PROCHE-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD
Les pays de la région Proche-Orient et Afrique du Nord continuent de connaître de graves problèmes macroéconomiques du fait des déficits budgétaires, des pressions inflationnistes, de la détérioration des termes de l'échange extérieur et d'une dette extérieure considérable. En outre, la région a tardé à adopter les programmes de réforme nécessaires pour créer un environnement propice au développement durable. A cela, il faut ajouter les effets de guerres civiles et de sécheresses récurrentes. Pour toutes ces raisons, la croissance économique est lente et irrégulière depuis une quinzaine d'années, même dans les pays qui ont plus résolument appliqué des réformes. Des réformes aussi essentielles que la réduction des obstacles au commerce, la refonte des réglementations et la privatisation du vaste secteur public progressent lentement. En particulier, l'accélération de la privatisation est une tâche ardue en Egypte, en Algérie, en République islamique d'Iran et en République arabe syrienne, où les entreprises publiques continuent de dominer le secteur industriel. Ces pays sont aussi loin d'avoir accompli la libéralisation des échanges.
Le taux global de croissance économique de la région, qui avait stagné l'année précédente, a atteint le chiffre modeste de 2,4 pour cent en 1995. Les prix du pétrole sont restés déprimés, malgré une nette poussée de la demande dans les pays importateurs, qui a été satisfaite principalement par les pays n'appartenant pas à l'Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Des politiques visant à calmer la demande ont réussi, jusqu'à un certain point, à freiner l'inflation, mais les faibles cours du pétrole ont continué à limiter la croissance. Toutefois, dans plusieurs pays - Turquie, Iran, Algérie et, dans une moindre mesure, Egypte - la croissance économique a nettement repris après le marasme de 1994. L'économie jordanienne a continué de croître à un rythme soutenu.
Les perspectives à court terme sont inégales. D'un côté, l'amélioration de la stabilité dans la région pourra stimuler la confiance et l'activité; de l'autre, les graves déséquilibres macro-économiques et la faiblesse des cours du pétrole continueront sans doute à assombrir les perspectives de croissance dans les pays exportateurs nets de pétrole. Un domaine dans lequel l'optimisme semble de mise est celui de la coopération régionale. En particulier, le processus de paix entre la Jordanie, Israël et ses voisins palestiniens pourrait ouvrir la voie à la coopération future dans plusieurs domaines économiques. Certes, les tentatives antérieures de stimuler les échanges intra-arabes (qui ne représentent actuellement que 8 pour cent des échanges totaux de la région) n'ont pas porté fruit, mais les groupements commerciaux régionaux qui comprennent ces pays et auxquels il faut ajouter l'Egypte, pourront à l'avenir constituer un des domaines les plus importants d'échanges et de coopération régionaux. Pour cela, il faudra supprimer les obstacles économiques, politiques et institutionnels auxquels se heurte actuellement la coopération régionale. Dans le secteur agricole, le transfert des technologies est une des activités de coopération régionale les plus prometteuses. Israël est aujourd'hui capable de produire des technologies novatrices, adaptées à la région et au climat, surtout pour la gestion des eaux, qui pourraient être particulièrement utiles aux autres pays de la région. Par ailleurs, le développement des échanges agricoles régionaux dépendra beaucoup de la politique israélienne: Israël supprimera-t-il les soutiens internes et ouvrira-t-il ses marchés à des importations accrues de produits agricoles en provenance des pays voisins?
Agriculture: résultats et problèmes
La croissance de la production agricole a ralenti dans la région Proche-Orient et Afrique du Nord: elle n'a pas dépassé 1,7 pour cent en 1995, contre le chiffre déjà modeste de 2 pour cent en 1994. La production céréalière totale était estimée à quelque 22 millions de tonnes en 1995, soit environ 18 pour cent de moins que la récolte supérieure à la moyenne de l'année précédente. Malgré l'amélioration des incitations résultant des politiques agricoles internes et de la hausse des prix internationaux, les résultats ont été modestes dans la région, qu'il s'agisse des cultures stratégiques, de la diversification de l'agriculture ou de l'accroissement de la productivité de la terre et du travail dans le secteur agricole. On estime que la production nord-africaine de blé, qui est essentiellement tributaire des pluies, a baissé de 22 pour cent, tombant de 11,3 millions de tonnes en 1994 à 8, 9 millions de tonnes en 1995, parce que les pluies ont été insuffisantes, surtout au Maroc.
