Au cours des 25 dernières années, les pays en développement de l'Asie et du Pacifique ont connu une croissance annuelle moyenne de 6,5 pour cent comparés aux 4,5 pour cent de l'ensemble des pays en développement. Cette bonne performance s'est poursuivie en 1993 et la Banque asiatique de développement (BAsD) estime que la croissance moyenne de la région a été de 7,4 pour cent en 1993 et sera de 7 pour cent en 1994. Les économies à forte croissance sont la Chine, la Malaisie, la Thaïlande et le Viet Nam, mais presque tous les pays ont eu de bons résultats, à l'exception du Pakistan et des Philippines. D'une façon générale, tous les pays de la région ont stabilisé leurs économies, réduisant leurs déficits budgétaires, améliorant leurs balances des paiements et maîtrisant l'inflation.
Les principaux facteurs qui contribuent à cette croissance globale sont des politiques orientées vers le marché et visant à développer la participation du secteur privé, à renforcer la compétitivité dans le système économique, à attirer les investissements étrangers et à participer davantage aux échanges mondiaux. Les politiques suivies par les pays d'Asie sont plus convergentes que jamais auparavant.
Les chiffres globaux ne disent cependant pas tout. On a observé des différences importantes de croissance économique à l'intérieur des pays et à l'intérieur de la région; de graves problèmes de pauvreté persistent dans de nombreux pays et la recherche d'une croissance rapide exerce une pression accrue sur les ressources de l'environnement et en menace la durabilité à long terme.
Bien que la part de l'agriculture dans le PIB de la région soit descendue d'environ 30 pour cent au milieu des années 80 à 22 pour cent ces dernières années, c'est le secteur agricole qui reste le moteur de l'économie et le principal employeur dans de nombreux pays. De plus, la région Asie est le marché d'importation dont la croissance est la plus rapide au monde pour les produits agricoles. La part des importations agricoles mondiales qui concerne la région est passée de 17 pour cent au début des années 80 à près de 25 pour cent aujourd'hui; les importations agricoles augmentent de 6 pour cent environ par an, et représentent l'essentiel de l'accroissement des importations globales.
Le tableau 4 donne une vue générale du bilan récent du PIB agricole ainsi que les estimations des taux de croissance de 1994 faites par la BAsD. Voici quelques résultats individuels obtenus par certains pays.
TABLEAU 4 | ||||
Taux de croissance du PIB agricole | ||||
Pays |
1991 |
1992 |
1993 |
19941 |
Bangladesh |
1,6 |
2,2 |
1,9 |
2,6 |
Cambodge |
4,7 |
1,9 |
3,2 |
- |
Chine |
2,4 |
4,0 |
4,0 |
3,7 |
Inde |
-1,4 |
4,6 |
2,3 |
2,5 |
Indonésie |
1,4 |
6,5 |
1,5 |
4,5 |
Laos |
-1,7 |
7,9 |
0,0 |
- |
Malaisie |
0,0 |
4,3 |
3,0 |
1,2 |
Mongolie |
-5,1 |
-3,9 |
-7,0 |
4,0 |
Myanmar |
-2,4 |
13,6 |
7,5 |
- |
Népal |
2,8 |
-1,2 |
-1,2 |
5,0 |
Pakistan |
5,0 |
9,7 |
-3,9 |
4,0 |
Philippines |
1,4 |
-0,1 |
1,5 |
2,0 |
Sri Lanka |
1,9 |
-1,5 |
5,1 |
3,5 |
Thaïlande |
5,0 |
4,0 |
2,6 |
2,5 |
Viet Nam |
2,2 |
6,0 |
3,3 |
6,5 |
1 Projections. |
Rôles respectifs du secteur public et du secteur privé dans le cadre des réformes de la politique économique
Les résultats positifs des politiques orientées vers le marché parmi les premiers pays à appliquer les réformes a encouragé plusieurs autres à suivre des voies similaires sur les plans économique et institutionnel. La stratégie fondamentale consiste à réduire la prédominance du secteur public, à libéraliser les marchés et à mettre l'accent sur la participation du secteur privé. Ainsi, depuis juillet 1991, l'Inde a réalisé des progrès considérables dans la libéralisation des régimes d'investissement, d'échange et de change. S'il existe encore des subventions agricoles pour l'eau, l'électricité et les engrais et si la politique commerciale reste défavorable à ce secteur, l'intervention directe de l'Etat dans les activités agricoles est progressivement réduite.
Ces dernières années, les anciennes économies dirigées (Cambodge, Laos, Mongolie, Viet Nam et six républiques d'Asie centrale de l'ex-Union soviétique) ont entrepris ou réalisé des progrès substantiels vers un système économique davantage orienté vers le marché. La réorientation de la politique économique vise à améliorer l'efficience et les performances sectorielles globales tout en préservant la base de ressources naturelles et en maintenant les déséquilibres macro- économiques, budgétaires et extérieurs dans des limites gérables, et en réduisant au minimum ou même en compensant les effets négatifs qu'elles pourraient avoir sur les pauvres.
Parmi les économies dirigées, cependant, le rythme des réformes, les difficultés rencontrées et les succès obtenus sont très divers. Le Viet Nam, par exemple, poursuit ses réformes structurelles et l'économie réalise de bonnes performances; le secteur de l'agriculture réagit aux améliorations de la sécurité de tenure, à la libéralisation des prix des intrants et de la production et à une augmentation du crédit agricole. Au Laos, en revanche, le plan de privatisation semble s'être ralenti. Cinq pour cent seulement des entreprises d'Etat ont été privatisées jusqu'ici, bien que le gouvernement prévoie de toutes les privatiser d'ici 1996.
En Mongolie et dans les républiques d'Asie centrale, les forts taux d'inflation et de chômage, la chute des niveaux de production et les difficultés de financer une protection sociale que ces pays ont connus ces trois dernières années ont provoqué une érosion progressive des niveaux de vie et un accroissement considérable de la pauvreté. Ces problèmes sont traités par le retour au contrôle des prix pour certains biens et services de base tels que l'alimentation, les transports publics et les loyers ou, lorsque c'est possible, en versant des indemnités à la population touchée. Même en Chine, des mesures ont été prises pour contrôler les prix de certains produits et services de base, les autorités reconnaissant que les mesures visant à freiner la croissance de la masse salariale et les restrictions au crédit ne suffisent pas à faire baisser l'inflation à deux chiffres (qui dépasse actuellement 20 pour cent dans les villes).
