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Module III : Genre, fécondité/mortalité rurales, et systèmes d'exploitation agricoles


Module III : Genre, fécondité/mortalité rurales, et systèmes d'exploitation agricoles

· Comment le genre, la fécondité et la mortalité rurales s'articulent-ils avec les systèmes d'exploitation agricole ?

· Principaux problèmes et besoins en matière de recherche

· Notes et références

Comment le genre, la fécondité et la mortalité rurales s'articulent-ils avec les systèmes d'exploitation agricole ? a

Environ 80 pour cent des femmes africaines vivent et travaillent en milieu rural dans des conditions qui contribuent au maintien d'une forte fécondité et où les enfants sont appelées à participer substantiellement aux ressource du ménage. L'Afrique sub-saharienne se caractérise en fait par les taux les plus élevés au monde en matière d'activité économique et de fécondité ainsi que de mortalité maternelle et des enfants.

Source: Aderanti Adepoju et Christine Oppong (Eds.) Gender, Work and Population in Sub-Saharan Africa. Genéve, BIT, 1994, pp. 1, 17.

[ a On entend par système agricole un groupe de ménages paysans opérant dans un cadre agroécologique plus ou moins homogène avec des caractéristiques socio-économiques similaires, qui disposent de ressources équivalentes et rencontrent des contraintes et des opportunités de développement comparables.

Remerciements: ce module est le produit d'un travail d'équipe entre le Service du programme de population (SDWP) et le Service de gestion des exploitations agricoles et de l'économie de production (AGSP). Nous remercions en particulier Karl Friedrich et Horst Wattenbach qui ont consacré beaucoup de temps à ce module et lui ont apporté une contribution significative, ainsi que Tim Aldington, Alain Marcoux et Heiko Bammann pour leurs commentaires. ]

Les niveaux de la fécondité et, à un moindre degré, de la mortalité ont fait traditionnellement l'objet d'analyses en relation avec des variables économiques et socioculturelles, comme la valeur des enfants, l'âge au mariage, la malnutrition, l'allaitement prolongé, l'instruction, l'emploi et le statut de la femme. Au cours de la dernière décennie, le rôle des facteurs institutionnels et l'importance des relations de genre ont cependant été crédités d'une influence reconnue sur les structures de la fécondité et de la mortalité. Ce troisième module met l'accent sur la dimension genre des relations entre fécondité, mortalité et systèmes d'exploitation agricole avec une attention particulière à la situation de l'Afrique sub-saharienne. Il traite en particulier des questions suivantes: Quelles implications la fécondité et la mortalité ont-elles sur la dynamique des systèmes agricoles ? Quelles sont les répercussions démographiques des changements survenant dans ces systèmes ? Comment les actions de l'Etat peuvent-elles créer la synergie nécessaire entre des systèmes d'exploitation agricole en mutation et les variables démographiques ?

Ce module vise à stimuler les discussions entre spécialistes de ces systèmes, du genre et de la population, de manière à: (a) identifier les principaux problèmes d'intervention qui résultent des relations entre genre, fécondité et mortalité rurales et systèmes d'exploitation agricole; (b) identifier les axes de recherche que nécessiterait le traitement de ces problèmes, et (c) définir, dans l'état actuel des connaissances, des secteurs et/ou des points d'intervention possible en matière de développement rural et de programmes et politiques de population.

« Ce qui n'est pas compté n'est habituellement pas remarqué »

J. K. Galbraith.

Jusqu'à présent, on n'a pas trouvé en Afrique sub-saharienne de relation statistiquement significative entre différents types de travail agricole et la fécondité 1, en partie à cause des difficultés que posent la définition et la mesure des activités économiques des femmes, puisqu'une partie substantielle de leurs contributions à l'agriculture n'est pas enregistrée. Les négligences et préjugés qui ont nui le plus aux femmes concernent leurs activités dans le «secteur informel », leur «production domestique» et leur participation à la mise en valeur des «exploitations familiales ». Un autre problème surgit du fait que la façon de mesurer leur travail diffère selon les pays 2. Il n'est dès lors pas surprenant que les données démographiques liées aux informations relatives aux activités des femmes ou des hommes fassent défaut ou reposent sur des estimations b.

[ b Selon Oppong, aucun pays d'Afrique ne dispose d'un service d'état civil exhaustif ni d'un recensement national publié faisant partie d'un registre de la population continu d'une durée de dix ans. Les sources de données démographiques se composent de recensements, d'enquêtes et de rapports administratifs. Parmi les enquêtes démographiques, citons l'Enquête mondiale sur la fécondité (pauvre en données sur les taux d'activité économique des femmes), les Enquêtes démographiques et de santé de Westinghouse (qui, à l'exception du Ghana, ne comportent pas d'information sur l'activité économique des femmes), les enquêtes entreprises dans le cadre du Programme de faisabilité des enquêtes sur les ménages, et des enquêtes socio-économiques incluant un volet démographique, telles que les Enquêtes sur les niveaux de vie de la Banque mondiale. ]

La division du travail agricole selon le genre

Bien qu'il soit essentiel de disposer de données ventilées par genre sur la production si l'on souhaite pouvoir mesurer la contribution des femmes et identifier les besoins et les contraintes liés au genre, ce n'est pas la «solution idéale pour donner plus de visibilité aux femmes; cela permet seulement de découvrir la pointe de l'iceberg»3. Plus profondément, d'importants problèmes conceptuels et méthodologiques se reflètent souvent dans les stéréotypes sur le genre, qui ont un effet significatif sur les politiques et les programmes de développement agricole et rural. De tels stéréotypes sont eux-mêmes l'expression de préjugés liés au genre et du manque d'analyses relatives à cette variable. Il est ainsi communément admis que les hommes se consacrent aux cultures de rente, tandis que les femmes s'occupent de l'agriculture vivrière, considérée comme leur seul domaine d'activité, alors que les hommes sont également impliqués dans la commercialisation des produits agricoles. Pourtant, les statistiques officielles de nombreux pays découvrent un tableau différent: au Ghana, par exemple, les femmes représentent le tiers des agriculteurs cultivant des produits destinés à la commercialisation comme le cacao, le riz et la canne à sucre, et le quart des producteurs de tabac, noix de coco et huile de palme 4.

Les données ventilées par genre ne rendent pas seules compte de la complexité du rôle que joue la variable genre dans la dynamique, les interrelations, les intérêts, les responsabilités et les processus de prise de décision au sein des ménages agricoles. Comme de nombreux projets de développement s'élaborent sans la participation des femmes supposées en profiter, elles ne sont pas souvent capables. ou désireuses d'assumer les rôles qui leur sont attribués On peut dès lors se demander si l'importance des variations selon le sexe des rôles, besoins, contraintes et prises des décisions économiques a été assimilée 5.

