Previous PageTable Of ContentsNext Page

GESTION COMMUNAUTAIRE DES RESOURCES FORESTIÈRES NON LIGNEUSES: ÉTUDE DE CAS DANS LA FORÊT DE KORUP AU CAMEROUN.

Ruth Malleson

Résumé

La participation de la "communauté" dans la gestion des ressources forestières est désormais considérée comme une partie essentielle de tout projet de conservation des forêts. Néanmoins, les communautés sont encore insuffisamment consultées et leur participation demeure insuffisante. D'après cet article, le manque d'attention pour les caractéristiques sociales et économiques des individus, institutions et villages qui composent la "communauté" ainsi que celles des autres groupes à l'extérieur de la communauté, qui utilisent les ressources de la forêt, est en partie à l'origine de ce problème. Les projets de conservation des forêts ont aussi souvent oublié de prendre en considération le contexte historique, économique et social des utilisateurs.

Dans cet article, nous étudions l'exemple de la forêt de Korup, où un projet a été mis en place afin de conserver et développer le Parc national de Korup et les régions qui l'entourent. En voici les points principaux :

Pour conclure, l'article souligne qu'un aménagement durable des forêts dépend étroitement d'une compréhension approfondie du rôle des produits forestiers dans la subsistance des populations.

Mots clés: forêt humide, Cameroun, conservation, communauté, participation

Introduction

Le parc national de Korup s'étend sur 125.000 ha de forêt tropicale humide dans la province Sud-ouest du Cameroun et un programme, financé par des fonds internationaux, a pour objectif de le préserver et le mettre en valeur. Bien que ce projet ait été mis en place il y a plus d'une décennie, peu de progrès ont été réalisés depuis sa création. Je soutiens que cela est du au manque d'attention pour les caractéristiques sociales et économiques de la région.

Dans cet article, nous présentons certains enjeux essentiels liés à l'aménagement des forêts communautaires, à savoir :

Les résultats sont issus d'un travail effectué sur le terrain entre 1992 et 1994, précédé d'une expérience de six ans que l'auteur a effectué dans le projet Korup en tant que conseiller du développement rural.

Types de communautés dans la forêt de Korup

Les communautés situées dans la forêt de Korup peuvent être classées de manière approximative selon la variation des conditions forestières, les changements démographiques et la proximité des marchés locaux. J'ai choisi de nommer ces communautés de la manière suivante: " villages reculés", "villages de crique", "villages de bord de route" et "campement de plantation".

Les villages reculés sont entourés de forêts denses, relativement intactes. L'accès difficile aux marchés limite la variété des modes d'existence, rendant ces villages très homogènes au niveau social. De nombreux habitants de ces villages ont émigré vers des villages situés en bord de route, dans l'espoir d'améliorer leurs conditions de vie. On peut caractériser les villages reculés en prenant comme critère l'accès aux forêts denses. Les "villages de lisière" sont entourés de forêts intactes, avec une abondance relative de gibiers, alors que les "villages de clairière abandonnée" sont entourés de vieilles jachères, avec peu de gibier et peu de bois d'oeuvre.

Les villages de crique sont en grande partie entourés par des forêts denses, mais disposent, contrairement aux établissements reculés, d'un accès aux marchés du Cameroun et du Nigeria. Ces villages sont donc caractérisés par une plus grande diversité de forêts, de mangroves, de modes de vie liés aux cultures, et une composition ethnique plus diversifié de la population.

Les villages en bord de route disposent d'un accès aisé aux marchés de la Province du Sud-ouest du Cameroun. Cependant, en raison de la plus forte densité de population, les forêts environnantes ont été davantage dégradées. Ce type d'établissement présente la plus grande diversité ethnique: on y trouve des émigrés provenant des villages reculés, ainsi que des "étrangers" issus de la Province du Nord-ouest et de l'est du Nigeria.

Les campements de plantation ont également une grande diversité ethnique: plus de la moitié des travailleurs proviennent de la province du Nord-ouest et les autres, de la province du Sud-ouest et du Nigeria.

Institutions locales

3.1. Conseils de village

Le chef du village représente la figure politique la plus importante au niveau du village. Il est élu par le conseil du village qui se compose en grande partie des anciens (dont quelques femmes). Les conseils de village jouent le rôle de gardiens traditionnels des ressources de la terre et des forêts, dans les limites géographiques du village. Selon le régime foncier traditionnel, il peut exister deux types différents de terres :

L'accès à la forêt du village dépend selon que vous êtes "citoyen" ou "étranger", c'est à dire extérieur au village. Chaque autochtone a le droit de récolter les ressources de la forêt qui se trouvent sur la terre appartenant au village, en revanche, les étrangers doivent demander la permission au chef et au conseil du village. Théoriquement, le chef et les conseillers du village exercent un rôle important comme gardiens des ressources de la forêt, mais leur influence connaît certaines limites.

