IV - Les femmes dans le secteur de la pêche
4.1 Données générales sur la femme au CAP-VERT
4.2 Les conditions de vie dans les communautés de pêcheurs
Le Cap-Vert compte environ 179.997 personnes de sexe féminin représentant 52.7% de la population totale.
Selon le document préparé pour le séminaire sur la promotion de la femme au Cap-Vert organisé par le Ministère des affaires sociales avec l'appui du Programme des Nations-Unies pour le Développement3:
3 Document sur l'"Intégration de la femme au développement", Secteur de promotion et développement de la femme, Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et à la Promotion Sociale, Praia, novembre, 1992.
" Parmi la population féminine, 30% vivent dans les zones urbaines et 70% dans les zones rurales... Selon le recensement de 1990, sur le nombre de femmes âgées de 4 ans et plus: 68,0% des femmes étaient alphabétisées...
... La population active en 1990 était d'environ 119.200 personnes (de 10 à 64 ans).. Le taux d'activité était de 56,6 %, avec 76,8 % chez les hommes et 39,2% chez les femmes. en 1990, sur les 30.000 chômeurs, 11.300 étaient des femmes (37 %).. En milieu rural, elles représentent 53 % de la population active...
... Pour des raisons diverses, notamment d'ordre économique et de niveau d'instruction, l'organisation familiale, surtout en ce qui concerne la co-responsabilité parentale (homme/femme), s'établit fréquemment au Cap-vert de manière déséquilibrée...
... depuis l'enfance sont déterminées les fonctions qui reviennent à l'homme et à la femme dans la famille et dans la société. C'est ainsi que dans la famille son rôle est: en bas âge, aider la mère dans les différentes tâches ménagères,; en tant que femme et mariée ou vivant en régime d'union "de facto", si elle ne peut disposer d'un emploi de maison, elle doit s'occuper des enfants, de son partenaire et d'autres personnes de la famille, faire la cuisine et s'occuper du linge; si elle vit en milieu rural, elle doit, de surcroît, approvisionner la maison en eau et en bois...
... Les unions homme/femme au Cap-vert présentent une certaine instabilité... D'une enquête réalisée en 1992 sur un échantillon de 540 personnes (hommes et femmes de différents milieux), il est ressortie que 17% des conjoints ne le sont pas en permanence: 1e partenaire possède une autre famille (31 %), l'émigration (29 %) l'éloignement du lieu de travail (21 %)...
Les divers constats présentés à ce séminaire ont conduit le gouvernement à prendre l'engagement de créer une comission nationale qui sera chargée d'élaborer la politique femme et développement au Cap-Vert.
Par ailleurs, en dehors de l'OMCV qui fut pendant longtemps l'organe principale de l'expression des aspirations des femmes, quelques ONGs pour la promotion des femmes ont vu le jour, notamment MORABI, l'association des femmes entrepreneures. Leurs actions sont encore timides car leurs moyens limités. Cependant, ces organisations se sentent concernées par la situation des femmes impliquées dans la commercialisation de la pêche car disent-elles, celles-ci sont les plus marginalisées dans le pays.
Au cours des différentes visites effectuées par la mission, il A été donné de constater, qu'en dépit des efforts faits par le gouvernement, la description fournie par Georges Hanek est toujours d'actualité:
" Les conditions de vie des familles de pêcheurs sont très précaires. La nature aléatoire de la pêche en tant qu'activité économique en fait une profession pleine d'incertitude. Les familles vivent au jour le jour. Les femmes dépensent. toutes leurs énergies pour assurer la survie du groupe familial. Le nombre de membres de famille, leur analphabétisme, les conditions alimentaires, de santé et, d'hygiène environnemental, placent ce groupe social dans une situation pire que celle que l'on a décrit généralement pour la population rurale en général"4
4 Le rôle des femmes dans la pêche dans la République du Cap-Vert, Georges HANEK, Praia, Novembre 1986 (projet CVI/82?003?RAPP/TECH/20)
Cette description colle encore davantage à certaines îles dont celles de Santo Antao (Janela, Sinagoga), de Santiago (Porto Mosquito), de Sao Vincente (Salamansa).