Au Maroc, après la récolte record de 1994, l'agriculture a souffert en 1995 du manque de pluies. Le niveau des réservoirs a baissé à cause de la sécheresse qui a sévi pendant trois des quatre dernières années, ce qui a sérieusement compromis les approvisionnements en eau pour l'agriculture et les autres usages. Les emblavures ont diminué de 37 pour cent par rapport à 1994 et la production de céréales est tombée en 1995 à son niveau le plus bas depuis 30 ans: 1,9 million de tonnes. La production de blé n'a pas dépassé 1,1 million de tonnes, soit une chute de 80 pour cent, et celle d'orge a diminué de 84 pour cent. On prévoit donc pour 1996 des importations de blé de l'ordre de 3 millions de tonnes - soit deux fois et demi le volume de 1995. Pour stimuler la production, le gouvernement a relevé le prix de soutien de la betterave sucrière, de la canne à sucre et du coton.
En Egypte, la production agricole a augmenté d'environ 2,5 pour cent, tant en 1994 qu'en 1995. Selon les estimations, la production de blé aurait augmenté de 28 pour cent pour atteindre 5,7 millions de tonnes, principalement grâce à l'utilisation de semences améliorées et à l'accroissement des incitations. Malgré ce progrès de la production, la hausse des prix sur le marché intérieur et sur le marché international commence à faire baisser la demande intérieure. L'Egypte n'en demeure pas moins le premier importateur net de blé de la région. D'un autre côté, la production de riz et celle de coton ont été stimulées par les prix élevés et par la libéralisation du marché, d'autant que le commerce du coton est désormais entre les mains du secteur privé.
La Turquie est un des rares pays de la région traditionnellement autosuffisant en denrées alimentaires. Dans le cadre du programme d'ajustement structurel, la politique de prix appuie la production de céréales, de betteraves sucrières et de tabac: les prix des céréales (orge, seigle et avoine) ont été relevés de 100 pour cent. Sous l'effet des politiques agricoles des années récentes, la Turquie était devenue importatrice nette de blé. En 1995, la production de blé, bien que supérieure à la récolte médiocre de l'année précédente, a été loin d'atteindre les 21 millions de tonnes projetés, en partie à cause des dégâts causés par des pluies intempestives et par les ravageurs. Pour satisfaire la demande intérieure, le gouvernement a supprimé le prélèvement à l'importation de 20 dollars EU par tonne de blé afin que le secteur privé puisse importer du blé de qualité. En 1995, la Turquie a importé des quantités notables de blé, de sucre et de viande de buf; selon les estimations, elle devrait importer, en 1996, environ 1 million de tonnes de blé.
Au Soudan, la récolte de céréales, qui avait été exceptionnellement bonne en 1994, était estimée à 3,3 millions de tonnes en 1995, soit une chute de 26 pour cent. La production de sorgho devait baisser de 12 pour cent et celle de mil de 46 pour cent, principalement à cause de la réduction des superficies consacrées à ces céréales dans les zones mécanisées et dans les zones irriguées, mais aussi parce que les rendements ont souffert de l'insuffisance des pluies et des infestations de mauvaises herbes et de ravageurs. En 1996, au contraire, la récolte de blé et de céréales secondaires s'annonce abondante car les pluies ont été bonnes, les infestations de criquets pèlerins ont été jugulées à temps et la superficie emblavée a augmenté. Plusieurs facteurs, notamment les prix favorables sur les marchés, tant intérieur qu'international, devraient stimuler la production. Les carences des infrastructures de commercialisation et de transports restent le principal obstacle qui empêche la réalisation des objectifs d'autosuffisance vivrière et d'exportation de produits alimentaires.
En Algérie, la production céréalière a retrouvé en 1995 son niveau moyen de 2,2 millions de tonnes: la production de blé a doublé et celle d'orge triplé. Etant donné la facture d'importation, qui est l'une des plus élevées de la région, le gouvernement a pris plusieurs mesures pour relancer la production agricole à long terme. La nouvelle stratégie consiste à relever les prix de soutien et à réduire les taux d'intérêts pour les agriculteurs afin de stimuler la production intérieure de céréales, de légumes secs et de lait, à accroître la production sur les terres actuellement cultivées grâce à une amélioration des services de vulgarisation et à développer l'arido-culture dans le sud algérien.
Les sanctions imposées à l'Iraq continuent d'éprouver durement les producteurs comme les consommateurs. Malgré des conditions météorologiques favorables, la production céréalière a diminué de 10 pour cent en 1995, faute de semences et de produits agro-chimiques. Les disponibilités alimentaires ont continué à diminuer, principalement faute de devises: on estime qu'il aurait fallu 2,7 milliards de dollars EU pour satisfaire les besoins alimentaires intérieurs. Face à la détérioration de la situation alimentaire, le gouvernement a porté la ration de blé de 1 à 7 kg par personne et celle d'huile végétale de 625 à 750 grammes; malgré tout, la ration ne représente même pas la moitié des besoins énergétiques.