Contrairement à certains groupes ethniques de la région où le chef exerce une influence politique considérable sur ses administrés, les chefs de la forêt de Korup semblent avoir moins de pouvoir. Comme l'affirmait Ngwane en 1992: "le chef n'a pas le pouvoir, par un simple geste de la main, d'obliger ses sujets à se mettre en file indienne..."

Le chef agit comme un porte-parole ou un médiateur entre les villageois et l'administration ou d'autres étrangers, tels que les agents locaux, les animateurs en vulgarisation, les participants au projet de Korup et les concessionaires du bois. Mais "cette double fonction est parfois difficile à assumer car il arrive que le Gouvernement et les villageois aient des intérêts totalement opposés..." (Devitt, 1988).

3.2. Associations traditionnelles

Les associations traditionnelles auxquelles participent tant les hommes que les femmes sont responsables, dans une large mesure, des affaires culturelles et rituelles de la communauté. Bien que leur influence politique diminue, en particulier dans les villages situés le long des routes, ils exercent néanmoins une fonction judiciaire importante et s'occupent, entre autres, des nombreuses infractions liées à un usage impropre des ressources naturelles.

3.3. Le rôle des élites

Les élites sont les représentants les plus éminents des communautés rurales au niveau régional. Ce sont des personnes puissantes, influentes et riches: fonctionnaires, hommes d'affaires, hommes politiques et religieux. Les élites sont souvent des membres importants des associations traditionnelles, ce qui leur permet d'obtenir l'appui des membres du conseil de village et de les contrôler.

Les élites ont une influence extrêmement importante sur les ressources forestières, agissant comme courtiers ou intermédiaires, auprès d'autres partenaires importants de la forêt au niveau régional et national, comme le gouvernement, des organisations non gouvernementales, telles que le projet Korup et les concessions du bois.

3.4. Les associations de développement culturel

Elles sont nées dans les années 70, en grande partie pour répondre à la nécessité d'une démarche cohérente et collective pour créer des projets régionaux de développement, en particulier dans le but de construire des routes dans l'arrière pays (Achu, 1988; Elangwe, 1988).

3.5. Les groupes de jeunesse

Les groupes de jeunesse se composent d'hommes et de femmes dont l'âge se situe entre l'adolescence et le milieu de la trentaine. En général l'adhésion à ces groupes est limitée aux jeunes gens habitant dans certaines villes ou appartenant à certains groupes ethniques. Ces groupes constituent une sorte de "forum", où les jeunes viennent pour discuter des enjeux liés au développement ou simplement pour socialiser.

Les groupes de jeunes ainsi qu'un grand nombre de nouvelles institutions locales ont été crées suite à une perte de confiance - particulièrement sensible chez les jeunes - vis à vis des structures de pouvoir traditionnelles.

Cette méfiance dérive en grande partie d'un conflit d'intérêts entre les jeunes, les élites et les "anciens" sur les questions relatives aux ressources de la terre et de la forêt. Beaucoup de jeunes reprochent, aux personnes influentes du village, de vendre les terres aux étrangers et d'accorder les permis d'exploitation forestière pour leur intérêt personnel, plutôt que dans l'intérêt de l'ensemble de la communauté (Sharper, 1998).

3.6. Les comités de développement du village

En accord avec leurs attributions, les animateurs en vulgarisation du Ministère de l'agriculture ont mis en place des comités de développement dans chaque village, afin de coordonner l'ensemble des activités de développement, telles que la construction d'une école ou d'une nouvelle salle de classe, ou l'amélioration de l'approvisionnement en eau potable.

Les membres de ces comités sont élus par l'ensemble du village, ce qui rend cette institution moins élitiste que le conseil du village. Cependant, si des femmes ou des jeunes en font souvent partie, les étrangers et les familles les plus pauvres, qui se font mois entendre, peuvent ne pas être équitablement représentés. De plus les résultats obtenus par ces comités peuvent varier beaucoup en fonction des villages.

