La notion de foresterie1 urbaine n'est pas neuve et ses possibilités d'expansion vont en augmentant, notamment dans les pays en développement2 où l'urbanisation croît à un taux accéléré, et où une société jadis en grande partie rurale se transforme en une société essentiellement urbaine. Bien que, suivant les chiffres des Nations Unies (1991), seuls 37% de la population des pays en développement étaient urbanisés en 1990, on prévoit qu'en 2025 ce pourcentage atteindra 61%. Déjà, dans nombre de ces pays, une urbanisation rapide et anarchique entraîne des répercussions d'une importance capitale au plan social et écologique. Le rôle que pourraient jouer les arbres urbains pour améliorer cette situation paraît, à première vue, très limité. Et pourtant la foresterie urbaine est à même d'offrir aux citadins du tiers monde des avantages écologiques et matériels considérables. Ce document de réflexion décrit l'état actuel des connaissances sur la foresterie urbaine dans les pays en développement et les actions à entreprendre. Le cas échéant, il s'inspire aussi d'exemples provenant de pays développés.
Le document se compose de huit sections. La première définit les termes “urbain” et “foresterie urbaine”. La deuxième examine le rôle des arbres dans les agglomérations urbaines du tiers monde par rapport à l'évolution passée et récente de ces villes, et met en évidence les préoccupations croissantes de ces pays au plan écologique. La section trois étudie les différents endroits de la ville où des arbres peuvent être cultivés, en fonction de la zonation biogéographique, des catégories de régimes de propriété et d'un modèle spatial simple. La section quatre passe en revue les avantages qu'on peut tirer de l'arboriculture dans un milieu urbain, et les problèmes qui en découlent. Tout au long de l'étude, il est tenu compte des aspects sociaux/culturels dans la mesure où ils sont connus, mais c'est la section cinq qui met en évidence les questions clés. L'installation et la gestion des arbres sont traitées dans la section six, alors que la section sept fait le point sur les aspects institutionnels. La dernière section attire l'attention sur les lacunes actuelles de l'information en matière de foresterie urbaine dans les pays en développement, et sur certains thèmes prioritaires qui nécessitent davantage de recherche.
A ce point il conviendrait de définir les termes “urbain” et “foresterie urbaine”.
Si on demande à un citadin d'un pays industrialisé de décrire une “agglomération urbaine”, il citera sans doute la forte densité démographique, les immeubles, les routes et les chemins de fer; un centre commercial, des industries et des lieux de divertissement; la prépondérance du béton et de l'asphalte; la pollution atmosphérique et une population qui ne s'occupe pas d'agriculture. A quelques exceptions près, un grand nombre de ces caractéristiques seraient probablement mentionnées aussi par les habitants de pays en développement. Ils pourraient également en citer d'autres telles que le manque d'hygiène (y compris le réseau d'égouts découverts et l'absence d'eau potable et d'espaces ouverts). En ce qui concerne l'agriculture, ce serait une erreur de considérer tous les habitants des villes du tiers monde comme des consommateurs en ignorant leur fonction de producteurs. De nombreuses études ont montré que beaucoup de citadins des pays en développement produisent une grande partie des aliments qu'ils consomment; au Kenya, par exemple, selon une étude menée sur six villes, les deux tiers de tous les ménages cultivent une partie au moins de leurs aliments (encore que seuls 29% le font dans la zone urbaine proprement dite) (Lee-Smith, et al. 1987).
