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MYANMAR. Personnes achetant de la nourriture sur un marché de Mandalay.
©Tony Wu/Pexels.com

La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023

Chapitre 1 Tenir compte des coûts et des avantages des systèmes agroalimentaires dans les décisions qui sont prises

Messages clés
  • La non-durabilité et le manque de résilience des systèmes agroalimentaires sont une importante source de préoccupation, exacerbée par les défaillances des marchés, des institutions et des politiques qui génèrent des pertes pour la société et entravent la transformation indispensable vers un développement durable.
  • Pour obtenir de meilleurs résultats, les décideurs ont besoin de comprendre d’une manière globale les coûts et les avantages que recèlent les systèmes agroalimentaires pour toutes les parties prenantes, y compris les groupes sous-représentés et les générations futures; or, ces coûts et avantages ne sont pas mesurés de manière systématique et cohérente.
  • Une connaissance globale permettrait de mieux réaligner les leviers disponibles – soutien budgétaire, réglementations et normes d’application volontaire – et de les utiliser plus efficacement pour des investissements et des politiques qui intègrent davantage les enjeux liés à la nutrition, à l’égalité des genres et à l’environnement.
  • La comptabilisation du coût complet (CCC) est un moyen efficace de mettre en évidence les coûts cachés générés par les systèmes agroalimentaires actuels, de souligner le caractère précaire de ces systèmes et d’orienter l’utilisation des leviers disponibles pour en améliorer les résultats.
  • Cette comptabilisation nécessite cependant de grandes quantités de données, ce qui peut se révéler difficile, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Par conséquent, il faut dans toute la mesure du possible utiliser les données déjà disponibles pour éviter l’inaction.
  • Le présent rapport propose un processus en deux phases qui, s’appuyant sur cette comptabilisation, commence par des évaluations initiales plus larges menées au niveau national pour sensibiliser avant de passer à des évaluations approfondies et ciblées pour hiérarchiser les solutions et guider l’action transformatrice.

L’histoire des systèmes agroalimentaires présente deux aspects, tous deux vrais.

Tout d’abord, les systèmes agroalimentaires présentent pour la société des avantages considérables, ne serait-ce que parce qu’ils produisent les aliments qui nous nourrissent. Ils sont également le plus grand employeur au monde, procurant des emplois et des moyens de subsistance à plus d’un milliard de personnes1. De nombreux agriculteurs protègent également l’environnement et procurent à la société des services environnementaux. Grâce à des pratiques durables telles que l’agroforesterie, ils profitent également au public, qu’il s’agisse de la conservation de la biodiversité, du stockage et de la séquestration du carbone ou de la régulation des bassins versants. Ainsi, leur valeur pour la société va probablement bien au-delà de ce qui est mesuré dans le produit intérieur brut (PIB). D’un autre côté, en raison des défaillances des marchés, des politiques et des institutions, ces systèmes sont fragiles et précaires, aggravant le changement climatique et dégradant les ressources naturelles sans parvenir à procurer à tous des aliments sains. Notre existence dépendant d’une seule planète et de systèmes agroalimentaires fragiles, nous devons faire preuve de prudence.

Les systèmes agroalimentaires évoluent depuis les débuts de l’agriculture, il y a des milliers d’années. Grâce à l’évolution technologique et aux innovations observées ces 70 dernières années, la productivité agricole a considérablement augmenté. Parallèlement, le commerce d’aliments s’est considérablement développé, en particulier depuis trente ans. Ces facteurs ont aidé à nourrir une population qui a triplé et s’est urbanisée. En conséquence, la part de la population employée dans l’agriculture a diminué, tandis que des emplois ont été créés dans les chaînes de valeur en amont et en aval et dans d’autres secteurs.