Les personnes vivant directement de la pêche se considèrent elles-mêmes comme des "laissés pour compte". En effet, les pêcheurs se plaignent pensant que l'Etat se désintéresse d'eux et les femmes encore d'avantage.
La situation et les conditions de vie, dans ces communautés, sont autant difficiles pour les hommes que pour les femmes. Bien que les localités au Cap-Vert sont assez rapprochées, le mode de vie constaté au niveau de ces communautés en est un de repli sur soi-même.
L'image telle que décrite par les femmes (en particulier à Santa-Antao) sur "la situation de la femme" est celle d'une personne ayant toujours quelque chose sur la tête. Elles ont ajouté qu'elles n'en finissent pas de porter et combien c'était pénible.
L'objet de ce paragraphe est d'examiner de façon plus spécifique, le rôle joué par les femmes qui est apparu important non seulement sur le plan îles rôles traditionnels mais encore, en appui aux activités de la Pêche.
Dans toutes les îles, les femmes que la mission a rencontrées ont été formelles La femme s'occupe de tout ce qui concerne les tâches domestiques y compris l'éducation des enfants et l'homme s'occupe de la pêche. En général, c'est l'homme qui prend les grandes décisions dans la famille mais cela se fait toujours après concertation avec la femme, d'après les femmes.
La femme ne conçoit pas que l'homme s'occupe du ménage et de la cuisine, ''c'est le travail de la femme" disent-elles. Quelques rares cas rencontrés - parmi les rabidantes - sur l'île de Santiago nous ont indiqué que leur conjoint donnait un bon appui à la maison sur tous les plans5.
5 Il faut signaler pour trois sur 5 d'entre elles, le conjoint est chômeur, elles sont donc la seule source pour l'entretien de la famille. Le type de rapport semble être différent au sein de ces familles, la mission considère que le fait que ces femmes amènent un revenu substantiel à la maison a probablement eu une influence sur le type de rapport traditionnel dans ces foyers.
Une trentaine de pêcheurs ont assuré à la mission que les travaux domestiques sont des domaines réservés à la femme. Bien sûr, ils peuvent promener les enfants en bas âge si la femme est très occupé et surtout si elle est partie vendre le poisson au loin.
Le pêcheur donne, en général, 3 la femme qui vit maritalement avec lui (selon leurs dires) environ entre 200 et 500 $Esc6 par jour lorsque la pêche est bonne pour l'entretien de la famille. Il faut noter que dans la plupart des cas, la conjointe est la personne qui s'occupe de la vente du poisson, au moins sur place. C'est donc une forme de compensation qui est donné à la femme et non un salaire pour le travail accompli. Le pêcheur ne se préoccupe plus d'ajouter un surplus. Ainsi, la femme a très peu d'autonomie financière dans les foyers où la commercialisation du poisson est considéré comme sa participation à l'activité familiale. L'argent remis par le conjoint doit aller en priorité pour tout ce qui concerne la famille, soit de l'alimentation à ce qui concerne la scolarisation des enfants.
Lorsque la mission a abordé la question du support financier fourni par le conjoint et de l'épargne familiale, certaines femmes nous ont indiqué que le mari aurait pu faire plus s'il ne buvait pas. Il semble exister une certaine forme de violence au sein des familles due à l'alcoolisme.
6 US $ 1.00 = 84 $Esc au taux officiel de février 1994
Selon les responsables rencontrés, l'alcoolisme est un phénomène assez prononcé dans ces communautés et constitue un frein à l'amélioration des conditions de vie.
L'implication de la conjointe dans la distribution des produits de la pêche a fait de cette dernière un partenaire important allant jusque dans la thésaurisation du revenu du pêcheur. Ainsi, dans la majorité des foyers stables, c'est la femme qui garde l'argent généré par le pêcheur. Elle le lui remet au fur et à mesure des besoins de celui-ci pour ses activités (entretien de la pirogue, achat matériel de pêche, son grog etc.). Elle joue, en quelque sorte, le rôle de banquier et c'est donc grâce à elle que le pêcheur fait un peu d'épargne temporaire
Dans les foyers ou la femme fait de la commercialisation un métier, et qu'elle achète donc du pêcheur le poisson qu'elle va vendre, elle garde le contrôle entier de l'argent qu'elle gagne par ses propres activités.