En Arabie saoudite, le prix de soutien du blé a été ramené de 2 000 à 1 500 rials saoudiens (400 dollars EU) la tonne pour réduire la subvention de l'Etat. Toutefois, la production - 2,5 millions de tonnes en 1995 - reste supérieure aux besoins, qui ne dépassent pas 1,8 million de tonnes. La politique du gouvernement est de réduire encore la subvention du blé, pour que la production se rapproche des niveaux de la demande intérieure. En revanche, le gouvernement encourage la production de légumes, de produits agricoles à prix élevé et de viande.
En Syrie, la production céréalière a augmenté de 8 pour cent en 1995. La production de blé a atteint 4,0 millions de tonnes (+ 13 pour cent par rapport à 1994) tandis que celle d'orge a augmenté de 15 pour cent.
Facteurs influant sur la sécurité alimentaire dans la région
La région du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord est traditionnellement grosse importatrice nette de produits alimentaires. Son déficit, qui était voisin de 5 millions de tonnes en 1960-1961, dépasse les 20 millions de tonnes en 1995-1996. De tous les pays de la région, seule l'Arabie saoudite et, plus récemment, la Syrie, sont exportatrices de blé. Les stocks de la région sont concentrés dans quatre pays, Turquie, Iran, Arabie saoudite et Syrie, où ils représentent environ 25 à 30 pour cent de la consommation contre 8 à 10 pour cent seulement en Afrique du Nord.
Les apports énergétiques alimentaires ont beaucoup augmenté pendant les années 70, sauf dans quelques pays tels que l'Afghanistan et le Yémen; la ration quotidienne est aujourd'hui nettement supérieure à la moyenne des pays en développement. Bien que l'autosuffisance alimentaire ait traditionnellement été l'un des objectifs stratégiques des plans de développement de beaucoup de pays de la région, c'est pour l'essentiel grâce à l'accroissement des importations que la ration énergétique s'est améliorée. En effet, la croissance de la production agricole non seulement n'a pas permis de réaliser l'autosuffisance, mais n'a même pas atteint le rythme de la croissance démographique. Les recettes pétrolières ont financé des subventions à la consommation et ont permis, pendant les années 70 et 80, un accroissement rapide de celle-ci, qui est devenue de plus en plus tributaire des importations. L'augmentation de la consommation a été aussi en partie due à la proportion croissante de denrées à haute valeur nutritionnelle.
L'économie de la plupart des pays de la région a suivi les fluctuations cycliques des recettes pétrolières. Celles-ci se sont effondrées au début des années 80, et ont continué à baisser régulièrement par la suite: ce choc extérieur a amené à réviser les grandes orientations des politiques économiques en vue de corriger les déséquilibres structurels. Ce fut particulièrement le cas des politiques de sécurité alimentaire qui comportaient des subventions à la consommation très coûteuses pour le budget public dans la plupart des pays de la région. Mais le maintien de politiques budgétaires inflationnistes, notamment du régime non viable de subventions à la consommation, a pesé sur l'économie, freinant le plus en plus la croissance. La plupart des pays de la région ont connu une baisse des revenus par habitant, des déficits budgétaires et d'autres déséquilibres.
Vers la fin des années 80 ou le début des années 90, beaucoup de pays - Egypte, Jordanie, Turquie, Maroc, Algérie, Yémen par exemple - se sont lancés dans des programmes d'ajustement structurel préconisés par les institutions de Bretton Woods. D'autres pays de la région commencent aussi à adopter des programmes de réformes économiques, consistant principalement à corriger les déséquilibres structurels pour optimiser l'utilisation des ressources. Dans le secteur agricole, les réformes visent à accroître la production et à supprimer les subventions générales à la consommation. Dans une perspective à long terme, cette politique marque un pas dans la bonne direction, mais les populations, surtout les groupes à bas revenu, ont beaucoup souffert de la libération des prix et de la suppression des subventions, qui ont aggravé le paupérisme et la précarité alimentaire dans beaucoup de pays. Il a fallu mettre en place des programmes et mesures spécifiques de protection des agriculteurs pauvres, des consommateurs et des populations vulnérables, qui ont alourdi les charges budgétaires.
La population de la région est en grande partie rurale et vit de l'agriculture. L'accroissement de la production agricole est donc important non seulement pour améliorer la sécurité alimentaire mais pour combattre la pauvreté. Or, le manque d'eau limite sévèrement la croissance de l'agriculture et compromet donc la sécurité alimentaire. Plus de 50 pour cent de la production agricole de la région est tributaire de l'irrigation. La croissance démographique, l'urbanisation et l'industrialisation ne feront qu'accroître les pressions sur le secteur agricole. A long terme, ce sont les politiques en matière de réforme agraire et d'eau qui détermineront les résultats du secteur agricole. Des politiques d'aménagement de la demande d'eau seront nécessaires pour améliorer l'efficience de l'agriculture et donc, la sécurité alimentaire.