Les données et les analyses relatives au genre doivent être favorisées par une allocation adéquate de ressources et par des méthodologies axées sur la contribution des femmes afin de garantir leur participation aux politiques et aux projets de développement. Un examen des actions financées par l'USAID a montré que celles qui attribuaient aux femmes des ressources correspondant à leur rôle dans le système agricole aboutissaient plus sûrement que les autres. Même lorsque l'essentiel d'un projet portait sur des activités relevant prioritairement de la responsabilité des femmes, celles-ci y participaient rarement, sauf lorsque des ressources et services leur étaient explicitement destinés 6. Dans les modèles de référence, les analyses sur le genre n'assuraient pas spécifiquement l'implication des femmes, même en l'absence d'obstacles à leur participation. Les normes socioculturelles, les traditions et stéréotypes, qui concernent souvent la fécondité et la reproduction des femmes, peuvent constituer un handicap majeur à leur participation dans les programmes et projets de développement.

Relations entre fécondité, mortalité et systèmes agricoles, et leurs implications

L'articulation entre genre, systèmes d'exploitation agricole et changements démographiques

Les systèmes d'exploitation agricole dépendent en grande partie des interrelations complexes entre le travail des hommes et celui des femmes. Cependant, au coeur de ces interrelations se rencontre une asymétrie entre hommes et femmes au regard de leurs intérêts, devoirs, obligations et contributions au sein du ménage et de l'exploitation familiale. Plus spécifiquement, le degré d'indépendance entre hommes et femmes dans leurs activités, dans leurs droits et dans leurs prises de décision, influence presque tous les aspects de la vie du ménage, de l'exploitation familiale, de sa gestion, de la production et du traitement des récoltes, des tâches domestiques, etc. 7

Tableau 1: Dans la plupart des régions, les femmes passent autant de temps, voire plus, à travailler que les hommes lorsque les activités domestiques non rémunérées sont prises en compte

 

Nombre total d'heures de travail par semaine

 

Femmes

Hommes

Régions développées Amérique du Nord et Australie (4)

49

50

Japon (4)

57

55

Europe de l'Ouest (9)

49

44

Europe de l'Est et URSS (10)

70

63

Afrique (4)

67

49

Amérique latine et Caraïbes (3)

60

55

Asie et Pacifique (6)

62

49

Note: Entre parenthèses figure le nombre d'études par région.

Source: Les données représentent des moyennes tirées d'un petit nombre d'études dans chaque région entre 1976 et 1988; elles ont été rassemblées par le Bureau de la statistique du Secrétariat des Nations Unies

Cinq modèles principaux de relations entre hommes et femmes dans la gestion des exploitations familiales ont été identifiés: entreprises indépendantes, tâches distinctes, activités communes, champs séparés, exploitations possédées ou gérées exclusivement par des femmes. Tandis qu'hommes, femmes et enfants travaillent tous aussi durement en haute saison agricole, la période des récoltes, ce sont les femmes et les enfants qui travaillent le plus en basse saison. Ajoutons que la contribution des hommes est déterminante pour un petit éventail de tâches agricoles (débrousaillage et soins au bétail principalement) ou dans le cadre d'activités ponctuelles (construction des maisons, couverture des toits, entretien des greniers). En revanche, le travail des femmes couvre l'année entière, comprend une grande variété de tâches souvent laborieuses à forte intensité de travail et il se caractérise aussi par une grande fragmentation dans le temps.

La combinaison des activités domestiques et agricoles contraint les femmes à des journées de travail considérablement plus longues que celles des hommes. En Asie, dans le Pacifique et en Afrique, elles travaillent chaque semaine douze à treize heures de plus que les hommes. Selon une étude réalisée aux Philippines dans laquelle ont été pris en compte le travail domestique et les soins aux enfants, la durée moyenne de travail hebdomadaire atteignait 70 heures par semaine pour les femmes au lieu de 57 pour les hommes. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les femmes travaillent chaque semaine 5,6 heures de plus que les hommes 8.

On ne peut comprendre les systèmes d'exploitation agricole sans prendre en compte l'évolution et la complexité des rôles et des relations qui les sous-tendent, ainsi que le poids que fait peser la multiplicité des activités productrices et reproductrices sur l'emploi du temps et l'énergie des femmes 9. En Afrique sub-saharienne, comme dans d'autres régions du tiers monde, une grande partie de l'activité économique se déroule dans le cadre du ménage (exploitations familiales) et les ressources productives sont globalement soumises au contrôle de la parenté. C'est particulièrement le cas pour les femmes qui s'adonnent prioritairement à des activités économiques domestiques, comme la culture, le traitement et la distributions de denrées alimentaires 10.

Il est indispensable de disposer de profils travail/production adéquats au niveau des ménages paysans et de saisir leur dynamique interne afin d'identifier et de prendre en considération les rôles et les contraintes qui pèsent sur les hommes et les femmes et d'évaluer cette dynamique interne des ménages. Le succès des politiques et des programmes de développement est déterminé par la prise en compte de ces informations.

Les concepts-clés sur lesquels reposent la collecte et l'analyse des données d'enquêtes démographiques et économiques, tels que «ménage », «parenté» et «mariage », ont souvent été mal définis et opérationnalisés, assurant ainsi la permanence des stéréotypes. A titre d'exemple, comme les mariages sont potentiellement polygames dans certaines parties de l'Afrique, les ménages dirigés par des femmes (en dehors de ceux qui résultent de l'émigration des hommes) sont fréquents (voir Module I) 11, ce qui est un facteur de complication considérable pour la définition du ménage agricole en tant qu'unité d'analyse. Selon Adepoju et Oppong, «les statistiques sur le travail des femmes sont souvent tellement inadéquates qu'elles rendent pratiquement impossibles les calculs de corrélation entre variations des activités économiques des femmes et situations démographiques en termes de différences et d'évolution des taux de natalité et de mortalité»12

Au niveau micro, le stéréotype de la famille nucléaire (mari, femme et enfants) domine les hypothèses relatives à la nature des systèmes familiaux, surtout dans le cas de l'Afrique. Ce stéréotype implique que la famille nucléaire ou conjugale se confond avec le groupe domestique et constitue en même temps le lieu où sont prises les décisions économiques et démographiques, ainsi que celles concernant les activités annexes. Par exemple, on a cru à tort qu'il y avait incompatibilité entre le travail des femmes et un niveau élevé de fécondité, et que celles-ci exerçant principalement des tâches domestiques non rémunérées, avaient des intérêts économiques identiques à ceux de leur conjoint 13.