Dans certaines zones - à san Vincente -, à l'intérieur du couple, l'on considère l'argent de l'homme et celui de la femme comme celui de la famille. Ce qui peut s'expliquer du fait de la relation de production-distribution des produits de la pêche au sein de la famille sur certaines îles.
Compte tenu du rôle joué par les femmes dans la thésaurisation même temporaire du revenu du pécheur, il serait possible d'envisager l'implication des femmes de ces communautés dans la mise en place d'une structure collective d'épargne-crédit afin d'aider les membres des communautés à mobiliser l'argent nécessaire pour créer une plus grande dynamique économique dans ces zones. En effet, il n'existe aucune structure d'épargne dans les communautés de pêcheurs, en dehors de la banque officielle, les populations les plus pauvres gardent leur argent chez eux dans une caisse spéciale réservée à cet effet. Les femmes sauraient donc trouver les argements pour encourager leur mari à épargner.
En général, la pauvreté, le blocage des capacités économiques des populations sont en partie dus à la taille de leur famille à un moment donné du développement de leur capacité financière. Aussi, la mission s'est penchée sur la question de la gestion de la santé reproductive afin d'identifier le niveau de conscience des personnes sur la relation " nombre de personnes à nourrir et capacité à dépasser un certain seuil d'évolution économique".
Rares étaient les femmes rencontrées, de plus de trente ans, à avoir moins de 4 enfants, la plupart des femmes qui ont participé aux entretiens avaient entre 6 et 9 enfants vivants. Il faut souvent ajouter à cette charge familiale, les petits enfants En effet, dans ces communautés, un nombre fort élevé d'adolescentes ont des grossesses précoces vers 12-14 ans. Il n'est donc pas rare de voir une femme de 35 ans et plus avoir deux adolescentes qui elles-mêmes ont eu un enfant et qui demeurent à la charge de la mère puisqu'en général, l'enfant de ces adolescentes n'est pas reconnu par le père.
Plusieurs femmes ont eu jusqu'à 14 grossesses. Avec le travail fait notamment par le Ministère de la santé, l'OMCV et le service de promotion sociale, Plusieurs d'entre elles connaissent: les méthodes de contraception mais quelqu'unes ont mentionné avoir abandonné l'une ou l'autre méthode pour des raisons de santé.
Parmi la population plus jeune, à l'intérieur de certains couples, I 'homme et la femme affirment discuter du nombre d'enfants qu'ils souhaitent avoir. Cependant, aucune des femmes avec lesquelles la mission a eu des entretiens ne planifie réellement sa famille. En général, il y a un manque d'information et de suivi dans les villages de pêcheurs sur la planification familiale et sur les conditions pour être en bonne santé. Cependant, la plupart des femmes sont conscientes que les temps sont difficiles et qu'elles n'arrivent pas à entretenir un nombre trop élevé d'enfants.
Un fait signalé par les femmes est le nombre de grossesses précoces sans doute dues d'une part, à la promiscuité qui prévaut dans ces communautés, et d'autre part à l'oisiveté des jeunes dans ces milieux et le manque d'information.
Le besoin de se valoriser, les besoins de base souvent peu satisfaits alliés au bas niveau de scolarisation font que les femmes vivant dans ces communautés, en dépit des informations qu'elles ont reçues sur la planification familiale, continuent à faire beaucoup d'enfants (par rapport à leurs possibilités). Elles ont l'espoir que les enfants pourront faire mieux et leur apporter un mieux-être plus tard.
Il est admis que les filles de communautés de pêcheurs se marient à un pêcheur. C'est la tradition, disent-ils et aucune raison plus spécifique ne fut avancée.
Un fait notable c'est que les communautés de pêcheurs au Cap-Vert, sont composées presqu'uniquement de personnes ayant elles-mêmes vécues dans une famille de pêcheurs. Plusieurs pêcheurs ont dit à la mission qu'ils ne voient pas tellement d'un bon oeil que quelqu'un qui n'est pas pêcheur vienne courtiser leur fille à moins que celui-ci n'accepte d'apprendre à faire la pêche.