Les systèmes agroalimentaires d’aujourd’hui disposent d’une nouvelle génération de technologies automatisées capables d’améliorer la productivité et la résilience et de relever les défis de la viabilité écologique2. On dispose de plus en plus de données socioéconomiques et environnementales détaillées, ce qui permet aux producteurs et aux entreprises agroalimentaires, ainsi qu’aux décideurs, de prendre des décisions fondées sur des données en ce qui concerne la production, les chaînes d’approvisionnement, le commerce, la protection sociale, etc. Face aux défis croissants auxquels sont confrontés les systèmes agroalimentaires, les moyens de plus en plus nombreux de collecte de données et d’informations offrent une occasion sans précédent de combler de manière stratégique le manque de connaissances afin que les décideurs soient mieux préparés à transformer ces systèmes dans le sens de la viabilité économique, sociale et environnementale.

Comment prendre des décisions qui amplifieront les avantages des systèmes agroalimentaires tout en relevant les principaux défis qui entravent leur transformation? Comment les gouvernements savent-ils quels programmes parrainer et quels acteurs soutenir? Comment les producteurs agricoles peuvent-ils s’assurer que les ressources naturelles dont ils dépendent se renouvelleront les saisons suivantes? Comment les détaillants peuvent-ils promouvoir des aliments nutritifs? Comment inciter les consommateurs à utiliser leur pouvoir d’achat pour soutenir une alimentation saine et durable? Ces décisions auront-elles une incidence sur les coûts de production et, en fin de compte, sur les prix des aliments?

Au quotidien, nous n’avons pas toutes les réponses, mais les individus, les entreprises et les gouvernements prennent néanmoins des décisions. Celles-ci ont des conséquences, bonnes ou mauvaises, qui ne sont pas toujours visibles. La présente édition de La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture vise à engager une analyse de la complexité et des interdépendances des systèmes agroalimentaires et de leur impact sur l’environnement, la société, la santé et l’économie via la comptabilisation du coût complet (CCC). Cela permettra de révéler leurs effets cachés et d’étayer l’action menée pour les transformer dans un objectif d’efficacité, d’inclusivité, de résilience et de durabilité.

Analyse des incidences et des dépendances des systèmes agroalimentaires

Les systèmes agroalimentaires sont dynamiques, depuis leur composition stratifiée jusqu’à leurs interactions avec les ressources qui sous-tendent la nature et la société. Ils sont également influencés par le choix des politiques et par les décisions des entreprises et des consommateurs. La figure 1 illustre un cadre conceptuel qui décrit le fonctionnement interne des systèmes agroalimentaires, leurs effets sur les ressources (et vice versa) et les leviers dont on dispose pour les transformer. Ce cadre permet de décomposer les nombreux effets et interdépendances de ces systèmes, ainsi que les possibilités qui s’offrent aux décideurs de les améliorer.

FIGURE 1 Comment l’évaluation des flux de capitaux peut aider à transformer les systèmes agroalimentaires

SOURCES: D’après FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF. 2022. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Réorienter les politiques alimentaires et agricoles pour rendre l’alimentation saine plus abordable. Rome, FAO. https://www.fao.org/documents/card/fr?details=cc0639fr; TEEB. 2018. TEEB for Agriculture & Food: Scientific and Economic Foundations. Genève (Suisse), Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). https://teebweb.org/wp-content/uploads/2018/11/Foundations_Report_Final_October.pdf
SOURCES: D’après FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF. 2022. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Réorienter les politiques alimentaires et agricoles pour rendre l’alimentation saine plus abordable. Rome, FAO. https://www.fao.org/documents/card/fr?details=cc0639fr; TEEB. 2018. TEEB for Agriculture & Food: Scientific and Economic Foundations. Genève (Suisse), Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). https://teebweb.org/wp-content/uploads/2018/11/Foundations_Report_Final_October.pdf