Le cadre conceptuel présenté ci-dessous expose dans leurs grandes lignes quelques unes des relations entre répartition du travail par sexe et âge, systèmes d'exploitation agricole et caractéristiques et stratégies démographiques des ménages. Ce modèle suppose que les familles cherchent à optimiser cet ensemble de variables et que les interactions entre ces dernières se produisent suivant un schéma rationnel. Les systèmes d'exploitation agricole tendent à évoluer plus rapidement que la division du travail et que les caractéristiques et stratégies démographiques des ménages. Ses transformations sont donc susceptibles de provoquer des dysfonctionnements, éventuellement systémiques, dans les deux autres domaines.

En résumé, le système d'exploitation agricole, le travail des champs et les profils démographiques des ménages sont liés de telle sorte que des changements survenant dans un groupe de variables ont des conséquences directes ou indirectes pour les deux autres. Il importe de concevoir ces trois groupes de facteurs comme formant une structure d'interdépendances pour s'assurer que les transformations des systèmes d'exploitation agricole se produisent en synergie avec les changements de l'organisation du travail sans provoquer de modifications indésirables dans les comportements démographiques. En cas de déstabilisation, une nouvelle combinaison optimale doit être identifiée de même que les variables sur lesquelles pourraient peser les interventions.

Figure 1: Répartition du travail dans les ménages, systèmes d'exploitation agricole et profils démographiques

Les actions de développement ont souvent entraîné des effets pervers sur le statut socio-économique et les rôles des femmes en matière de production et de reproduction, en grande partie parce que l'évolution des relations entre systèmes d'exploitation agricole, profils de travail et population n'a pas été prise systématiquement en compte. Ces interventions incluent les éléments suivants:

En ignorant les implications démographiques et les conséquences de la mise en oeuvre de nouvelles techniques pour les modes de culture, et en ne garantissant pas aux femmes l'accès aux services, nombreuses sont les interventions de développement qui ont eu pour effet de maintenir, voire d'élever, les niveaux de fécondité (et de mortalité): en effet, les femmes cherchent à compenser leur surcharge de travail, leurs déplacements ou leur marginalisation par un nombre accru d'enfants.

Relations entre les goulots d'étranglement dans le travail, la fécondité et la mortalité

La saisonnalité des activités exigeant du temps et de l'énergie de la part des femmes est connue pour avoir des effets négatifs sur leur capacité à faire face aux nécessités du travail agricole tout en préservant leurs tâches maternelles, notamment pendant la grossesse et l'allaitement 14. Dans l'est de l'Ouganda, le travail agricole des femmes culmine pendant la saison des pluies (juin-juillet et janvier).

« C'est durant cette période qu'une famille doit se procurer la plupart des aliments nécessaires jusqu'à la prochaine saison des pluies. C'est donc la pleine saison agricole. Or, c'est à cette époque que la plupart des femmes sont enceintes après avoir conçu durant la saison creuse, rythmée par de nombreuses festivités. Elles ne peuvent cependant ni s'asseoir ni se reposer comme le leur recommande le personnel médical. Elles doivent accomplir l'ensemble de leurs autres charges comme à l'accoutumé, dans le ménage, pour la culture et le traitement des produits vivriers et pour tous les autres services essentiels à la vie familiale. Ces exigences en termes de temps et d'énergie sont excessives par rapport à leur régime alimentaire. C'est en effet à cette période mouvementée, surtout à la veille de la moisson, que les zones rurales souffrent toujours de pénurie de vivres» 15.

Selon une étude réalisée en 1994, la fonction reproductive des paysannes Embu du centre du Kenya les oblige à réduire le temps consacré à la culture vivrière, à l'élevage, au commerce et au ménage. Les activités agricoles et économiques sont particulièrement limitées pendant le troisième trimestre de la grossesse et pendant la période d'allaitement la plus intense. Sur les deux années du cycle de grossesse et d'allaitement, les femmes concernées ont consacré environ 53 journées de onze heures de travail de moins que les autres femmes à l'agriculture et autres activités productives. L'étude suggère que cette perte de travail peut compromettre gravement la production alimentaire et réduire les revenus des ménages Embu, des plus pauvres en particulier 16.

Ces données indiquent que les programmes de développement agricole doivent veiller à ne pas accroître la quantité de travail exigée de, ménages jusqu'à rendre la tâche des femmes impossible. Les auteurs de l'étude affirment que «l'excès des demandes directes en travail ou les demandes dues indirectement à des changements dans la structure des activités d'autres membres du ménage peuvent obliger les femmes à travailler au-delà de ce qui est bon pour elles et les jeunes enfants à leur charge. Le résultat en pourrait être de forcer ces femmes à réduire le temps consacré aux activités liées aux programmes agricoles au risque de les faire échouer» 17.

Tableau 2: Comparaison, sur une période de deux ans, du nombre d'heures consacrées à diverses activités par les femmes enceintes ou qui allaitent et par les autres.

Type d'activités

Heures (sur deux ans)

 

(A) Femmes non enceintes et n'allaitant pas en 24 mois

(B) Femmes enceintes (9 mois) et qui allaitent (15 mois)

Différence (B) - (A)

Soins aux enfants

403

1020

+617

Autres travaux :

     

Elevage

329

248

-81

Commerce

1062

814

-248

Préparation des repas

1049

1008

-41

Ménage

1136

1048

-88

Artisanat

194

204

+10

Culture vivrière

1630

1495

-135

Cueillette

0

4

+4

Source: Tiré de "The Influence of Reproductive Status on Rural Kenyan Women's Time Use", op. cit., 1994, p. 352.

Les périodes d'intense travail agricole, semailles et sarclages par exemple, ont également été associées à un faible poids des enfants nés à ce moment-là, du fait d'un sevrage précoce résultant en de courts intervalles intergénésiques, deux facteurs susceptibles d'accroître les taux de mortalité infantile et de fécondité. Le sarclage a lieu en pleine saison des pluies, lorsque les risques de diarrhée sont au plus haut et les réserves de vivres au plus bas. Le poids des femmes enceintes diminue à cette période et celui des nouveau-nés fluctue selon une courbe saisonnière 18. En l'absence d'un conjoint pour les soulager d'une partie de leur travail, on constate aussi que les femmes seules allaitent moins longtemps, car elles sont contraintes, plus souvent que les autres, à travailler à l'extérieur de la maison. A leur tour, l'allaitement et le sevrage peuvent influencer jusqu'à un certain point la taille de la famille par leurs effets sur la fécondité et la mortalité 19.

