Plusieurs géographes ont décrit la structure intérieure des villes en se servant de modèles basés sur des principes écologiques (théorie de Burgess), des principes économiques (théorie de Hoyt), et une combinaison de facteurs (Bradford et Kent, 1977). De nombreux modèles ont pris pour exemple la ville de Chicago, et leur principale lacune réside dans le fait qu'ils utilisent surtout le type de croissance des villes du nord (Drakakis-Smith 1987). Ils n'expliquent guère la structure et la croissance des villes de pays en développement où, comme indiqué à la section précédente, une série d'influences spécifiques d'ordre historique, économique et autre ont contribué à façonner les agglomérations actuelles. Les villes du tiers monde se caractérisent par différentes zones au sein desquelles varie la portée actuelle et potentielle de la foresterie urbaine. La présente section étudie trois façons de concevoir ce zonage : au plan biogéographique, sous l'angle du régime de propriété de la terre et dans un modèle spatial simple.
Le biogéographe voit dans une agglomération urbaine un environnement profondément
modifié par l'homme au point où certains organismes vivants sont éliminés alors que d'autres
envahissent, colonisent et se multiplient. Différentes associations d'organismes occupent des
écosystèmes intra-urbains divers qui s'emboîtent en “une mosaïque de surfaces pavées ou
recouvertes de toits et de surfaces plantées”
(Douglas, 1983:128). Le même auteur ajoute que les surfaces plantées
“… vont de jardins soigneusement entretenus à des terrains délaissés et à des îlots d'arbres adultes et d'arbustes. Cette diversité végétale est liée en partie à la nature du sol, l'essentiel du sol urbain se composant de matériel de remblayage, de gravats ou de terre compactée où maintes plantes indigènes ont du mal à s'établir. La diversité des espèces traduit aussi l'introduction délibérée ou imprévue d'espèces exotiques et la modification de la teneur en éléments nutritifs des sols due à la présence d'engrais, de compost et de déchets ou à la pollution. La nature des écosystèmes intra-urbains est, dès lors, partiellement fonction de la gestion foncière, et varie dans le temps et l'espace suivant les altérations du régime de propriété et de l'utilisation des terres”. (Douglas, 1983:128).
Ainsi les arbres urbains vus sous cet angle font partie d'écosystèmes intra-urbains.
Encadré 3.1. | Types d'occupation des terres urbaines et conditions biogéographiques | ||
Type de couvert | Type d'emplacement | Nature de la zone biotique (d'après Dorney 1979) | Tendance dans le temps |
Pavage, toitures, complexes urbains à densité élevée dépourvus d'espaces verts ou de masses d'eau | Quartiers des affaires dans le centre-ville. Grands centres d'achat et parkings. Quelques zones industrielles | Falaise/déchets organiques | Les oiseaux et les insectes construisent un nombre croissant de niches écologiques. Colonisation par des micro-organismes |
Mosaïque de maisons, de jardins et d'arbres adultes à la périphérie | Faubourgs intérieurs plus anciens et spacieux | Ancienne savane urbaine | Arbres déjà différenciés et adultes; les changements à venir dépendent de la gestion |
Couloirs occupés par des plantes sauvages | Voie ferrée, canal, lignes électriques et quelques bords de voies à grande circulation | Ensemble d'herbages/adventic es | Sans intervention humaine, la diversité biotique croît. |
Parcs aménagés et espaces ouverts | Parcs urbains, aires de loisirs, champs de golf | Herbages fauchés | Une gestion attentive maintient un bas niveau de diversité biotique |
Chantiers de construction délaissés | Sites industriels abandonnés, anciennes décharges | Ensemble abiotique/adventice | Les possibilités temporaires de colonisation végétale disparaissent à la fin du lotissement |
Nouveaux faubourgs, dépourvus d'arbres adultes et d'herbage: pourcentage élevé de jardins cultivés | Faubourgs extérieurs, nouveaux lotissements, quelques zones industrielles modernes et immeubles commerciaux | Nouvelle savane urbaine | La diversité biotique croît à mesure que s'établissent les jardins. Le taux de croissance dépend de l'attitude des occupants |
Herbages sur sols mis en valeur avec rues, parkings, et immeubles mais peu ou pas d'arbres adultes | Zones urbaines intérieures en voie de rénovation avec vastes espaces ouverts, appartements modernes ou habitations en rangée, quelques nouvelles zones industrielles | Nouvelle savane urbaine/herbages fauchés | La gestion tend à maintenir une faible diversité biotique |
Petites parcelles boisées et zones rurales à l'intérieur de la ville | Parcelles boisées conservées comme zones quasi-naturelles, landes ou terrains communaux urbains | Ecosystème résiduel/îles naturelles | La diversité des vieux boisements se conserve si l'interférence humaine reste stationnaire |
