L'absence d'une politique harmonieuse de développement sectoriel s'est fait sentir sur les pêches pendant la durée du projet. Toutefois, l'année 1969 semble avoir marqué un tournant important: elle a été caractérisée par des modifications structurelles et la relève des hommes à la tête des organismes des pêches. Une activité qui se voulait vigoureuse a été annoncée par le Gouvernement à tous les niveaux de la production. En particulier, le nouvel Office algérien des pêches, auquel serait affectée la plupart des investissements du plan quadriennal dans le secteur halieutique, s'est vu accorder un statut beaucoup plus ample que celui de son prédécesseur.
La difficulté principale à laquelle il a fallu faire face dans cette nouvelle étape, particulièrement exigeante en personnel qualifié, a été le manque de cadres et de techniciens disposant de l'expérience requise pour mener à bien, dans le temps voulu, les divers programmes de développement alors arrêtés.
Tout en créant les conditions propices à une relance des activités de développement, les changements administratifs intervenus vers la fin 1969 ont provoqué néanmoins une solution de continuité dans la mise en oeuvre de certains programmes. Tel a été le cas dans l'installation des fabriques de glace achetées antérieurement, dans les aménagements portuaires en général, ou dans les entretiens techniques avec l'OCI, chargé des projets de modernisation des conserveries à ces moments-là.
Cette situation ne pouvait qu'affecter l'intégration des efforts de développement halieutique en cours à ceux du plan, qui s'annonçaient pour 1970/73. L'exemple le plus frappant nous est donné par la décision d'acheter 80 chalutiers-senneurs 1, dont une première tranche de 40 a été livrée dès 1971, sans avoir déterminé précisément au préalable les ports d'attache, ou même la fréquence de ce genre de pêche, les circuits de distribution du produit et d'autres éléments également importants pour assurer la rentabilité de ces navires.
Il aurait été naturel de s'attendre aussi à une définition de l'assistance que l'Etat avait l'intention d'accorder aux producteurs privés, grâce auxquels les débarquements de poisson s'était accrus d'une façon sensible après 1968, et desquels l'augmentation successive de la production resterait nécessairement tributaire pendant la période de maturation des investissements de base du Plan, soit jusqu'en 1975 au moins.
Enfin, l'ampleur des investissements pendant la période couverte par le Plan, de même que l'ordre de priorité de chaque programme dans l'enveloppe globale, auraient dû être déterminés en fonction non seulement des possibilités d'accroissement graduel de la production du secteur, mais surtout de la capacité réelle de mobilisation en temps opportun des hommes et des structures capables de mettre ces investissements en valeur.
Dans l'immédiat, le besoin le plus important semble donc être d'ajuster à la réalité actuelle quelques-unes des décisions antérieures, tout en poussant fermement en avant des programmes de développement fondamentaux, y compris les études longtemps attendues qui devront permettre finalement une connaissance raisonnable des ressources halieutiques et le repérage de nouvelles zones de pêche.
La tutelle uniforme du Ministère des transports sur l'ensemble des organismes du secteur ne peut que faciliter cette tâche. L'action de développement doit être surveillée de près maintenant, ses résultats, évalués à tout instant. La moindre difficulté logistique risque de coûter trop cher. Il faut que tous les moyens nécessaires et possibles soient disponibles en temps utile.
Le besoin de disposer d'un mécanisme de surveillance et de coordination, intégré par les différents organismes des pêches ou intéressant ce secteur, ne s'est jamais fait sentir de manière aussi pressante. Que ce soit sous la forme d'un conseil ou comité de développement des pêches, placé auprès du Ministre chargé des pêches, un tel organisme aurait pour objectif d'aider le Ministère de tutelle à diriger l'exécution du Plan dans les meilleures conditions possibles. Ses propositions seraient fondées sur des études qui engageraient la responsabilité collective des agents chargés de la mise en oeuvre d'une politique globale des pêches.