Fécondité, production agricole et valeur socio-économique des enfants

Des taux de fécondité élevés résultent d'une valeur socio-économique positive des enfants, surtout en milieu rural 20, et de taux élevés de mortalité infantile. Les enfants des pays du tiers monde apportent une contribution significative aux ressources du ménage: ils aident à la récolte et au traitement des produits vivriers ainsi qu'à leur commercialisation; ils prennent soin des animaux; les filles aident leurs mères à élever leurs frères et soeurs, à transporter l'eau et le bois de chauffage et à faire la cuisine. Les garçons participent aux travaux d'irrigation, de pêche et de récolte. Les parents attendent aussi de leurs enfants devenus adultes qu'ils prennent soin d'eux pendant leur vieillesse.

Avec l'épuisement des nappes phréatiques et de la fertilité des sols dû à la dégradation de l'environnement et avec l'augmentation des responsabilités agricoles des femmes, le travail des enfants devient indispensable pour faire face à l'augmentation des besoins en main d'oeuvre dans les ménages.

En milieu rural, la valeur «nette» des enfants (valeur économique actuelle augmentée de l'aide anticipée pendant la vieillesse et diminuée des coûts de leur éducation) est le plus souvent favorable aux parents. Une fécondité élevée constitue donc une stratégie rationnelle. Plus les enfants sont nombreux, plus les activités agricoles et domestiques sont exécutées efficacement et rapidement.

La persistance des familles nombreuses peut s'expliquer en partie par la division du travail, les besoins en main-d'oeuvre et l'accès à la terre (discutée en détail dans le Module II). Ceci est particulièrement vrai de l'agriculture de subsistance c qui n'a subi aucun changement (technique, commercial, etc.) susceptible de réduire le besoin en main d'oeuvre 24. De nouvelles pratiques, comme la mécanisation, l'utilisation d'engrais, etc. peuvent introduire des transformations dans les systèmes agricoles tout en induisant un accroissement des besoins en travail des femmes et des enfants, particulièrement pendant la morte saison. On manque d'informations précises sur d'éventuelles différences dans le niveau de la fécondité et la taille des ménages entre les régions bénéficiant de projets de développement rural et celles qui en sont dépourvues 25.

[ c Le terme «subsistance», tel qu'utilisé ici, n'indique pas le minimum vital en termes de vivres et de logement; par «production de subsistance», nous n'entendons pas «vivre au niveau de la subsistance». Les petites exploitations agricoles de subsistance comprennent aussi bien celles qui produisent à peine de quoi couvrir les besoins de la consommation domestique que celles qui produisent suffisamment pour commercialiser jusqu'à environ la moitié de leurs récoltes (La-Anyane, S., The Agricultural Industry of Western Africa. Accra: Ghana University Press, 1988, p. 20. ]

La contribution des enfants aux activités agricoles et à l'économie familiale n'est généralement pas quantifiée et les implications de leur participation aux ressources du ménage ne sont pas prises en compte dans les programmes de développement. Ainsi, lorsque les enfants sont scolarisés pendant la période des récoltes, les femmes souffrent d'une surcharge de travail. Les ménages ruraux les plus pauvres peuvent n'avoir d'autres recours que de retirer leurs enfants de l'école afin de satisfaire leurs besoins en main d'oeuvre.

Le fait de retirer les enfants de l'école a des conséquences à long terme: on a constaté en effet que l'éducation peut relever la productivité agricole en augmentant celle des intrants et en permettant aux paysans de réagir plus rapidement en situation de crise. Le rendement social de l'éducation atteint 2540 pour cent en Malaisie, 14-25 pour cent en Thaïlande et 7-11 pour cent en Corée du Sud 26. On constate aussi que la déscolarisation est plus forte pour les filles que pour les garçons. Les recherches démontrent que les jeunes femmes ayant été scolarisées au moins quelques années ont moins d'enfants que les autres. En Namibie par exemple, les femmes n'ayant jamais été scolarisées se caractérisent par un indice synthétique de fécondité (ISF) de 6,6 enfants, contre 6,1 pour celles qui ont un niveau d'éducation de une à six années, 5,2 pour celles qui ont bénéficié de sept à huit années d'école primaire, et 4,1 pour celles qui ont fréquenté l'école secondaire 27.

L'analyse de la division du travail se concentre actuellement sur les contributions respectives des hommes et des femmes. Cette méthode ne tient cependant pas compte de l'entièreté du ménage agricole, qui inclut aussi les enfants, dont nous venons de mentionner la participation substantiel le à l'économie du ménage et au soutien des personnes âgées. La prise en compte des contributions respectives des enfants, garçons et filles, sur la base du nombre de jours par personne pour chacune des activités agricoles et non agricoles et pour les tâches ménagères améliorerait notre connaissance de la structure de l'activité des ménages et de leur dynamique interne.

Mortalité et VIH/SIDA

Les mortalités maternelle et infantile sont étroitement liées à la natalité et au rôle productif des femmes. Au cours de ces dernières années, la récession économique et les programmes d'ajustement et de stabilisation structurels ont contribué à la dégradation du statut nutritionnel et de la santé des femmes et des enfants. Plus grave encore, la dissémination du VIH/SIDA a provoqué une augmentation rapide de la mortalité des adultes et des enfants dans certains pays d'Afrique sub-saharienne et d'Asie. Selon des estimations récentes, l'espérance de vie à la naissance va baisser en Ouganda, en partie à cause du VIH/SIDA : estimée à 47 ans en 1975-1980, elle aurait dû augmenter à 54 ans vers 2000-2005, mais les projections la font descendre maintenant en-dessous de 44 ans, soit un retard de dix ans par rapport aux prévisions antérieures. La Zambie et le Zimbabwe pourraient se caractériser par un déclin encore plus prononcé: en effet, l'espérance de vie à la naissance, qui atteignait respectivement 49 et 54 ans en 1975-1980, tombera à 46,5 et 51 ans en 20002005 au lieu de s'élever à 60 et 65 ans (en l'absence du SIDA) 28.

Selon l'UNICEF, le SIDA causera plus de décès parmi les enfants africains que la malaria ou la rougeole au cours des trois prochaines années 29. De tels effets seront visibles dans plusieurs pays d'Afrique lorsque les trois quarts des onze millions de personnes contaminées par le VIH en Afrique sub-saharienne qui n'ont pas encore développé la maladie seront à leur tour atteintes 30.

L'épidémie se répandra de façon similaire dans certaines régions d'Asie au cours de la prochaine décennie.

