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Hypothèses quant aux effets de la diversification des revenus sur la gestion des ressources naturelles


Hypothèses quant aux effets de la diversification des revenus sur la gestion des ressources naturelles

Le but de ce chapitre est de présenter quelques hypothèses qui devraient guider les recherches futures. Jusqu'à présent, peu de travaux ont été réalisés sur la relation entre diversification des revenus et gestion des ressources naturelles par les ménages ruraux, que ce soit au Sahel ou ailleurs en Afrique.

En général, la gestion des ressources naturelles peut être décomposée en trois éléments:

Dans cette communication, je me limiterai à la gestion des ressources naturelles agricoles et présenterai deux séries d'effets potentiels, l'une "positive" et l'autre "négative". La signification de ces catégories est simple: un effet positif signifie que la diversification augmente l'investissement du ménage dans l'amélioration de la productivité (par exemple les fertilisants, la traction animale) et la conservation des ressources (diguettes, terrasses) ou, d'une façon générale, a un résultat positif sur l'environnement, aussi bien au niveau de l'exploitation que par des externalités positives pour les communs ou les zones en libre accès. Un effet négatif est l'opposé. Le débat se concentre plus particulièrement sur les "investissements", effleurant simplement les questions plus larges de l'usage de la terre, I'intensification, etc. Il serait utile d'explorer ces thèmes par une conceptualisation élargie des canaux par lesquels ces liens sont déterminés. Cette liste ne se veut pas exhaustive, mais entend suggérer des thèmes pour de futures recherches dans des domaines encore relativement inexplorés.

Les effets positifs potentiels

Tout d'abord, la diversification peut être potentiellement importante pour assurer la sécurité alimentaire à long terme à travers l'intensification de l'utilisation des intrants, et donc de la productivité des cultures, et la capacité à intensifier la production tout en remplaçant les nutriments des sols. Dans la plupart des régions sahéliennes, le crédit rural formel fait défaut, sauf dans la filière coton et, dans une moindre mesure, dans la filière arachide; quant aux marchés informels du crédit, ils sont sous-développés (Christensen, 1989). L'accès à des sources de revenus hors exploitation semble être un point crucial pour l'achat des intrants agricoles. Reardon et Kelly (1989) ont montré que, dans les zones guinéennes et soudaniennes du Burkina Faso (mais pas dans la zone sahélienne), ce sont les ménages qui disposent de davantage de revenus hors exploitation qui achètent le plus d'engrais toutes choses égales par ailleurs. Kelly ( 1988) a trouvé des résultats similaires pour le Bassin arachidier du Sénégal. Savadogo et al. (1994) ont montré que les revenus hors exploitation sont un déterminant important de la capacité des agriculteurs burkinabé à investir dans la culture attelée coûteuse. Au Bénin, Hoffman et Heidues (1993) ont montré que les revenus hors exploitation sont considérés comme un à la terre comme garantie sur les marchés informels du crédit (en raison du problème de la covariation des récoltes, et par conséquent des risques liés à l'utilisation de la terre comme garantie dans les régions où l'agriculture est à risque). De plus, l'artisanat et les services peuvent aussi diminuer les prix et augmenter la disponibilité des intrants agricoles.

Les équipements pour la conservation des sols et la maîtrise de l'eau sont souvent onéreux, et il est généralement impossible d'obtenir un crédit pour construire les diguettes et terrasses, ou pour payer des cloisonneurs pour billons, des puits et des charrettes. Reardon et Vosti (1993) expliquent que la nature même de ces investissements rend encore plus difficile l'accès au crédit informel que pour les investissements traditionnels de productivité, comme les équipements de traction animale et les engrais: les agriculteurs et les créanciers n'ayant pas une vision nette et immédiate des bénéfices à tirer de ces investissements, le risque de non-remboursement doit leur apparaître plus élevé. Les investissements de productivité dans les biens importants nécessitent, mais aussi créent des garanties pour les emprunts (par exemple les équipements de traction animale), ce qui n'est généralement pas le cas des investissements conservatoires (par exemple, les créanciers ne peuvent guère réclamer les diguettes).