L'expérience variée des programmes d'ajustement structurel dans les économies orientées vers le marché et les économies en transition montre que la conception des réformes doit prendre en compte l'avantage comparatif des secteurs privé et public du pays pour les fonctions économiques et les services de soutien. En particulier, l'expérience souligne bien le rôle du secteur public dans la correction des défaillances du marché afin de renforcer l'efficience du secteur privé, d'améliorer la compétitivité et la qualité des services et de remplir des objectifs à long terme de bien-être social, y compris la protection de l'environnement. De plus, elle montre aussi qu'il faut instaurer un cadre institutionnel favorable à un système de marché avant d'entreprendre les réformes de politique économique ou au moins parallèlement à elles. Faute des institutions appropriées en effet, la réponse attendue du côté de l'offre ne se produirait pas et le processus entraînerait une forte inflation et un appauvrissement de la population.
L'importance croissante des échanges intrarégionaux, des flux d'investissement et des «triangles de croissance»
Les échanges au sein de la région Asie se développent plus rapidement que les échanges avec le reste du monde; la part du commerce intrarégional est passée de 30 pour cent en 1986 à 40 pour cent en 1992. Les échanges entre la Chine et le reste du monde se sont développés particulièrement vite. Les importations de la Chine sont montées en flèche: plus de 25 pour cent pour chacune des deux dernières années, et une part croissante de ces importations est venue d'autres économies du Pacifique qui sont de plus en plus tributaires de la Chine. En fait, la Chine est considérée comme le principal moteur de la croissance dans la région Asie et Pacifique.
La croissance du commerce intrarégional a été en partie aidée par la poursuite de la récession (depuis 1990) et la croissance du chômage qui a donné lieu à un renforcement des tendances protectionnistes dans les pays industriels. La récente conclusion des négociations de l'Uruguay Round du GATT devrait éliminer certaines de ces barrières.
Il subsiste néanmoins des préoccupations quant au risque d'internalisation des échanges en Europe et en Amérique du Nord à la suite des progrès de l'intégration économique au sein de la Communauté européenne et de la conclusion de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Malgré une récente diversification des flux d'échanges, la région Asie et Pacifique continue de vendre entre un tiers et la moitié de ses exportations totales à ces deux régions.
Dans les 10 dernières années, la région a reçu un volume croissant d'apports de capitaux sous forme d'investissements directs étrangers (IDE) et de crédit à long et moyen terme. Récemment, l'augmentation de ces apports de capitaux a été rapide. Deux facteurs qui contribuent au développement de l'IDE sont la persistance de la récession dans les pays développés et la croissance impressionnante, la stabilité et les réformes orientées vers les marchés que l'on observe dans les économies d'Asie. Selon la BAsD, les apports de capitaux se seraient élevés en moyenne chaque année à 36 milliards de dollars pendant la période 1989-1992, contre 20,5 milliards au cours des quatre années précédentes. Entre 1987 et 1992, les apports d'investissements directs étrangers ont augmenté de 27 pour cent par an. Dans le passé, les apports de capitaux se concentraient essentiellement en Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, ils s'orientent de plus en plus vers la Chine, qui a attiré, en 1992, 11 milliards de dollars et l'Inde qui a attiré, en 1993, 5 milliards de dollars de capitaux étrangers.
L'émergence de ce qu'on appelle les triangles de croissance est l'autre évolution majeure vers une plus grande intégration économique régionale. Les triangles de croissance relient des régions géographiquement contiguës et évoluent en fonction des possibilités d'exploiter les complémentarités nationales en matière de ressources naturelles, de capitaux et de main-d'uvre. Alors qu'un certain nombre de mécanismes intergouvernementaux de coopération et d'échanges au plan régional, comme l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), l'Association sud-asiatique de coopération régionale (ASACR) et le South Asian Free Trade Agreement (SAFTA) sont encore à la recherche d'un dispositif qui fonctionne, les mises en place informelles de triangles de croissance se multiplient rapidement dans la région. Ils sont plus ouverts sur l'extérieur que les blocs commerciaux, qui se consacrent surtout au renforcement des échanges à l'intérieur du bloc. Parmi les triangles de croissance qui réussissent, on peut citer le China Economic Area qui relie la Chine du Sud, Hong-kong et la province chinoise de Taiwan et le Southern Growth Triangle qui relie Singapour, l'Etat de Johore en Malaisie et l'île de Batam en Indonésie.
Les conséquences de l'Accord issu des négociations d'Uruguay pour l'agriculture asiatique
Bien que l'Accord du GATT issu des négociations d'Uruguay n'entre en vigueur qu'au milieu de l'année 1995 et que bon nombre de ses dispositions ne doivent prendre effet que progressivement au cours des 10 prochaines années, la signature de l'Acte final a suscité un grand intérêt parmi les agriculteurs d'Asie. L'effet net des dispositions du GATT pour l'agriculture n'a pas été systématiquement analysé pour la plupart des pays; dans certains, les groupes d'intérêts, notamment d'agriculteurs, expriment des opinions très tranchées. Par exemple, certains groupes d'agriculteurs jugent que la disposition relative à la Mesure générale de soutien (MGS totale) aurait pour effet de réduire les subventions aux engrais, à l'eau et à l'énergie et que les prix des semences risquent d'augmenter si les agriculteurs n'ont pas le droit de vendre des semences faisant l'objet d'une protection au titre de la propriété intellectuelle.
Dans les pays d'Asie, les produits du blé, la viande, les fruits et les légumes remplacent progressivement le riz du fait de la hausse des revenus et de l'urbanisation croissante. Il en résulte une baisse de la demande de riz par habitant dans toute la région mais une demande accrue de variétés de riz de qualité supérieure. La demande de céréales fourragères et de tourteaux d'oléagineux devrait s'accroître, entraînant des changements des prix relatifs. Une conséquence de l'Accord issu des négociations d'Uruguay pour les pays d'Asie est d'augmenter les investissements pour l'amélioration des technologies de production et la commercialisation ainsi que pour l'infrastructure de transformation, afin de faciliter la diversification des cultures induite par la modification des modes de consommation, conformément aux avantages comparatifs dynamiques des pays.