Moyens d'existence des populations de la forêt de Korup

4.1. Moyen d'existence des populations dans les villages reculés

Grâce à l'abondance relative de gibiers à proximité des "villages de lisière", les opportunités de chasse et de piégeage sont nombreuses. La "viande de brousse" étant plutôt facile à transporter et étant hautement appréciée, elle constitue la source majeure de revenus pour les hommes habitant dans ces villages. Les jeunes hommes, après avoir chercher en vain un travail dans les villes, reviennent de plus en plus dans leur village et se consacrent à la chasse. Par conséquent, les "villages de lisière" comptent d'habitude un nombre beaucoup plus élevé d'hommes jeunes ou d'âge moyen que les "villages de clairière abandonnée". Outre les chasseurs et poseurs de pièges autochtones, d'autres groupes d'étrangers chassent dans la forêt de Korup, provenant des "villages de clairière abandonnée" situés dans la partie francophone du Cameroun et au Nigeria.

La majorité des habitants des "villages de lisière" est bien consciente du déclin social et économique frappant les "villages de clairière abandonnée". Certains hommes des "villages de lisière" ont décidé de réagir en interdisant aux étrangers de chasser à l'intérieur des limites de leur village. L'association traditionnelle "Ekpe" composée traditionnellement d'hommes et les Groupes de jeunesse locaux jouent un rôle important en renforçant cette interdiction, ce qui illustre bien à quel point les institutions locales sont des acteurs importants de la gestion des ressources forestières.

Alors que dans les "villages de lisière", les jeunes hommes disposent de bonnes opportunités de revenus, la situation dans les "villages de clairière abandonnée" est toute différente. La culture de cacao et de café étaient des sources de revenus importantes mais, à cause d'un accès limité aux marchés et des prix à la vente trop bas, le commerce de ces produits avec d'autres régions n'est pas rentable.

Suite au manque d'activités rentables, les jeunes femmes des villages reculés et les jeunes hommes des "villages de clairière abandonnée" ont été poussés à chercher du travail ailleurs. Bon nombre d'entre eux exercent des activités de commerce, telles que la vente de viande de brousse ou les épices forestières, en s'approvisionnant chez les habitants des villages reculés et en vendant aux négociants des villages en bord de route.

La vente d'épices forestières, telles que la mangue sauvage (Irvingia spp.) ou le njansang (Ricinodendron heudelotii) et celle de paillasses, fabriquées à partir de Pandanus spp., constituent les principales sources de revenu pour les femmes des villages reculés.

4.2. Villages de crique

Cette région bénéficiant d'un accès aisé aux marchés du Nigeria, le commerce transfrontalier y est particulièrement florissant. Généralement, les produits importés du Nigeria sont le combustible, les produits manufacturés et de transformation, alors que les exportations de la forêt de Korup concernent principalement les produits forestiers.

Un des principaux produits d'exportation de ces villages est le bâtonnet à mâcher de l'espèce ikongo (Massularia acuminata). Le commerce transfrontalier de ce produit est presque entièrement contrôlé par des étrangers, dont une large majorité de Nigérians. Malgré la quantité considérable de bâtonnets à mâcher exportés, les habitants du village en tirent très peu de revenus. La raison principale en est que les personnes influentes du village acceptent normalement un petit et unique payement, souvent sous la forme de quelques bouteilles de afofo (vin de palme distillé) ou d'une petite somme d'argent. Ces faibles coût donnent aux vendeurs de bâtonnets à mâcher un droit à une récolte illimitée de cette ressource dans les villages.

La situation change radicalement lorsqu'on traverse la frontière: les habitants de l'état de Cross River au Nigeria font payer une somme aux cueilleurs individuels ou aux négociants, en fonction de la quantité de bâtonnets récoltés et transportés, en plus d'un droit d'accès payé par les négociants (Okafor, 1998). Autochtones et étrangers sont impliqués dans la cueillette, la transformation et la vente de ce produit qui constitue ainsi une source de revenus régulière, tant pour les individus que pour les communautés dans leur ensemble.

Le commerce des bâtonnets à mâcher est relativement récent dans la forêt de Korup ce qui pourrait expliquer pourquoi il n'est pas aussi bien organisé que dans l'état de Cross River. Néanmoins, la situation au Nigeria illustre que le développement de ce marché peut contribuer à augmenter les revenus des habitants des villages de crique et qu'il est possible d'améliorer la gestion de cette ressource.

4.3. Campements de plantation

La partie la plus importante du revenu des hommes habitant dans les campements de plantation est sous forme de salaires. Etant donné que ceux-ci sont généralement bas et que les retards de paiements sont courants, les produits forestiers constituent souvent une source significative de revenus supplémentaires pour de nombreux travailleurs. Certains, issus le plus souvent de la province du Nord-ouest fabriquent des meubles en rotin, alors que d'autres se consacrent à la chasse ou au piégeage. La vente de "pepe soup" (soupe au poivre, à base de viande de brousse) et d'escargots comestibles sont également d'importantes sources de revenu pour les femmes et les enfants des travailleurs.

