The duality between judicial norms and traditional practices in the Central African Republic
Low population densities and the general absence of land pressure in the Central African Republic have helped to preserve customary land tenure and land management systems at the same time as modern laws, at least on paper, have been usurping these functions. The duality, then, is between judicial norms and traditional practices. The lack of expression, in practice, of the judicial norms helps to explain the absence of the social classes that have appeared elsewhere - large landholders and landless peasants - and this, in turn, explains the high degree of social cohesion in the Central African Republic. Nevertheless, a tenure system based on individual private holdings is seen by the article's authors as increasingly popular in the de facto if not in the de jure sense, since it offers more advantages than would a system based on collective holdings. Private property, even in the non-statutory sense, offers freedom of choice concerning production practices, increased personal status of the property holder, more latitude for personal initiative and self-promotion and high levels of popular participation. It is also conducive to social cohesion and justice, at least as long as there remains an abundance of land. In spite of the noted trend that favours individual rights, there is no clear line separating individual from collective tenure in the Central African Republic. Within the customary system, individual use rights exist within the context of collectively held resources such as land, and both can be independent of statutory regulations. The state is legally the owner of all "untitled" lands. It is currently extremely difficult for the average rural producer to obtain legal status as a private landholder, and too expensive and complicated for most natural resource users.
Normas jurídicas y prácticas consuetudinarias en la República Centroafricana
Una baja densidad demográfica y la falta de presión sobre la tierra en la República Centroafricana han contribuido a preservar la tenencia consuetudinaria de tierras y los sistemas de administración rural, al propio tiempo que la legislación moderna, al menos sobre el papel, ha usurpado esas funciones. Existe pues una dualidad entre las normas judiciales y las prácticas tradicionales. La no expresión de las normas judiciales en la vida práctica contribuye a explicar la ausencia de clases sociales que han hecho su aparición en todas partes -grandes terratenientes y campesinos sin tierras-, lo que a su vez explica el alto grado de cohesión social que es característica de la República Centroafricana. Sin embargo, un sistema de tenencia basado en las explotaciones privadas es cada vez más popular de facto cuando no de jure, ya que ofrece más ventajas que un sistema basado en explotaciones colectivas. La propiedad privada, incluso en el sentido no estatutario, ofrece libertad de elección por lo que respecta a las prácticas de producción, una posición personal más elevada del titular, un mayor margen para la iniciativa personal y la autopromoción, altos niveles de participación popular, y se presta a la cohesión y justicia sociales, al menos mientras haya abundancia de tierras. A pesar de la tendencia observada a favor de los derechos personales, en la República Centroafricana no existe una clara línea divisoria de la tenencia colectiva. En el sistema consuetudinario cabe encontrar derechos individuales de uso en el contexto de los recursos de posesión colectiva como la tierra, y en ambos casos éstos pueden ser independientes de los reglamentos estatutarios. El Estado es legalmente propietario de todas las tierras de las que no exista título de propiedad. De hecho, actualmente es difícil que el productor rural medio obtenga la condición jurídica de propietario privado: la titulación sigue siendo el único instrumento para que la tierra se transfiera de la propiedad pública al dominio privado; es un procedimiento costoso y complicado y no está al alcance de la mayoría de los usuarios de recursos naturales.
Jean-Paul
Danagoro
Dominique Malo
Marcel Serekoisse Samba
Sous la coordination de Alphonse Blague1
Les faibles densités de population et l'absence générale de pression sur les terres caractérisant la République centrafricaine ont permis de préserver les régimes fonciers et systèmes de gestion des terres coutumiers, tandis que dans le même temps les lois modernes, en théorie en tout cas, en ont usurpé les fonctions. Il y a donc dualité entre normes juridiques et pratiques coutumières. L'absence d'expression des normes juridiques dans la pratique contribue à expliquer l'inexistence des classes sociales qui sont apparues ailleurs: gros propriétaires terriens et paysans sans terre, facteur qui explique le degré élevé de cohésion sociale caractéristique de la République centrafricaine. Néanmoins, les auteurs de l'étude voient dans le mode de faire-valoir fondé sur l'exploitation individuelle privée un modèle de plus en plus populaire, dans les faits sinon en droit, car il offre plus d'avantages qu'un système d'exploitations collectives. La propriété privée - y compris d'un point de vue non statutaire - offre la liberté de choisir les méthodes de production, confère davantage de prestige aux propriétaires, laisse plus de place à l'initiative personnelle et à la promotion de l'individu, permet un niveau de participation populaire accrue, outre qu'elle renforce la cohésion sociale et garantit plus d'équité, dans la mesure en tout cas où la terre est abondante. En dépit de cette tendance qui privilégie les droits individuels, il n'existe pas de frontière claire entre mode de faire-valoir individuel et collectif en République centrafricaine. On trouve dans le cadre du système coutumier, des droits individuels à propos de ressources détenues de façon collective telles que la terre, et les uns et les autres peuvent être indépendants de la réglementation statutaire. C'est l'État qui est officiellement propriétaire de toutes les terres dépourvues de titres. Il est actuellement très difficile en fait au producteur rural moyen d'acquérir le statut officiel d'exploitant privé et la procédure reste coûteuse et complexe pour la plupart des utilisateurs de ressources naturelles.
Le phénomène foncier est considéré comme facteur
fondamental de la reproduction sociale et conditionne donc, de façon
déterminante, tous les aspects de la vie en milieu rural. Sous l'influence des
valeurs économiques et sociales nouvelles poussées par l'urbanisation
croissante, les systèmes de propriété privée gagnent du terrain sur ceux des
patrimoines communaux, bien que la propriété foncière commune en Afrique soit
une pratique courante. Cependant, très peu d'études ont été réalisées sur la
question pour comprendre le phénomène foncier en République
centrafricaine.