Croissance, réduction de la pauvreté et développement régional
Une croissance économique soutenue et les mesures spécifiques prises par les Etats ont nettement réduit aussi bien la proportion que les chiffres absolus des pauvres dans la région. Pourtant, près des trois quarts du milliard et quelque de pauvres dans le monde vivent en Asie; sur ce chiffre, près de 500 millions vivent dans la pauvreté absolue. Aussi, la lutte contre la pauvreté continue-t-elle d'être une priorité et risque de le rester pendant de nombreuses années encore.
La pauvreté se concentre généralement dans les régions rurales et pauvres en ressources qui ont peu accès aux services sociaux et aux infrastructures. Les progrès de la productivité et par conséquent les technologies permettant d'économiser la terre ont surtout profité au riz et au blé, de sorte que les régions qui ne convenaient pas à la culture intensive du riz ou du blé ont eu tendance à rester en arrière. La pauvreté rurale généralisée est concentrée dans les régions aux performances agricoles médiocres.
Même dans les pays qui enregistrent une forte croissance, l'inégalité du développement régional a conduit à de graves disparités de revenu, avec des poches de pauvreté rurale chronique. Les régions intérieures, surtout dans le nord-ouest de la Chine, les îles les plus éloignées de l'Indonésie et des Philippines et la région extérieure à Bangkok en Thaïlande sont des exemples de régions que les gouvernements respectifs estiment devoir bénéficier d'efforts particuliers de développement.
Les gouvernements d'Asie continuent d'appliquer des programmes spécifiques pour l'amélioration de l'infrastructure, l'amélioration des qualifications de populations cibles, l'incitation aux investissements, l'aide au développement des entreprises rurales, la création de zones de transformation pour l'exportation et entreprennent des programmes de développement intégrés dans les régions sous-développées pour contrebalancer les déséquilibres géographiques induits par les politiques macroéconomiques et sectorielles. Ainsi, les mesures prises par l'Inde pour lutter contre la pauvreté comprennent des programmes d'emplois salariés ruraux pendant les intersaisons de l'agriculture, des programmes de développement rural intégré et des efforts de réforme agraire. Le Bangladesh a mis sur pied des programmes d'alimentation des groupes vulnérables, des coopératives spéciales pour encourager des activités génératrices de revenu pour les pauvres, des programmes de développement d'infrastructure assortis d'une aide alimentaire et des programmes spéciaux de crédit ainsi que de formation et de qualification pour les petits agriculteurs. Il est de plus en plus évident que ces programmes doivent être complétés par un effort accru d'amélioration technologique des cultures dans les régions ciblées.
Les profondes transformations économiques intervenues en Chine au cours des 15 dernières années ont attiré l'attention du monde entier. La réforme économique, la modernisation et l'ouverture sur le monde extérieur se sont accompagnées d'une grande activité économique. Après une expansion de près de 10 pour cent par an au cours des années 80, l'économie nationale est entrée dans une période d'austérité entre 1989 et 1991, mais la croissance s'est accélérée à plus de 13 pour cent aussi bien en 1992 qu'en 1993 - l'un des taux les plus élevés au monde. Malgré cela, les niveaux actuels de revenu par habitant, 318 dollars en 1990 aux prix courants, continuent de placer la Chine parmi les pays en développement à faible revenu42.
Avec l'accélération de la croissance économique, d'importants changements se sont produits dans la structure économique. Les structures de la production et de l'emploi se sont modifiées en faveur de l'industrie et des services. Le secteur industriel, qui ne représentait que 36 pour cent du PIB et 10 pour cent de l'emploi en 1970, a vu croître ses parts à environ 55 pour cent et 22 pour cent respectivement en 1990. Inversement, la part de l'agriculture est descendue de 47 à 23 pour cent et de 81 à 60 pour cent de l'emploi pendant la même période. Le secteur industriel continue d'entraîner l'expansion économique. Sa croissance a été estimée à près de 21 pour cent en 1993, bien qu'avec de vastes disparités entre les provinces dynamiques de la côte est et celles de l'ouest et du centre, plus pauvres. La croissance de la valeur ajoutée de l'agriculture est restée en arrière (environ 4 pour cent en 1992 et en 1993), ce qui fait que l'importance économique du secteur a encore diminué.
La croissance rapide de ces dernières années a été alimentée par des investissements massifs, surtout dans le secteur industriel, facilités par l'assouplissement de la politique monétaire et la croissance rapide de la masse monétaire. (Les investissements en immobilisations ont augmenté de plus de 60 pour cent au cours de la première moitié de 1993.) En même temps, certains signes indiquaient que cette tendance ne pouvait être soutenue et que l'économie était en train d'atteindre ses limites.
Des goulets d'étranglement au niveau des transports, des pénuries d'énergie et de plusieurs matières premières industrielles essentielles ainsi qu'une accélération de l'inflation (qui est passée de 8,6 pour cent en 1992 à 14,5 pour cent en 1993) étaient autant d'indices d'un excès de pression de la demande et d'une nécessité de resserrer les politiques monétaires et la discipline financière.
La demande intérieure soutenue a en outre fait basculer la balance commerciale qui, en 1993, pour la première fois depuis 1989, est devenue négative. La demande d'importations a fortement augmenté et la croissance des exportations s'est ralentie, les biens d'équipement et de consommation exportables étant absorbés par le marché intérieur. Les mesures importantes de libéralisation liées à la demande de la Chine de rejoindre le GATT ont elles aussi contribué à une forte croissance des importations.
Des politiques monétaires de plus en plus restrictives et des réformes majeures du secteur financier sont attendues dans les années qui viennent. Ces mesures auront inévitablement pour effet de ralentir la croissance, bien que l'on s'attende encore à des chiffres non négligeables de 9 à 10 pour cent en 1994 et 1995. Les effets positifs auxquels on s'attend sont des réponses favorables de l'offre aux réformes en cours, d'importants apports d'IDE, une forte position de la balance extérieure et des niveaux élevés de réserves de devises.
Malgré ces prévisions optimistes, plusieurs problèmes fondamentaux restent à résoudre. Le premier est celui de la démographie. La croissance de la population, au taux annuel actuel de 1,3 pour cent environ (1,5 entre 1980 et 1990), est encore relativement forte considérant la base très large de plus de 1,2 milliard d'habitants. Malgré le contrôle des naissances, les mesures de planning familial se sont heurtées, surtout dans les zones rurales, à des obstacles majeurs, découlant parfois de l'action du gouvernement lui-même43.