En général, pour beaucoup de pays de la région, l'agriculture restera nécessairement la clef de la prospérité économique et de la sécurité alimentaire. Surtout dans les 14 pays à faible revenu et à déficit alimentaire de la région, le développement agricole sera le meilleur atout pour réduire la dépendance à l'égard des importations alimentaires, satisfaire les besoins alimentaires croissants des populations urbaines et améliorer les revenus et la sécurité alimentaire, particulièrement pour les ruraux pauvres. Toutefois, la mise en valeur du potentiel inexploité de la région et le maintien des ressources productives et de leur qualité seront une tâche redoutable dans plusieurs pays où la nature et le climat hostiles laissent peu de marge à l'action et où l'érosion, la désertification, l'engorgement et la salinité ont déjà pris des proportions inquiétantes.
La transition du statut de territoire occupé au statut d'autonomie dans les Territoires palestiniens s'accomplit dans un contexte de faible croissance économique, en raison des divers problèmes structurels et politiques qui se sont accumulés depuis 30 ans. Les revenus ont stagné; l'infrastructure et les services sociaux sont sursaturés; le secteur agricole produit des excédents commercialisables, mais l'accès des producteurs palestiniens au marché est limité, ce qui freine le commerce. En outre, les ressources naturelles se dégradent rapidement. Le blocage fréquent des frontières avec Israël aggrave encore la situation économique. Les dividendes économiques du processus de paix sont encore incertains à cause des problèmes politiques et économiques qui demeurent et dont la solution, semble-t-il, prendra du temps.
Si le développement a été inégal depuis 30 ans dans les Territoires palestiniens, c'est en grande partie à cause de l'intégration asymétrique dans la région et de la faiblesse du cadre réglementaire. L'économie a été caractérisée par des périodes de croissance et de déclin dues à une situation politique atypique dans le monde arabe et en Israël. Dans le contexte de restrictions du commerce et de la production, l'évolution de l'économie palestinienne depuis 1967 a été, pour une bonne part, déterminée par celle des exportations de main-d'uvre. La croissance économique a été conditionnée par les fluctuations économiques cycliques liées aux recettes pétrolières, comme dans la plupart des autres pays arabes de la région, et par les modalités du développement en Israël.
Le principal facteur de la croissance économique rapide après 1967 a été l'intégration économique croissante des Territoires nouvellement occupés avec Israël, qui fournit à la population des Territoires une proportion croissante de l'emploi et des importations, mais qui a continué à faire obstacle aux exportations, surtout celles de produits qui concurrencent les siens. Le nombre des travailleurs palestiniens en Israël, presque nul au départ, atteignait 75 000 en 1979. L'essor économique de la région arabe provoqué par l'explosion des recettes pétrolières (première moitié des années 70) a stimulé les exportations de main-d'uvre, qui sont devenues, pour les Territoires palestiniens, la principale source de devises, grâce aux transferts des travailleurs émigrés. La flambée des investissements, concentrés d'abord dans le bâtiment, a permis un taux de croissance moyen du PIB de 8,5 pour cent entre 1970 et 1979. Pendant cette période, les revenus par habitant ont été plus élevés qu'en Jordanie et en Egypte.
Les années 80 ont été une ère de réduction des recettes pétrolières de l'ensemble de la région et donc de ralentissement économique général. La réduction de la demande de main-d'uvre palestinienne, le ralentissement de la croissance dans les secteurs du commerce et des services et la chute des transferts des émigrés ont provoqué une récession de l'économie palestinienne. Entre 1980 et 1987, la croissance annuelle du PIB n'a été en moyenne que de 3,6 pour cent par an en Cisjordanie et de 1,6 pour cent dans la Bande de Gaza. Le développement de l'infrastructure, des institutions et des services sociaux, qui avaient déjà souffert de l'occupation, a été encore ralenti par la récession économique. De plus, l'inflation galopante en Israël s'est répercutée sur l'économie palestinienne et les groupes à bas revenu en ont particulièrement souffert. Depuis la fin des années 80, des grèves en série et de nombreuses fermetures de la frontière avec Israël ont accompagné le début de l'Intifada, qui a débouché sur le renforcement des restrictions aux déplacements des travailleurs palestiens et des contrôles économiques sur les territoires. En 1991, la crise dans le Golfe persique a encore exacerbé la situation à cause de la très forte reduction de la main-d'uvre palestinienne employée dans les pays du Golfe, surtout le Koweit, et de la fermeture de la frontière avec Israël.