Le rectangle jaune de la figure 1 représente les systèmes agroalimentaires, montrant comment ils comprennent la production agricole et les filières alimentaires, le comportement des consommateurs, les régimes alimentaires et les interconnexions avec d’autres systèmes tels que les systèmes environnementaux et sanitaires. La production agricole comprend la culture et l’élevage, l’aquaculture, la pêche et le secteur forestier. Les environnements alimentaires se superposent aux filières alimentaires, aux comportements des consommateurs et aux régimes alimentaires. Il s’agit des conditions physiques, économiques, socioculturelles et politiques qui déterminent l’accès, l’accessibilité économique, la sécurité et les préférences alimentaires3-5. Les flèches qui entrent et sortent des systèmes agroalimentaires montrent comment leurs activités dépendent des capitaux naturel, humain, social et produit et ont une incidence sur ces mêmes capitaux Ceux-ci constituent le fondement du bien-être humain, de la réussite économique et de la viabilité écologique, et se définissent comme suit6:

  • capital naturel: stock de ressources naturelles renouvelables et non renouvelables qui se combinent pour produire un flux de bienfaits pour les personnes;
  • capital humain: connaissances, aptitudes, compétences et attributs qui, incarnés par les individus, contribuent à l’amélioration de la performance et du bien-être;
  • capital social: réseaux, ainsi que normes, valeurs et perceptions partagées qui facilitent la coopération au sein des groupes et entre eux;
  • capital produit: biens fabriqués par l’homme et actifs financiers utilisés pour produire des biens et des services consommés par la société.

Les activités des systèmes agroalimentaires influent sur les différents capitaux par le biais de flux entrants et sortants. Les grandes flèches représentent ces incidences et dépendances, les couleurs correspondant aux capitaux respectifs. Les flux de capitaux de ces systèmes peuvent, dans de nombreux contextes, s’apparenter à des relations symbiotiques. Par exemple, le capital naturel contribue aux systèmes agroalimentaires par croissance de la biomasse et l’apport d’eau douce (la flèche verte pointant vers le haut en direction des «systèmes agroalimentaires»). En retour, les systèmes agroalimentaires peuvent avoir un effet négatif sur le capital naturel en émettant des gaz à effet de serre (GES) et en polluant (la flèche jaune pointant vers le bas en direction du «capital naturel»). En revanche, en cas d’agriculture régénératrice, les pratiques de production peuvent contribuer à la restauration des écosystèmes. Le capital humain fournit de la main-d’œuvre et des compétences tandis que les systèmes agroalimentaires procurent des salaires et des conditions de travail décentes. Le capital social peut contribuer aux systèmes agroalimentaires par le biais des connaissances et façonner l’accès à des ressources telles que la terre, tandis que les systèmes agroalimentaires produisent en retour de la sécurité alimentaire et de la nutrition (ou de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition), selon leur degré d’efficacité, de résilience et d’inclusivité. Le capital produit apporte une contribution sous forme de recherche-développement, entre autres, et les systèmes agroalimentaires génèrent en retour des revenus, des bénéfices, des loyers et des taxes. Ces flux semblent intuitifs, mais à l’exception du capital produit, il a peu été fait pour les mesurer et gérer leurs effets.

En haut de la figure, les rectangles rouges présentent les outils, ou leviers, dont on dispose pour influencer les acteurs, les activités et les incidences des systèmes agroalimentaires. Ces leviers ne sont pas nouveaux et sont actuellement utilisés par les décideurs, y compris les gouvernements et d’autres acteurs, qui déterminent ou influencent lesquels, quand, où et comment ils sont mobilisés. Les paragraphes qui suivent décrivent les principales catégories de leviers, qui peuvent être très nombreuses et diverses. Cependant, la présente section ne prétend pas à l’exhaustivité et il peut exister d’autres leviers.

De nombreux leviers, mais pas tous, sont mis en place et administrés par les gouvernements et les autorités locales pour influer sur les acteurs des systèmes agroalimentaires et les orienter vers des objectifs que les décideurs jugent importants. Il s’agit notamment d’interventions sur le commerce et les marchés, de subventions, de lois et de règlements, d’un appui en services généraux et de politiques comportementales7.

Les gouvernements créent, en matière de prix, des incitations ou des désincitations par le biais d’interventions sur le commerce et les marchés. Il s’agit généralement de mesures frontalières (droits de douane ou quotas d’importation, interdictions ou subventions à l’exportation) et/ou de réglementations des prix du marché (politiques de fixation des prix intérieurs). Ces interventions créent un écart entre les prix nationaux et internationaux de produits ciblés et/ou contribuent à freiner la demande d’aliments ciblés.

