3. LE SECTEUR FORESTIER A L'HORIZON 2020
L’analyse prospective de la situation du secteur forestier du Mali à l’horizon 2020 sur la base des principaux facteurs de changement montre qu’il serait nécessaire de développer de gros efforts pour que la forêt malienne joue toutes ses fonctions: sociale, économique et écologique
3.1 EVOLUTION DE L’ETAT DES RESSOURCES FORESTIERES
Toutes les formations forestières sont caractérisées par une dégradation et une désertification, dues à la conjugaison de plusieurs facteurs, dont les principaux sont climatiques et anthropiques. Il y a peu d’espoir que le domaine forestier connaisse une extension significative à cause de la faiblesse des programmes de reboisement, de la dégradation continue des formations naturelles, de l’intrusion voire la disparition du domaine classé faute d’aménagements, les fortes ponctions sur le domaine protégé pour les divers usages du bois et du sol forestier, la modicité des actions de restauration et de reconstitution des ressources.
3.2 EVOLUTION DE LA PRODUCTION LIGNEUSE
L’augmentation de la demande en bois, la faible productivité des formations végétales, la régression drastique de leurs surfaces, la faiblesse des programmes de gestion des formations naturelles et de plantation, sont autant de raisons pour la régression des productions ligneuses. La persistance des feux de brousse, des défrichements agricoles (plus de 400 000ha /an) et l’exploitation du fourrage aérien constituent aussi des causes importantes de régression de la production ligneuse.
Le PIRL a évalue le volume sur pied des formations ligneuses 410 millions de tonnes tandis que les parcs arborés apportent 59,86 millions de tonnes soit un total estimé de 469,86 millions de tonnes de bois. Les sécheresses des décennies 1970 et 1980 avaient déjà provoqué une mortalité de 30 % des arbres dans la zone sahélienne et 5 % dans la soudanienne. Certes cette perte est aujourd’hui beaucoup moins importante. Mais les raisons précitées entretiennent une baisse constante de la production. Les actions en cours ne sont pas en mesure de compenser toutes les pertes.
Le mieux qui puisse arriver est la réduction de la consommation de bois énergie suite à la vulgarisation de l’électricité des grands barrages, la promotion des technologies de substitution du bois et la vulgarisation de technologie de réduction de la consommation. Le bois est l’énergie du pauvre dans l’avenir prévisible, il le restera et la paupérisation croissante d’une population de plus en plus nombreuses ne font que confirmer cette tendance.
3.3 EVOLUTION DES ARBRES HORS FORETS
3.3.1 Les formations naturelles
Estimées à plus de 100 millions ha dont 21 millions présentent une certaine production de bois, les formations forestières classées et non classées sont en disparition progressive à cause de la dégradation généralisée de l’environnement. La perte annuelle est estimée à plus de 140 000 ha dont 100 000 ha exploités pour la production de bois et 40 000 ha de défrichement.
Les superficies soumises à une gestion durable disposant de plans d’aménagement sont de 259 200 ha de forêts classées (soit 20% des surfaces classées), 521 090 ha de parcs et réserves de faunes (soit 13%) et près de 81 670 ha de forêts protégées soit 0,55% des formations protégées.
La politique de création de marchés ruraux de bois mise en œuvre par la Cellule Combustibles Ligneux de la Stratégie de l’Energie domestique permettra si elle est bien conduite d’augmenter rapidement les forêts sous aménagement. Malheureusement cette action à elle seule ne pourra que ralentir la disparition des formations forestières.
Le domaine forestier tout entier est victime de nombreuses agressions. Il est utilisé sans notion de lendemain. Il est considéré comme une réserve de terres de culture et une source de matière première dont on peut abuser. Le domaine classé ne se distingue du domaine protégé que par l’existence de textes juridiques, que personne ne semble respecter. Les limites des forêts classées ne sont pas toujours visibles ni entretenues malgré les efforts de la Direction Nationale de la Conservation de la Nature. L’état du domaine classé est globalement préoccupant. Pour certaines forêts, la disparition est irrémédiable.