Masses d'eau | Lacs, rivières et réservoirs | Lac-cours d'eau/complexes aquatiques | L'état dépend de la gestion |
Terres humides et masses d'eau fortement modifiées | Marais, champs d'épandage et carrière à gravillons | Herbages et complexes aquatiques délaissés/envahis par les adventices | Négligée, la diversité biotique tend à croître. Possibilités de fortes perturbations |
Source: adapté de Douglas (1983:128) ‘The Urban Environment’ |
Encadré 3.2 | Zonage biogéographique des possibilités de la foresterie urbaine dans les pays en développement | |
Type d'occupation des terres | Type d'emplacement | Type de foresterie urbaine |
Pavage, toitures, complexes fortement urbanisés dépourvus d'espaces verts et de plans d'eau | Quartiers des affaires dans le centre-ville ; marchés et centres commerciaux éventuels; quelques zones industrielles | Arbres d'alignement bordant les rues principales; ou dissimulant les marchés ou les fabriques |
Logements à densité élevée pour groupes à faible revenu | Probablement limitée | |
Mosaïque de maisons, routes et jardins à la périphérie | Vieux faubourgs intérieurs, spacieux pour groupes à revenu élevé; souvent ancienne zone résidentielle d'expatriés de l'époque coloniale | Arbres d'alignement adultes. Dans les jardins, arbres à usage principalement ornemental; peut-être quelques arbres producteurs d'aliments |
Logements à densité moyenne avec de petites arrières-cours | Probablement de jeunes arbres d'alignement. Dans les jardins, quelques arbres ornementaux et producteurs d'aliments | |
Nouveaux faubourgs dépourvus d'arbres adultes | Faubourgs extérieurs, nouveaux lotissements; quelques magasins et immeubles commerciaux | Eventuellement quelques jeunes arbres déjà établis; possibilité d'accroître la plantation d'arbres |
Couloirs de plantes sauvages | Voie ferrée, canal, lignes électriques et quelques bords de routes à grande circulation | Arbres bordant les voies de communication ; avantages potentiels au plan écologique et de la production |
Espaces ouverts aménagés | Parcs et jardins urbains, hippodromes et terrains de sport | Arbres visant essentiellement à valoriser l'environnement; dans les parcs et les jardins, possibilité de les aménager pour une production accrue? |
Terrains et chantiers de construction délaissés | Terres utilisées illégitimement à des fins agricoles | Etablissement possible d'arbres à croissance rapide pour pieux de clôtures, combustible et fourrage. Arbres à fruits si le régime d'usufruit de la terre se consolide |
Terres intégrées par la communauté locale | Possibilités d'établir des plantations communautaires si le régime d'usufruit se consolide | |
Terrains en pente raide exposés à l'érosion à la périphérie de la ville | Logements auto-assistés établis récemment | Peu d'arbres; éventuellement quelques arbres plantés à des fins de démarcation |
Logements auto-assistés bien établis | Arbres établis pour la production et l'ornement dans des jardins particuliers | |
Pentes plantées protégées | Couvert arboré aménagé pour la protection des bassins versants, les loisirs et (parfois) une production limitée | |
Petits boisements au sein de la ville | Parcelles de forêt sacrée, parcs boisés | Arbres indigènes adultes, laissés généralement intacts |
Zones boisées aux abords de la ville (autres que les terrains en pente raide) | Forêt naturelle ou plantations dégradées (souvent Eucalyptus spp.) | Essences indigènes et exotiques fournissant du bois de feu, du bois de construction et du fourrage |
Plans d'eau | Rivières, canaux, lacs et étangs de pisciculture | Aucun au sein de la masse d'eau elle-même |
Plans d'eau modifiés | Marécages, marais côtiers habités par des communautés de pêcheurs | Mangroves côtières; utilisation d'arbres à croissance rapide pour assécher les marais |
Dans cette perspective, les arbres urbains font partie de certains écosystèmes intra-urbains. Ces écosystèmes sont de par leur nature en état de mutation; néanmoins, Douglas (opp. cit) fournit un tableau des principaux types d'occupation des terres urbaines et de conditions bio-géographiques qui figure (légèrement modifié) dans l'encadré 3.1. Malheureusement, il a été établi en grande partie en ayant à l'esprit des villes d'Europe occidentale, d'Amérique du nord et d'Australie. En tirant parti de l'étude de Douglas tout en la modifiant, on a pu établir un zonage des possibilités de la foresterie urbaine dans les pays en développement qui figure à l'encadré 3.2. Certes, la mesure dans laquelle on pratique à l'heure actuelle la foresterie urbaine dans ces différentes zones des villes du tiers monde varie tant à l'intérieur d'un pays que d'un pays à un autre, et dépend non seulement des facteurs décrits mais aussi des conditions sociales et politiques du moment.