Les subventions accordées à certains producteurs ou consommateurs peuvent viser à corriger des problèmes tels qu’une disponibilité limitée du crédit ou à induire un comportement jugé souhaitable par les décideurs. Dans le cas des producteurs, elles peuvent être «couplées» (c’est-à-dire liées au niveau de production ou à l’utilisation d’intrants ou d’autres facteurs de production) ou «découplées», (c’est-à-dire non liées aux décisions de production). Lorsqu’elles sont couplées, elles peuvent grandement influencer les produits de base qui sont fabriqués et commercialisés, ainsi que les intrants qui sont utilisés et la manière dont ils le sont. En ce qui concerne les consommateurs, elles peuvent prendre la forme de subventions alimentaires, de virements d’argent, de transferts d’aliments en nature ou de programmes d’alimentation scolaire de façon à améliorer l’accès à la nourriture7.

Ces politiques publiques sont promulguées et façonnées par des lois et règlements. Ces cadres obligatoires sont utilisés pour fixer des normes et des objectifs qui influencent directement les décisions des acteurs de l’agroalimentaire. C’est le cas, par exemple, lorsque les gouvernements restreignent les importations de certaines denrées ou de certains produits en imposant des barrières non tarifaires ou lorsqu’ils interdisent l’utilisation d’un intrant agricole spécifique qui s’est révélé nocif pour la santé humaine ou pour l’environnement.

Pour améliorer les résultats des systèmes agroalimentaires, les gouvernements fournissent un appui sous forme de services généraux. Cet appui dépend du contexte, mais peut inclure des investissements dans la recherche-développement agricole, y compris les systèmes de suivi et la production de données pertinentes; l’offre de services de transfert de connaissances (formation, assistance technique et autres services de vulgarisation); l’inspection et le contrôle de produits agricoles pour s’assurer, en l’absence de ravageurs et de maladies, que les aliments sont conformes à la réglementation et aux normes de sécurité sanitaire des produits; la mise en place et l’entretien d’infrastructures; le stockage public, y compris le maintien et la gestion de réserves par le biais d’interventions sur les marchés; et l’offre et la promotion de services de commercialisation de produits alimentaires et agricoles7. Ces investissements créent un environnement favorable à la transformation des systèmes agroalimentaires.

Les gouvernements et d’autres acteurs peuvent utiliser des politiques fondées sur la sociologie et la psychologie comportementales pour s’attaquer aux causes sous-jacentes de certains comportements tels que la consommation d’aliments transformés mauvais pour la santé8. Dans le présent rapport, ces politiques sont dites comportementales et diffèrent d’autres politiques telles que la taxation et l’octroi de subventions dans la mesure où elles ne réduisent pas la liberté de choix des individus et ne les font pas payer lourdement pour qu’ils changent de comportement. Au contraire, elles agissent en modifiant le contexte ou l’environnement dans lequel les décisions sont prises. En présence d’une consommation alimentaire dominée par des aliments transformés mauvais pour la santé, par exemple, elles peuvent viser à créer ou à promouvoir un environnement favorable à l’offre et à la consommation d’aliments nutritifs (voir le glossaire). Elles peuvent aider les gouvernements à réglementer l’environnement alimentaire pour atteindre des objectifs tels que la promotion d’une alimentation saine et respectueuse de l’environnement. Par exemple, elles peuvent tenter d’inciter les consommateurs à faire de meilleurs choix alimentaires, notamment en plaçant les aliments nutritifs à des endroits plus faciles d’accès autour des cantines scolaires9. Elles peuvent également réglementer le comportement des entreprises alimentaires (comme les supermarchés) pour mieux promouvoir une alimentation saine.