Des travaux récents de la FAO indiquent que la mortalité par SIDA pose des problèmes non seulement sur le plan à la fois médical et démographique, mais aussi pour l'économie rurale, et plus particulièrement pour les systèmes d'exploitation agricole, à cause des effets de la morbidité et de la mortalité par SIDA sur l'organisation du travail et sur les modes de vie en zone rurale, des mécanismes adoptés par les communautés villageoises pour y faire face et des types d'interventions susceptibles d'atténuer l'impact négatif de l'épidémie. Le genre représentant une dimension particulièrement importante de cette maladie, une attention spéciale doit être portée à l'impact qu'elle exerce sur les agricultrices et sur les ménages dirigés par des femmes. Un résumé succinct du contenu de ces études et de leurs implications est présenté ci-dessous.

Les conséquences de la mortalité liée au VIH/SIDA sur les systèmes d'exploitation agricole et les familles rurales: une étude de cas en Afrique de l'Est d

[ d Ces études de cas sont présentées dans deux publications de la FAO: (a) "The Effects of HIV/AIDS on Agricultural Production Systems and Rural Livelihoods in East Africa": dans cette étude des équipes nationales multidisciplinaires ont mené des enquêtes d'impact du VIH/SIDA dans différents systèmes d'exploitation agricole en Ouganda, Tanzanie et Zambie, en mettant l'accent sur les méthodes de collecte de données qualitatives tirées d'évaluations rapides avec participation des populations (RRA, PRA); et (b) "The Socio-Economic Impact of HIV/AIDS on Rural Families in Uganda, with an Emphasis on Youth": Cette enquête menée dans six villages des districts de Kabarole, Gulu et Tororo a utilisé des PRA et RRA pour 1°) évaluer l'impact socio-économique de cette maladie sur les ménages ruraux (économie domestique, santé, éducation, etc.); 2°) identifier les facteurs de risque de l'épidémie parmis les jeunes; et 3°) mener une enquête CAP (connaissances, attitudes, pratiques) auprès des jeunes sur le VIH/SIDA. Le travail de terrain s'est fait dans le cadre d'un projet d'extension agricole en cours. ]

La perte de travail constitue l'impact principal qu'exerce la mortalité liée au VIH/SIDA sur les systèmes d'exploitation agricole. Dans son étude intitulée «Les effets du VIH/SIDA sur les systèmes de production agricole et les modes de vie ruraux en Afrique de l'Est», la FAO a enquêté sur trois de ces systèmes; elle a constaté que deux d'entre eux souffraient d'une grave pénurie de main-d'oeuvre, provenant principalement de la mortalité par SIDA dans l'un des villages.

Dans une communauté de l'Ouganda qui avait souffert pendant une période prolongée de mortalité par SIDA, les effets suivants ont été identifiés:

L'étude de la FAO sur l'«Impact socio-économique du VIH/SIDA sur les familles rurales» en Ouganda montre que le déclin de la production agricole et la perte de revenus par les ménages réduisent leur capacité à satisfaire certains de leurs besoins, comme dans le domaine de l'éducation et de la santé (voir encadré ci-dessus). La division du travail selon le sexe et l'âge s'en trouve profondément modifiée. La mortalité par SIDA accroît le besoin en travail des enfants. Ce sont les filles qui en souffrent le plus, car elles sont les premières à devoir quitter l'école pour s'occuper de leurs frères et soeurs plus jeunes ainsi que des malades, prendre soin de l'exploitation familiale et assurer les tâches domestiques.

Les conséquences de la mortalité par SIDA frappent de façon disproportionnée les femmes et les petites filles. L'étude de la FAO sur l'«Impact socio-économique du VIH/SIDA sur les familles rurales» constate en effet que la maladie produit une proportion plus élevée de veuves, plutôt que de veufs, chefs de ménage. Les veuves avec charge d'enfants tendent à s'appauvrir. Elles sont progressivement dépourvues de tout accès aux moyens de production, terre, main-d'oeuvre, équipement, vulgarisation agricole, crédit et autres types de services. L'ostracisme attaché au VIH/SIDA aggrave encore leur situation jusqu'à les exclure du soutien de la parenté, qui est souvent leur seul filet de sécurité, et de celui de la communauté villageoise 32.

L'encadré n° 2 illustre la façon dont la mortalité par SIDA agit sur les ménages agricoles, sur la sécurité alimentaire et sur le niveau de vie des familles (et particulièrement en matière de nutrition et de santé). Le cadre de travail conceptuel présenté dans la Figure 2 et les autres tableaux relatifs à la division du travail selon le sexe et l'âge montrent comment le décès d'un ou de plusieurs membres de la famille peut avoir des répercussions multiples sur le système agricole en termes de quantité et type de travail, de combinaison de qualifications, d'interruption d'envois d'argent et de réallocation des ressources. Lorsque les deux parents décèdent, le SIDA peut aussi amener enfants ou grands-parents à diriger les ménages.

Hélène est veuve. Elle a eu six enfants et aura bientôt 40 ans. Elle a été mariée à l'âge de treize ans. Son mari est décédé du SIDA en 1988. Egalement atteinte par cette maladie, elle est alitée et gravement sous-alimentée. Hélène vit avec sa fille de 19 ans, célibataire avec un enfant de deux ans, qui a été scolarisée pendant cinq ans. Cette jeune femme est seule à prendre soin d'elle. «Sans elle je ne m'en serais pas tirée. Je n'aurais pas survécu» dit-elle.

Aucun de ses fils ne travaille. Après le décès de son mari, ils ont quitté l'école parce qu'elle n'avait plus les moyens de payer les frais de scolarité. Aujourd'hui, ils ne trouvent pas d'emploi. L'un d'eux vit dans le voisinage, mais il ne possède qu'un petit lopin de manioc qui suffit à peine à nourrir sa propre famille, encore moins sa mère et sa soeur.

Du vivant de son mari, la famille cultivait des pommes de terre et du sorgho sur un terrain de trois acres. Elle vendait une partie du sorgho pour acheter du savon, du sel, de la viande, du poisson et du millet. La famille de son mari n'a pas encore réclamé ce terrain, mais elle craint que cela ne se produise à tout moment. Quand elle se sent forte, elle travaille comme journalière pour gagner un peu d'argent. La salaire d'un journalier est de 1 000 shillings ougandais (environ un dollar US) par jour. Elle aimerait cultiver des haricots pour améliorer l'ordinaire de sa famille, mais ne peut pas le faire pour l'instant parce que les rendements se sont effondrés. Le vieux shamba (champ) de manioc est presque épuisé et la nouvelle parcelle est encore trop récente pour produire une récolte. Hélène n'a pas pu récolter le millet cette année à cause de douleurs aiguës et parce qu'elle était trop faible pour travailler. Sa famille ne produit pas assez d'aliments pour vivre. Son menu se compose de manioc bouilli avec quelques légumes sans sauce (faute d'argent pour acheter l'huile nécessaire à sa préparation). La fille d'Hélène s'efforce de préparer deux repas par jour, amis elle doivent souvent se contenter d'un seul. Hélène n'a pas mangé de fruit depuis plus d'un mois.