Le processus de paix ouvre de nouvelles perspectives aux Territoires, mais leur lance aussi un défi. Maintenant que l'autonomie est acquise, les efforts de développement entrent dans une ère nouvelle, grâce à l'accord intérimaire sur la Cisjordanie et la bande de Gaza de 1993, qui a marqué un tournant décisif, et aux progrès accomplis depuis l'Accord du Caire de 1994. Depuis lors, un accord de collaboration pour le développement économique a été conclu entre l'Autorité palestinienne, le Gouvernement d'Israël, les donateurs appuyés par la Banque mondiale et l'ONU. Les donateurs internationaux devraient fournir une assistance financière considérable au cours des prochaines années. La principale tâche des autorités sera d'utiliser cet afflux de capital pour corriger les déséquilibres structurels de l'économie et jeter les bases d'un développement durable à long terme.
Plus précisément, un des principaux problèmes sera de réduire la dépendance traditionnelle à l'égard des emplois extérieurs: pour cela, il faudra exploiter toutes les possibilités de développer la production intérieure. Le régime commercial, caractérisé par un déficit considérable, reste très tributaire de l'emploi en Israël. Il faut maintenant élargir le tissu productif, diversifier les marchés et libérer les échanges tant avec les pays arabes qu'avec Israël pour créer un environnement propice à une stratégie de croissance axée sur l'exportation et favorable à un renforcement de l'intégration économique. En outre, il est indispensable de développer les infrastructures et les services publics, non seulement pour améliorer les conditions de vie, mais aussi pour appuyer les investissement privés et empêcher que l'environnement ne se dégrade encore.
Traditionnellement, la dominance de l'agriculture est plus marquée dans l'économie palestinienne que dans celle des pays voisins, Jordanie et Israël. Entre 1968 et 1974, pendant la période de croissance économique, elle a fourni en moyenne 37 pour cent du PIB en Cisjordanie et 32 pour cent dans la Bande de Gaza; cette proportion est tombée respectivement à 27 et 23 pour cent de 1975 à 1986 à cause des mesures rigoureuses de restriction prises par les autorités israéliennes en matière de commerce et d'accès à la terre et à l'eau et de la proportion croissante de la population active employée dans des secteurs à plus forte rentabilité que l'agriculture, particulièrement les services.
Vers la fin des années 80, le secteur agricole a reconquis du terrain et sa part dans l'économie globale est remontée aux niveaux traditionnels. Les récoltes d'olives en Cisjordanie et d'agrumes dans la Bande de Gaza sont restées les principaux facteurs de la croissance du PIB. Cette reprise de l'agriculture a permis non seulement de créer des emplois pour les travailleurs rapatriés et pour ceux qui étaient autrefois employés en Israël (les deux catégories de travailleurs ont représenté jusqu'à 40 pour cent de la population active totale en 1987) mais aussi de soutenir l'économie palestinienne pendant l'ère de récession économique qu'a connue la région.
L'agriculture continue d'employer une bonne partie des 1,7 million d'habitants des territoires. La population est rurale à 70 pour cent. Les agriculteurs représentent 26 pour cent de la population active en Cisjordanie et 19 pour cent dans la Bande de Gaza. La main-d'uvre agricole est à forte dominante féminine, les hommes étant partis travailler en ville, en Israël ou à l'étranger.
Utilisation des ressources agricoles
En Cisjordanie, l'agriculture est essentiellement pluviale: 5 pour cent seulement des superficies cultivées sont irriguées en permanence. Sur quelque 156 000 ha au total, 7 800 ha sont irrigués. Les périmètres irrigués de la vallée du Jourdain (3 500 ha) et de la région de Tulkarem (2 600 ha) constituent le plus gros des zones irriguées. En agriculture pluviale, la plupart des cultures traditionnelles sont réalisées avec des méthodes à bas risque, à faible apport d'intrants, et à bas niveau de technicité. Les oliviers, les vignes et les amandiers occupent 60 pour cent des terres cultivées, le blé et l'orge 35 pour cent. Soixante pour cent des terres irriguées sont utilisées pour l'horticulture maraîchère, 25 pour cent pour les agrumes et 12 pour cent pour les bananes. Par rapport à l`agriculture fluviale, l'agriculture irriguée utilise des techniques plus modernes, notamment les cultures protégées, en serre ou en tunnel, et l'irrigation goutte à goutte.
Dans la Bande de Gaza, la superficie consacrée à l'agriculture a culminé en 1968 à 18 200 ha. Au cours des 10 dernières années, elle est retombée à 16 500 ha, principalement parce que l'urbanisation a empiété sur les terres agricoles.
Actuellement, environ 65 pour cent de la superficie est irriguée. Les agrumes sont traditionnellement la principale culture de la Bande de Gaza. Ils absorbent la moitié de l'eau d'irrigation. Le reste des terres irriguées portent des légumes et des récoltes multiples. Les zones pluviales portent des arbres fruitiers, des vignes et des amandiers. Près de la moitié des exploitations ont moins de 1 ha et 11 pour cent seulement en ont plus de 4,6.