Les autres problèmes qui se posent sont la durabilité à long terme de la forte croissance ainsi que l'aptitude à la réaliser par une combinaison équilibrée de pratiques intensives - augmentant la productivité des facteurs - et de pratiques extensives - permettant l'absorption de la vaste main-d'uvre en expansion. Un facteur qui a son importance pour le rythme futur de la croissance est la possibilité d'intégrer les entreprises d'Etat, en particulier les plus grandes, dans l'économie de marché de façon à accroître leur vitalité et leur efficience.
Malgré une croissance rapide et dans une certaine mesure à cause d'elle, les disparités de revenu et de niveau de vie se sont accrues entre les zones rurales et urbaines, les provinces côtières et intérieures, les zones économiques et de développement favorisées et celles qui ont peu accès aux aides publiques et aux possibilités du marché. Un problème majeur auquel le gouvernement est confronté est celui d'empêcher une accentuation supplémentaire des disparités régionales et intersectorielles. La consolidation d'une économie socialiste de marché implique d'établir une sorte de système économique libéral qui encourage l'initiative privée tout en empêchant les inéquités sociales, la spéculation et la corruption.
Le secteur agricole de la Chine en transition
A la fin des années 70, les responsables des politiques de la Chine ont lancé une série de réformes du secteur rural visant à remédier à la mollesse de la croissance agricole du pays. Malgré trois décennies d'insistance sur l'autosuffisance alimentaire et de réalisations impressionnantes dans les domaines de la santé et de l'éducation, les responsables des politiques étaient déçus par l'incapacité du secteur rural à améliorer la quantité, la qualité et la variété de la production agricole. Depuis plus de 30 ans, ce secteur exige des niveaux de plus en plus élevés d'investissement de l'Etat pour générer la croissance, mais la productivité ne s'est guère améliorée. En fait, elle a stagné et elle a même certaines années diminué. La production céréalière par habitant n'a augmenté que de 14 pour cent entre 1952 et 1978, tandis que la production vivrière a tout juste conservé une légère avance sur la croissance démographique. De plus, le pays était importateur net de céréales depuis un quart de siècle.
Bien que les mesures de réforme de 1978 aient été axées sur l'augmentation de la production agricole grâce à une amélioration des incitations offertes aux agriculteurs au niveau des prix et des revenus, elles ont été rapidement suivies d'une restructuration complète du secteur agricole de la Chine. En moins de cinq ans, le contrôle des ressources et de la production est passé du système d'exploitation collective à un système d'exploitation au niveau des ménages. La planification directe par l'Etat de la production agricole a été remplacée par les mécanismes du marché et des prix. Au début des années 80, le gouvernement avait aboli le système des communes, adopté le système de responsabilité des ménages et laissé les prix et les marchés contribuer à déterminer l'utilisation des intrants et les décisions de production.
Ce passage de la planification centralisée à un secteur agricole orienté vers le marché n'a pas seulement profondément modifié le rôle de l'Etat dans l'agriculture, mais s'est aussi traduit par des améliorations remarquables de la productivité ainsi que des revenus et du bien-être des populations rurales. C'est ainsi que, depuis les réformes de 1978, le secteur agricole a enregistré une croissance annuelle moyenne de près de 6 pour cent, c'est-à-dire l'une des plus élevées au monde et deux fois le chiffre de la période 1953-1978. La valeur réelle de la production agricole de la Chine a plus que doublé depuis 1978. Surtout, le revenu rural par habitant a augmenté rapidement, réduisant des deux tiers le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue. Les augmentations les plus rapides de ce revenu se sont produites entre 1979 et 1984, où elles ont atteint un chiffre moyen de 15 pour cent par an.
Les réformes rurales initiales. Avant les réformes de 1978, le Gouvernement central chinois planifiait et dirigeait l'activité économique du pays. L'Etat établissait les plans économiques annuels à la fois pour l'industrie et l'agriculture et assignait des objectifs de production aux entreprises industrielles et agricoles.
L'Etat était également responsable de la fourniture aux entreprises des intrants nécessaires pour réaliser les objectifs ainsi que de l'achat et de la distribution de la production. Par exemple, l'Etat imposait une politique d'achat obligatoire, obligeant les ménages agricoles à vendre leur production à des prix fixés par lui. Le gouvernement rationnait ensuite les produits destinés aux citadins, y compris les céréales, les huiles comestibles, le porc, le sucre et le tissu de coton. A un moment, il a rationné pour les habitants des villes plus de 100 articles.
Les communes populaires rurales accomplissaient les activités qui leur étaient assignées par le plan central. Les communes étaient à la fois des organes gouvernementaux et des coopératives obligatoires qui appliquaient les directives de l'Etat et géraient de petites entreprises et de petits magasins. La commune type se composait de 10 à 15 brigades de production, qui étaient subdivisées en une dizaine d'équipes de production de 20 à 30 ménages chacune. La commune moyenne comportait environ 5 000 ménages et 4 000 hectares de terres cultivées.
Les brigades de production répartissaient les quotas de production et d'achat de chaque équipe et géraient les écoles primaires, les dispensaires et les petites boutiques de détail de produits non agricoles. Les équipes de production organisaient les activités agricoles et assuraient la comptabilité et la distribution des revenus. La rémunération des travailleurs était basée sur une formule de points de travail. Les équipes avaient aussi le contrôle des droits de propriété sur la terre et les autres biens.
Le système chinois des communes a atteint la plupart des objectifs pour lesquels il avait été mis en place. Les communes ont construit et exploité les infrastructures rurales (irrigation, réseaux de transport, etc.), organisé et géré les services économiques et de protection sociale (y compris les soins de santé et l'éducation) et assuré l'autosuffisance alimentaire du secteur rural.
Initialement, les réformes de 1978 visaient à partir de cette infrastructure matérielle et humaine bien développée en utilisant des incitations au niveau des prix pour accroître la production globale. Les premières mesures ont assoupli le contrôle de l'Etat central sur les superficies ensemencées et relevé les prix d'achat de plus de 20 pour cent pour les céréales, 15 pour cent pour le coton, 25 pour cent pour les graines oléagineuses et 25 pour cent pour les porcs. En outre, elles ont relevé de 50 pour cent les primes pour les ventes au-dessus du quota et réduit les prix des intrants de 10 pour cent.