3.3.2 Les plantations
Depuis le début des années 1990, les programmes de reboisement en régie de grandes surfaces forestières et de plantations villageoises qui commençaient à voir le jour un peu partout sont abandonnés et les actions menées par les particuliers de 1993 à 1999 montrent que le rythme de plantation est inférieur à 4 000 ha par an. Ce rythme ne permettra pas d’améliorer de façon significative les espaces boisées à court ou moyen terme. Les actions en cours ne permettent ni de diminuer la dégradation des sols ni d’augmenter la disponibilité en bois. A cette faiblesse de plantation s’ajoute l’insuffisance de suivi des aménagements sylvicoles. Aussi il est important de noter l’utilisation d’essences exotiques dans presque toutes les plantations, ce qui ne permet pas de garantir une diversité biologique pérenne. Afin de satisfaire le besoin en bois des grandes agglomérations, des actions de plantation industrielles doivent être menées au tour des grandes villes.
Il y a cependant de grandes possibilités de reboisement même dans la zone désertique comme cela a été démontré par le projet de Lutte contre l’ensablement des régions Nord du pays, dans la zone de l’Office du Niger et dans toute la zone soudanienne du Sud.
L’option d’aménagement des formations naturelles actuellement privilégiée ne devrait pas exclure le reboisement et la reforestation notamment dans les zones relativement favorables et par les populations aussi bien individuellement et collectivement. La mise en œuvre d’un ambitieux programme de reboisement de lutte contre l’ensablement permettrait d’améliorer l’offre de bois dans certaines zones déjà déficitaires.
3.3.3 Arbres hors forêts et Parcs arborés
La mécanisation et la motorisation de l’exploitation agricole des terres et la production de charbon à partir des karités des parcs arborés menacent l’existence des formations agro-forestières dont l’importance économique est pourtant évidente: protection des sols, production alimentaire, fourrage, bois de feu, etc.
Les nouvelles méthodes de production plus que les défrichements sur brûlis traditionnel nécessitent de grandes superficies totalement dessouchées et exposées aux effets négatifs du soleil du vent et des pluies.
3.4 EVOLUTION DES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX
La production forestière non-ligneuse est dépendante de la production ligneuse. La baisse de celle-ci risque d’entraîner celle des non-ligneux. Les produits de cueillette dont certains constituent des sources importantes de devises pour le pays (karité, la gomme arabique, le tamarin etc.) comme les arbres qui les produisent sont soumis à de nombreuses agressions graves. La promotion de la transformation artisanale et industrielle des produits de cueillette devrait constituer un motif suffisant de leur protection.
On remarque malheureusement notamment dans la zone périurbaine une forte prédation sur ces ressources. Cependant les populations rurales peuvent pour longtemps encore satisfaire leurs besoins en produits de cueillette sans compromettre leur production. De la même manière les arbres et arbustes sauvages continueront à offrir des médicaments aux nombreux maliens qui n’ont pas les moyens financiers d’accéder à la médecine moderne.
Les produits de la chasse sont en baisse dans tout le pays. Les prélèvements excessifs faits sur la faune conjuguée avec la précarité climatique réduisent la base de production de protéine animale pour une grande part des maliens vivant en milieu rural.
Contrairement aux autres produits non-ligneux les produits du rucher semblent promis à un plus bel avenir avec la maîtrise progressive de l’apiculture moderne et reconnaissance de la valeur nutritionnelle et pharmacologique du miel. Les productions nationales de miel ont connu une nette amélioration de1997 à 1999. La production de cire a connu les mêmes améliorations.
L’évolution des produits non-ligneux comme ceux de la cueillette, de la pharmacopée traditionnelle, de l’apiculture, de la diversité biologique, de l’éco-tourisme et du tourisme cynégétique dépendront de l’évolution des formations forestières et de leur intérêt pour l’économie nationale.