Dans plusieurs zones le nombre de femmes chef de famille est assez élevé. Cela est dû à deux raisons principales: l'émigration des pêcheurs pour des temps assez longs et l'instabilité des foyers. Ce dernier phénomène semble se refléter aussi dans les autres communautés. Quelques pères se sentent responsables de leur progéniture et donnent un appui mais ce n'est pas un cas général. Sur certaines îles plusieurs femmes ont dit à la mission qu'elles sollicitaient très rarement l'aide du père de leurs enfants car, disent-elles: "normalement l'homme sait mieux que quiconque que c'est son devoir"; pas question donc de s'abaisser quand on peut essayer de se débrouiller.
La plupart des documents sur la pêche artisanales au Cap-vert indiquent que les femmes sont fortement impliquées dans la commercialisation du poisson.
Il est important donc de regarder comment se passe la relation professionnelle entre les femmes et les pêcheurs dans ce secteur.
Les relations professionnelles entre les pêcheurs et les femmes assurant la commercialisation du poisson sont un peu complexes et mériteraient une exploration plus poussée par ''observation in situ" afin de mieux saisir toute la dynamique (comment cela se passe, quelle perception la femme a du fait que - dans certaines communautés - son travail ne soit pas vraiment rémunéré, quel est le niveau de discussions qui existe entre le pêcheur et sa femme sur la pêche, le prix payé par les revendeuses, la quantité achetée, etc).
Il est apparu à la mission qu'il y a toujours au moins, une femme impliquée dans la commercialisation par barque excepté à Fogo.
En effet, dans la plupart des îles sauf à Fogo, lorsque le pêcheur revient de la pêche, il discute avec sa femme ou une femme de confiance membre ou très proche de la famille pour établir un prix pour le poisson - quelque soit le type - selon les saisons, selon la quantité prise par l'ensemble des pêcheurs dans un village donné. Cette femme - en général celle du propriétaire - a pour mission, soit directement sur la plage soit au marché, de vendre le poisson aux autres femmes qui sont des revendeuses professionnelles ou des revendeuses d'occasion. De plus en plus, on voit apparaître dans le circuit des femmes qui n'ont aucun lien de parenté avec un pêcheur.
Certains pêcheurs ont dit à la mission "c'est la femme qui peut discuter du prix car en général c'est elle qui fait les achats, elle connaît le marché et la clientèle".
La conjointe (femme du propriétaire du bateau) ne paie pas le poisson qu'elle va commercialiser. Cela fait partie de ses responsabilités dans le couple. Dans ce cas, (île de San Vincente entre autre), elle ne génère pas de revenu propre. Dans le cas des autres femmes, elles achètent le poisson à crédit ou elles paient comptant. Sur certaines îles le pêcheur offre un pourcentage aux femmes qui commercialisent son poisson.
Nous verrons dans le tableau ci-après une synthèse des différents rôles joués par les hommes et les femmes dans la pêche artisanale. Ainsi, les femmes ne sont aucunement impliquées dans les questions touchant les techniques ou les activités de la pêche à part quelques rares cas ci et là. Parfois, dans quelques communautés on trouve des femmes qui font la commercialisation rie petits matériels de pêche. Il y a des rôles qui leurs sont totalement exclusifs et d'autres qui ne le sont pas et qui ont tendance à être pris en main par les hommes. La mission pense qu'une exploration plus poussée permettrait de comprendre les causes de l'évolution de certains rôles traditionnels, notamment au niveau de la commercialisation. Nous pouvons supposer cependant que c'est parce que le type de rapports producteurs-commerçantes change.
Quoiqu'il en soit, la relation entre les femmes vendeuses et les pêcheurs devient de plus en plus une relation commerciale dans laquelle chacun défend ses intérêts propres. Certains conflits émergent déjà.
Tableau No 2 répartition des rôles entre les hommes et les femmes dans la production et la commercialisation et la transformation dans le secteur de la pêche artisanale
RÉPARTITION DES TÂCHES |
HOMMES |
FEMME DU PÉCHEUR |
PARENTE PROCHE |
REVENDEUSES |
Préparation du matériel pour la pêche |
X |
|||
Pêche |
X |
|||
Fixe le prix de base du poisson pour la commercialisation |
X |
|||
Débat du prix avec les petites revendeuses |
X |
X |
||
vente du poisson à la population7 |
X |
X |
X |
X |
vente du poisson en grande quantité aux grandes revendeuses (les rabidantes) |
X |
ou X |
X |
|
garde l'argent du foyer |
X |
|||
garde l'argent généré par le pêcheur |
X |
|||
gestion du revenu généré par le pêcheur |
X |
et X |
||
gère l'argent généré par la revendeuse professionnelle |
X |
|||
transformation du poisson8 |
X |
X | ||
commercialisation inter-îles |
X |
X |
Au Marché de San Vincente, les pêcheurs nous ont dit qu'ils préfèrent vendre
7 Sur l'île de Fogo et quelques cas à Sal aussi, ce sont les hommes qui s'occupent de la commercialisation du poisson soit directement sur la plage soit dans les marchés municipaux.