Le projet recommande donc vivement la création d'un conseil ou comité de ce genre, au sein duquel seraient créés pour une durée déterminée des groupes de travail spécifiques, chargés d'évaluer les progrès et les résultats des divers programmes de développement et d'étudier des problèmes particuliers, dans le but d'orienter les avis de l'organisme en question. Ainsi, on pourrait créer à brève échéance des groupes de travail sur la programmation des recherches halieutiques (représentants de l'ISTPA, l'OAP, l'Université, les CMs, etc.), sur la commercialisation des produits de la pêche (OAP, CMs, Ministère du commerce, Wilayates), sur le moyen d'effectuer les réparations des bateaux de pêche dans le pays (OAP, Office des ports, ACORENA, Ministère de l'industrie), sur l'importation ou la fabrication dans le pays des engins de pêche et d'autres fournitures essentielles (Ministères du commerce, de l'industrie, des finances, du plan, OAP, etc.).
Par ailleurs, ce conseil ou comité devrait avoir la possibilité de centraliser les études et les avis de l'assistance technique internationale ou bilatérale. Il pourrait encore confier des études sous contrat à des entreprises spécialisées. Les organismes des pêches le saisiraient individuellement ou collectivement de n'importe quelle question de sa compétence, ayant trait par exemple à l'amélioration des services administratifs et de législation, à la formation professionnelle, à l'assistance au secteur privé, aux services de vulgarisation technique, etc.
D'après les statistiques disponibles, la production halieutique algérienne, qui était de 18 000 à 20 000 t en 1964, aurait atteint 23 000 à 25 000 t en 1969/71, ce qui correspond à la moyenne d'avant l'indépendance. Mais ce total cache une différence fondamentale par rapport au passé. En effet, seule la production de poissons bleus a augmenté; elle s'élève à environ 20 000 t 1. Celle des poissons blancs et des crustacés, au contraire, est en diminution sensible; de 1969 à 1971, elle est passée de 6 500 à 4 200 t (cf. annexe 3 au présent rapport).
L'évolution de la pêche aux poissons bleus est caractérisée par un accroissement constant du nombre des bateaux équipés à la senne tournante et coulissante, tandis que celui des unités utilisant la senne lampara diminue très sensiblement. En effet, si les premiers ont augmenté de 91 à 124, les autres ont diminué de 98 à 35 unités, depuis 1969. La production par tonneaux de jauge, qui était de moins de 11 t, est passée presque à 12,5.
Malgré ces résultats, l'utilisation de la capacité des senneurs reste très basse 1. Encore faut-il tenir compte du fait qu'il n'y avait en 1971 que deux bateaux équipés de “powerblock”. Les limitations du marché actuel, qui n'est pas organisé d'une façon convenable, sont évidentes surtout après l'arrêt de plusieurs conserveries, car dans presque tous les ports il y a eu en pleine saison des rejets de sardines à la mer. Indépendamment des “powerblocks” dont la généralisation apparaît souhaitable, la pêche à la senne coulissante pourrait aussi être améliorée par l'emploi de filets mieux montés et à chute plus importante, qui seraient adaptés aux captures en eau profonde. L'introduction d'équipement plus efficace pour la détection des poissons (sonar par exemple) peut également constituer un facteur de progrès.
Cependant, les pêcheurs à la senne réussissent à maintenir dans de telles conditions, avec leurs vieux bateaux et une augmentation moyenne des prix du bleu bien inférieure à celle des poissons blancs, un coefficient brut production/investissement apparemment égal à 1 (les prix du bleu enregistrent une hausse moyenne de 13 pour cent ces trois dernières années). Même si ce coefficient traduisait la faible valeur réelle de la flottille et une large dépendance du travail musculaire, il explique bien l'aisance des armateurs qui, sans compter sur des crédits publics, ont armé un nombre grandissant d'unités au “ringnet”, dont le coût est très supérieur à la “lampara”.
En ce qui concerne la pêche au chalut, le nombre et la puissance des bateaux se sont accrus, pour un résultat décroissant. Entre 1969 et 1971, en effet, à part le remplacement de plusieurs unités, le nombre de chalutiers est monté de 99 à 110; la puissance moyenne, de 140 à 160 chevaux. La baisse de rendement actuel par CV a été de près de 50 pour cent; de 430 kg, elle serait passée en 1971 à 220. Il n'est pas surprenant que malgré la forte hausse des prix du poisson blanc (+ 35 pour cent) et des crustacés (+ 54 pour cent), le coefficient brut production/investissement des chalutiers ait diminué considérablement. Il serait maintenant de l'ordre de 0,65, contre 0,9 en 1969, toujours pour des bateaux largement amortis au moment de l'indépendance 2.