La Cisjordanie produit un excédent commercialisable de légumes (11,4 pour cent), d'agrumes (35 pour cent), de raisins (81 pour cent) et d'olives en saumure (84 pour cent). Cependant, sa production agricole stagne ou diminue depuis cinq ans. Dans la Bande de Gaza, la structure de la production a changé: la récolte de légumes est passée de 138 000 tonnes en 1989/90 à 201 000 tonnes en 1991/92, tandis que celle d'agrumes est tombée de 197 000 tonnes à 110 000 tonnes. La salinisation, l'exhaure excessif et le manque d'accès au marché ont réduit la rentabilité de la culture des agrumes et incité à la remplacer par des cultures légumières.
En Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, l'avenir de l'agriculture dépendra essentiellement de l'eau. Les ressources d'eau renouvelables - essentiellement des aquifères souterrains partagés avec Israël - représentent environ 850 millions de mètres cubes par an en Cisjordanie et 80 millions dans la Bande de Gaza. Elles sont inférieures à la demande. Dans la Bande de Gaza, les aquifères s'épuisent à un rythme alarmant. Comme leur réalimentation ne suffit pas à compenser l'exhaure, l'accroissement des approvisionnements en eau dans la Bande de Gaza sera très problématique. Des systèmes de culture mal adaptés et la gratuité de l'eau ont contribué dans le passé à faire baisser la nappe en dessous du niveau minimum viable, de sorte que, dans bien des cas, il ne serait pas rentable d'accroître le pompage. En Cisjordanie, l'accroissement des approvisionnements hydriques est subordonné aux limites fixées par les autorités israéliennes et la pénurie d'eau a fait monter le coût d'opportunité du pompage d'eau supplémentaire.
Le prix de l'eau est artificiellement bas dans le secteur agricole et trop élevé pour les usages ménagers. Ce régime déséquilibré devrait, à long terme, susciter le transfert d'une partie des eaux agricoles au secteur ménager, qui la paie plus cher.
La structure déséquilibrée du prix de l'eau est le principal facteur limitant la productivité de l'agriculture dans les Territoires palestiniens. En Cisjordanie, le prix de l'eau varie dans une même zone agricole selon l'utilisateur: dans la vallée du Jourdain et dans la zone de Naplouse, elle ne coûte que 0,045 dollar EU le mètre cube là où les agriculteurs possèdent un droit de propriété sur l'eau de source, tandis ceux qui n'ont pas le droit de propriété la paient 0,08 dollar par mètre cube.
Dans la vallée du Jourdain, l'eau d'irrigation puisée dans un puits coûte en moyenne 0,076 dollar le mètre cube, ce qui est presque autant que le prix payé par les agriculteurs possédant un droit sur l'eau de source dans la même zone. A l'autre extrême, l'eau pompée dans un puits profond coûte 0,18 dollar le mètre cube dans la zone de Naplouse. A mesure que croît le coût du pompage dans cette zone, les incitations à adopter des techniques d'irrigation modernes augmentaient, contrairement à ce qui se passe dans la zone de Jericho où l'eau est bon marché et où les irrigants ne sont donc pas incités à adopter les systèmes goutte-à-goutte plus coûteux.
Selon une étude récente, la valeur marginale de l'eau dans la vallée du Jourdain varie selon les cultures, de 0,33 dollar le mètre cube pour les agrumes à un maximum de 1,87 à 2,90 dollars le mètre cube pour les pommes de terre, les tomates et les poivrons cultivés en serre. En général, c'est pour la production de légumes en serre que l'utilisation de l'eau est le plus rentable. La différence entre la valeur marginale de l'eau dans la vallée du Jourdain et son prix actuel se traduit par une rente occulte pour les producteurs. Cette rente est plus flagrante encore dans le cas des agriculteurs ayant des droits de propriété, en particulier pour l'eau de source (encore que les règlements imposés par Israël limitent l'exhaure).
L'actuelle politique de l'eau dans les Territoires palestiniens est un échec flagrant sur les plans économique, institutionnel et environnemental. Le dysfonctionnement économique est attesté par le fait que le prix de l'eau est très bas par rapport à sa valeur marginale lorsqu'elle est utilisée pour produire, par exemple, des tomates, des concombres et d'autres cultures à forte valeur marchande. Les signaux reçus par les agriculteurs les induisent en erreur sur la véritable valeur de rareté de l'eau et les incitent à profiter de la rente; il en résulte une consommation excessive d'eau, qui fait baisser la nappe et croître en conséquence le coût du pompage. Avec le temps, cela a érodé la rentabilité de nombreuses cultures et compromis la durabilité de l'agriculture.