Réorganisation de l'unité de production. Pour fournir une incitation supplémentaire, le gouvernement a autorisé les équipes de production à expérimenter différents systèmes de rémunération à condition que la structure collective de propriété et de gestion de la commune soit maintenue. Certaines équipes ont choisi de lier le salaire au type de travail; d'autres l'ont lié au temps de travail, au type de terre ou au volume de production final. Un groupe d'agriculteurs de la province d'Anhui a adopté ce qui s'est avéré le meilleur système de rémunération. Connu sous le nom de «Da Baogan» ou «Baogan Dao Hu» (c'est-à-dire la passation de contrats avec les ménages pour toutes les activités), ce système consistait à diviser les terres, les équipements et les quotas de l'équipe de production entre les différents ménages qui la composaient. Une fois remplies les obligations du quota et payée une partie donnée de la production ou des recettes à l'équipe de production à titre d'impôt communautaire, chaque ménage pouvait conserver la production excédentaire ou en disposer à sa discrétion. Ce système a ensuite pris le nom de système de responsabilité des ménages (HRS).
Au début, le gouvernement n'était pas en faveur de ce système, insistant pour que les équipes de production restent l'unité de gestion de base et qu'elles conservent la propriété collective de la terre et des autres biens. Il a néanmoins encouragé le HRS dans les régions éloignées et montagneuses les plus pauvres.
En 1982, le gouvernement a accepté que le HRS devienne l'institution rurale dominante pour la production agricole en Chine. Les ménages établissaient avec les équipes de production des contrats de durée déterminée pour l'utilisation des terres. Les contrats initiaux accordaient des droits sur les terres pour trois à cinq ans; à la fin des années 80, ils ont été étendus à 15 ans et en 1993 ils s'étendaient à 30 ans. Les ménages passaient également contrat avec les équipes de production pour remplir les quotas d'achat de l'Etat et payer diverses taxes.
A la fin de 1983, 200 millions d'exploitations familiales avaient adopté le HRS et plus de 50 000 communes avaient été éliminées. Dans le même temps, le gouvernement a introduit deux changements supplémentaires: premièrement, en 1983, les ménages ont été autorisés à employer de la main-d'uvre pour les travaux agricoles; deuxièmement, la sous-location de terres à d'autres ménages moyennant rémunération a été autorisée en 1984. Ces deux réformes visaient à accroître l'investissement dans les exploitations en améliorant le fonctionnement des marchés des terres et du travail.
Réformes des marchés des produits. Avant les réformes de 1978, le Gouvernement chinois classait les produits agricoles en trois catégories. La première, qui comprenait les céréales, les cultures oléagineuses et le coton, était soumise à «tong gou», c'est-à-dire achat unifié: l'Etat était le seul acheteur par le moyen du système de quotas obligatoires. Les quotas et objectifs de production et les prix d'achat étaient fixés pour trois à cinq ans. Les livraisons au-dessus du quota étaient obligatoires, mais étaient payées à un prix de 20 à 30 pour cent plus élevé. Ces marchandises ne pouvaient être vendues sur le marché libre.
La deuxième catégorie comprenait la viande, les produits aquatiques, le tabac, le thé, la soie et le sucre et était soumise à «pai gou», ou achat imposé: l'Etat fixait des quotas et des prix d'achat obligatoires mais autorisait la vente sur le marché libre des excédents. Il n'y avait pas de quotas obligatoires pour les marchandises de la troisième catégorie, qui étaient les légumes, les fruits et certaines cultures industrielles. Cependant, les organes du gouvernement fixaient les prix et contrôlaient le commerce interrégional; les producteurs ne pouvaient commercer que sur les marchés locaux.
Au début des années 80, des réformes supplémentaires orientées vers le marché avaient légalisé les marchés de gros et autorisé le commerce sur le marché libre des céréales (à condition que le quota d'achat soit rempli). Le gouvernement a progressivement réduit la quantité de produits couverts par les quotas d'achat et réformé le système rural de coopératives d'approvisionnement et de commercialisation. Ces changements encourageaient les entreprises de commercialisation propriété des agriculteurs, y compris les coopératives privées et les entreprises individuelles. Au début des années 90, les entreprises privées de commercialisation atteignaient le nombre de 3,7 millions et employaient environ 14 millions de personnes.
Ces entreprises achetaient des produits agricoles à des commerçants sur les marchés locaux ou directement auprès des agriculteurs puis les transformaient, les transportaient ou les vendaient sur de grands marchés de gros. Souvent, elles étaient en concurrence avec les organismes d'achat de l'Etat (les coopératives réformées d'approvisionnement rural). A la fin de 1993, les agriculteurs chinois vendaient environ 85 pour cent de leur production dans le secteur privé aux prix du marché.
Au milieu des années 80, les marchandises non agricoles sont elles aussi progressivement sorties du plan obligatoire pour accéder au système privé de distribution et les circuits du marché se sont progressivement développés. Le gouvernement a introduit des prix «à deux vitesses» pour les produits industriels en 1985 (autorisant la vente sur le marché libre de la production dépassant les objectifs) et a commencé à éliminer progressivement la fixation des prix d'achat à la fin des années 80. En 1980, 90 pour cent des marchandises industrielles étaient centralement planifiées; en 1994, la proportion de biens industriels soumis à la planification de l'Etat était ramenée à moins de 10 pour cent. En outre, le nombre de biens de consommation administrés par des organismes gouvernementaux, y compris les produits alimentaires de base, a été ramené de 274 en 1978 à 14 au début de 1994.
Les réformes rurales et le développement agricole
La valeur brute réelle de la production agricole a plus que doublé au cours des années 80 et s'est accompagnée d'une diversification sensible et d'une augmentation de la productivité. C'est ainsi qu'entre 1979 et 1985 la superficie plantée en céréales a diminué de 6 pour cent et la part de ces cultures dans l'emploi agricole s'est trouvée ramenée de 93 pour cent à 70 pour cent, les agriculteurs transférant des ressources et de la main-d'uvre vers des activités agricoles plus rentables telles que les fruits et les légumes. La main-d'uvre agricole totale, qui représentait plus de 70 pour cent de la population en 1979, n'était plus que de 58 pour cent en 1993, tandis que la part de l'agriculture dans le revenu national se maintenait à 33 pour cent.
Cette réaffectation des ressources n'a toutefois pas diminué la production. La disponibilité de céréales est passée de 305 kg par habitant en 1978 à 400 kg en 1984. La production totale céréalière est passée de 304,8 millions de tonnes en 1978 à 456,4 millions de tonnes en 1993, soit une augmentation de 50 pour cent. Au cours des 15 dernières années, les rendements en céréales, coton et graines oléagineuses ont augmenté de 3,5 pour cent par an. L'essentiel de ces gains de productivité ont été dus à un emploi accru des intrants - les engrais chimiques ont triplé et le nombre de petits tracteurs quadruplé.