Une autre façon d'évaluer théoriquement les possibilités de la foresterie urbaine dans différentes zones des villes du tiers monde est de classer les terres en fonction du régime de propriété. Qu'elle soit réelle (en termes définis juridiquement) ou perçue (par consensus local) la propriété de la terre est un élément important de la décision de planter des arbres dans un lieu donné1. L'identification de ceux ayant accès à la terre et à l'utilisation des arbres qui y poussent est un aspect connexe.
Plantation d'arbres sur des terres privées ou occupées
Grâce à des études menées en milieu rural, on sait que les gens hésitent normalement à planter et à entretenir des arbres sur des terres dont la tenure n'est pas assurée. Dans de nombreux pays, cette réticence est accentuée par le fait que la plantation d'arbres est symbole de propriété de la terre et, partant, interdite par les propriétaires. Cependant, dans de nombreuses zones urbaines du tiers monde, l'occupation irrégulière des terres est chose commune; en fait, dans beaucoup de villes “l'action politique la plus manifeste des masses urbaines est l'occupation irrégulière de la terre” (Gilbert et Gugler, 1992:223). Dans ces cas, la sécurité juridique de tenure représente un facteur moins déterminant dans l'attitude des gens que la sécurité perçue de l'occupation, exprimée souvent en termes de prix fonciers irréguliers.
Plantation d'arbres sur des terres appartenant à une société
Les terres appartenant à des sociétés offrent d'amples possibilités d'arboriculture aussi bien pour améliorer leur apparence (des espaces verts aménagés autour des bureaux créent une impression plus favorable que le goudron ou le béton) que pour dissimuler des zones industrielles. Les arbres peuvent aussi servir à réhabiliter des tas de décombres et d'anciens chantiers industriels ; en Afrique du sud, par exemple, on a su mettre au point des techniques appropriées pour valoriser certaines zones d'exploitation de l'or (Poynton, 1976). Dans nombre de grandes villes des pays en développement et nouvellement industrialisés, des compagnies nationales et multinationales possèdent de vastes superficies de terrain. On ignore si les possibilités de planter des arbres sur ces terrains ont été pleinement exploitées.
Encadré 3.3 | Situation foncière dans les agglomérations urbaines | ||
Catégorie | Sous-catégorie | Accès | Possibilités de pratiquer la foresterie urbaine |
Terres privées | Terre occupée par son propriétaire | Interdit ; normalement étroitement contrôlé par le propriétaire | Elevée ; arbres plantés comme ornement ou pour en tirer des avantages matériels |
Terre cédée à bail (à court terme - environ un an) | Interdit ; relativement contrôlé (par le propriétaire et le locataire) | Faible | |
Terre louée (souvent pour une période de plusieurs années) | Interdit ; contrôlé (par le propriétaire et le locataire) | Moyenne ; quelques arbres pourraient être plantés pour en tirer des avantages matériels | |
Terre occupée illégitimement | Variable, de même que le contrôle (par l'occupant et le propriétaire) sur l'utilisation de la terre | Faible, à moins que la propriété ne soit perçue de fait comme relativement certaine | |
Terres appartenant à une société | Terre appartenant à une compagnie multinationale | Interdit ; normalement étroitement contrôlé (par la société) | Elevée ; arbres plantés autour du siège pour valoriser l'environnement |
Terre appartenant à une compagnie nationale (sièges dans diverses parties du pays) | Interdit ; normalement étroitement contrôlé (par la société) | Variable ; mais les arbres pourraient être plantés pour valoriser l'environnement | |
Terre appartenant à de petites enterprises locales (siège unique) | Interdit ; le contrôle (par l'entrepreneur) varie probablement | Variable, comme ci-dessus | |
Terres “publiques” | Terre sous le contrôle de l'Etat ou du département (par ex. irrigation, autoroutes, foresterie, etc …) | Souvent libre ; le contrôle (par le département) varie | Sans doute élevée ; arbres plantés pour valoriser l'environnement |
Terre sous le contrôle du conseil urbain/municipal | Souvent libre ; le contrôle (par le conseil) varie | Sans doute élevée ; arbres plantés essentiellement pour valoriser l'environnement | |