4.4. Villages en bord des routes

Dans ces villages, les épices forestières, la viande de brousse et la "pepe soup" sont également d'importantes sources de revenus pour les femmes, en particulier pour les veuves âgées ayant peu de revenus et les mères célibataires. Les hommes âgés tirent un revenu significatif grâce à la fabrication de paniers en rotin et au vin de palme. Cependant, ces revenus sont menacés depuis que l'accès à la forêt est soumis à de nouvelles restrictions, que de nouvelles terres sont converties en champs agricoles et que la concurrence avec les autres utilisateurs de la forêt augmente.

Les élites constituent un des principaux groupes concurrents de ces ménages relativement défavorisés. Tirant profit d'un capital accumulé grâce à une situation salariale régulière ou à d'autres types d'activités, ils développent d'autres entreprises, exploitant le plus souvent les ressources de la forêt. Pour citer un exemple, une grande partie du commerce de bois d'œuvre local est contrôlé par les élites qui bénéficient non seulement de l'accès au capital mais également, grâce à leur influence puissante sur les chefs et sur les conseillers de village, de l'accès à la terre.

Les élites ont introduit de nouvelles méthodes agricoles nécessitant le défrichement de larges parcelle de terre pour la culture d'ignames, de manioc et d'autres produits agricoles. Ces méthodes leur permettent non seulement de tirer des revenus grâce à la vente de produits agricoles, mais également de gagner sur les arbres abattus durant le défrichement. Il est à noter que certaines de ces espèces prisées, telles que le njabe (Baillonella toxisperma) et le koméa (Coula edulis) fournissent aussi des produits forestiers économiquement importants pour les familles les plus pauvres.

Conséquences pour l'aménagement des forêts communautaires

J'ai montré dans cette étude que les communautés de la forêt de Korup se divisent en de nombreux groupes socialement et économiquement distincts et dont les modes d'existence liés à la forêt sont concurrents et souvent en conflit les uns avec les autres. L'approche participative du projet Korup était basée au départ sur la collaboration avec un nombre limité d'institutions locales, à savoir les chefs de village, les conseillers, les élites et, dans un second temps, avec les comités d'aménagement des ressources, initiés par le projet. On peut constater que cette approche n'a pas réussi jusqu'à présent à favoriser une participation effective de tous les acteurs locaux de la forêt. Les institutions traditionnelles locales sont contrôlées par les élites dont les intérêts sont souvent en conflit avec ceux des autres utilisateurs de la forêt, tels que les jeunes et les femmes.

D'autres institutions locales, telles que les Groupes de jeunesse, se sont trouvées souvent exclues des discussions concernant l'aménagement des forêts bien qu'elles aient été impliquées dans certaines interventions liées au développement du projet. Il est à remarquer que la mobilité des jeunes les empêche souvent de prendre part aux institutions traditionnelles locales où l'on discute des enjeux liés à l'aménagement des forêts.

Il est peu probable que ceux qui dépendent des ressources forestières soient tentés de les gérer de façon durable si leur accès à ces ressources, ainsi que la valeur de celles-ci, continue à diminuer. La création de nouvelles structures, telles que des comités d'aménagement des ressources naturelles et des comités de développement des villages ne résout pas automatiquement les conflits d'intérêts entre les divers usagers des forêts et ne constitue pas une garantie réelle de leur participation. On peut également s'interroger sur la possibilité de maintenir de tels comités: il faut effet que leur maintien présente de réels avantages économiques (Mosse, 1996).

La solution de ce problème pourra se faire en deux étapes: en premier lieu, par le renforcement des institutions locales existantes dont on a vu qu'elles contribuaient, ou qu'elles pourraient contribuer significativement à l'aménagement des forêts; ensuite, par la plus grande participation de certains groupes d'usagers de la forêt dont les intérêts ont été peu pris en compte jusqu'à présent. Pour assurer l'aménagement durable des ressources forestières, il est crucial d'impliquer davantage les habitants de la forêt de Korup dans les décisions concernant la forêt et ses ressources. Sans l'engagement et le pouvoir de décision de ces personnes étroitement liées à la forêt, le projet de Korup a peu de chance d'atteindre ses objectifs.

Remerciements

Cette recherche fait partie d'un projet plus vaste intitulé le "Cultural context of Rainforest Conservation in West Africa" et financé par le "Economic and social Research Council (ESRC)" en Angleterre. L'auteur tient à adresser ses plus vifs remerciements au ESRC pour son financement. L'ESRC n'est pas responsable des conclusions de cette étude, qui relèvent exclusivement de la responsabilité de l'auteur.

Références

Previous PageTop Of PageTable Of ContentsNext Page