zimbabwe

secteur du petit commerce: 3

 

secteur du grand commerce :10

Source: Women, Agriculture and Rural Development, A Synthesis Report of the African Region in Preparation of the Fourth World Conference on Women, FAO, 1995, p.23.

Dans la mesure où les disparités de genre en matière d'accès à la terre, de sécurité d'occupation et de durabilité frappent plus durement les ménages dirigés par des femmes, les politiques et les programmes agricoles et démographiques devraient attacher une attention particulière aux situations, aux contraintes et aux besoins de tels ménages.

Problèmes d'intervention et besoins de la recherche en matière foncière

L'accès à la terre et la garantie d'une occupation durable ne sont que deux des nombreux déterminants de la fécondité et de la mortalité en milieu rural. Les relations entre genre, fécondité/mortalité et régime foncier résultent de l'interaction entre une série de facteurs divers (juridiques, socio-économiques, socioculturels, etc.). Ce n'est donc pas le régime foncier en lui-même qui détermine les tendances de la fécondité et de la mortalité mais le fait que différents modes d'occupation des sols peuvent limiter ou élargir l'éventail des stratégies des hommes et des femmes, et par là influencer l'évolution démographique.

L'aménagement des systèmes fonciers n'aura donc vraisemblablement pas d'effet direct sur la fécondité et la mortalité mais il pourrait créer un contexte favorable à leur évolution, pour autant que soient également remplies d'autres conditions. Comme nous l'avons mentionné plus haut, les enfants peuvent contribuer dans une certaine mesure à assurer la sécurité d'occupation foncière. Une fécondité élevée peut favoriser cette sécurité par l'intermédiaire de migrations et d'envois d'argent. Une modification des conditions d'occupation des terres n'entraîne cependant pas mécaniquement un changement dans la taille des ménages.

La reforme agraire du Costa Rica des années 70 a été conçue pour endiguer l'exode rural. Pourtant, cette réforme a eu comme effet involontaire de stimuler la fécondité et la croissance démographique en zone rurale. L'absence d'évaluation et de coordination des politiques publiques a ainsi produit un résultat inattendu et indésirable.

Source: M. Seligson, "Public Policies in Conflict : Land Reform and Family Planning in Costa Rica", cité dans C.S. Stokes et W.A. Schutjer, "A Cautionary Note On Public Policies in Conflict : Land Reform and Human Fertility in Rural Egypt", Comparative Policies, vol. 16, 1983, p. 93

L'accès à la terre, la sécurité de son occupation et sa viabilité forment des éléments clés dans les relations entre genre, régime foncier et fécondité/mortalité. Les contraintes qui pèsent sur ces trois facteurs handicapent l'amélioration de la productivité et du statut socio-économique des hommes et des femmes et déterminent largement les stratégies démographiques des ménages. Les femmes ne peuvent pas assumer leurs responsabilités dans le domaine reproductif tant qu'elles ne bénéficient pas d'une sécurité économique. Pour l'obtenir, une rénovation des systèmes fonciers pour soutenir et protéger les droits fonciers des paysannes est nécessaire. En d'autres termes, les comportements démographiques sont peu susceptibles d'évoluer tant que les femmes ne bénéficieront pas des réformes du régime foncier, de la législation et des institutions (par delà la propriété) ainsi que des changements de l'environnement socioculturel. Au contraire, les disparités de genre en matière d'accès à la terre, de sécurité et de viabilité pourraient engendrer des réponses démographiques telles que l'augmentation de la fécondité, de la mortalité et des migrations.

A une situation démographique donnée correspond une organisation foncière optimale et vice versa. Les continuels changements des conditions démographiques et, à un moindre degré, foncières requièrent un ajustement perpétuel entre les deux. Ces ajustements peuvent être favorisés par des interventions publiques appropriées. Pour ce faire, les questions suivantes doivent être considérées avec soin:

Notes et références

1. Arthur DeVany et Nicholas Sanchez, "Land Tenure Structures and Fertility in Mexico", dans Schutjer, Stokes et Cornwell, Relationships Among Land, Tenancy and Fertility: A Study of Philippine Barrios, 1981, p. 85.

2. FAO, A Fairer Future for Rural Women, 1995.

3. FAO, The Legal Status of Rural Women in Nineteen Latin American Countries, 1994, p.44

4. Susan Bullock, Women and Work, Women and World Development Series, Londres, Zed Publications, 1993, p. 45.

5. FAO/FNUAP, "Case Study on Population, Status of Women in Rural Development in Phamong District, Lesotho", dans Zoran Roca, Women in Agricultural Development, Paper N° 5: Women and Population in Agricultural and Rural Development in Sub-Saharan Africa, FAO, 1991, p.10.

6. Govind Kelkar, Violence Against Women in India: Perspectives and Strategies, Bangkok, Asian Institute of Technology 1992, Gender Studies Occasional Paper 1, p. 14.

7. FAO, Women, Agriculture and Rural Development: A Synthesis Report of the Near East Region, Communication destinée à la Quatrième conférence mondiale sur les femmes et au Plan d'action pour les femmes dans l'agriculture au Moyen-Orient, 1995, p. 19.

8. C.S. Stokes et W.A. Shutjer, "A Cautionary Note on Public Policies in Conflict: Land Reform and Human Fertility in Upper Egypt", Comparative Politics, vol. 16, N° 1, 1983, p.98.

9. Rudolf Andorka, Population and Socio-Economic Change in Peasant Societies: The History Record of Hungary: 1700 to the Present, FAO, 1978, p. 31.

10. W.A. Shutjer, C.S. Stokes et Gretchen Cornwell, "Relationships Among Land, Tenancy and Fertility: A Study of Philippine Barrios", 1981, p. 95.

11. Lars-Eric Birgegard, "Natural Resource Tenure: A Review of Issues and Experiences with Emphasis on Sub-Saharan Africa", Rural Developement Studies, N°31, Université suédoise d'agronomie, Centre international de développement rural, Uppsala, 1993, cité dans Patricia Parera, "Rural Women's Access to Land", IFAD Document de travail, juin 1994, p. 1-6.

12. Ibidem.

13. Parera, 1994, op. cit., p. 1-3.

14. "Rural Women of Latin America and the Caribbean", FAO, 1993, p. 19.

15. FAO, Most Farmers in India are Women, juin 1991, p. 16.

16. Stokes et Schutjer, 1983, op. cit., p. 98.

17. Nafis Sadik, The State of the World's Population 1990, p. 9, cité dans Zoran Roca, 1991, op, cit., p. 10.

18. Roca, FAO, 1991, op. cit., p. 10.

19. FAO, Women, Agriculture and Rural Development: A Synthesis Report of the Africa Region, document destiné à la Quatrième conférence mondiale sur les femmes, 1995, p. 23.

20. Banque mondiale, Raising the Productivity of Women Farmers in Sub-Saharan Africa, Discussion Paper #230.

21. Tous les exemples sont tirés de Katrina A. Saito et Daphne Spurling, Developing Agricultural Extension for Women Farmers, Banque mondiale, Discussion Paper, N° 156, p. 15.

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