Le droit des terres n'existe en tant que corps du droit dans
le système juridique actuellement en place en République centrafricaine, même si
des tentatives de réformes ont été entreprises comme substituts au corpus
relativement complexe hérité de l'administration coloniale. Le droit des terres
apparaît comme une sorte de nébuleuse englobant non seulement les textes
domaniaux et fonciers mais, de manière plus générale, tous les textes
d'application des précédents. Il serait donc vain de prétendre dresser la carte
foncière de la République centrafricaine dans la présente étude.
Cependant,
on affirme que le système juridique relatif au foncier en République
centrafricaine est caractérisé par une dualité entre les normes juridiques et
les pratiques coutumières. Cette dualité est sans doute en partie due au fait
que dans le contexte de la République centrafricaine, les terres sont abondantes
et très peu exploitées. Les familles peuvent disposer de parcelles à mettre en valeur selon leur capacité. Ainsi, à l'approche d'une nouvelle année, tout chef de famille observe une terre pour en déterminer la qualité en vue d'une mise en valeur. Cette mise en valeur ne donne pas automatiquement droit au titre foncier dans le sens moderne. C'est pourquoi, dans le régime foncier coutumier, la terre appartenant d'abord à un groupe de personnes issues d'un même ancêtre est sous l'autorité du chef de clan.
La République centrafricaine, pays sans littoral, s'étend
sur 623 000 km2 entre le Tchad, le Cameroun, le Congo, la République
démocratique du Congo et le Soudan. En 1988, la population est estimée à
2 878 254 habitants, soit une densité moyenne de 4,6 habitants au
kilomètre carré, avec un taux annuel de croissance de 2,5 pour cent. Cette
population est caractérisée par une grande atomicité notamment le long des voies
principales. Les régions les plus peuplées demeurent cependant le nord-ouest et
le centre-est, les régions orientales étant plutôt clairsemées.
Quatre
grandes zones agroécologiques caractérisent la République centrafricaine. Les
savanes vivrières et pastorales, les savanes cotonnières, vivrières et
pastorales, les zones forestières caféières, et enfin la zone cynégétique et
touristique. Cette diversité des conditions écologiques est le reflet des
différents régimes climatiques allant du climat équatorial dans le sud au climat
sahélien dans l'extrême nord en passant par le climat intertropical dans la
région centrale.
Le potentiel de terres cultivables représente pour cent de
la superficie totale, soit environ 250 000 km2. Les principales
productions agricoles du pays sont les cultures vivrières: les céréales (mil,
sorgho) et les plantes à tubercules (manioc, taros et ignames). Les cultures
d'exportation ou à usage industriel sont le coton, le café, le palmier à huile,
la canne à sucre et le tabac.
Parallèlement aux productions végétales, la
République centrafricaine offre des conditions propices aux productions animales
dont les plus importantes sont l'élevage bovin (environ 3 millions de têtes) et
le petit élevage constitué d'ovins, de caprins et de porcins. Les productions
halieutiques proviennent de la pêche artisanale et, de plus en plus, de la
pisciculture pratiquée dans la capitale et les principales villes de
province.
Le potentiel forestier est riche et diversifié dans le sud, le sud-ouest et le sud-est. De même, les ressources minières (diamant et or) et les indices d'existence d'uranium, de fer, et de calcaire font preuve d'un potentiel très important d'exploitation minière. En résumé, l'importante disponibilité en terres de fertilité moyenne et les potentialités agropastorales, forestières et minières de la République centrafricaine confèrent à la question foncière toute son importance, même si, a priori , l'abondance de terres conduirait à méconnaître ou négliger cette question.
Les contributions des secteurs économiques au produit
intérieur brut en pourcentage sont respectivement de 42 pour cent pour
l'agriculture, 16 pour cent pour l'industrie, 2 pour cent pour le secteur
manufacturier et 40 pour cent pour les services divers, y compris le secteur
informel. En termes d'emplois, l'agriculture regroupe la plus grande proportion
de la population active, mais la fonction publique (administration publique
étatique), avec un effectif de fonctionnaires variant entre 17 000 et
22 000 est la plus active et joue un effet d'entraînement sur les autres
secteurs d'activité par le biais de la consommation.
Au niveau des infrastructures, la décennie 1980-1990 a été marquée, soit par la dégradation des infrastructures routières, soit par la dégradation ou le dépassement des capacités d'accueil et de fonctionnement des structures sociosanitaires et celles de la formation. Les conséquences évidentes sont l'enclavement intérieur du pays, le taux élevé de mortalité, la faible espérance de vie (49,5 ans), le faible accès à l'eau potable (18 pour cent) et le taux élevé d'analphabétisme. L'Indice de développement humain de la République centrafricaine la classait, en 1991, à la 144e place sur un total de 160 pays.
Il est à peine besoin de rappeler que le fait colonial a
conduit à la pénétration de nos modes de pensée par des normes occidentales. Il
nous semble que les terminologies juridiques des civilisations occidentales
(droit personnel/droit réel, droit privé/droit public, droit individuel/droit
collectif, etc.) ne sont pas aptes à saisir les rapports qui, dans les
civilisations foncières et agraires traditionnelles, lient l'homme à la terre,
unissent les gens d'un même terroir et régissent les relations entre les
individus. À cette inadéquation, on y trouve deux raisons majeures tenant aux
fondements et à l'idéologie de notre système de droit.
D'une part notre système juridique, qui privilégie la relation verticale État/individu, tend à omettre les fondements spirituels et les croyances relatifs à un domaine aussi complexe que celui du foncier; d'autre part, le droit moderne fait de la terre un objet d'appropriation, et donc de commerce, en ignorant en tant que droit égalitariste les liens de dépendance entre individus du fait de la hiérarchisation des sociétés traditionnelles et de la solidarité communautaire.