Généralement ce sont les femmes qui vendent le poisson de porte à porte ou dans les marchés.
Compte tenu du fait que le travail de ravitaillement en gros semble plus prestigieux et moins éreintant, certains hommes se sont intéressés au métier de "Rabidante".
8 En général ce sont les hommes eux-mêmes qui, le plus souvent, s'occupent de la transformation du poisson - salage et séchage - sauf dans les anciens centres de vente. La mission pense que le pêcheur a développé cette activité afin de mieux gérer lui-même, le surplus de poissons et minimiser les pertes de revenu.
Il a été noté cependant, que les grandes commerçantes professionnelles (rabidantes) s'assurent de transformer elles-mêmes les poissons non vendus. Le poisson séché est utilisé surtout sur l'île de Santiago et en particulier pour le jour de "LA XINZA" (mercredi des cendres). En effet, il est de tradition que toutes les familles originaires de Santiago ne doivent consommer ce jour que du poisson séché et non du poisson frais. beaucoup de personnes des autres îles ont adopté aussi cette pratique. Il faut donc du poisson séché pour contenter environ 150.000 personne ce joue-là. Grâce aux sessions de formation organisées par l'INDP et certains projets, d'autres femmes commencent à s'intéresser à la transformation des produits de la pêche. aux femmes qu'à Interbase, entreprise impliquée dans la commercialisation du poisson, car celles-ci leur donnent un meilleur prix.
Dans le cas des femmes proches de la famille, le pêcheur peut laisser le poisson soit à crédit selon un montant fixé pour la quantité prise par la femme, soit le pêcheur passe un contrat informel avec des femmes pour une quantité de poissons à un prix qu'il fixe lui-même et les femmes vont commercialiser le poisson et reçoivent entre 10 à 30 % (selon l'île) du montant du prix fixé. Ce système est dû au fait que les femmes n'ont pas de fonds de roulement pour acheter au comptant le poisson et développer plus d'autonomie.
La majorité des femmes, surtout celles n'ayant pas des liens familiaux directs avec les pêcheurs, a laissé entendre que les pêcheurs sont de plus en plus réticents à leur laisser le poisson à crédit, ils vendent d'abord à celles qui ont l'argent. Ce qui peut s'expliquer par le fait que le pêcheur doit assumer des coûts plus élevés pour exercer son métier.
Le système de rétribution sur base de pourcentage qui trouve sa force dans l'inexistence de fonds de roulement auprès des femmes crée en général, deux phénomènes:
(i) les femmes cherchent très peu souvent des alternatives à l'unique activité que constitue la commercialisation du poisson, d'ou un nombre trop élevé de commerçantes sur les marchés, ce qui ne permet pas vraiment aux femmes de générer des revenus intéressants et de faire de la commercialisation une véritable entreprise.
(ii) dans différentes zones, les femmes s'arrangent pour vendre le poisson à un prix plus élevé (ligne 2 du tableau No 3 gain des femmes) que le prix initial fixé par le pêcheur sans le déclarer à celui-ci. C'est une façon pour elles d'augmenter leur marge de profit, ce qui certaines fois, l'amène à avoir un revenu équivalent et/ou plus élevé que celui du pêcheur. Ce phénomène risque d'engendrer des conflits qui peuvent aller en défaveur des femmes car les pêcheurs peuvent décider de commercialiser eux-mêmes leur poisson9.