Certains leviers peuvent également être actionnés par des acteurs du secteur agroalimentaire privés et civils, ainsi que par des donateurs et des organisations internationales. Par exemple, les capitaux privés provenant d’entreprises, d’institutions financières et même de consommateurs sont l’un des leviers les plus importants utilisés dans les systèmes agroalimentaires, puisqu’ils s’établissent à 9 000 milliards d’USD par an10. Différentes études ont conclu que les capitaux privés jouent un rôle important dans l’amélioration des techniques et des technologies de production agricole11. Un autre levier est celui des normes d’application volontaire, qui sont des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques non obligatoires élaborées, en ce qui concerne un produit ou un processus, par des acteurs du secteur privé, des représentants de la société civile ou des organismes publics. Ces normes sont, pour les producteurs, les transformateurs et les détaillants, un moyen de partager des informations avec les consommateurs, ce qui leur permet d’influencer les processus, les méthodes et les pratiques de production par leurs choix de consommation12. Si les capitaux privés et les normes d’application volontaire n’émanent pas de décideurs, les gouvernements contribuent néanmoins dans une large mesure à façonner leur fonctionnement et leur effet en créant un environnement favorable et en exerçant un contrôle.

Enfin, la figure 1 montre comment le fait d’intégrer une évaluation globale des systèmes agroalimentaires dans le processus de prise de décision est essentiel pour atteindre un grand nombre, voire la totalité, des objectifs de développement durable (ODD). La case inférieure, intitulée «Contributions au bien-être», relie les incidences des systèmes agroalimentaires au Programme de développement durable à l’horizon 2030, plan d’action au service des humains, de la planète et de la prospérité. L’effet que cela peut avoir sur l’ODD 1 (Pas de pauvreté), l’ODD 2 (Faim zéro) et l’ODD 3 (Bonne santé et bien-être) est particulièrement pertinent en raison de l’importance des systèmes agroalimentaires pour la productivité agricole, les moyens de subsistance ruraux, la santé, la sécurité alimentaire et la nutrition. La transition vers des systèmes agroalimentaires durables résultant d’une meilleure prise de décision implique également des progrès dans la réalisation de l’ODD 6 (Eau propre et assainissement), de l’ODD 7 (Énergie propre et d’un coût abordable), de l’ODD 12 (Consommation et production durables) et des ODD 13, 14 et 15 sur l’action pour le climat, la vie aquatique et la vie terrestre. Cette transition s’appuiera sur de nouvelles technologies qui peuvent aider à progresser vers l’ODD 9 (Industrie, innovation et infrastructure). En évaluant la formation de capital humain et la manière dont ce capital est traité, on peut également améliorer l’accès des travailleurs à l’éducation (ODD 4), réduire les inégalités entre les femmes et les hommes (ODD 5) et favoriser un travail décent et la croissance économique (ODD 8).

Les leviers peuvent orienter les systèmes dans la bonne direction, mais une meilleure comptabilité des systèmes agroalimentaires est nécessaire

Lorsque les décideurs ne disposent pas d’une évaluation complète des stocks et des flux de capitaux, le manque de connaissances qui en résulte peut empêcher de progresser vers des systèmes agroalimentaires plus durables et plus résilients. Par exemple, on estime qu’en moyenne, les gouvernements ont dépensé par an, sur la période 2013-2018, pour soutenir l’alimentation et l’agriculture, près de 630 milliards d’USD, dont 70 pour cent ont ciblé des producteurs individuels par le biais d’incitations par les prix et de subventions. Cependant, une part importante de ce soutien fausse les prix du marché et n’est pas durable7. L’encadré 1 donne un aperçu de l’état du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture et de son impact sur les systèmes agroalimentaires.

ENCADRÉ 1Le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture reste un important facteur de distorsion

Les gouvernements appuient les objectifs multiformes des systèmes agroalimentaires dans les domaines économique, social et sanitaire en orientant les choix de production et de consommation ainsi qu’en influençant la dynamique de la filière alimentaire et les environnements connexes. Toutefois, il est prouvé que la plupart des aides utilisées ont un important effet de distorsion et peuvent produire des résultats indésirables, comme des nuisances pour l’environnement ou des problèmes de santé7.