Le dysfonctionnement institutionnel tient à ce que les droits de propriété sont mal définis et mal appliqués. En Cisjordanie, les restrictions imposées par Israël, qui ont maintenu l'exhaure à des niveaux bien inférieurs au seuil de durabilité, ont limité la croissance potentielle du secteur agricole. Cependant, le facteur le plus important, lors de l'assouplissement des restrictions, sera la mise en place d'une structure de prix correspondant au coût d'opportunité de l'eau et propre à assurer une utilisation efficiente et durable, comme ne le prouve que trop ce qui s'est passé dans la Bande de Gaza où, depuis que, à la suite de l'autonomie, les règlements qui empêchaient de creuser de nouveaux puits ont été levés, le nombre des forages s'est multiplié depuis deux ans et l'exhaure dépasse d'environ 40 millions de mètres cubes par an la réalimentation de la nappe. Cette abondance d'eau a suscité dans le court terme un accroissement de la production de cultures de valeur, qui est toutefois condamné à n'être qu'éphémère en raison de l'épuisement de la nappe. Il est urgent de mettre en place dans la Bande de Gaza une structure des prix correspondant au coût économique de l'utilisation de l'eau et à sa valeur d'amortissement à long terme ou sur une génération.
Quant au dysfonctionnement environnemental, il reste nécessaire d'imposer aux pollueurs de l'eau une taxe ou une redevance pour réduire au minimum la dégradation de l'environnement et assurer le développement durable à long terme. Dans la Bande de Gaza, la qualité de l'eau s'est déjà détériorée à cause de l'abaissement de la nappe et de l'intrusion d'eau de mer, de la salinisation, de l'emploi excessif d'engrais et de pesticides et du rejet anarchique des eaux usées dans le sol et le système de drainage naturel. Ces facteurs ont déjà érodé la productivité du secteur agricole et s'ils ne sont pas bientôt internalisés, la détérioration des ressources naturelles, terre et eau, sera irréversible et le coût social prohibitif.
La stratégie environnementale devra à l'avenir associer un accroissement de l'offre à un aménagement de la demande. Pour accroître l'offre, on peut avoir recours à la récolte de l'eau, au traitement des eaux usées, à la désalinisation, à l'ensemencement des nuages, à la réalimentation artificielle des aquifères et à la restauration des puits. Toutefois, étant donné la pénurie générale d'eau dans la région, il faudra compléter ces mesures par des politiques de rationalisation de la demande et d'optimisation de l'utilisation. Pour aménager la demande, le plus important est de fixer des prix suffisants au moins pour recouvrer dans l'immédiat les coûts d'exploitation et d'entretien; à plus long terme, les prix devront permettre un recouvrement intégral des coûts de façon à promouvoir des économies d'eau au moyen de techniques viables, rentables, socialement acceptables et sans danger pour l'environnement.
Le commerce des produits agricoles a joué un grand rôle dans l'économie palestinienne pendant la période de prospérité. En 1981, les exportations agricoles de la Cisjordanie s'élevaient à 82 millions de dollars EU et celles de la Banque de Gaza à 55 millions, soit respectivement 40 et 28 pour cent des exportations totales. Cette part a toutefois baissé par la suite. En 1990, les exportations agricoles des deux zones ne dépassaient pas 58 millions de dollars, soit 30 pour cent des exportations totales. Les importations de produits agricoles - blé, sucre, riz et toute une gamme d'autres produits - provenaient entièrement et proviennent encore aujourd'hui d'Israël. Tous les intrants agricoles (semences, engrais, pesticides, équipement hydraulique, etc.) étaient importés d'Israël. La lenteur de la restructuration inter- et intra-sectorielle de la production, la faiblesse du cadre institutionnel du commerce dans les Territoires et les restrictions imposées à la commercialisation pendant l'occupation ont réduit la compétitivité des exportations agricoles des territoires. En outre, l'évolution de la situation économique et politique en Israël, en Jordanie et dans d'autres pays arabes a déplacé la demande d'exportation des produits agricoles palestiniens.
Plusieurs facteurs limitent actuellement les exportations agricoles des Territoires, notamment: diversité et qualité insuffisantes des produits d'exportation; manque d'informations sur les débouchés extérieurs; délabrement des infrastructures physiques; faiblesse et inefficacité des infrastructures institutionnelles de promotion du commerce et des investissements. En outre, les échanges agricoles avec Israël souffrent aussi des fermetures fréquentes de la frontière, qui entravent la circulation des produits agricoles.