9 exemple de gains des pécheurs et des revendeuses à brava dans le système de pourcentage
PRIX DU POISSON |
GAIN DU PÊCHEUR |
GAIN DE LA FEMME |
20kg à 200 esc/kg |
4000 : 3 = 1333,33 |
4000 X 20% =800 Ecs |
20kg à 250 Esc/kg |
5000 - 1000 = 4000 : 3 =1333,33 |
4000 X 20% = 800 + 1000 ------ 1800 |
La mission n'a pas pu vérifier cet état de chose auprès des femmes car, il y avait toujours un homme qui rôdait autour, au cours des rencontres Cependant il est clair que dans la région de Furna à Brava, par exemple, les pêcheurs sont mécontents et menacent de faire la commercialisation eux--mêmes.
Sur l'île de Sal, la femme qui commercialise le poisson reçoit une compensation pour son travail selon la "conscience" du pêcheur
Ainsi, si aucun travail n'est fait pour établir un dialogue dans les communautés où les pêcheurs sont prêts à accueillir toutes les innovations système de commercialisation externe au milieu, moyens pour produire davantage, chaine de froid gérée par les pêcheurs etc leur permettant d'avoir un revenu plus intéressant, les femmes seront de grandes perdantes. En effet, le besoin de valorisation de son travail est tel que le pêcheur peut être amené a participer à des actions qui vont dans le sens de ses intérêts propres et qui seront à l'opposé de ceux des femmes impliquées dans la commercialisation c'est la loi du marché -.
Par exemple, l'achat de bateau bien équipé et ayant une certaine capacité pour faire la commercialisation inter-îles à partir de certaines zones de débarquement dans des régions difficiles d'accès, peut amener les pêcheurs à vendre toute leur capture au bateau si le prix est relativement bon; Il ne restera alors aux femmes que le surplus de poisson d'ou le risque que certaines femmes voient leurs activités réduites voire même terminées. Il y aurait lieu d'examiner les possibilités que ce soit les femmes qui deviennent les intermédiaires dans la commercialisation ou qu'elles forment une association de propriétaire du bateau avec un système de gestion assez rigoureux pour que l'activité soit rentable.
Pour se garantir un certain niveau de vente, durant la période de haute capture, les femmes sont amenées à liquider le poisson et le vendre à crédit à leurs clients réguliers. Il leur arrive parfois, de ne pas pouvoir récupérer le montant de la vente à crédit. Souvent disent-elles, elles sont obligées d'attendre au moins deux mois avant d'être payée par la cliente à laquelle elle a liquidé son poisson.
A Brava, Santiago, certaines femmes sont impliquées dans la commercialisation inter-îles. Elles achètent de grosses quantités de poissons qu'elles vont vendre surtout à Santiago ou le marché est plus grand. Ces femmes ont un chiffre d'affaires plus grand que les petites revendeuses qui ne commercialisent qu'entre 20 et 50 kgs de poissons par jour de vente.
La mission a aussi constaté que les activités liées à la pêche artisanale impliquent aussi d'autres membres de la famille.
Le jeune garçon à partir de l'âge de 12-13 ans est amené régulièrement à la mer pour apprendre le métier. En fait, il fait partie de l'équipage et à ce titre, dépendant du parent, il peut se faire un petit revenu après un certain temps. En principe, l'apprentissage pour obtenir le titre de pêcheur qualifié dure environ 10 ans. Cela fait partie des tâches du jeune garçon de préparer le poisson à vendre, d'aider au processus de salage/séchage.
Quant à la petite fille, dés l'âge de la puberté, elle est impliquée dans la commercialisation afin de développer plus tard son propre réseau et/ou remplacer la mère si celle-ci est malade ou occupée. Elle ne gagne pas de revenu tant qu'elle est à charge car elle vend pour quelqu'un et non pour elle-même. Compte tenu de son implication même limitée dans le circuit, les sessions de formation organisée à l'intention des vendeuses devraient les y impliquer car ce sont sur ces jeunes filles qui intégreront plus vile et plus facilement les éléments novateurs pour appuyer le secteur.
Relations professionnelles entre les pecheurs et les femmes

Les femmes commercialisent au moins 80 % du poisson, soit: sur les marches municipaux soit dans les quartiers éloignés de la grande vile ou des marchés municipaux (elles font du porte à porte). La plupart des marchés sont exigus, non conformes aux normes de salubrité pour un produit de qualité. Déjà que le métier est peu valorisé voir même méprisé par les autres groupes de la population (c'est un métier sale, disent les autres membres de la population!), les lieux où les femmes exercent leur métier est peu attrayant et ne constituent donc pas actuellement une stimulation pour plus de professionnalisme (normes de qualité, entretien, bonne présentation, techniques de manipulation etc).