La majoration des prix résulte à la fois d'une contraction sensible de l'offre intérieure pendant cette période - notons encore que les exportations de crevettes ont augmenté, mais les importations de produits de la pêche ont pratiquement cessé en 1970 - et d'une forte élasticité de la demande dans les villes principales, à peine inférieure, semble-t-il, à celle de la viande.
On est tenté de conclure à une surpêche pour expliquer la diminution de 25 pour cent mise en évidence par les statistiques de la production des chalutiers. Mais il serait peut-être exagéré de l'affirmer péremptoirement, tant que des paramètres importants de l'effort de pêche (le total des sorties ou les prestations exactes des moteurs par exemple) sont mal connus. Certes, il y a des indications d'une exploitation trop intensive de quelques zones de pêche; il suffit de voir la petite taille du poisson débarqué dans certains ports. Mais, la constation la plus significative est que les périodes d'immobilisation des chalutiers aux ports semblent avoir augmenté en 1971, à cause notamment des difficultés accrues des armateurs à se procurer des pièces de rechange et des gréments de pêche. Le secteur des pêches a été très affecté par les mesures de contrôle des importations que le Gouvernement a dû mettre subitement en vigueur cette année-là. Tout porte à croire que, dans l'ensemble, les chalutiers n'ont pu maintenir la moyenne des sorties, déjà assez basse de 1969, soit de 170 à 190 jours par bateau 1.
Des problèmes de divers ordres se posent au sujet du développement de la pêche au chalut. En plus de la modernisation des moyens de production, il faudra résoudre d'urgence d'autres questions non moins importantes pour améliorer le sort de ce genre de pêche. Entre-temps, il serait tout à fait imprudent d'augmenter le nombre des chalutiers d'une façon indiscriminée. L'expérience récente le montre déjà.
Parmi ces questions, une priorité indiscutable devrait être accordée à la modernisation des ports et de l'ensemble des services d'avitaillement ou d'entretien des bateaux. Des méthodes et des techniques de pêche plus sélectives devraient être utilisées pour obtenir un meilleur rendement dans les zones exploitées, de même que pour aboutir déjà à des mesures efficaces de conservation des ressources. D'autre part, on pourrait aussi envisager l'introduction de nouveaux types de chaluts tels que le chalut semipélagique et le boeuf pélagique, qui donneraient aux chalutiers de plus grandes possibilités en ce qui concerne la variété des espèces capturées. D'un effet non moins important serait encore la prospection de nouvelles zones de pêche surtout des zones plus profondes du talus continental pour les chalutiers plus puissants, comme ceux qui seront bientôt livrés à l'OAP. A vrai dire, il n'y a pas eu la moindre étude à ce sujet, dans les années récentes.
Par ailleurs, le plateau continental algérien n'est chalutable que sur moins du tiers de sa surface. Jusqu'à 200 m de fond, il y a environ 3 500 km2 de surface chalutable contre plus de 7 000 de surface non chalutable. Or, actuellement, l'exploitation de ces zones non chalutables atteint quelque 1 000 t par an, chiffre bien audessous du potentiel halieutique probable. La pêche dite aux petits métiers (palangres, filets de fond ou flottant, nasses), souveraine sur ces fonds, paraît y avoir de grandes possibilités de développement, et pas nécessairement pour des bateaux de toute petite taille.
Dans ce cas, une partie du problème relève probablement, comme pour la pêche aux poissons bleus, mais évidemment pas dans la même proportion ou pour les mêmes motifs, de l'organisation déficiente du marché. Cependant, le manque de pêcheurs intéressés par ce type de pêche semble être la raison principale de la sous-exploitation des zones non chalutables. La plus sommaire analyse de la situation des petits métiers le fait clairement ressortir.
Il est surprenant en effet que le nombre des bateaux armés aux petits métiers ait diminué de 352 à 269, entre 1969 et 1971, d'après les registres des Circonscriptions maritimes, alors que le prix des poissons vendus par ces pêcheurs a augmenté de plus de 50 pour cent. D'autre part, on vient de souligner combien la production de ce genre de pêche est insignifiante par rapport aux ressources potentielles. La réduction du nombre des bateaux ne résulterait donc nullement d'une surpêche. Elle ne saurait être due non plus aux difficultés d'avitaillement. Les pêcheurs sont unanimes à signaler un découragement de leur part dans la mesure où aucune facilité de crédit ne leur est offerte. Ce découragement va de pair avec le peu d'intérêt des jeunes, surtout de ceux sortis des Ecoles d'apprentissage maritime pour une activité réellement très ardue.