La production animale, les pêches, la foresterie et les activités autres que les cultures de rente se sont développées encore plus rapidement. Au cours des 15 dernières années, la production animale et celle des pêches ont augmenté de 10 pour cent par an, la production forestière de 5 pour cent et les autres activités «secondaires» de 15 pour cent. Bien que la valeur de la production des cultures de rente ait augmenté de plus de 4 pour cent par an, leur part dans la valeur totale de la production agricole est descendue de 77 à 60 pour cent. La part de la production animale est passée de 14 à 26 pour cent de la production totale. La relative libéralisation des marchés du bétail et la croissance rapide des revenus ont suscité une expansion de la production et de la consommation de viande plus rapide que celle de tous les autres produits agricoles. Au cours des années 80, la consommation de porc par habitant a augmenté de 200 pour cent, celle de volaille de 440 pour cent et celle d'ufs de 290 pour cent.
Cette croissance économique rapide et cette transition non moins rapide vers une économie orientée vers le marché se sont cependant accompagnées de périodes de forte inflation et de déséquilibres macroéconomiques. Le gouvernement a instauré plusieurs programmes d'austérité pour maîtriser l'inflation et remédier à la surchauffe de l'économie au cours de la deuxième moitié des années 80. En conséquence, en 1989 et 1990, le taux de croissance du PNB réel a été ramené à environ la moitié du taux annuel moyen enregistré au cours des premières années de la réforme.
En outre, les avantages de la croissance n'ont pas été également répartis. Par exemple, la forte croissance du secteur rural a joué un rôle important pour abaisser les niveaux de pauvreté au cours de la première moitié des années 80, mais ensuite, un ralentissement de la croissance agricole après 1985 a coïncidé avec la stagnation des niveaux de pauvreté. Le nombre de ruraux pauvres est descendu de 260 millions en 1978 à 100 millions en 1990 (soit de 33 pour cent de la population rurale à environ 12 pour cent). Mais entre 1985 et 1990, l'importance de la pauvreté rurale est restée à peu près constante.
En 1978, la plupart des pauvres résidaient dans des zones où on pouvait obtenir des gains rapides de productivité en accroissant l'emploi des intrants agricoles et des semences hybrides. En 1985, cependant, la population encore pauvre se concentrait dans les zones pluviales les moins productives. Si certains gains de productivité ont été réalisés dans ces régions pauvres en ressources, les données dont on dispose donnent à penser que les gains de croissance agricole ont été largement compensés par la croissance démographique.
Paradoxalement, l'augmentation spectaculaire de la disponibilité de céréales au début des années 80 a conduit à un deuxième cycle de réformes de politiques économiques qui ont été défavorables à de nombreux agriculteurs. La récolte record de céréales et de coton de 1984 s'est traduite par un grave problème budgétaire pour le gouvernement central parce qu'il était encore obligé d'acheter, à des prix relativement élevés comparés aux prix à la consommation, la totalité de la production céréalière excédentaire par rapport aux quotas. Tandis que le gouvernement avait relevé les prix de détail du porc, du poisson et des ufs pour compenser l'augmentation des prix d'achat, les prix de détail des denrées de base telles que les céréales et les huiles comestibles n'ont pas été augmentés. Ainsi, les subventions aux denrées alimentaires sont passées de 8 pour cent du budget de l'Etat en 1979 à 25 pour cent en 1984, ce qui représentait une charge financière insupportable pour un pays qui cherchait à consacrer davantage d'investissements au secteur industriel.
Pour réduire cette charge, le gouvernement a converti le système d'achat vieux de 30 ans en un système «d'achat sur contrat» éliminant les quotas obligatoires pour le coton en 1984 et pour les céréales en 1985. Le nouveau système établissait des prix unifiés équivalant à la moyenne pondérée des prix des quotas et hors quotas au niveau de 1984. Il a en outre fixé des quotas plus bas pour les achats de coton, augmenté le coût des intrants tels que le gazole et les engrais et réduit les investissements de l'Etat dans l'agriculture. La baisse des prix des céréales et du coton s'est traduite par la réduction à la fois de la superficie plantée et de l'utilisation d'intrants: la production céréalière a diminué de 7 pour cent en 1985 et celle de coton de 34 pour cent.
Le développement des entreprises rurales et l'agriculture
Une fois dissous le système des communes, le gouvernement a autorisé les districts urbains à hériter des fonctions administratives et de la propriété des communes et villages à assumer les fonctions et la propriété des brigades. Ces entreprises de district et de village (TVE) ont bientôt commencé à fonctionner en tant qu'entreprises collectives produisant une variété de biens et de services; beaucoup fournissaient des intrants aux agriculteurs. Dans le même temps, les entreprises rurales privées se sont rapidement développées.
Au milieu des années 80, lorsque le gouvernement a commencé à aborder les problèmes budgétaires causés par les subventions aux denrées alimentaires et l'achat des céréales, une série de réformes ont été axées sur les TVE et les entreprises industrielles urbaines. Les réformes comportaient un système de conservation de certains bénéfices, le droit de vendre sur le marché libre la production excédentaire par rapport au plan et l'autorisation de recruter de la main-d'uvre (ainsi que la possibilité pour les agriculteurs de travailler en dehors de l'exploitation). Le gouvernement a en outre accordé aux TVE des exonérations fiscales et du crédit bonifié. Ces TVE se sont développées au-delà de toutes les attentes. Entre 1978 et 1993, leur production a augmenté à un rythme annuel de 21 pour cent et leur emploi de 12 pour cent. En 1978, leur production ne représentait que 35 pour cent de la production agricole mais, au début des années 90, le rapport était passé à environ 200 pour cent. Entre 1978 et 1993, le nombre de TVE est passé de 1,5 million à 20,8 millions, créant près de 80 millions d'emplois pour les paysans dont on a pu dire qu'ils «quittaient la terre mais non la campagne».