Il est évident que les zones urbaines des pays en développement présentent de fortes différences par rapport aux pays développés. En outre, bien que nous sachions implicitement la différence entre “urbain” et “rural”, il n'existe en réalité aucun critère unique permettant de distinguer entre ces deux types d'agglomérations. Les recensements nationaux se bornent normalement à fixer des seuils démographiques. Dès qu'un habitat groupé dépasse un certain seuil il devient “urbain”. Cependant, le seuil utilisé varie largement d'un pays à un autre et peut même changer au cours de recensements successifs (Hardoy et Satterthwaite, 1986). Les Nations Unies ont tenté de normaliser les données en appelant “urbaines” les agglomérations de plus de 20 000 habitants, “villes” celles supérieures à 100 000 habitants et “grandes villes” celles dépassant 5 millions. En revanche, Hardoy et Satterthwaite définissent comme urbain tout habitat groupé de plus de 5 000 habitants, celui ayant une population de moins de 20 000 comme “petite agglomération urbaine” et ceux entre 20 000 et 100 000 habitants comme “agglomération urbaine intermédiaire”. Quel que soit le chiffre adopté, les généralisations contiennent inévitablement des lacunes (comme le reconnaissent pleinement Hardoy et Satterthwaite). Pour une petite île du Pacifique, dont la population est inférieure à 20 000 habitants, la conception d'une agglomération urbaine sera sans nul doute différente de celle d'un pays vaste et densément peuplé tel que l'Inde. Ces différentes perspectives nationales pourraient fort bien traduire des divergences historiques, culturelles et politiques. Il faudra tenir compte de la variabilité de la notion d'“agglomération urbaine” lors de l'analyse qui suit. Il convient aussi de noter que la'limite territoriale d'une agglomération urbaine est interprétée de manière différente selon les pays. On en trouve un exemple pertinent en Chine où les villes “annexent” souvent à leur circonscription administrative un certain nombre de quartiers adjacents pour contrôler la fourniture des services urbains de base, tels que réservoirs où centrales électriques. Ainsi, la population officielle de beaucoup de villes chinoises englobe de nombreux habitants des campagnes (Drakakis-Smith, 1987).3
Une discipline distincte
L'urbanisation croissante du 20e siècle a déterminé la multiplication des arbres dans les agglomérations - si bien que la gestion de tous les arbres compris dans la zone urbaine est considérée désormais comme une discipline distincte de la foresterie. La notion de foresterie urbaine est née en Amérique du nord à la fin des années 1960, issue de ce qui était désigné initialement comme foresterie environnementale. Selon un spécialiste en la matière, c'est à cette époque-là que
“les forestiers ont pris conscience de deux facteurs: qu'ils avaient affaire à des citadins, et que la base du pouvoir politique se situait désormais dans les villes”. (Miller, 1988:28).
En 1970, le Service forestier des Etats-Unis a créé un Institut pour les études en matière de foresterie environnementale, devenu par la suite un centre de formation et de recherche en foresterie urbaine. Il existe à l'heure actuelle aux Etats-Unis de nombreux “forestiers urbains”4 et une ample documentation en la matière. On observe cette même évolution au Canada, en Europe et en Australie. Pour répondre aux préoccupations d'ordre écologique des villes de ces pays, les études se sont concentrées non seulement sur les arbres d'agrément et sur ceux destinés à valoriser le paysage, mais aussi et, de manière croissante, sur le rôle qu'ils peuvent jouer en modifiant certains aspects spécifiques du milieu urbain (bruit, pollution atmosphérique, chaleur, courants d'air, etc.).
Pour Miller (opp.cit.), la foresterie urbaine est
“l'approche intégrée et citadine de la plantation, de l'entretien et de la gestion des arbres urbains en vue d'assurer aux habitants des villes de multiples avantages écologiques et sociaux”.
Une définition plus détaillée, qui sera adoptée pour les besoins du présent document, est la suivante:
“La foresterie urbaine est l'aménagement des arbres réalisée de telle manière qu'ils contribuent au bien-être physiologique, sociologique et économique de la société urbaine. Elle concerne les terres boisées, et les arbres groupés ou isolés des lieux habités -; elle revêt de multiples aspects car les zones urbaines contiennent une grande variété d'habitats (rues, parcs, coins négligés, etc.) auxquels les arbres apportent leurs nombreux avantages et problèmes”. Denne, comm. pers. (adapté de Grey et Deneke, 1986).
La foresterie urbaine comprend, dès lors, l'aménagement d'arbres isolés aussi bien que de groupes d'arbres et les "forestiers urbains: voient dans l'arboriculture5 un important volet de leur matière. La foresterie urbaine ne se limite pas non plus aux arbres plantés. De nombreux arbres urbains pourraient avoir été établis spontanément, bien que dans un milieu où la concurrence vis-à-vis de la terre est vive, il est improbable qu'ils puissent survivre longtemps sans un entretien et un aménagement actifs. Comme on le verra par la suite, la foresterie urbaine comprend aussi l'aménagement des forêts à la périphérie des villes.
Il faudra insister sur l'importance d'une approche planifiée, intégrée et systématique de la gestion des arbres urbains (Johnston, comm. pers.). La planification est indispensable car on tend à considérer l'introduction des arbres comme une action pensée après coup une fois l'aménagement urbain mis en route plutôt que comme un élément à prendre en compte au stade de la conception. Une telle approche implique la participation de nombreux organismes - conseils locaux, organes de planification municipaux et nationaux, départements, etc. La gestion systématique prévoit la gestion réglée des arbres, à savoir la réalisation organisée et en temps opportun d'opérations telles que la plantation, l'élagage et la coupe, réglementation qui tend à rester plus théorique que pratique dans la plupart des agglomérations urbaines (dans les pays développés aussi bien qu'en développement). Cette gestion signifie en outre plus de contrôle, ou du moins plus d'informations sur les arbres qui poussent dans tous les types de terrain. La diversité des régimes de propriété et d'accès à la terre et aux arbres dans les agglomérations urbaines complique inévitablement la gestion globale. En ce qui concerne le contrôle juridique, la législation en matière de gestion des arbres (y compris ceux poussant dans les propriétés privées) est normalement plus détaillée et plus strictement appliquée dans les villes des pays développés que dans celles des pays en développement (Profous et Loeb, 1990). Les bases de données sur les arbres urbains sont bien développées dans certaines villes d'Amérique du nord, de même que les techniques d'inventaire et les logiciels permettant de les classer. S'il est vrai que ces informations ont été recueillies pour quelques agglomérations urbaines d'Europe, tel n'est souvent pas le cas dans les pays en développement.