Les vestiges de cette époque sont encore évidents à nos
jours. En Centrafrique, les groupes ethniques des savanes vivrières, cotonnières
et pastorales considèrent la terre comme déesse de la fécondité et mère
nourricière. En outre, la terre est non seulement considérée comme une richesse,
mais aussi comme source de vie; elle ne prend de valeur que lorsqu'elle est
exploitée avec l'aide des forces invisibles. À travers cette perception de la
terre par les populations centrafricaines, nous pouvons retenir qu'en plus de la
dimension matérielle, la terre a un caractère mythique; elle appartient toujours
à une force supérieure et l'occupant en détient le droit d'exploitation et non
d'appropriation définitive et permanente.
Par le pacte qu'il a conclu avec
les esprits du terroir, le premier occupant de la terre a une double fonction:
d'une part, il est chargé du culte de la terre et, de ce fait, préside les
cérémonies de sacrifices et, d'autre part, il est juge des conflits en ce qui
concerne la gestion des terres. Le chef de terre a une certaine indépendance
vis-à-vis des autorités politiques qui avaient un pouvoir sur les hommes et sur
les produits de la terre sans pouvoir d'appropriation.
Cette disposition
coutumière donnait la possibilité à tous de cultiver la terre, à condition
d'être membre de la communauté et d'accepter de respecter les pratiques
mythiques liées à la terre sous peine d'expropriation. Ainsi, sur le plan
traditionnel, comme la terre n'était pas soumise au pouvoir politique, cette
coutume a empêché l'apparition de classes sociales (propriétaires terriens et
paysans sans terre). C'est la raison pour laquelle la communauté a pu garder sa
cohésion sociale.
Pratiquement, la famille qui prend possession d'une
parcelle de terre l'exploite jusqu'à sa mise en jachère et en garde toujours la
propriété. Aucun texte n'est édifié pour cette tenure, mais toute activité de
cueillette ou de chasse ne peut avoir lieu sur la terre sans autorisation
préalable de la famille ou du clan qui à un droit de partage sur les produits de
chasse, cueillette et pêche de cette terre sous peine de malédiction ou de
mauvais sort. Généralement, les terres ne doivent pas être exploitées au-delà
d'un certain rayon de manière à établir une frontière naturelle et reconnue par
les clans voisins. Le déménagement de village obéissait aux mêmes principes et
procédures. Tout événement malheureux pouvait amener une famille ou un clan à
déménager sur un autre domaine.
Dans tous les cas d'occupation de terres, la
décision du chef faisait office de loi, confortant ainsi l'idée selon laquelle
la tradition est une source non écrite du droit. Les rares conflits étaient
réglés par un collège de sages et les seules structures compétentes dans les
problèmes d'organisation sociale et économique et des différends se résument en
organigramme: chef de terre; chef de groupe; et chef de clan.
Le système foncier connaîtra une modification avec l'implantation des compagnies concessionnaires à partir de 1899. Ces compagnies étaient les acteurs de l'économie de traite (récolte et collecte du caoutchouc naturel, de la cire, de l'ivoire etc.) qui coexistera avec l'économie de subsistance. À cette époque, le pouvoir des chefs de terres et la possibilité d'occupation des terres par les indigènes étaient reconnus. Cette dualité se poursuivra jusqu'à la période coloniale.
Dans beaucoup de pays africains la terre dite vacante et sans maître était la propriété de l'État colonisateur. En République centrafricaine, l'exploitation de ces terres continuait d'être accordée à quelques compagnies concessionnaires et à des missionnaires à qui il n'était pas reconnu le droit d'exploiter les ressources du sous-sol. À cette période déjà, il existait des procédures de reconnaissance et d'immatriculation des terres. À titre d'exemple, la mission catholique de Berberati détient un titre foncier établi par l'administration coloniale de la colonie française du Congo vers 1899. Cinq facteurs influenceront le système foncier au cours de cette période:
L'introduction de nouvelles cultures. Il s'agit du
coton, du café et du tabac. La culture du coton dont les premiers essais ont
commencé en juillet 1918 à Bangassou dans l'est du pays sera définitivement
introduite dans le système de culture en 1925. Son expansion ira de la Ouakka à
la Kémo Gribingui à la Basse-Kotto puis à l'Ouham et l'Ouham-Pendé. À cette
époque, les plantations collectives des cultures vivrières étaient
systématiquement transformées en champs de coton. Les superficies imposées à
chaque actif correspondaient à «une corde» ou «un piquet» équivalant à environ
0,25 ha.
Le café robusta existant à l'état naturel (il existait aussi les
variétés excelsa, arabica et nana), deviendra une culture d'exportation dans les
régions de la Haute-Sangha, de la Lobaye, du Mbomou et de la Basse-Kotto, ainsi
que dans les environs de Bangui. Le café robusta couvrira 30 000 ha,
représentant 95 pour cent de la production totale.
L'introduction du tabac en République centrafricaine remonte au lendemain de la seconde guerre mondiale en 1948 dans l'est et l'ouest du pays sous l'impulsion de la SEITA-AEF. Dans l'ouest où est produit le tabac de cape comme dans l'est où est produit le tabac de coupe, les producteurs sont organisés en groupements de pépinières. Les champs sont localisés dans les bas-fonds vierges des forêts galeries ou dans les clairières. En général, ces bas-fonds sont la propriété commune d'un groupe de producteurs, d'une famille ou d'un clan.