On comprend mieux ces difficultés si l'on note que l'effectif des inscrits maritimes pour la pêche est plutôt stable, autour de 3 300. Le nombre des pêcheurs embarqués sur les chalutiers et les “ringnets” a augmenté mais moins que le nombre de ceux qui ont abandonné les petits métiers.
Dans ces conditions, il est fort possible que l'OAP rencontre dans un avenir immédiat des difficultés à équiper ses nouveaux bateaux. La question ne relèverait pas de la qualification seulement, mais du nombre même des professionnels disponibles. Les programmes de formation devront envisager l'extension de la formation des pêcheurs avec la même intensité que pour les patrons et les mécaniciens. Il faut absolument accroître et rajeunir leurs effectifs. En particulier, l'effort du développement des petits métiers serait voué à un échec si une amélioration sensible n'était pas apportée aux qualifications professionnelles de la main-d'oeuvre actuelle.
En ce qui concerne encore les quarante navires de la nouvelle flottille de l'OAP, tous polyvalents et équipés du “power-block”, leur armement exigera une attention particulière. En tant que senneurs, l'affectation subite même d'une dizaine de ces unités en compétition avec les “ringnets” traditionnels, ferait s'effondrer les prix du poisson bleu, dans les conditions présentes. Le marché de cette catégorie de poissons pour les ventes en frais et pour la conserve devra être sérieusement organisé et élargi au préalable. L'Etat est en mesure de garantir un prix minimal à la production. Il se portera acheteur, par l'intermédiaire de l'OAP, de grandes quantités de poisson bleu.
Des limites doivent de toutes façons être envisagées à l'augmentation du nombre de senneurs. Les estimations du potentiel en poissons bleus de la côte algérienne dépassent rarement les 35 000 à 40 000 t/an 1, soit près de 20 000 t de plus que la production actuelle. Il semble que l'on pourrait augmenter les captures de thon, mais le gros de l'expansion possible serait redevable aux sardines, à plus grande profondeur, et aux anchois et chinchards.
A raison de 10 t/an par tonneau de jauge, ce qui est inférieur à la moyenne actuelle de 12,5 t/an, chacune des unités de la nouvelle flottille pourrait débarquer plus de 1 000 t de poisson par an. L'affectation additionnelle d'une douzaine des bateaux bientôt livrés suffira donc largement pour atteindre une production globale de bleu d'environ 40 000 t. Cela, bien entendu, dans le contexte d'un marché plus fort et mieux organisé qu'aujourd'hui, et avec les conserveries et les salaisons à plein rendement. Depuis 1964, on n'a fait aucune étude sérieuse du marché des poissons en Algérie. Le moment est venu de relancer cette idée.
Pour le chalutage, l'application d'un effort de production additionnel de 8 000 à 10 000 ch (soit de 20 à 25 des nouveaux bateaux) en plus des 17 300 ch des 110 chalutiers actuels, ne serait certainement pas recommandable dans les zones de pêche actuellement fréquentées.
Dans l'hypothèse où les deux tiers des bateaux de l'OAP seraient exploités au chalut, la rentabilité de leur exploitation exigerait une augmentation des captures de poissons blancs et crustacés de l'ordre de 4 000 à 6 000 t par année (compte tenu des prix pratiqués). On s'aperçoit combien la prospection de nouveaux fonds est en retard sur les dispositions déjà prises. Il est urgent non seulement de déterminer la localisation, les caractéristiques et le rendement probable des zones du talus audessous de 350 m, aujourd'hui pratiquement inexploitées, mais aussi d'élargir le marché actuel de certaines espèces qui ne trouvent aujourd'hui que peu de consommateurs dans le pays, et sont le plus souvent rejetées à la mer. De non moindre urgence sera l'étude des mesures effectives de conservation des ressources des zones aujourd'hui trop intensivement exploitées.