Dans les pays industrialisés, la foresterie urbaine porte avant tout sur la valorisation du milieu. Même dans des pays (comme l'Allemagne) où l'on exploite le bois des forêts péri-urbaines, le principal objectif de l'aménagement est la récréation/éducation du citadin, et les opérations d'exploitation forestière se font surtout en fonction de cet objectif. Conçues largement à des fins d'amélioration du paysage et d'agrément, la foresterie urbaine tend désormais de manière croissante à offrir d'autres avantages tels que la lutte contre la pollution atmosphérique et acoustique et la modification du microclimat. Dans les pays en développement, les arbres urbains peuvent fournir une plus grande variété de biens et de bénéfices, tant sous l'angle de l'amélioration de l'environnement que de la production matérielle (bois de feu, bois de construction, fruits, fourrage, etc.). Dans de nombreux cas, un aménagement plus créatif permettrait d'accroître notablement la gamme des avantages tirés des arbres.
La forêt péri-urbaine, une notion distincte?
D'une manière générale, la foresterie péri-urbaine se définit comme celle pratiquée à la périphérie des agglomérations, mais le terme “urbain” ayant un sens différent entre les pays, il est impossible de donner une définition précise de “péri-urbain”. Il serait également incorrect de définir une zone urbaine comme celle où résident des citadins, car elle pourrait fort bien pénétrer profondément dans des terres rurales; comme l'ont montré des théories telles que celle de Von Thunen, la sphère d'influence d'une ville peut être extrêmement vaste. Une autre erreur serait de définir la zone péri-urbaine uniquement du point de vue de l'espace, compte tenu de sa grande variabilité. De nombreux forestiers urbains hésitent à considérer la foresterie péri-urbaine comme une notion distincte; ils estiment que la zone péri-urbaine, ou périphérie de la ville, n'est que l'un des emplacements où est mise en oeuvre la foresterie urbaine (Johnston, comm. pers.). Ce principe a été accepté dans la préparation du présent document de sorte que, dorénavant et sauf indication contraire, dans la notion de foresterie urbaine sont aussi englobés les sites péri-urbains.
Une nouvelle approche des possibilités de la foresterie urbaine dans les pays en développement
Les possibilités de la foresterie dans les agglomérations urbaines ou aux alentours peuvent être analysées à partir de deux perspectives générales. L'une consiste à mettre l'accent sur les arbres eux-mêmes, les bienfaits et problèmes potentiels que l'on peut attendre de leur culture dans un environnement urbain, la manière de les aménager pour améliorer ces bienfaits, et les menaces qui pèsent sur leur survie dans un milieu citadin. L'autre perspective, que le présent document se propose d'adopter, donne la priorité aux citadins et à leurs besoins et conditions de vie qui varient inévitablement, et d'étudier ensuite comment les arbres peuvent les favoriser. La plupart des textes concernant la foresterie urbaine s'inscrivent invariablement dans la première perspective. Pour en savoir davantage sur les citadins, notamment dans le monde en développement, il faudra consulter des textes géographiques ou qui portent sur d'autres sciences sociales. Cependant il est rare qu'ils accordent beaucoup d'attention à la manière dont les gens utilisent ou perçoivent les arbres sauf, dans une certaine mesure, lorsqu'il s'agit de l'approvisionnement en bois de feu en provenance des zones péri-urbaines. C'est pourquoi la présente publication réunit des informations tirées d'une gamme étendue de disciplines, y compris la foresterie urbaine, l'arboriculture, la foresterie communautaire, l'architecture paysagère, la géographie, la sociologie et l'économie, et s'appuie sur la coopération de nombreux spécialistes de matières différentes. Toutefois, (à de rares exceptions près) dans l'analyse sont généralement absentes les opinions des citadins du tiers monde (notamment les pauvres) sur les arbres urbains, la valeur qu'ils leur attribuent, la manière dont il les utilisent ou voudraient les utiliser, ces opinions se trouvant rarement dans les textes existants.