La mise en place des structures coloniales d'encadrement des paysans liée à l'introduction de nouvelles cultures. Ce sont les prolongements des structures d'encadrement de la métropole dans la colonie de l'Oubangui-Chari. Intervenant en milieu rural, leurs activités ont une incidence directe sur les questions foncières en ce qu'elles sont à l'origine d'une pratique agricole sédentarisée avec assolement. Les principales structures d'encadrement sont: Le Bureau pour le développement de la production agricole (BDPA), la Compagnie française pour le développement des textiles (CFDT), l'Institut de recherches sur le coton et les textiles exotiques (IRCT), la Société d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), la COTONAF, la COTONFRAN, etc. Les interventions souvent coercitives visaient la mise en culture par toute personne active d'une superficie minimale déterminée pour une culture donnée, généralement une culture d'exportation. Enfin, ces structures sont à l'origine de certaines formes de tenures telles que la tenure privatisée (les exploitations industrielles) la tenure communale (les blocs culturaux) et les centres de recherche, d'expérimentation et de multiplication.
L'implantation des exploitations industrielles privées. La facilité d'accès à la terre a favorisé l'ouverture des plantations industrielles de style capitaliste employant une main-d'oeuvre salariée. Ces plantations industrielles, occupant parfois 500 ha, sont la propriété privée des expatriés européens ou appartiennent aux autochtones. À côté de ces plantations industrielles, il existe de petites plantations familiales de quelques dizaines d'hectares. Dans les deux cas, ces plantations sont celles de cultures pérennes: café, cacao, palmiers à huile, kolatiers, hévéa, etc. Les principales sociétés propriétaires des exploitations industrielles sont le groupe Rivau; la société agricole et commerciale de la Sangha; la société agricole de l'Ekéla; la compagnie caféière du Haut-Oubangui; la compagnie forestière Sangha-Oubangui; la compagnie industrielle et agricole de l'Oubangui; la société Moura et Gouveia; la société des plantations de café nana; et la société des plantations d'hévéas et de caféiers, filiale de la société africaine forestière et agricole.
L'implication des autorités coutumières (chefs de terres) dans la gestion coloniale des terres. Sur le plan juridique, le décret du 12 décembre 1920 reconnaît les domaines appartenant aux indigènes et régis par les coutumes et les usages locaux en ce qui concerne leur acquisition, leur transmission et leur conservation. La prise en compte par le colon des réalités coutumières inhérentes à la gestion des ressources foncières a favorisé la récupération et l'implication des autorités coutumières dans la gestion et la mise en valeur des terres dans l'optique colonial. En effet, ces autorités coutumières étaient chargées de l'exécution des mesures coercitives relatives aux parcelles individuelles imposées, au recrutement de la main-d'oeuvre pour les plantations industrielles européennes et enfin, l'exécution des consignes techniques de mise en valeur des terres en ce qui concerne les cultures d'exportation. L'évolution de cette collaboration entre les autorités coloniales et les chefs coutumiers a donné naissance au corps des «gardes champêtres», surveillants des travaux agricoles.
Un début de fragmentation des exploitations agricoles de type lignager. L'une des conséquences de l'implication des autorités coutumières dans la gestion coloniale des terres est la fragmentation des exploitations agricoles de type lignager. En effet, l'imposition de «la corde» rendait obligatoire les champs individuels. Cette obligation est renforcée par la contrainte de l'impôt de capitation dont la collecte était assurée par les autorités coutumières pour le compte de l'administration coloniale. La combinaison de ces facteurs en milieu paysan a amorcé les pratiques d'appropriation privée des terres même si du fait de l'abondance des terres et du poids de la communauté, cette appropriation revêtait un caractère beaucoup plus symbolique.
En milieu rural, aujourd'hui comme hier, la terre
appartient en pratique à toute la communauté villageoise et ce sont les chefs
(Mokoundji) qui en assurent la répartition selon les besoins, en respectant les
jachères, les territoires de chasse ou de pêche appartenant à un clan ou à un
lignage. Mais aujourd'hui, seuls les terrains occupés par des personnes
identifiées ayant payé les frais domaniaux sont reconnus comme propriété
privée.
La période postcoloniale s'est caractérisée par une série de textes
juridiques et la création de cadres institutionnels réglementant les questions
foncières, dont la loi n° 57/63/URB/CAD du 19 février 1963 réglementant
l'organisation foncière. Parallèlement à ces dispositions, des normes modernes
existent pour les plantations industrielles et les complexes agro-industriels
(café et palmier à huile). Mais dans l'ensemble, les terres sont censées
appartenir à l'État avec quelques variantes au niveau des textes.
Les traits caractéristiques du système foncier et de la gestion des ressources foncières à l'époque postcoloniale sont:
On commence par l'observation qu'en général toute
parcelle de terre non cadastrée (c'est-à-dire non immatriculée) est réputée
appartenir à l'État. Il est important d'ajouter que ce ne sont pas seulement les
tenures étatiques et privées qui sont définies juridiquement, mais aussi la
procédure d'affectation entre les deux. En 1964, l'ordonnance n° 63/441, qui
institue le code de gestion du domaine public immobilier en République
centrafricaine, dispose dans son article 23 que «Les terres et forêts qui
ne sont pas immatriculées peuvent être soustraites au domaine public par
l'immatriculation au nom d'un particulier ou d'une collectivité villageoise».
L'immatriculation reste jusqu'à présent la seule procédure en vigueur pour
l'affectation des terres du domaine étatique au domaine privé.
L'immatriculation, il faut l'ajouter, est une procédure assez complexe2.
En
ce qui concerne le bien privé, qu'il s'agisse de propriété bâtie ou non,
immatriculée ou ne faisant l'objet d'aucun acte de reconnaissance, il peut y
avoir retour au domaine de l'État pour défaut de mise en valeur ou,
expropriation pour cause d'utilité publique. En outre, la loi relative au
domaine national (janvier, 1964) dans son chapitre II relatif aux servitudes
publiques dispose en son article 5: «Les propriétés privées sont, sans
exception, soumises à toutes les servitudes de passage, d'implantation, d'appui
et de circulation nécessitées par l'aménagement, l'entretien et l'exploitation
des conduits d'eau et d'égouts, des dispositifs de protection des voies de
communication, des lignes télégraphiques et téléphoniques, et des conducteurs
d'énergie électrique ou de force hydraulique classés dans le domaine public».