Malgré l'imprécision des estimations du potentiel halieutique, il semble que les surfaces chalutables (près de 5 000 km2 probablement en tenant compte du talus) pourraient soutenir une production annuelle de 7 000 à 8 000 t pourvu que l'on utilise misux les captures, ce qui est un problème constant des chalutiers. Face aux considérations précédentes, il serait donc recommandable que l'armement sur une vaste échelle des nouvelles unités de l'OAP soit accompagné du remplacement immédiat des chalutiers actuels les plus vétustes. Notons qu'un chalutier nouveau, avec son moteur de 400 ch et son appareillage moderne a une puissance trois fois supérieure au chalutier moyen de la flottille actuelle.
Bref, la modernisation des moyens de pêche algériens soulève un grand nombre de questions exigeant toutes beaucoup d'attention de la part des autorités, qu'il s'agisse du sennage ou du chalutage, et l'on doit toujours insister sur les besoins particuliers de formation des patrons et des pêcheurs destinés aux nouvelles unités si fortement mécanisées.
Le choix des ports d'attache eux-mêmes, outre les conditions techniques de leur utilisation par les nouveaux navires, devra faire aussi l'objet d'études approfondies. A priori, il semble raisonnable de recommander, par exemple, que les efforts de pêche soient sensiblement augmentés dans les ports de l'est du pays. Depuis 1969, la production des bleus y a diminué de deux tiers, n'arrivant pas à 700 t en 1971; celle des blancs et crustacés a diminué de moitié (environ 440 t). En valeur, les débarquements des ports de l'est se sont réduits à peu près d'un tiers. Ils n'atteignaient que 2,6 millions de dinars en 1971, en dépit de la forte hausse des prix des dernières années.
On a tenté plusieurs fois d'estimer le nombre des professionnels nécessaires pour accomplir l'effort de pêche déterminé par le plan quadriennal qui englobe aussi bien l'armement que le traitement du poisson ou les services en général, l'administration, la recherche, la commercialisation, les ateliers de réparations, etc.
Le projet s'est intéressé d'une façon plus particulière à l'effectif des pêcheurs. A ce sujet, les estimations des besoins globaux sont voisines de 4 000 hommes 1, soit une augmentation de 500 à 700 par rapport à l'enrôlement des trois dernières années. L'augmentation du nombre d'emplois à bord serait donc modeste. Il est clair que l'action de développement halieutique, dont les limites de l'expansion en Méditerranée sont évidentes, cherche moins la création de nouveaux emplois au niveau primaire qu'un accroissement sensible de la production et de la productivité des pêcheurs. Pour y arriver, le Plan a approuvé des investissements précis en vue de la formation professionnelle.
Face à un équipement plus moderne et plus puissant, qu'il s'agisse du chalutage, du sennage ou des petits métiers, les patrons devront avoir une base de connaissances théoriques plus poussée et être capables d'utiliser des méthodes et des techniques de pêche à haut rendement. Un degré de formation élevé sera exigé des mécaniciens des nouveaux bateaux, équipés d'installations complexes. Enfin, pour que les équipes de travail à bord aient l'efficacité nécessaire, il faudra compter sur des pêcheurs très spécialisés. Telle est la responsabilité immédiate de la formation halieutique en Algérie.
A cette perspective, on doit encore ajouter le besoin de rajeunir l'effectif actuel des pêcheurs, dont l'âge moyen approche des 40 ans. Pour beaucoup de ces hommes, d'ailleurs, des cours de recyclage s'imposent afin de leur permettre de contribuer valablement à l'essor du secteur tout entier.
Dans le but d'évaluer l'importance et les caractéristiques de l'action de formation nécessaire, le projet avait réalisé une première étude assez sommaire fondée sur la situation de la flottille de pêche algérienne en 1969 par rapport à la flottille probable des années 1977–80. Cette étude qui devra être remise à jour prochainement, partait des prémisses suivantes:
les unités de plus de 20 ans seront progressivement retirées de la production jusqu'en 1975;
une partie des chalutiers et des petits métiers se trouvant dans ces conditions seront remplacés par des unités nouvelles;
la puissance de ces nouvelles unités sera considérablement augmentée;
les navires polyvalents acquis récemment par l'OAP remplaceront plusieurs senneurs existants;
certains senneurs “lamparos” seront armés aux petits métiers;
le nombre des petits métiers sera plus que doublé et, pour un quart du total, il s'agira à l'avenir des bateaux de 12 à 15 m.