Les TVE ont eu des effets mitigés sur le secteur agricole. Ainsi, dans les premières années qui ont suivi les réformes, celles-ci ont contribué à la croissance agricole en fournissant des intrants, des services techniques et une infrastructure améliorée à la communauté. Elles ont aussi créé des emplois, absorbé la main-d'uvre excédentaire, accru les revenus ruraux et resserré l'écart entre les secteurs ruraux et urbains. L'inconvénient cependant était qu'elles assuraient une rentabilité des investissements plus forte que l'agriculture tout en étant en concurrence avec elle pour les mêmes ressources; de ce fait, les agriculteurs et l'Etat se sont progressivement mis à investir une plus grande partie de leur épargne nouvelle dans les TVE et moins dans l'agriculture, ce qui a eu des effets négatifs sur la production agricole et créé un nouvel écart de revenu entre le travailleur agricole et l'industrie rurale.
De plus, pendant toutes les années 80, alors que la production des TVE pour les marchés urbains et d'exportation augmentait, la production des intrants agricoles diminuait: celle des engrais azotés de 27 pour cent et celle des machines agricoles de 50 pour cent. De nombreux agriculteurs étaient obligés de se déplacer sur de longues distances pour acheter ces intrants dans les villes, ce qui augmentait les coûts de production et abaissait les revenus agricoles, réduisant ainsi les incitations à investir dans l'agriculture.
Les incitations offertes à l'agriculture au niveau des prix ont été réduites en 1984 et la production céréalière s'est ralentie, de sorte que la baisse de rentabilité de l'agriculture a incité de nombreux agriculteurs à investir l'essentiel de leur épargne nouvelle et de leur main-d'uvre dans ces TVE. En 1993, l'encours total des prêts des coopératives rurales de crédit aux TVE s'élevait à 147,2 milliards de yuan renminbi (Y), tandis que le montant total de leurs dépôts ne s'élevait qu'à 30,2 milliards de Y. En même temps, les dépôts des ménages d'agriculteurs et l'encours de leurs emprunts s'élevaient respectivement à 286,7 et 75,9 milliards de Y. Les TVE avaient extrait 117 milliards de Y du secteur agricole, montant à peu près égal à 30 pour cent de la valeur des biens fixes de production possédés par les ménages agricoles à la fin de 1992.
L'investissement des agriculteurs dans les équipements agricoles en pourcentage de leur épargne a baissé de 25 pour cent au début des années 80 à moins de 6 pour cent au début des années 90. De même, l'investissement de l'Etat dans l'agriculture est tombé de 10 pour cent du total national pendant la seconde moitié des années 70 à 3,3 pour cent dans la seconde moitié des années 80. En moyenne, les investissements dans les biens d'équipement agricole réalisés par l'Etat et les agriculteurs n'ont représenté au total que 30 pour cent des investissements des TVE entre 1985 et 1990. Les données récentes montrent que l'insuffisance de l'investissement agricole et la faiblesse de l'infrastructure commencent à limiter la croissance. C'est ainsi que les terres irriguées restent à peu près au niveau de 1979 et que 25 pour cent des lacs de retenue du pays diminuent de volume en raison de la sédimentation et de l'érosion.
Les TVE créent des problèmes supplémentaires pour le secteur agricole; par exemple, contrairement aux entreprises urbaines, qui attirent des familles entières, les TVE ont tendance à attirer les travailleurs les mieux instruits et les plus capables, laissant dans l'exploitation les membres les moins productifs du ménage. Enfin, les TVE ne sont pas soumises à la même législation environnementale que les industries urbaines et dans de nombreuses régions elles dégradent les terres agricoles et l'eau d'irrigation.
Orientations futures de l'organisation des exploitations et de l'agriculture
En 1994, sept produits agricoles seulement étaient encore soumis à un contrôle gouvernemental. Les contrôles sur les prix des céréales et des huiles comestibles ont été assouplis au milieu de 1993 et des marchés à terme ont été créés pour les céréales. Le gouvernement central a annoncé que les contrôles administratifs sur les céréales et les graines oléagineuses seraient totalement éliminés d'ici 1996.
ENCADRÉ 6 Les pays insulaires du Pacifique comprennent un large éventail d'économies, de structures géologiques, de dotations en ressources et de densités de population. Les pays de la sous-région sont toutefois confrontés à un certain nombre de contraintes communes, telles que la petitesse des marchés intérieurs, l'étroitesse de la base de ressources et de production, les coûts unitaires relativement élevés des infrastructures, une forte dépendance vis-à-vis du commerce extérieur et la vulnérabilité aux chocs extérieurs et aux catastrophes. En outre, les îles du Pacifique, contrairement aux îles des Caraïbes, ne sont proches d'aucun grand marché à revenu élevé. La croissance économique tend à être irrégulière, avec des taux de croissance à long terme qui suivent tout juste la croissance démographique. Le PNB par habitant va de 1 830 dollars aux Fidji à 560 dollars dans les îles Salomon. Les indicateurs sociaux se comparent en général favorablement à ceux des pays en développement du même niveau ou d'un niveau supérieur de revenu. Les pays possèdent des dotations naturelles relativement riches, une grande superficie de terre par personne et de vastes zones océaniques contenant un potentiel important en minéraux et en poissons. La superficie maritime moyenne est plus de 24 fois celle des Caraïbes. Au cours des années, les pays insulaires du Pacifique ont profité d'importants apports d'aide assortis de conditions libérales, de montants élevés d'envois de fonds des travailleurs expatriés et d'une base de ressources naturelles qui est favorable à la vie de subsistance. La pauvreté absolue est faible mais la pauvreté relative pose encore un problème dans les îles Salomon et au Vanuatu. Les indicateurs récents d'autosuffisance alimentaire sont élevés pour tous les pays; ils vont de 95 pour cent en Papouasie-Nouvelle-Guinée à 145 pour cent au Vanuatu. Le revenu par habitant stagne depuis le début des années 80 et les taux de croissance démographique restent supérieurs à 2 pour cent. Cette faible croissance économique et cette stagnation malgré des niveaux élevés d'apports de ressources étrangères et de forts taux d'investissement sont souvent désignées sous le nom de «paradoxe du Pacifique». Etant donné les limitations de la politique monétaire dans de petites économies ouvertes où les niveaux de dons extérieurs et d'envois de fonds des travailleurs expatriés sont relativement élevés, la politique budgétaire est le principal instrument de politique macroéconomique. La stratégie commune de développement la plus récente consiste à rechercher des possibilités d'exportation et des substituts efficaces aux importations pour promouvoir les économies nationales. L'agriculture, les pêches et la foresterie sont trois des activités les plus importantes qui semblent prometteuses pour le développement futur (avec le tourisme et la petite industrie). L'agriculture est le plus gros employeur de la région et elle est dominée par une combinaison de cultures de racines et de