L'article 6 de la même loi dispose que: «Toutes les propriétés privées sont en
outre susceptibles d'être assujetties aux servitudes d'hygiène, d'esthétique,
d'urbanisme, d'alignement et de sécurité publique, qui peuvent être imposées par
un plan d'aménagement et d'extension.» En bref, dans le sens juridique,
l'étatisation des terres est un processus beaucoup plus facile que leur
privatisation.
Avec les indépendances, l'État, propriétaire des terres et du
sous-sol dont il assure la gestion et même la mise en valeur, a initié la
création de fermes et d'entreprises étatiques dans les domaines agricoles,
forestiers et miniers. Cette orientation a connu son apogée et amorcera son
déclin avec la réforme agraire qui consistait entre autres à regrouper tous les
moyens de production sous le contrôle de l'État et d'organiser la masse paysanne
et la jeunesse (Jeunesse pionnière nationale) en vue d'une modernisation de
l'agriculture par la mise en place des fermes d'État, le regroupement des
villages, l'ouverture de blocs mécanisés de culture dans de gros villages et
l'organisation de la commercialisation des produits agricoles. Les limites de
fonctionnement de ces structures sont le coût excessif des villages coopératifs,
environ 150 000 FCFA par an et par famille, et le poids des subventions aux
fermes d'État qui accentueront les difficultés financières, amenant l'État à se
désengager de ce secteur à partir de 1980.
L'échec de cette expérience a été
suivi d'un certain libéralisme avec le désengagement progressif de l'État dans les domaines agricoles, forestiers et miniers dès la fin des années 70. À présent, même si la terre appartient à l'État ou à la communauté, la tendance réelle est plutôt une appropriation privée des terres - mais pas nécessairement une appropriation qui applique les normes juridiques. Dans les campagnes, les terres sont occupées sur simple accord d'une autorité coutumière même pour les cas de personnes étrangères au clan. Ce mode d'attribution coutumière des terres est courant aussi bien dans les régions d'agroécologie forestière que dans les régions de savane. Ainsi dans la région forestière de la Lobaye, les personnes étrangères au clan peuvent accéder à la terre à condition de solliciter l'accord du chef de clan.
La dualité entre le droit moderne et les systèmes coutumiers est aussi remarquable au niveau des institutions socioculturelles qui gèrent aujourd'hui le foncier. Nous pouvons distinguer d'une part les institutions traditionnelles et, d'autre part, les institutions modernes d'inspiration traditionnelle.
Les chefs de terre de droit. Du fait de leur descendance de la chefferie traditionnelle, ils sont héritiers et représentant du clan ou du lignage. Appartenant à la génération-mère, ces chefs de terre sont généralement les plus anciens. Ils répartissent aux familles les terres à mettre en valeur selon leur capacité en main-d'oeuvre. À l'intérieur de cette chefferie responsable des terres, les attributions sont réparties entre les membres habilités à gérer soit les forêts, soit les eaux et toute autre ressource liée au patrimoine foncier.
Les chefs de terres investis. Ils sont nommés par l'administration et investis par elle. Avec l'évolution du système administratif, on assiste à une confusion des rôles dévolus aux chefs de terre tels que nous les avons définis et ceux des chefs de village et des chefs de quartier qui sont aussi nommés par l'administration. Il s'ensuit que le chef de village ou de quartier devient distributeur des terres de sa zone de juridiction. Les modes de répartition des terres sont en général les mêmes à la différence que les chefs de terre en zone de forêts étendent leur autorité sur les eaux et les forêts. Ainsi, aucun individu en zone de forêt n'a le droit de s'approprier une parcelle de terre, un étang ou un cours d'eau sans l'accord du clan ou du lignage.
La municipalité. Elle veille à un certain niveau à la gestion de la terre. Le mode de répartition des terres relève du domaine public et de la planification et programmation de l'aménagement du territoire.
Les organisations d'entraide. Les organisations d'entraide sont une forme de mobilisation des forces productives nécessaires à la colonisation des terres incultes dont l'ouverture est en général exigeante en main-d'oeuvre. Basées sur la solidarité entre les membres, leur dynamisme détermine pour chaque participant l'étendue de terre à mettre en valeur. Elles jouent de ce fait le rôle de régulateur dans la répartition des terres.
Les formes modernes d'inspiration traditionnelle. Ce sont les groupements d'intérêts ruraux et les groupements d'intérêts pastoraux. Dans ces cas, la prééminence des chefs de terre est atténuée par la désignation des responsables d'un certain niveau pouvant servir de liaison entre les membres de ces structures et l'administration du développement rural. Les modèles de fonctionnement de ces groupements sont de type administratif avec un comité de gestion composé d'un président, d'un conseiller, d'un peseur, d'un quittancier, d'un caissier et d'un délégué technique chargé de la gestion des intrants dans le cas des groupements dits autogérés.
Jusqu'aux années 70, l'État était le principal employeur
à travers les exploitations, entreprises et fermes d'État. La reforme dite
agraire avait pour objectif, entre autres, la création de fermes d'État, le
regroupement des moyens de production sous le contrôle de l'État par la
nationalisation et l'organisation de la jeunesse en vue de résorber le chômage
par la création de la Jeunesse pionnière nationale. Comme on l'a déjà vu, cette
tentative a échoué.