Dans ces conditions, on a estimé qu'une quarantaine seulement des chalutiers armés en 1969 sera encore en activité dans cinq ans, ainsi qu'une cinquantaine de senneurs et quelque 130 petits métiers. Pendant ce temps, la flottille sera renforcée par les 40 chalutiers-senneurs de 400 ch déjà commandés, de 45 chalutiers de 250 à 300 ch et environ de 580 petits métiers.
Le nombre d'emplois résultant de la mise en service des nouveaux bateaux sera de 3 000 à 3 100, soit 150 patrons et seconds au chalut et à la senne, 600 patrons à la pêche côtière, 400 mécaniciens, 660 pêcheurs spécialisés et 1 200 à 1 300 pêcheurs non spécialisés. Les emplois “supprimés” dans les bateaux désarmés seront au nombre de 2 500 à 2 600, soit 225 patrons de chalutiers et senneurs, 75 à 100 mécaniciens (ou simples chauffeurs), 220 patrons aux petits métiers et 2 000 à 2 100 pêcheurs généralement non spécialisés.
Le nombre de postes à bord des unités de la vieille flottille à retenir, garantira l'enrôlement d'un millier de professionnels.
Les titulaires des emplois “supprimés” seront absorbés par la nouvelle flottille, après des cours de recyclage. En effet, nombreux sont ceux qui ne possèdent aucun diplôme acceptable de formation technique. C'est le cas notamment des mécaniciens et des patrons des senneurs et des petits métiers. Par contre, les emplois de création récente se réfèrent à des titres de qualification professionnelle qui devraient être délivrés en fonction du temps d'études et de navigation.
Cependant, même avec une hypothèse de recyclage très optimiste, la simple confrontation des données ci-dessus met en évidence un déficit de cadres très prononcé, qui ne saurait être comblé que par un appel aux jeunes pour les attirer vers des cours et un enseignement systématique d'assez longue durée. Il est probable que, à brève échéance, le Gouvernement n'ait pas d'autre choix que de recruter des professionnels étrangers sous contrat pour remplir temporairement ces postes, afin de ne pas remettre en cause l'expansion de la production. Le projet recommande vivement que des mesures en ce sens soient prises 1.
Il convient de noter que ces estimations ne portent que sur la production en Méditerranée. Au cas où il s'avérerait économique d'entreprendre un effort de pêche océanique, des équipages additionnels seraient à considérer, comportant un minimum de 60 pour cent de spécialistes. Cette question sera traitée dans les études conduites en vue de la prochaine création d'une Ecole nationale des pêches, où il est question de l'affectation d'ici à 1980 d'une dizaine de navires hauturiers à la pêche océanique. Pour cela, il faudrait former 300 à 360 cadres et marins-pêcheurs.
Certes, les fruits de l'enseignement systématique n'apparaîtront pas avant cinq à huit ans, selon la catégorie professionnelle. La situation ne deviendra donc pas normale avant un long délai, mais les bases doivent être consolidées dès maintenant afin de rattraper le retard déjà évident de la formation par rapport aux programmes de développement arrêtés.
Il apparaît donc recommandable de reprendre à partir de 1972/73 l'enseignement donné par les Ecoles d'apprentissage maritime, en augmentant le nombre des matières et en portant la durée des cours ordinaires à deux ou trois ans pour des certificats supérieurs d'apprentissage maritime/pêche. On devrait ouvrir les EAM qui ont été fermées en 1971 et leur assurer les conditions nécessaires à un régime d'internat. Si le contingent de pêcheurs est censé s'accroître de 800 hommes dans un proche avenir, il faut augmenter les promotions des EAM de plus de 100 à 150 jeunes agents chaque année, d'ici à 1980 au moins. Bien relancées, les EAM d'Annana, Béjara et Béni-Saf, auxquelles s'ajoute la possibilité de transformer l'actuelle école ad hoc de Mostaganem en EAM, une fois installée la future école nationale des pêches, suffiraient à la formation de ces jeunes professionnels parmi lesquels on recruterait les pêcheurs spécialisés et même des cadres moyens de la nouvelle flottille 2.
Les cours des EAM apporteraient un niveau de connaissances générales comparable à celui d'une bonne école technique secondaire, tout en étant orientés vers l'éveil des vocations maritimes 3. Des facilités de navigation sont essentielles à ce propos. Elles seules permettraient aux EAM de bien remplir leur rôle.