Cette veuve n'a bénéficié d'aucun support moral ni matériel de sa belle-famille ou de son village. Elle ne reçoit jamais de visite. Elle-même et sa famille n'attirent que des réactions négatives, dit-elle. Elle ne désire pas demander l'aide de la parenté masculine de son mari de peur que les femmes ne la soupçonnent d'entretenir des rapports sexuels avec leurs conjoints.

Quand elle n'est pas alitée, Hélène travaille de cinq heures du matin à neuf heures du soir. Cette longue journée de travail l'épuise, mais elle ne peut se permettre de se reposer, car elle-même et sa fille n'ont pas suffisamment de quoi vivre. Elle décrit sa situation comme un cercle vicieux: elle ne peut produire assez de nourriture pour elle-même et sa famille parce qu'elle est trop faible et affamée; or, il lui faudrait manger convenablement pour trouver la force de travailler dans le shamba.

Source: D. Topouzis, The Socio-Economic Impact of HIV/AIDS on Rural Families, FAO, 1994, p. 15.

Les études de la FAO indiquent aussi que la mortalité par SIDA compromet l'exécution des programmes agricoles. La maladie frappe lourdement les services d'information agricole, notamment dans le district de Rakaï en Ouganda où elle a fait perdre 20 à 50 pour cent du temps de travail lié aux activités de vulgarisation. Le personnel s'absente souvent pour assister à des funérailles ou venir en aide à la parenté malade. Plusieurs employés sont eux-mêmes tombés malades et sont décédés. En fait, le personnel des services de vulgarisation agricole constitue un groupe à «risque élevé» de contamination par le VIH/SIDA à cause de ses nombreux déplacements, des contacts qu'ils entretiennent avec une grande partie de la population et parce qu'il n'a pas bénéficié de campagnes spécifiques de sensibilisation à cette maladie. L'épidémie complique leur travail avec les paysans. Une réunion qui coïncide avec des funérailles est reportée. Dans certains villages du district de Rakaï en Ouganda, où l'on a compté jusqu'à dix à quinze décès par mois, ces travailleurs rencontrent des difficultés croissantes à opérer 33.

En Ouganda, leur époux à peine décédé du SIDA, certaines veuves ont déclaré avoir perdu tout accès aux services de vulgarisation agricole qu'elles appréciaient énormément (dont déjà peu d'entre elles avaient le privilège). Ce décès les prive non seulement du travail et du revenu de leur mari, mais leur interdit tout accès au crédit, à l'information et aux services de vulgarisation agricole, aux coopératives ou autres organisations paysannes, et les prive d'un savoir-faire spécifique aux cultures commerciales et à certaines pratiques agricoles. L'ostracisme entraîné par le SIDA alourdissant la charge qui pèse sur ces veuves, il était particulièrement grave pour elles de se voir exclure des services de vulgarisation au moment où elles en avaient le plus besoin.

Il est important de souligner que même si le VIH/SIDA semble avoir sévi jusqu'à présent plus fortement en Afrique que dans d'autres continents du tiers monde, et que l'on en sait certainement plus sur son impact dans cette région, il est probable que des situations analogues pourraient être observées dans plusieurs pays d'Asie et des Caraïbes frappés par la maladie. En fait, la mortalité par SIDA n'est pas uniquement un problème africain. Ainsi par exemple, les taux élevés de contamination par le VIH dans les provinces septentrionales de la Thaïlande appellent une investigation de l'impact que pourra avoir la mortalité par SIDA sur les systèmes rizicoles. Une meilleure connaissance des conséquences du VIH/SIDA pour la division du travail selon le sexe et l'âge et de ses répercussions démographiques permettrait de développer les interventions d'exploitation agricole demeure largement ignorée. La section consacrée aux goulots d'étranglement du travail en rapport avec la fécondité et la mortalité a montré le besoin d'explorer la manière dont les changements dans les techniques agricoles peuvent influencer l'activité des femmes sur l'exploitation familiale, qu'ils résultent en une augmentation ou en une diminution de sa charge de travail ou de sa capacité à allaiter.

· Différenciation des divers types de cultivateurs selon le sexe et le statut économique dans l'agriculture de subsistance en veillant à inclure les ménages dirigés de facto ou de jure par des femmes dans les groupes cibles des politiques, programmes et projets

On a généralement tendance à supposer que les petits cultivateurs forment un groupe homogène avec des intérêts, des besoins et des contraintes uniformes. A y regarder de plus près, une forte hétérogénéité apparaît cependant en termes de genre, de taille d'exploitation, de revenu annuel, etc. C'est ainsi qu'on peut identifier par exemple les ménages dirigés par des femmes et qui ont de ce fait un moindre accès à la terre, aux moyens de production et aux services, les ménages sans terre, etc.

On suppose également communément que les femmes du milieu rural constituent un groupe homogène. Pourtant, les recherches ont montré que les nouvelles technologies peuvent les concerner de façons très diverses. Aux Philippines par exemple, l'introduction dans la culture du riz de la technique des semis humides directs avec des variétés à haut rendement (VHR) qui réduisent le besoin en main d'oeuvre pour les opérations de semis avec ramassage en faisceaux et de repiquage traditionnellement accomplies par les femmes, exerce des effets opposés selon leur statut de propriétaire ou d'ouvrière agricole. Les VHR ont eu pour conséquence d'abaisser les taux de fécondité et la mortalité maternelle et infantile pour [es premières, mais d'augmenter la fécondité (avec une préférence pour les garçons parce que la demande de travail masculin est plus forte) et la mortalité infantile pour les secondes 35.

· Goulots d'étranglement du travail et fécondité/mortalité

Les recherches menées en zone rurale sur les conséquences des fonctions reproductives des femmes sur leur emploi du temps au Kenya ont présenté des conclusions très intéressantes sur les activités de production et de reproduction d'une part, sur le calendrier agricole d'autre part. Ces résultats méritent d'être pris en considération lors de la conception des interventions, de façon à s'assurer que la charge de travail des femmes n'augmente pas et que celles-ci ont les moyens de reconstituer leur force de travail. On ne sait pourtant pas grand-chose de la manière dont l'alourdissement des tâches quotidiennes incombant aux femmes à certaines étapes du cycle agricole peut les amener à réduire la durée d'allaitement, ni des conséquences démographiques que peuvent engendrer chez elles différents types d'innovation agricole.