La forme privée de tenure semble mieux à même d'assurer
la création d'emplois, qu'il s'agisse des exploitations forestières, minières ou
des plantations et fermes privées. Les plantations et fermes commerciales
situées en général dans les zones périurbaines s'étendent sur 5 à 20 ha et
peuvent employer jusqu'à 10 personnes. Ces fermes et plantations disposent en
général d'un titre de reconnaissance au niveau des cadastres. Il en est de même
pour les agro-industries, la Société de gestion des sucreries centrafricaines et
la Centrafricaine des palmiers, qui produisent leurs matières premières en régie
et dont les besoins en main-d'oeuvre permanents et temporaires sont assez
importants. Hormis les ouvriers temporaires, la Centrafricaine des palmiers
emploient environ 300 ouvriers permanents. Par contre, dans les
exploitations paysannes, la main-d'oeuvre est essentiellement familiale et se
limite au plus à trois actifs et, dans certains cas, se compose d'employés
temporaires.
Notons qu'en aval des principales activités, des emplois peuvent
se créer par rapport aux activités de collecte et de commercialisation des
produits tels que le coton, le café et le tabac. Dans les zones productrices de
coton et de café, l'organisation de la collecte et de la commercialisation
mobilise les producteurs organisés en groupements d'intérêts ruraux. Dans les
zones productrices de tabac, après les campagnes d'achat et de collecte, les
centres de la Société centrafricaine de tabac procèdent au recrutement des
planteurs à temps partiel pour le tri et le mannocage des feuilles de tabac
destinées à l'exportation.
Enfin, en termes de création d'emplois permanents, la contribution des exploitations forestières est non négligeable. Dans les années 80, elles employaient environ 18 pour cent de l'ensemble des effectifs du secteur moderne; même si la tendance des emplois due à la cessation des activités de certaines des sociétés forestières est à la baisse.
Malgré la chute des prix intérieurs aux producteurs, les
activités économiques liées aux ressources foncières assurent un minimum de
revenu aux agents économiques qui y sont impliqués. C'est le cas des produits
tels que le coton, le café et le tabac dont l'achat est garanti par des
structures d'encadrement des producteurs ayant des statuts de sociétés
d'économie mixte. En aval, les activités de collecte et de commercialisation des
productions génèrent des revenus complémentaires substantiels en milieu rural.
Des enquêtes effectuées au cours de la présente étude, il ressort qu'en termes
de revenu, l'agriculture vient en tête suivie de l'élevage et de l'artisanat,
les exploitations forestières venant en quatrième position.
On constate que
les revenus agricoles sont directement liés aux étendues mises en valeur. Cela
s'explique par les pratiques culturales extensives qui font que l'effet
superficie est plus important sur le revenu que l'effet
intensification.
L'exploitation des carrières de moellons et de graviers
destinés aux travaux de construction, assure un niveau de revenu brut
satisfaisant aux exploitants de l'ordre de 40 000 000 FCFA par an
répartis entre les propriétaires des gisements, les travailleurs et les
intermédiaires. En outre, cette activité génère des revenus en aval aux
transporteurs de moellons et de graviers à raisons de 6 000 FCFA à
12 000 FCFA par voyage soit un revenu brut annuel d'environ
60 000 000 FCFA.
Enfin, les concessions minières (diamant et or) dont l'attribution relève de la compétence soit du Ministre des ressources énergétiques et minières, soit du pouvoir discrétionnaire du Chef de l'État en ce qui concerne les permis d'exploitation et les permis de recherche, génèrent des revenus difficiles à évaluer. Pourtant, le secteur minier fait vivre environ 50 000 artisans, 160 collecteurs agréés et sept bureaux d'achats agréés. Au niveau des exploitants primaires (artisans) c'est-à-dire ceux qui extraient les produits bruts, le revenu issu du diamant ou de l'or revêt un caractère mythique et ne peut faire l'objet d'une déclaration.
L'augmentation de la production, de la productivité et la
situation alimentaire en République centrafricaine sont largement dépendantes
des systèmes de cultures, des types d'exploitation et des aléas climatiques. Ce
dernier facteur est déterminant dans un contexte d'agriculture pluviale comme
celui de la République centrafricaine. L'analyse des systèmes de culture et des
types d'exploitation (Malo 1992, p. 3) met en évidence un système de culture en
général extensif et itinérant avec comme principaux intrants les ressources
foncières et la main-d'oeuvre familiale. Les consommations intermédiaires et les
équipements (engrais, pesticide, insecticides, charrue, etc.) sont
financièrement inaccessibles à la majorité des exploitations.
De ces
observations, on peut déduire que l'agriculture centrafricaine se caractérise
par une faible productivité des facteurs de production. De ce fait, de même que
dans le contexte des revenus discutés ci-dessus, l'augmentation de la production
pour certaines spéculations est due beaucoup plus aux pratiques extensives
(effet superficie) qu'à une intensification des pratiques culturales (effet
intensification).
L'évaluation des quantités autoconsommées et des excédents
commercialisables (Malo 1992, p. 19 à 120) indique un équilibre alimentaire satisfaisant dans l'ensemble, mais précaire pour certains produits dans certaines régions (maïs, paddy et sorgho). L'équilibre alimentaire est renforcé par la consommation des produits de cueillette, chasse et pêche tels que: champignons, miel, légumes sauvages, chenilles, gibiers, et poissons. La plupart de ces produits sont disponibles presque toute l'année. En dehors des déficits saisonniers dus parfois au manque de liaisons entre les régions déficitaires et les régions détenant des excédents, l'autosuffisance alimentaire, en ce qui concerne les productions vivrières et animales, est par conséquent une réalité en République centrafricaine.