3.5 EVOLUTION DE LA CONSERVATION DE LA DIVERSITE BIOLOGIQUE
La grande majorité des aires a été classée pendant la période coloniale. Depuis l’indépendance presque rien n’a été fait dans le domaine. Pire les aires protégées en dépit de leur statut particulier sont en dégradation accélérée dans toutes les régions du pays. Elles sont mal connues et presque pas protégées. Leur avenir est incertain. Toutefois certains observateurs pensent que la décentralisation de la gestion des ressources est d’une opportunité pour la restauration des ces aires.
Le potentiel éco-touristique est très important et encore mal exploité, malheureusement il n’y a pas encore d’indicateurs assez pertinents pour prévoir un développement favorable de cette activité et avec elle la protection des parcs et réserves.
Une étude ancienne de plus de dix ans montrait déjà la baisse drastique du potentiel faunique malien. Ces résultats ont été confirmés lors de l’élaboration de la Stratégie nationale de conservation de la diversité biologique. Il n'existe aucune information sur les prélèvements faits sur le capital faunique. Si des actions vigoureuses ne sont pas entreprises dès maintenant, l’essentiel des espèces fauniques pourrait disparaître avant l’an 2020 à cause de la dégradation de leur habitat et des prélèvements illicites et abusifs.
3.6 EVOLUTION DES INDUSTRIES FORESTIERES
L’espoir pour un développement des industries du bois est faibles mis à part la production de charbon de bois et la production de planches, lattes et chevrons à partir de petites scieries artisanales. La transformation des produits de cueillette est plus prometteuse notamment en ce qui concerne le karité.
3.7 EVOLUTION DE LA DEMANDE ET DE L’OFFRE DE BOIS
L’utilisation domestique du bois restera la plus grande cause d’exploitation des produits ligneux. En effet les parts du bois d’œuvre et du bois de service resteront aussi faible comparativement au bois énergie. Dans l’hypothèse fort probable que la consommation moyenne par personne reste voisine à celle d’aujourd’hui (les réductions éventuelles dues à la vulgarisation des foyers améliorés et les énergies de substitution étant absorbées par l’augmentation de la consommation), la pression sur les ressources deviendront vite insupportables.
En effet, dans l'hypothèse que la consommation de bois reste constante à 1 m3/hbt/an, la productivité moyenne stable à 0,86m³/ha/an, la diminution des surfaces boisées à 500 000 ha/an (soit 100 000ha à cause de la coupe de bois et 400 000ha pour les défrichements agricoles), et supposant que seulement 70 % de productivité annuelle exploitable est accessible à la consommation pour diverses raisons, le bilan de la situation de l’offre et de la demande de bois énergie est négative dès 2010. Dans l’hypothèse inacceptable que la totalité de la productivité annuelle des forêts est consommée c’est seulement en 2020 que ce bilan sera négatif. Le tableau suivant illustre cette situation.
Tableau 4: Projection du bilan bois énergie
|
Année |
Superficie en ha |
Population |
Consommat Annuelle m3./an |
Productivité annuelle m3/an |
Bilan m3./an |
||
|
Accessibilité 100% |
Accessibilité 70% |
Accessibilité 100% |
Accessibilité 70% |
||||
|
2000 |
25 550 290 |
10 028280 |
10 028 280 |
21 973 249 |
15 381 274 |
11 944 969 |
5 353 994 |
|
2015 |
23 050 290 |
11 218356 |
11 218 356 |
19 823 249 |
13 876 274 |
8 604 893 |
2 657 918 |
|
2010 |
20 550 290 |
13 033769 |
13 033 769 |
17 673 249 |
12 371 274 |
4 639 480 |
-662 495 |
|
2015 |
18 00 290 |
14 896387 |
14 896 387 |
15 523 249 |
10 866 274 |
626 862 |
-4 030 113 |
|
2020 |
15 550 290 |
16 597076 |
16 597 076 |
13 373 249 |
9 361 274 |
-3 223 827 |
-7 235 802 |
3.8 CADRE INSTITUTIONNEL DU SECTEUR FORESTIER
Le cadre institutionnel de gestion des ressources naturelles impliquant l’Etat, les Collectivités territoriales, le secteur privé, les organisations associatives, coopératives et mutualistes, les partenaires au développement, est relativement complexe. Pour être efficace, il requiert que chaque institution et acteurs comprennent et acceptent que toutes les communautés et collectivités locales ne sont pas encore en mesure de gérer leurs ressources de façon plus soutenable ou de partager les bénéfices plus équitablement que l'Etat le faisait, il y a peu de temps. C'est pourquoi le rôle de l'Etat reste particulièrement important dans la gestion de ce qui est certainement la base de notre développement économique, social et culturel: la terre, la forêt, la faune, l'eau et l'air.