Etant donné la production excédentaire de nombreuses cultures, l'intégration économique avec Israël restera un facteur déterminant. A la suite de l'Accord du Caire de 1994, le marché israélien pourrait offrir des débouchés lucratifs aux agriculteurs des Territoires. Les restrictions frappant les exportations de produits agricoles palestiniens en Israël s'assouplissent. L'Accord du Caire prévoit le libre passage de ces produits entre les Territoires et Israël, sauf pour cinq produits (tomates, aubergines, concombres, ufs et blanc de poulet) qui resteront contingentés jusqu'en 1997.
La stratégie de croissance économique en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza continuera à reposer sur l'accès au marché et le développement des échanges agricoles. Cela nécessitera un accroissement de la productivité suffisant pour assurer la compétitivité sur les marchés régionaux et mondiaux, un régime de commerce s'appuyant sur des droits de douane appropriés, bas et uniformes, et un cadre institutionnel et réglementaire efficace.
L'économie palestinienne souffre de l'inefficacité de l'administration publique: système fiscal inadéquat, cadre administratif et juridique faible, moyens d'action insuffisants. C'est là un obstacle majeur qui freine l'élaboration et l'application de bonnes politiques de développement et la solution des graves problèmes d'aménagement des terres et des eaux, de développement agricole et rural, de commerce et de commercialisation. De plus, faute de services financiers efficaces, et en particulier d'institutions de crédit à moyen terme, le secteur privé est essentiellement tributaire de sources de crédit parallèles. Les services institutionnels sont limités et fragmentaires.
La responsabilité d'appuyer et de développer le secteur agricole incombe officiellement au département de l'agriculture dont les services sont situés à Naplouse, Jericho et Gaza. Les budgets de ces services ont été radicalement réduits ces dernières années et tous manquent terriblement de personnel. De plus, en l'absence de programme locaux de recherche, les services de vulgarisation sont limités. Plusieurs ONG cherchent à remédier à ces carences. Leurs efforts sont certes utiles, mais limités par le manque de ressources.
Depuis une vingtaine d'années, la communauté internationale des donateurs et les ONG ont beaucoup investi dans le secteur agricole de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza ainsi que dans divers projets d'aménagement hydrique.
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a appuyé l'agriculture par huit projets distincts dont la plupart comportent des activités de formation des agriculteurs. Le principal est la construction d'une usine de traitement des agrumes dans la Bande de Gaza, en coopération avec le Gouvernement italien, pour un coût d'environ 12 millions de dollars EU. La coopérative Beit Lahia, dans la Bande de Gaza, a reçu une assistance pour établir une usine de conditionnement et de sélection des légumes. Le PNUD a aussi appuyé dans toute la Cisjordanie et la Bande de Gaza de nombreux projets d'approvisionnement en eau à usage ménager auxquels il accorde une priorité élevée dans le cadre du Programme PAPP depuis 15 ans.
Le PNUD prévoit aussi de contracter son assistance ultérieure sur l'agriculture en associant une fois de plus des interventions en amont, visant à fournir des capitaux de démarrage et des avis techniques au nouveau Ministère de l'agriculture, à des interventions en aval d'appui direct aux agriculteurs pour répondre à leurs besoins urgents.
Dans le cadre du Programme d'assistance d'urgence aux Territoires palestiniens, piloté par la Banque mondiale, des programmes prioritaires d'investissement et d'assistance technique ont été identifiés entre 1994 et 1996. Le montant total, de 1,2 milliard de dollars EU, dont 41 pour cent pour la Bande de Gaza, se répartit comme suit: investissements publics, 600 millions de dollars, appui au secteur privé, 300 millions, frais de démarrage, 225 millions et assistance technique, 75 millions.
Une enveloppe de 26 millions de dollars pour l'assistance au secteur agricole financera un appui à l'Autorité palestinienne, des programmes de modification de la composition de la production, le maintien des services de soutien essentiels et la construction des infrastructures de commercialisation. En outre, 25 millions de dollars sont prévus pour les Organisations non gouvernementales et les initiatives privées en vue de maintenir les services de soutien existants et de promouvoir les investissements à l'exploitation. Une somme de 1,3 million de dollars est envisagée pour l'assistance technique au renforcement des capacités et aux statistiques de l'eau, de la pêche et de l'agriculture.
La FAO fournit une assistance technique en vue de développer et appuyer le Département des plans et politiques agricoles du Ministère de l'agriculture de l'Autorité palestinienne pour la planification et l'analyse des politiques. Un appui a été demandé en vue de mettre au point le cadre analytique des décisions de politique économique dans des domaines tels que les prix agricoles, la gestion des ressources naturelles, le régime du commerce extérieur, les services financiers et de crédit en milieu rural, la distribution des intrants, les rôles respectifs de l'Etat et du secteur privé et le renforcement des capacités de planification, d'analyse des politiques et de statistiques agricoles.