L'acquisition des terres en République centrafricaine se
fait dans la plupart des cas par accès direct; en outre, l'organisation des
travaux en milieu rural est encore basée sur les structures d'entraide
favorables à la participation populaire et à la cohésion sociale. L'abondance
des terres limite les conflits entre les agriculteurs, même si ce problème est
crucial dans les régions où coexistent agriculteurs et éleveurs. L'occupation
des terres et l'importance des superficies mises en valeur sont déterminées par
la dotation de la famille, du clan ou de la tribu en force de travail. Les
systèmes lignagers encore existants en région de forêts et dans certaines
exploitations des régions de savanes, ne font que renforcer cette cohésion
sociale. D'après les cas observés par l'équipe de rédaction du présent rapport
et résumés dans le tableau suivant, la République centrafricaine est encore loin
de connaître la situation de certains pays à forte pression démographique où la
terre est cause de conflits ouverts.
La coexistence est donc inexistante entre grands propriétaires fonciers et les sans-terres. Exception faite des exploitations industrielles et agro-industrielles, le faire-valoir indirect tel que le métayage et le fermage est une pratique très peu répandue en République centrafricaine, étant donné qu'il n'y a pas de paysans sans terres. Les prestations de services observées sur les exploitations des zones périurbaines sont une pratique qui se développe non pas du fait de la rareté de la terre mais; elles sont liées au développement d'une agriculture à temps partiel pour laquelle les acquéreurs des terres à titre onéreux, en général les fonctionnaires, sollicitent la main-d'oeuvre des paysans résidant à proximité de ces terres pour la mise en valeur. On peut dire qu'il s'agit d'ouvriers agricoles temporaires ou saisonniers dans la mesure où ils ne sont pas employés à plein temps sur l'exploitation.
Problèmes et modes d'accès à la terre suivant les régions
Problèmes et modes d'accès à la terre |
Régions des savanes cotonnières |
Régions forestières |
TOTAL |
Modes d'accès | |||
Don |
0 |
3 |
3 |
Héritage |
8 |
18 |
26 |
Achat |
0 |
3 |
3 |
Accès libre |
58 |
14 |
72 |
Accès de la femme à la terre |
|||
Oui |
63 |
28 |
91 |
Non |
0 |
4 |
4 |
Achat |
0 |
6 |
6 |
Héritage/don |
63 |
22 |
85 |
Problèmes accès | |||
Oui |
3 |
14 |
17 |
Non |
60 |
16 |
76 |
Source: Données d'enquête, novembre 1993*.
* L'accès au foncier dans les régions forestières a aussi été abordé par Pierre et Baron (1991, p.24). Les observations font également ressortir la prédominance du mode d'accès libre, suivi par l'héritage.
De tout ce qui précède, on peut dire que l'accès à la terre en milieu rural centrafricain, hormis les formalités coutumières, est basé sur le principe «à chacun selon ses forces productives», c'est-à-dire la main-d'oeuvre disponible. Si des cas d'expropriation peuvent avoir lieu en milieu urbain pour des motifs d'utilité publique ou conflictuels, ces cas sont rares en milieu rural, à l'exception des zones minières du centre-sud où, ces dernières années des cas d'expropriation manu militari ont été constatés (zone minière de DIMBI à KEMBE) au détriment des
populations autochtones.
Dans les régions forestières, seuls les pygmées,
traditionnellement considérés comme main-d'oeuvre servile subissent une forme de
discrimination en ce qu'ils reçoivent des contreparties dérisoires pour les
travaux qu'ils exécutent dans les plantations. La flexibilité du système foncier
est de ce fait un facteur promoteur de justice sociale.
La promotion de la
justice sociale par rapport à la question foncière est aussi due aux modes de
tenure tels que perçus par les populations et dépend de l'autorité attribuant la
terre. Au niveau décisionnel, les autorités traditionnelles sont plus
sollicitées dans l'attribution des terres que les autorités administratives.
Toutefois, les autorités communales peuvent attribuer des lopins de terre
appartenant aux domaines de l'État et inversement. Cela s'explique, d'une part
par le fait que la terre, bien que directement sous influence des pratiques
coutumières, est en général considérée comme étant d'abord la propriété de
l'État et, d'autre part, par le fait que les autorités communales sont les
représentants ou le relais de l'État.
Enfin, il ressort de nos enquêtes que
les terres détenues en propriété privée sont plus nombreuses, suivies par les
terres communales. Ce rapprochement entre les deux modes de tenure tient au fait
qu'en réalité il n'existe pas de frontière absolue entre les notions de propriété privée de la terre et d'usufruit individualisé des ressources foncières communales.
La protection de l'environnement, bien que figurant
souvent en bonne place parmi les priorités des institutions impliquées dans les
problèmes fonciers, ne se traduit que rarement dans les faits. Au niveau des
petites exploitations, la pratique des cultures extensives sur brûlis demeure
encore très courante, malgré les campagnes de sensibilisation. Dans les systèmes
de cultures arbustives (verger, palmeraie, caféier, kolatier) les pratiques
culturales semblent plus favorables à la promotion de la protection de
l'environnement, ce qui n'est pas le cas dans les systèmes de cultures annuelles
notamment en région de savane, exception faite des exploitations sédentarisées
et mécanisées (traction animale).
Dans les exploitations tabacoles, la
recherche permanente de bas-fonds dans les galeries forestières pour la culture
du tabac contribue énormément à la dégradation des essences forestières.
L'éloignement des plantations de tabac par rapport aux villages dans la
préfecture de la Mambéré-Kadeï est symptomatique de la disparition progressive
des galeries forestières, perpétuée par une véritable course aux bas-fonds. Au
niveau des exploitations forestières, on note souvent l'inobservation des
conventions d'établissement, du cahier de charge et du Code forestier
centrafricain.