En deuxième lieu, un agriculteur ayant des activités hors exploitation peut réduire ses extensions sur des sols marginaux. Les revenus hors exploitation peuvent à la fois alléger la pauvreté, qui peut entraîner dans le cercle vicieux pauvreté-extensification-dégradation-pauvreté, et générer des liquidités permettant d'acheter les intrants nécessaires à l'intensification de la production sur une terre donnée, diminuant ainsi la nécessité de s'étendre sur les sols fragiles. Là où les activités hors exploitation entrent en concurrence au niveau du travail avec les activités agricoles, la diversification peut réduire la pression sur les terres cultivables, en diminuant le temps de travail disponible pour l'agriculture.

En troisième lieu, les activités hors exploitation peuvent lisser les revenus, en agissant comme un mécanisme d'assurance sur la récolte et en déplaçant en partie les besoins en bétail (qui se nourrit sur les communs). Mais ce point est ambigu, dans la mesure où, en l'absence de système bancaire rural efficace, les agriculteurs réinvestissent souvent leurs revenus extra-agricoles dans le bétail, qui devient ainsi un mécanisme d'épargne.

Les effets négatifs potentiels

Tout d'abord, sous certaines conditions, en particulier au nord où l'agriculture est plus risque, les activités hors exploitation peuvent entrer en concurrence sur le plan du travail et de la trésorerie nécessaires à l'amélioration des techniques culturales pendant la saison des pluies, et sur le plan des investissements pour l'amélioration foncière pendant la saison sèche.

Reardon et Islam (1989) font remarquer que: « dans un environnement instable et en dégradation, la priorité du ménage pourrait bien être de chercher d'autres activités en dehors de l'exploitation agricole. Il peut vouloir maximiser ses revenus immédiats provenant de l'agriculture et investir les surplus dans le bétail ou les entreprises extra-agricoles. Les revenus hors exploitation peuvent ne pas être réinvestis dans l'agriculture, mais au contraire être utilisés pour la diversification des activités. Cette possibilité est souvent négligée à la fois par les agronomes et les environnementalistes, qui partent du principe que le ménage rural dans les régions à environnement risqué est avant tout un ménage d'agriculteurs. Les implications de cette affirmation sont que les ménages sont automatiquement attirés par les innovations qui pourraient améliorer la base de ressources de l'exploitation. Or c'est précisément dans les zones à haut risque que cette affirmation se vérifie le moins. »

Norman (1973) montre que les activités hors exploitation au Nord-Nigéria concurrencent les cultures de contre-saison sur le plan du travail. Christensen ( 1989) montre que les revenus provenant des activités hors exploitation dans les régions du nord du Burkina Faso réduisent les investissements agricoles.

La concurrence peut se jouer au niveau de la main-d'_uvre en saison des pluies, au niveau du sarclage, du labour et de l'entretien des diguettes et des cultures en allée. Mais, au Sahel, la plupart des revenus hors exploitation sont gagnés pendant la saison sèche - traditionnellement appelée "saison creuse", ce qui est une erreur dans la mesure où le ménage se procure presque la moitié de ses revenus en pratiquant des activités hors exploitation pendant cette saison, comme l'a montré le chapitre 2 de cette communication. Cependant, c'est aussi, d'après les environnementalistes, la période pendant laquelle les agriculteurs sahéliens construisent et entretiennent les diguettes, les terrasses, etc. Le fait qu'il y ait concurrence au niveau de la main-d'_uvre dépend d'une part des opportunités de trouver du travail hors exploitation, en particulier par des migrations qui éloignent la main-d'_uvre de la région, et d'autre part de ce que les investissements conservatoires réalisés en saison sèche sont perçus ou non comme profitables et pouvant réduire les risques de perte de revenus.

Ainsi, les ménages peuvent ne pas vouloir adopter les nouvelles techniques d'amélioration de la productivité et de conservation si le profit qu'ils peuvent en attendre n'est pas supérieur ou plus rapidement disponible que celui procuré par les alternatives hors exploitation: ceci modifie le rapport coût/ bénéfice pour y inclure non seulement un profit positif, mais un profit relativement haut et stable en rapport avec les utilisations alternatives du capital et du travail

En second lieu, il est possible que la diversification des revenus réduise la diversification des cultures, dans la mesure où elle peut être perçue par l'agriculteur comme une stratégie alternative de gestion du risque. Si nous supposons que la diversification des cultures améliore la gestion des ressources naturelles, alors ce point peut être considéré comme un effet négatif potentiel.

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