légumes potagers de semi-subsistance et par la production de coprah, de cacao, de sucre et de café pour l'exportation. La baisse et l'instabilité des cours des cultures traditionnelles d'exportation ont incité les producteurs à se diversifier dans des produits non traditionnels tels que le potiron, la vanille, le melon, la crème de noix de coco et le buf élevé en pâturage pour les marchés d'exportation. Bien que les droits maritimes soient très importants, peu d'investissements nationaux sont allés au secteur des pêches. Dans le passé, l'allocation de droits de pêche aux bâtiments étrangers a été préférée à l'encouragement des pêches indigènes. Plus récemment, toutefois, de nombreux gouvernements ont encouragé les liens entre les pêches étrangères et l'industrie naissante de la pêche nationale. Celle-ci devra améliorer les qualifications locales, développer les installations de réception et de commercialisation, réserver des sections de leurs zones économiques pour les collectivités locales de pêche et fournir des incitations suffisantes - fiscales, financières et infrastructurelles. Dans les îles du Pacifique, l'environnement est fragile et est soumis à diverses sources et divers types de dégradations. Ces problèmes d'environnement deviennent l'élément le plus important des stratégies de développement à long terme en raison du haut degré de dépendance économique et culturelle à l'égard de l'environnement naturel. Si aucun de ces problèmes environnementaux n'est propre aux îles du Pacifique, la plupart sont aggravés par le fait qu'il s'agit de petites étendues de terres basses dispersées à travers une partie du plus grand océan du monde, ce qui les rend vulnérables à la montée du niveau de la mer et aux catastrophes naturelles et leur donne une extrême diversité d'écosystèmes et d'espèces. Les problèmes d'environnement qui sont communs à toute la région sont: les incidences de la croissance démographique pour l'adduction d'eau dans les villes et l'assainissement; la dégradation des bassins versants due aux pratiques forestières et à la déforestation qui en résulte; les menaces qui pèsent sur les nappes aquifères côtières et des atolls; la pollution marine due à la contamination des éléments nutritifs (déforestation, eaux usées et défrichage); la dégradation des terres due à l'érosion et au compactage des sols; la perte de diversité biologique; la pêche en haute mer avec des filets dérivants et la surexploitation des ressources marines. |
Les contrôles sur les prix de détail étant levés et le système de rationnement progressivement supprimé, les résidents des villes achètent de plus en plus de produits de base sur le marché libre. En juin 1993, trois provinces seulement (Tibet, Hainan et Gansu) conservaient le vieux système de rationnement des céréales qui donne le droit aux résidents des villes d'acheter des céréales à bas prix à l'aide de bons. Dans toutes les autres provinces, les bons de céréales ont été supprimés et les travailleurs partiellement indemnisés sous forme de supplément de salaire.
Ces changements vont continuer à exercer de nombreuses pressions sur le secteur agricole chinois pendant toute la décennie 90. La forte croissance des revenus conjuguée à de nouvelles réductions des subventions de base à la consommation vont continuer à modifier les modes de consommation alimentaire. Les plus fortes élasticités-revenu pour l'élevage et les céréales fourragères impliquent que la demande de ces produits va augmenter plus vite que pour le riz. La demande de blé de meilleure qualité, de fruits, de légumes et de riz japonica semble aussi être en augmentation.
De même, les soutiens à la production des céréales vont influer sur les structures d'incitation et les décisions des agriculteurs sur ce qu'ils veulent planter. En outre, la croissance future du secteur agricole et les améliorations de la production céréalière dépendent des changements de politique concernant les investissements, la main-d'uvre et les migrations de population, les droits de propriété et de nouvelles réformes des systèmes de production, de commercialisation et de stockage des céréales. Par exemple, une importante préoccupation à laquelle sont confrontés les responsables chinois est la fragmentation des terres agricoles. Lorsqu'au début des années 80 les ménages sont devenus producteurs indépendants, l'exploitation type comprenait quatre ou cinq parcelles dispersées en différents lieux, convenant à différents usages et totalisant environ 0,5 ha. Les incitations à la production ont augmenté mais les économies d'échelle ont disparu. Certaines équipes de production ont essayé de regrouper les terres, mais la dimension totale n'a pas changé. De plus, les efforts de regroupement ont souvent abouti à des conflits d'intérêts entre les ménages. Les autres agriculteurs manquent de confiance dans les locations à long terme de terres et autres biens de production.
Les responsables chinois discutent actuellement de mesures supplémentaires de réforme des institutions agricoles permettant la libre migration de la main-d'uvre et de la population, aussi bien d'une région à l'autre que des zones rurales aux zones urbaines. Le but est d'encourager certains ménages à quitter la terre, ce qui permettrait à d'autres d'agrandir leur superficie et d'améliorer leur efficience. Un obstacle est le système d'enregistrement des résidents qui assigne un statut juridique différent aux habitants des campagnes et des villes et restreint les lieux où les individus peuvent vivre et travailler. Le gouvernement a présenté en mars 1994 une proposition de réforme de ce système.
Un deuxième problème est le manque de clarté du statut juridique de la propriété de la terre. Au début des années 80, les agriculteurs signaient des contrats avec l'équipe de production qui représentait le propriétaire officiel de la terre et des biens de production. Cependant, le gouvernement conservait le droit de modifier la durée des locations de terres. Dans la plupart des zones rurales aujourd'hui, les soucis en matière de tenure sont la sécurité, la durée, la transférabilité et la «possibilité de commercialisation» des locations de terres (et ce que cela implique pour les investissements à long terme). Une expérience récente a divisé toutes les terres d'un village en deux catégories: l'une pour la distribution à titre perpétuel entre les membres existants du village; l'autre pour mise aux enchères. La propriété de la terre reste une question sensible et un problème pratique qui subsistera dans les années à venir.
42 Le 13e Congrès national du Parti communiste a défini une stratégie de développement en trois phases. Le PIB devait doubler pendant la première phase de 10 ans qui se terminait en 1990 (objectif qui a été réalisé) et doubler encore au cours de la deuxième phase se terminant en l'an 2000 (ce qui n'est pas improbable si l'on considère les tendances récentes); d'ici la fin de la troisième phase en 2050, le revenu par habitant de la Chine devrait être celui d'un pays développé de rang moyen.
43 Par exemple, l'allocation aux paysans de terres pour l'exploitation agricole et de logements a été calculée par habitant, ce qui les a encouragés à accroître la taille de leur famille.