L'inobservation des dispositions légales a également des
effets néfastes sur les domaines menacés ou classés tels que les collines de
Bas-Oubangui. En effet en 1969, une ordonnance n° 69/38 du 4 juillet interdit de
défricher les pentes menacées par l'érosion de certains bassins versants dont la
pente est supérieure à 20 pour cent, à proximité et en dehors du périmètre
urbain de Bangui. En 1990, une note circulaire de la municipalité réitérait la
même interdiction. Proclamées réserve par un arrêté de 1936, périmètre de
reboisement en 1952, puis forêt communale en 1969, les collines de Bangui ont
successivement fait l'objet en août et septembre 1980 d'un plan de sauvegarde et
de reboisement par notes du Ministre du développement rural.
Enfin, Cleaver (1990, p. 3) note que le drame des terres communes est que la terre et le bois sont considérés comme des biens publics et que personne n'a intérêt à les préserver. Le comportement de la majorité des populations de la République centrafricaine vis-à-vis des terres communes semble confirmer ce constat.
Dans un pays pauvre comme la République centrafricaine,
il semble paradoxal d'aborder la question relative au bien-être d'une population
en majorité rurale, dont les activités sont étroitement liées à la terre.
Néanmoins, la propriété foncière privée en tant que forme dominante de tenure,
du fait qu'elle favorise la participation populaire, la cohésion sociale et la
justice sociale (il n'existe pas de paysan sans terre en République
centrafricaine), contribue dans une certaine mesure au bien-être général.
On considère donc les emplois créés et les revenus générés, l'autosuffisance alimentaire et les réalisations socioéconomiques des structures d'encadrement. Mais, indépendamment des considérations d'ordre pécuniaire, la mise en valeur d'une portion de terre confère-t-elle un statut à l'exploitant qui est reconnu comme productif et donc traité avec égard? Ces considérations donnent une certaine autorité à la personne, renforçant ainsi son statut et le prestige lié à ce statut.
Les traits principaux des systèmes de tenure varient
d'une région à l'autre, selon que celle-ci est une région de forêt ou de savane.
Il n'est pas rare de constater une superposition des droits coutumiers et
modernes dont aucun ne correspond exactement à la propriété que nous
connaissons, par exemple, dans le Code foncier français. De fait, en milieu
rural traditionnel, la coutume demeure encore la norme de gestion et de
régulation du système foncier et d'exploitation des terres. Par contre, chez les
exploitants modernes, les textes juridiques modernes ont tendance à prévaloir.
Toujours est-il que la complexité, la lenteur et le coût élevé de la procédure
d'immatriculation poussent de nombreux citoyens à contourner les dispositions
légales.
La forme de tenure dominante et plus soutenue est la tenure privée,
qui offre de nombreux avantages: liberté de choix dans les cultures pratiquées;
renforcement du statut social du propriétaire privé dans le groupe;
responsabilité et initiative personnelle accrues; et renforcement de
l'autopromotion. En plus, la propriété foncière privée est la forme dominante de
tenure car elle favorise la participation populaire, la cohésion sociale, et la
justice sociale contribue dans une certaine mesure au bien-être général.
La
tenure privée comporte également de nombreuses faiblesses: sous-équipement en
moyens de production, faible compétitivité des exploitants, faible création
d'emplois et faible niveau de revenus. Mais en termes comparatifs, elle est
probablement mieux vue que son alternative principale. Tandis que la tenure
communale ou collective semble encore correspondre aux réalités sociologiques et
historiques profondes de la République centrafricaine, elle est paradoxalement
perçue comme comportant plus de faiblesses que d'avantages: absence de
responsabilité individuelle; manque de confiance mutuelle; poids de la
gérontocratie défavorable aux initiatives personnelles; et conflits
interpersonnels ouverts ou latents.
En résumé, l'analyse multidimensionnelle des modes de tenures communales et privées en République centrafricaine fait ressortir:
Eu égard à ce qui précède, nous pouvons formuler les recommandations suivantes:
1 Alphonse Blague, docteur en sociologie, est l'ancien recteur de l'Université de Bangui et coordonnateur de l'étude; Marcel Serekoisse Samba, juriste magistrat, Président de la chambre judiciaire à la Cour suprême de Bangui, est spécialiste du droit coutumier; Jean-Paul Danagoro, docteur en sociologie, est maître-assistant à la Faculté des lettres et des sciences humaines à l'Université de Bangui; et Dominique Malo, agroéconomiste titulaire d'un diplôme d'études approfondies d'économie rurale est assistant à la Faculté de droit et des sciences économiques à l'Université de Bangui.
2 Le texte fondamental est celui de 1899 qui définit l'appropriation foncière et ses règles, complété par un décret en 1920. Après l'indépendance, est adoptée la loi 139/60 du 29 mai 1960 fixant le régime domanial et foncier; enfin, 16 ans après, l'ordonnance 60/76 du 08 janvier 1976 reprécise la procédure d'immatriculation et le livre foncier. Bien que compliquée, l'immatriculation permet d'aboutir à l'appropriation définitive. Un arrêté provisoire d'attribution suivi d'un arrêté définitif d'attribution, après une mise en valeur avec construction en dur, permet en fin de compte l'attribution d'un titre foncier de propriété.
Cleaver, K. 1990. Les liens entre la population, l'agriculture et les forêts en Afrique centrale et occidentale. Communication à la conférence sur la conservation et l'utilisation rationnelle de la forêt dense d'Afrique centrale et de l'Ouest. Banque mondiale.
Malo, D. 1992. L'économie des familles rurales et leurs besoins de services bancaires. Étude commissionnée par la FAO. Bangui, République centrafricaine.
Pierre, F. et Baron, H. 1991. Étude socioéconomique des producteurs de tabac de cape en République centrafricaine. Tomes I et II. CNEARC, Montpellier, France.
République centrafricaine. Textes législatifs et politiques divers.