Terre communautaire de propriété collective et soumise à des droits coutumiers ou offerte, sous forme de donation, à la population locale | Normalement contrôlé par des accords de propriété collective | Pourrait être élevée ; les arbres pourraient être plantés pour de multiples raisons | |
Terre appartenant à l'église ou au temple Terre appartenant aux écoles | Normalement contrôlé par des accords de propriété collective | Moyenne ; possibilités de plantation à des fins écologiques, éducatives et matérielles | |
Terre occupée illégitimement (pourrait entrer dans n'importe laquelle des catégories ci-dessus mais appartient plus probablement à l'Etat ou à une collectivité) | Variable, de même que le contrôle (par l'occupant et le propriétaire) sur l'utilisation de la terre | Faible ; à moins que la propriété ne soit perçue de fait comme relativement certaine. |
Plantation d'arbres sur terres “publiques”
La plupart des arbres établis sur des terres “publiques” dans les villes du tiers monde sont normalement plantés et/ou entretenus à des fins écologiques, bien qu'ils servent souvent aussi à la production. Suivant l'organe qui contrôle la gestion des terres, le choix des essences et mode d'implantation et agencements dans l'espace sera en général déterminé en fonction d'objectifs spécifiques. Il convient aussi de noter que, pour les populations locales, l'accès aux arbres poussant sur des terres “publiques” peut être libre ou soumis à un contrôle variable. Ce fait peut également influencer les décisions concernant le choix des arbres à planter et la façon dont ils seront établis, comme le montrent les exemples présentés ci-après.
Accès à l'exploitation de la terre et des arbres
Il existe dans les zones urbaines du tiers monde une large gamme de possibilités concernant l'accès à la terre et à l'exploitation des arbres qui y poussent. Les situations vont des terres à accès libre ou à faible contrôle sur l'exploitation aux terres privées à accès interdit et au contrôle rigoureux sur l'exploitation. Dans certaines zones urbaines, de nombreux arbres représentent réellement des ressources à accès libre utilisables par tous. Cela s'applique notamment aux arbres situés sur des terres “publiques” tels que les bords de route et les parcelles délaissées. Dans ces cas le vandalisme ou la surexploitation peuvent poser des problèmes. Les arbres plantés au titre d'initiatives communautaires peuvent être mieux aménagés en tant que ressources de propriété commune, notamment s'ils poussent sur des terres ayant un lien étroit avec la communauté en question, par exemple celles entourant une école ou affectées à cette fin. Dans certains cas, on pourra définir et assigner des droits d'usufruit spécifiques, tel le droit de cueillir les fruits d'arbres poussant dans des parcs.
A l'encadré 3.3 figure un certain nombre de catégories et sous-catégories clés de régimes de propriété de la terre ; elles indiquent aussi le niveau envisageable d'accès des populations aux arbres poussant sur cette terre et les possibilités d'y pratiquer la foresterie urbaine. La gamme des sous-catégories de régimes de propriété dans une ville ou un pays donnés pourra varier, de même que le pourcentage de surface occupée par chacune par rapport à la superficie urbaine totale. La mesure dans laquelle ces informations sont accessibles dans les pays en développement est incertaine.
Smith (1992) fournit un modèle plus simple de zones propres à la plantation d'arbres dans les villes des pays en développement, bien qu'il l'ait utilisé pour décrire des systèmes d'exploitation urbains. Le modèle groupe les agglomérations urbaines en quatre grandes catégories spatiales comme suit:
On peut introduire dans ces catégories les zones décrites de manière plus détaillée dans les encadrés 3.2 et 3.3.
La présente section a étudié les emplacements où l'on peut trouver des arbres dans les villes du tiers monde et où existent des possibilités non exploitées d'arboriculture. Reste que dans la plupart des milieux urbains, l'espace est rare et soumis à de nombreuses pressions exercées par des utilisations concurrentielles du sol. Le défi de la foresterie urbaine réside en grande partie dans l'exploitation optimale des superficies limitées disponibles pour les arbres urbains.