La figure montre comment le soutien à l’alimentation et à l’agriculture, en tant que part de la valeur de la production, est divisé par groupe de revenu et type de soutien (moyenne 2013-2018). En termes absolus, les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ont représenté la majeure partie du soutien, avec une moyenne de 313 milliards d’USD et 311 milliards d’USD, respectivement, contre 11 milliards d’USD dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et −6 milliards d’USD dans les pays à faible revenu (la valeur négative signifie que le groupe est globalement pénalisé). En proportion de la valeur de la production, les incitations par les prix et les subventions aux producteurs ont été la forme de soutien la plus importante dans les pays à revenu élevé (22 pour cent) et dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (16 pour cent). Dans les deux groupes de revenu, mais surtout dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, la majorité des subventions étaient liées à la production, à l’utilisation d’intrants ou à d’autres facteurs de production (en d’autres termes, elles étaient couplées). Cette forte dépendance à l’égard de subventions couplées peut fausser les prix et décourager la production d’aliments nutritifs qui ne bénéficient pas du même niveau de soutien. De même, les données montrent que, dans ces pays, les produits de base dont l’empreinte carbone est la plus importante, comme le bœuf, le lait et le riz, étaient parmi ceux qui bénéficiaient le plus d’incitations par les prix7.

Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, et surtout dans les pays à faible revenu, les politiques protègent généralement davantage les consommateurs que les producteurs. Les agriculteurs sont confrontés à des mesures de dissuasion qui maintiennent les prix intérieurs à un niveau bas, ce qui pénalise implicitement le secteur agricole, comme le montrent, dans la figure, les valeurs négatives associées aux incitations par les prix. Les pays à faible revenu accordent rarement des aides aux producteurs (elles ne représentent que 0,6 pour cent de la valeur totale de la production), tandis que dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, certains agriculteurs bénéficient de subventions aux intrants. Les dépenses consacrées aux services généraux ne représentent qu’une faible part du soutien total à l’alimentation et à l’agriculture, bien qu’elles puissent stimuler la productivité à long terme et faire baisser les prix des aliments, y compris les aliments nutritifs7. Malgré ces difficultés, les données recueillies dans 13 pays d’Afrique subsaharienne entre 2004 et 2018 indiquent que, suite à des réformes récentes, certains programmes de subventions aux intrants ont été réduits, ce qui a permis d’accroître la marge de manœuvre budgétaire pour allouer davantage de fonds aux services généraux et aux biens publics, qui ont des effets plus durables et plus étendus13. Les programmes d’aide aux consommateurs peuvent également accroître la consommation d’aliments nutritifs, en particulier lorsqu’ils ciblent les plus vulnérables. La même étude sur l’Afrique subsaharienne a montré que, grâce aux réformes récentes, les aides aux consommateurs sous forme de transferts en espèces, de transferts en nature et de programmes de repas scolaires avaient également augmenté.

FIGURE LE SOUTIEN PUBLIC À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE EN PROPORTION DE LA VALEUR DE LA PRODUCTION, PAR GROUPE DE REVENU ET PAR TYPE DE SOUTIEN, 2013-2018

SOURCE: D’après FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF. 2022. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Réorienter les politiques alimentaires et agricoles pour rendre l’alimentation saine plus abordable. Rome, FAO. https://doi.org/10.4060/cc0639fr
SOURCE: D’après FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF. 2022. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Réorienter les politiques alimentaires et agricoles pour rendre l’alimentation saine plus abordable. Rome, FAO. https://doi.org/10.4060/cc0639fr

Avec plus d’informations sur les incidences, dépendances comprises, que les systèmes agroalimentaires ont sur les capitaux, les décideurs seront mieux à même d’utiliser le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture comme un outil de transformation pour orienter ces systèmes vers la durabilité, la résilience et l’inclusivité. Le même principe s’applique aux autres acteurs, y compris les producteurs agricoles et les entreprises, dont les leviers peuvent entraîner des changements plus importants à l’échelle du système s’ils disposent de plus d’informations sur leurs effets. Par conséquent, la première chose à faire, pour ces acteurs, y compris les gouvernements, les entreprises, les agriculteurs et les citoyens, c’est de rassembler les informations disponibles sur les flux de capitaux et leurs incidences.