La préférence serait donnée aux brevetés des EAM, après un minimum de trois ans de navigation, pour les candidatures à la future Ecole nationale des pêches.
On a fait référence dans les chapitres précédents à la situation difficile de l'administration centrale des pêches, ainsi que des services scientifiques et techniques liés aux pêches, en ce qui concerne leur dotation en personnel.
A un moment où la rivalité est aiguë entre les organismes publics, pour l'engagement des jeunes ayant une quelconque formation ou expérience professionnelle valable, la préférence a été accordée au recrutement pour les postes vacants de l'OAP, au détriment de ceux de la Sous-direction des pêches. Mais, de toutes façons, le Gouvernement a dû faire appel à des professionnels dont la formation pratique s'imposait encore et allait rester à sa charge. Dans plusieurs branches, notamment dans celle de l'armement (à bord et à terre), il faudra des années pour former convenablement les cadres nécessaires. Rien de plus naturel, dans ces conditions, que d'avoir recours encore pour quelque temps, à l'expertise étrangère. De même que pour l'exploitation des richesses minières, les services de la marine marchande ou l'aviation civile, le Gouvernement ne devra pas hésiter à recruter pour l'OAP des techniciens étrangers expérimentés, renforçant ainsi les possibilités de l'aide bilatérale ou internationale. Celle-ci, face aux dimensions des investissements du Plan, ne pourra naturellement qu'y apporter une contribution assez limitée.
Les techniciens étrangers seraient engagés par contrat au double titre de cadres effectifs de l'OAP et de formateurs. Vers la fin de leur contrat, ils resteraient formateurs seulement. De jeunes spécialistes leur seraient affectés en qualité d'homologues comme auprès des experts de l'aide bilatérale et du nouveau projet ALG/72/003. Dans les deux cas, on utiliserait amplement les bourses d'étude qui seront mises à la disposition de l'OAP.
Toutes ces actions de formation dans le pays et à l'étranger auront besoin d'une coordination compliquée, à laquelle devra veiller un service spécialement créé par l'Office à tel propos. Si l'on considère les équipages, les techniciens de conserveries, les agents de gestion, etc., il s'agira de centaines de professionnels. Le projet ne saurait que recommander un appui efficace à un service de ce genre pendant les trois prochaines années, au moins.
Dans un autre ordre d'idées, il incombera à la Sous-direction des pêches de créer un service chargé de programmes de vulgarisation technique qui serviraient le grand effort de recyclage nécessaire à la promotion de l'effectif actuel des pêcheurs. Ce service de vulgarisation pourrait fonctionner au niveau des Circonscriptions maritimes, et serait lié surtout au développement des pêches côtières. Trois ou quatre jeunes techniciens suffiraient, en collaboration avec le projet ALG/72/003, à assurer une vulgarisation adéquate, sur la base de démonstrations des méthodes et techniques modernes, la coordination de stages et de bourses d'études dans le pays et à l'étranger, la diffusion de connaissances pratiques par les moyens d'information disponibles, notamment les connaissances sur les normes et les méthodes de production les plus utiles aux pêcheurs.
La vulgarisation gagnerait naturellement à travailler en étroite liaison avec les services d'études et de recherches. Elle pourrait aussi remplir un rôle très important dans la mise en oeuvre d'un système d'assistance financière aux agents de la production, sinon au financement de la production elle-même. Son personnel assisterait encore la Sous-direction des pêches dans l'amélioration du système statistique et serait en mesure de lui fournir des renseignements précieux aux services d'inspection.
D'autre part, pour une production halieutique annuelle de l'ordre de 60 millions de dinars au niveau des ports d'après le Plan, et de plus de 100 millions au niveau du consommateur, il ne serait pas exagéré de prévoir déjà pour la Sous-direction des pêches des allocations budgétaires plus importantes que celles d'aujourd'hui. Un budget de 200 000 à 300 000 dinars correspondrait à moins de 0,5 pour cent de la valeur de la production.
Avec un budget de cet ordre, il serait possible de recruter six à huit professionnels dont l'affectation est indispensable pour mener à bien des activités de base vraiment essentielles à une bonne administration sectorielle, à des services d'inspection, de programmation et autres, enfin, à la réussite des plans de développement.