Une exploration approfondie des effets de l'introduction de nouvelles techniques agricoles sur la fécondité et le travail des femmes du point de vue de leur capacité à allaiter est nécessaire. Plus spécifiquement, il s'agit de répondre aux questions suivantes: Quelles sont la fréquence et l'intensité de ce phénomène ? Quelles activités agricoles sont les plus ardues et potentiellement les plus dommageables pour les femmes enceintes ? Comment peut-on y remédier par de nouvelles techniques ? Comment rendre ces dernières acceptables et attractives pour les paysannes ?

Une façon d'amorcer la réponse à quelques-unes de ces questions serait de classifier les systèmes d'exploitation agricole non seulement selon leurs caractéristiques physiques (c'est-à-dire petites exploitation naturellement arrosées, agriculture itinérante sur les hautes terres, champs irrigués, etc.) mais aussi selon les dynamiques internes des ménages. Pour ce faire, il faudra obtenir des données pertinentes sur le type de technologies le mieux adapté à chaque système d'exploitation agricole et dégager des priorités selon la nature de l'organisation productive.

· Evaluation de l'impact différentiel de l'introduction de nouvelles techniques selon le genre dans la perspective de leurs effets potentiels sur la fécondité et la mortalité, avec une attention particulière aux avantages pour chaque sexe des différents types de changement technique dans l'agriculture.

L'introduction de nouvelles technologies tend à favoriser les hommes au détriment des femmes; ces techniques ont en effet marginalisé celles-ci en alourdissant leur charge de travail ou parce que ne correspondant pas à leurs besoins réels ou à leurs compétences. En identifiant et en comprenant le rôle nécessaires pour en atténuer les effets négatifs sur la production et les systèmes d'exploitation agricole ainsi que sur les petits cultivateurs.

Principaux problèmes et besoins en matière de recherche

· Recueil de données ventilées selon le sexe et développement de méthodologies axées sur le genre dans la recherche sur les systèmes d'exploitation agricole, y compris pour les informations sur les relations entre agriculture et population

La recherche sur les systèmes d'exploitation agricole est perçue comme ayant mal réussi à intégrer les questions de genre et à recueillir des données par sexe 34. Ceci n'est cependant pas complètement le cas, car aucun pays ne collecte de données sur les systèmes d'exploitation agricole comme tels: la recherche se déroule habituellement dans le cadre d'interventions et de contextes spécifiques. Il n'en demeure pas moins que la collecte de données ventilées selon le sexe et l'âge à l'occasion de programmes et de projets révélerait la place que le genre occupe dans les rôles, les besoins et les contraintes des différents membres du ménage, et pourrait de la sorte faire beaucoup progresser l'élaboration de profils de travail plus adéquats et la clarification de leurs liens avec les problèmes de population.

La conceptualisation du ménage agricole en tant qu'unité de production peut faire problème, et le fait que certains peuvent inclure deux ou plusieurs sous-systèmes de production n'est pas encore pleinement reconnu, tant par les décideurs que par les planificateurs du développement. Cette ignorance peut résulter tant de facteurs socio-économiques que d'une insensibilité à la réalité du genre. C'est ainsi qu'un peu partout en Afrique et selon le nombre de femmes présentes dans le ménage, l'homme ne contrôle qu'un seul système de production, tandis que les autres sont à la charge de son épouse et, éventuellement, des co-épouses. Dans d'autres cas et du fait des migrations (d'hommes ou de femmes), les envois d'argent, sur lesquels comptent beaucoup de familles, représentent un autre sous-système de production.

En outre, les rôles attribués à chaque sexe dans le domaine de la création et du transfert de technologies restent insuffisamment compris et la nécessité de relier les données démographiques à l'information relative aux activités économiques des femmes et des hommes dans le cadre des systèmes joué par les femmes dans les systèmes de production agricole et en les consultant avant d'introduire de nouvelles techniques, on pourra faciliter l'apparition de moyens adaptés à l'usage des cultivatrices. Il serait également important d'évaluer empiriquement la manière dont cette introduction influence le travail des femmes lors de certaines phases du cycle agricole et pendant la grossesse et l'allaitement, et de déterminer si elle est susceptible d'augmenter la fécondité ou la mortalité.

· Identifier, mesurer et prendre en compte les contributions économiques des enfants, garçons et filles

Malgré les difficultés logistiques et pratiques pour mesurer les contributions économiques des enfants, des investigations se révèlent indispensables pour évaluer dans quelle mesure les nouvelles technologies peuvent modifier indirectement les pratiques de fécondité et neutraliser les gains tirés de la baisse de la fécondité en augmentant l'apport de travail des filles et en incitant ainsi à les déscolariser. La manière la plus efficace de quantifier la contribution des enfants serait de la mesurer en personne/jour par type d'activité et par saison. Ceci permettrait aux décideurs et aux planificateurs de prendre des décisions relatives à l'introduction de nouvelles techniques, de nouvelles cultures, etc., en considérant leurs effets sur les facteurs démographiques et de genre.

Parmi les questions clés qui exigent une réponse figurent les suivantes: des changements dans les systèmes de production agricole (modes de culture, nouvelles techniques, etc.) pourraient-ils obtenir un meilleur équilibre dans la répartition du travail selon le sexe et l'âge, de manière à contrebalancer les besoins croissants du travail des enfants et les surplus de responsabilités qui échoient aux femmes et aux filles dans la production agricole ? Quels sont les conséquences du travail des enfants sur les systèmes de production agricole et sur l'économie des ménages agricoles ? Y a-t-il des ajustements dans les politiques qui permettraient d'empêcher la déscolarisation des enfants résultant de besoins en main-d'oeuvre ? Quelles sont les implications d'une surcharge de travail pour les femmes sur leur fécondité et plus particulièrement sur leurs choix reproductifs ?

Enfin, étant donné la contribution significative mais invisible des enfants et des adolescents au développement agricole et rural, on pourrait s'efforcer de:

· Faire en sorte que les politiques et les programmes prennent en charge les effets socio-économiques et démographiques de la mortalité par VIH/SIDA

Les effets systémiques de l'impact socio-économique que le VIH/SIDA exerce à l'échelle du ménage, y compris sur les stratégies de survie et sur les hommes et les femmes, doivent être pris en compte dans les programmes de population tout comme dans les actions de développement agricole et rural, par l'intégration de la dimension genre de cette épidémie. Ainsi donc faut-il que les concepteurs d'actions de développement dans les pays les plus touchés par cette maladie (comme le projet oléagineux en Ouganda, les projets de vulgarisation agricole en Zambie, les projets de cultures commerciales au Zimbabwe, etc.) en considèrent les dimensions démographique et de genre, et plus particulièrement les effets potentiels de la mortalité et de la morbidité par VIH/SIDA sur les systèmes assurant la survie des cultivateurs et cultivatrices. Les réponses à cette épidémie doivent aussi prendre en compte les liens entre le genre, la sécurité alimentaire du ménage et ses fonctions de solidarité, et elles doivent être axées sur les individus.