Les données généralement disponibles et couramment incluses dans les évaluations économiques concernent le capital produit et, dans une certaine mesure, le capital humain (par exemple, la main-d’œuvre et les salaires). Ces flux de capitaux et ces incidences sont échangés et observés par le biais des mécanismes de marché et sont donc facilement mesurables et quantifiables. En revanche, les flux et les incidences liés au capital naturel, social et (en partie) humain ne le sont pas, de sorte que leur prise en compte dans les évaluations économiques est largement partielle et non systématique. Par exemple, si les revenus et les impôts sont pris en compte dans le PIB, la répartition de ces résultats entre les genres et les classes sociales (et les conséquences pour la sécurité alimentaire et la nutrition, c’est-à-dire pour le capital social) est moins visible. De même, alors que les intrants de marché sont directement reflétés dans les coûts de production privés des producteurs, ceux des services écosystémiques (par exemple, la pollinisation) ne le sont pas, bien qu’ils soient fondamentaux pour la productivité agricole. Ne pas comptabiliser ces services peut entraver la capacité des écosystèmes à les fournir à l’avenir, capacité qui constitue une mesure importante de la durabilité14.

Cependant, la quantification des flux de capitaux et de leurs incidences peut être compliquée par le manque de données ou par la nature qualitative de ces flux. C’est ce que montre la figure 2, qui fournit une représentation schématique des quatre capitaux et d’une sélection de leurs flux sur un spectre de facilité de quantification qui va de «très élevée» à «très faible». Par exemple, il est possible de quantifier l’impact des systèmes agroalimentaires sur la sécurité alimentaire et la nutrition, mais cela nécessite de grandes quantités de données et d’importantes capacités. Pour d’autres flux de capital social tels que les réseaux sociaux et les connaissances culturelles, c’est encore plus difficile, voire impossible. Les flux de capital naturel sont généralement plus faciles à quantifier que ceux de capital social, mais dans certains cas (par exemple, la pollinisation et la perte d’habitat), cela peut encore être très difficile. En réalité, la facilité de quantification de chaque flux de capital dépendra de ressources et de capacités qui vont, entre autres, de la mobilisation de ressources et de l’élaboration de méthodes d’évaluation à la conception d’enquêtes ainsi qu’à la collecte et à l’analyse de données. Les progrès de la technologie et des méthodes d’évaluation élargissent de plus en plus les options disponibles et réduisent les ressources nécessaires au stockage, à la communication, à la validation et au traitement des informations15. De surcroît, même lorsque d’importants flux ne sont pas quantifiés, il est toujours possible de les envisager de manière qualitative.

FIGURE 2 FACILITÉ DE QUANTIFICATION DE CERTAINS FLUX DE CAPITAUX LE LONG D’UN SPECTRE

SOURCE: Auteurs du présent document.
SOURCE: Auteurs du présent document.

Les décisions fondées exclusivement sur les flux observés sur les marchés tendent à conduire à une allocation sous-optimale des ressources, également connue sous le nom de «défaillance des marchés». Conscients que les marchés ne peuvent résoudre les problèmes d’inégalité et de justice sociale, ou de viabilité écologique, les gouvernements et autres acteurs mettent en place, pour remédier à cela, des politiques et des institutions. Toutefois, lorsqu’ils n’y parviennent pas ou n’ont pas la capacité d’intervenir, une forme de «défaillance des institutions» ou de «défaillance des politiques» peut également survenir. La section suivante examine ces défaillances plus en détail et reconnaît qu’il faut, pour y remédier, adopter une approche qui permette d’évaluer les systèmes agroalimentaires de manière globale et transparente. Cette approche est présentée plus loin dans le présent chapitre.

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