L'organisation d'un service de statistique serait rendue possible avec un tel budget. Tous les observateurs sont unanimes à reconnaître les défaillances actuelles des statistiques halieutiques algériennes. On les croit généralement sous-estimées, mais les erreurs ne seraient pas du même ordre dans tous les ports. Après avoir déterminé la nature et l'étendue des erreurs actuelles, il serait nécessaire d'établir un système pratique pour l'obtention d'informations dignes de foi, faute desquelles on ne pourra jamais prétendre à une bonne connaissance de l'effort de pêche dans son ensemble.
Le futur projet du PNUD/FAO devra assister le Gouvernement dans ce sens, si possible en faisant appel à des experts-conseils. Il est à noter, toutefois, que les bonnes statistiques sont par elles-mêmes fonction du degré d'organisation du secteur. Le Ministère chargé des pêches devra discipliner et uniformiser les conditions de la capture, le débarquement, le traitement et la distribution des produits halieutiques. Une telle uniformisation présuppose une législation moderne, claire et acceptable par tous les intéressés. Il faudra réviser les lois par rapport aux besoins réels du secteur. Des dispositions facilitant une réglementation de l'effort de pêche, ainsi que d'autres initiatives dans le but de consolider les bases pour la conservation des ressources halieutiques, sont absolument nécessaires.
Il est fondamental que la nouvelle législation protège les consommateurs: des préceptes rigoureux d'hygiène devront devenir obligatoires à bord des bateaux et pendant le traitement ou la distribution du poisson. Les graves problèmes soulevés par la pollution marine seront également pris en considération.
La surveillance de l'application d'une nouvelle législation halieutique ne sera pas entièrement du ressort de l'administration centrale des pêches. Mais, il est évident que la Sous-direction est appelée à y jouer un rôle de première importance par l'intermédiaire d'un service spécialisé que d'autres organismes assisteraient dans les ports et les marchés.
En ce qui concerne l'étude des ressources, des zones et des méthodes et techniques de pêche, il est encourageant de voir qu'une petite équipe de jeunes techniciens algériens issus de l'Université est déjà en formation au sein de l'ISTPA. Toutefois, il va falloir recourir à d'autres possibilités de recrutement, et notamment une place plus grande devrait être faite dans l'avenir à des jeunes ayant eu une éducation secondaire complète et que l'Institut mettrait à l'épreuve afin de sélectionner parmi eux ses cadres futurs. Ces techniciens de niveau moyen travailleraient initialement, pendant la phase de démarrage des programmes de recherches, sous la supervision d'experts de l'aide internationale et bilatérale. Ensuite, ils pourraient bénéficier de bourses d'études, dans le but d'achever leur formation professionnelle qui aurait commencé ainsi dans l'exécution même des programmes de travail concrets.
Les grandes lignes des programmes de l'ISTPA ont été déterminées. Il s'agit maintenant d'établir l'ordre de priorité de ses travaux d'une façon plus nette et en rapport avec les moyens disponibles. La raison d'être de l'Institut est d'assister le Gouvernement dans ses efforts pour développer le plus possible un système rationnel pour les pêches algériennes. L'Institut doit pouvoir contribuer immédiatement à une amélioration de la production et de la productivité de l'industrie des pêches au niveau des prises, du traitement et de la distribution des produits. On attend de lui qu'il recommande les règlements et les encouragements les plus aptes à assurer une exploitation maximale et continue des ressources halieutiques (en pourvoyant en même temps à la conservation de ces ressources). Des services dans les domaines suivants sont à envisager, en étroite liaison avec la Sous-direction des pêches et l'OAP, afin d'accomplir ces tâches:
analyse de l'effort de pêche courant, notamment du rendement par rapport aux zones de pêches connues, aux ressources disponibles dans ces zones, aux moyens de production utilisés, aux marchés existants, etc.;
étude de nouvelles possibilités de pêches, des nouveaux fonds, des espèces mal exploitées ou actuellement non exploitées, expérimentation de nouvelles méthodes de production, promotion technique, etc.;
contrôle de qualité par l'élaboration de normes, la défense du consommateur, l'inspection des produits congelés et des conserves, etc.;
documentation, collecte et étude de la documentation nationale et internationale utile au développement des pêches, orientation technique des pêcheurs, assistance aux autres services, y compris de formation professionnelle et de vulgarisation, etc.
Ces services devraient être établis dans l'avenir le plus immédiat; ils gagneraient à être organisés chacun avec une certaine autonomie.