L'enjeu est de parvenir à un réel partage des rôles et des responsabilités entre acteurs, créer des cadres de concertation et de gestion du pouvoir, du savoir et des avoirs. Il s'agit aussi de déterminer les compétences des différents acteurs, de définir le partenariat entre les acteurs et de déterminer le cadre politique, institutionnel et juridique du partenariat pour en tirer le meilleur profit. Toutes les institutions et acteurs doivent s’accorder sur:
La reconnaissance de la légitimité des valeurs de développement et de la conservation des ressources
L’acceptation du fait que les buts du développement et de la conservation ne sont pas nécessairement contradictoires
La volonté d’obtenir un certain niveau de participation ou de collaboration des populations locales à la gestion des ressources naturelles de leurs terroirs
La gestion des ressources naturelles en général et des ressources forestières en particulier doit être perçue comme un concept de développement. Le changement d’attitude et de comportement requis doit aller dans le sens d’un partenariat entre les différentes parties. Cinq déficits externes au secteur devront être résolus:
Un manque notoire d’une prise de position politique ferme et confirmée en faveur de la gestion durable des ressources par les gouvernants
Une politique agricole incompatible avec les objectifs de gestion durable des ressources naturelles (agriculture et élevage itinérants, mauvaise maîtrise des techniques d’exploitation durable des sols, utilisation anarchique des)
Un cadre juridique parfois inadéquat notamment pour la gestion foncière
Le régime fiscal de l’exploitation des ressources inadapté etc.
Un système judiciaire, peu sensible et souvent indifférent aux conflits de gestion des ressources naturelles et surtout perméable aux pressions politiques extérieures
La mise en application effective de décentralisation de la gestion des ressources naturelles avec un transfert effectif de compétences et de ressources aux collectivités locales de base notamment
La gestion des ressources naturelles repose sur deux grandes fonctions techniques:
L'exploitation des ressources pour la satisfaction des besoins des populations: fonction production
Le maintien ou la réhabilitation du potentiel naturel de production: fonction de conservation
Les activités qui contribuent à la fonction de production sont celles qui sont liées aux cultures agricoles, à l'élevage, l'exploitation forestière, à la pêche, la pisciculture, la chasse et l'apiculture. Ce sont les activités qui répondent aux besoins immédiats des populations, celles qui intéressent les populations pauvres et démunies.
Les activités de conservation sont les aménagements fonciers, les ouvrages d'hydraulique, les actions visant la protection des sols et le maintien de leur fertilité, d'une façon générale toutes formes d'action visant le renouvellement des ressources et leur pérennisation.
Du point de vue technique, seule l'approche intégrée des ressources basée sur les problèmes ressentis par les populations locales peut conduire à un développement durable. Sur le plan socio-économique, il faut reconnaître et officialiser les droits et devoirs des communautés de base (villages, fractions, et des groupements ruraux) dans la gestion des ressources par l'établissement de contrats de gestion avec les institutions communales et les structures techniques de l'Etat. Du point de vue institutionnel, il s'agira de développer le rapprochement de la réalité de la gestion des ressources naturelles aux exploitants ruraux par la mise en place d'organes de coordination d'harmonisation et d'animation aux différents niveaux de décentralisation.