Comme on ne connaît pas encore grand-chose de l'impact du VIH/SIDA sur les systèmes de production agricole en Asie et sur leurs liens avec les problèmes de population, la recherche doit procéder par enquêtes pilotes. En Thaïlande par exemple, une étude de l'impact de la mortalité par SIDA sur les systèmes rizicoles, sur la division du travail selon le sexe et l'âge en particulier et sur les répercussions du VIH/SIDA sur les pratiques démographiques, pourrait aider à orienter les politiques cherchant à atténuer les effets négatifs de cette épidémie sur la production agricole, sur les systèmes d'exploitation et sur les petits cultivateurs.

Notes et références

1. Christine Oppong, «Introduction» dans Aderanti Adepoju et C. Oppong, Gender, Work and Population, Genève, BIT., 1994, p. 10.

2. Ibidem, pp. 10-11.

3. A. Evans, "Statistics", dans Ostergaard, L. (Eds.), Gender and Development: A Practical Guide, Londres, Routledge, 1992, p. 12, cité dans Caroline Moser, "Evaluating Gender Impacts", Document de conférence sur l'évaluation et le développement, Banque mondiale, 5 et 6 décembre 1994, p. 14.

4. K. Ewusi, "Women in Occupation in Ghana", Communication au séminaire sur les femmes et le développement, organisé par le Conseil des femmes, Legon, Ghana, 1978, cité dans Constantine Safilios-Rothschild, "Agricultural Policies and Women Producers", dans Gender, Work and Population in Sub-Saharan Africa, op. cit., p. 57.

5. Oppong, «Introduction» dans Gender, Work and Population, op. cit., p. S.

6. A.S. Carloni, "Women in Development: AlD's Experience 1973-1985", vol. 1, Synthesis Paper, Programme Evaluation Report N° 18, cité dans Women, Food Systems and Agriculture, Document sur les femmes dans le développement, FAO, 1990.

7. Christine Oppong, «Introduction », op. cit., p. 3.

8. The World's Women: Trends and Statistics 1970-1990, Nations Unies, New York, 1 991.

9. Oppong, «Introduction», op. cit., p. 2.

10. Ibidem.

11. Oppong, «Introduction», op. cit., p. 3.

12. Cité dans l'introduction de Gender, Work and Population, op. cit., p.3.

13. Ibidem, p. 3.

14. Ingrid Palmer, "Seasonal Dimension of Women's Roles", dans R. Chambers, R. Longhurst et A. Pacey (Eds.), Seasonal Dimensions to Rural Poverty, Londres, Frances Pinter, Ltd., 1981, cité dans Oppong, «Introduction», op. cit., p. 14.

15. FAO, Manual on Project Planning and Formulation of Integrated Population, Women in Rural/Agricultural Development Projects, draft mimeo, 1990, cité dans Zoran Roca, "Women and Population in Agricultural and Rural Development in Sub-Saharan Africa", Women in Agricultural Development paper N° 5, p. 19.

16. Michael Baksh, Charlotte Neumann, Michael Paolisso, Richard Trostle et A. Jansen, "The Influence of Reproductive Status on Rural Kenyan Women's Time Use", Social Science and Medecine, Vol. 39, N° 3, 1994, p. 354.

17. Ibidem.

18. Ingrid Palmer, Gender and Population in the Adjustment of African Economies: Planning for Change, Genève, BIT., 1991, p. 33.

19. Christine Oppong, "Population, Development and Gender Issues in Namibia", BIT., 1994, p. 120.

20. Aderanti Adepoju, "The Demographic Profile: Sustained High Mortality and Fertility and Migration for Employment", dans Gender, Work and Population in Sub-Saharan Africa, op. cit., p. 24.

21. Christine Oppong, "African Mothers, Workers and Wives: Inequality and Segregation", Document de travail N° 2, Population, ressources humaines et planification du développement, Genève, BIT, cité dans Gender, Work and Population, op. cit., p. 24.

22. Palmer, Gender and Population in the Adjustment of African Economies, op. cit., p. 32.

23. Brenda McSweeney, "The Negative Impact of Development on Women Reconsidered: A Case Study of the Women's Education Project in Upper Volta", thèse de doctorat non publiée, Maryland, Fletcher School of Law and Diplomacy, cité dans Palmer, op. cit., p. 32.

24. Zoran Roca, "Women and Population in Agricultural and Rural Development in SubSaharan Africa", FAO, Women in Agricultural Development Paper, N° 5, 1991, p. 12.

25. FAO/FNUAP, Case Study on Population, Status of Women in Rural Development in Lesotho, Sierra Leone and Zimbabwe, 1989, in ibidem, p.19.

26. D.T. Jamison et L.J. Lau, Farmer Education and Farmer Efficiency, Baltimore, John Hopkins University Press, 1982, cité dans Hans P. Binswanger et Klaus Deininger, "Towards a Political Economy of Agriculture and Agrarian Relations", Document de travail, Banque mondiale, mars 1995, p.19.

27. Christine Oppong, "Population, Development and Gender Issues in Namibia", BIT, 1994, p. 36.

28. Extrait de "Projections de la population mondiale: Révision de 1994", Division de la population, Département de l'information économique et sociale et d'analyse des politiques, Secrétariat des N.U., 1995, p.137.

29. Cité dans Banque mondiale, AIDS Prevention and Mitigation in Sub-Saharan Africa: An Updated World Bank Strategy, juin 1995, p. xv.

30. Banque mondiale, 1995, ibidem, p.iii.

31. Tony Barnett, "The Effects of HIV/AIDS on Farming Systems and Rural Livelihoods in Uganda, Tanzania and Zambia", FAO, 1994 et The Effects of HIV/AIDS on Farming Systems in Eastern Africa, 1995, chapitre 3.

32. Daphne Topouzis, The Socio-Economic Impact of HIV/AIDS on Rural Families with an Emphasis on Youth, FAO, 1994, pp.17-20.

33. FAO, The Effects of HIV/AIDS on Farming Systems in Eastern Africa, AGSP, 1995, pp. +73-74.

34. Constantina Safilios-Rothschild, "Agricultural Policies and Women Farmers", dans Gender, Work and Population in Sub-Saharan Africa, op. cit., p. 55.

35. Zoran Roca, "Women, Population and Environment in Agricultural and Rural Development: Policy Challenges and Responses", FAO, 1994, p.10.

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