La plupart des responsables des Municipalités les plus importantes se sont penchés sur la question et certains marchés seront réhabilités.
Approximativement 20% de la capture sont vendus pour l'exportation à travers des structures privées et/ou interbase.
La mission n'a pas pu évaluer quelle était la quantité moyenne auto-consommée. Nous avons été amenés à observer, à Santiago, que les pêcheurs mettaient entre à 7 cavalas par exemple de côté pour la maison (auto-consommation). C'est le pêcheur qui décide quelle quantité de poissons à prélever pour l'autoconsommation le poisson est rarement mis dans de la glace pour lui garder sa fraîcheur et généralement, la clientèle n'est pas tellement exigeante sur la qualité.
D'après les femmes de certaines îles (Santa Antao, Santiago), les hommes développent une forme de concurrence qui ne respecte plus les règles traditionnelles dans le processus de commercialisation. En effet, elles ont rapporté que lorsqu'il y a beaucoup de poissons notamment durant la haute saison de pêche, certains pêcheurs n'hésitent pas à louer un taxi pour liquider le poisson en surplus que les femmes - qui vont souvent à pied pour faire du porte à porte n'ont pas pu acheter. Ces pêcheurs vendent alors à un prix plus bas que celui proposé par les femmes, d'où une perte sérieuse pour les vendeuses indépendantes, qui sont obligées de liquider à leur tour.
Les commerçantes de l'île de Santiago semblent mieux se tirer d'affaire car la demande est plus forte pour du poisson frais ou conditionné compte tenu qu'à elle seule, l'île abrite près de la moitié de la population de l'archipel.
D'après la majorité des femmes, le métier de commerçante de poissons ne rapporte pas suffisemment pour leur permettre d'être totalement autonome financièrement et pour subvenir aux besoins de la famille (nombreuse), parce qu'elles ne sont pas organisées, parce qu'elles ne reçoivent que peu d'appui et parce que le travail est pénible.
La plupart de ces femmes vivant dans les communautés de pêcheurs n'ont que la commercialisation du poisson comme seule activité génératrice de revenus. Et dans la plupart des cas, ce revenu suffit à peine à satisfaire les besoins de la famille qui est généralement, comme nous l'avons déjà mentionné, de grande taille (7 personnes en moyenne).
Cependant quelques unes parmi ces femmes ont eu la possibilité de s'investire dans d'autres activités qui leur a assuré un revenu complémentaire
- Sur certaines îles (Santo Antao, Sao Vincente, Santiago) et dans les zones un peu reculées, elles utilisent le poisson aussi comme moyen d'échange pour d'autres produits agricoles qu'elles peuvent ainsi revendre dans la communauté.
- Très souvent, les rabidantes, vendeuses professionnelles ayant des moyens financiers plus importants, lorsqu'elles commercialisent le poisson entre leur île d'appartenance et Santiago (Praia) par exemple, ramènent des produits de première nécessité ou de luxe qu'elles peuvent revendre. Selon elles, ce commerce rapporte en fait davantage que la vente du poisson.
- Les travaux de rénovation et d'infrastructure, à haute intensité de main d'oeuvre, organisés par les autorités municipales permettent à certaines femmes d'avoir une activité complémentaire10
10 elles font le transport de grosses pierres que les hommes font explosés à la dynamite, certaines font le concassage de ces pierres pour produire du gravier et du gravillon. Quelques unes se sont spécialisées dans le déchargement des bateaux.
- Plusieurs femmes font un peu d'élevage, pas comme activité génératrice de revenu mais comme forme de thésaurisation pour les périodes difficiles, alors elles peuvent commercialiser ces produits de l'élevage.
La mission a tenté d'explorer avec les femmes les alternatives possibles pour générer des revenus plus substenciels si on mettait un programme de crédit en place afin qu'elles puissent développer une activité rentable. Il a été difficile pour elles d'identifier les alternatives possibles auxquelles elles avaient déjà pensé Cependant, les femmes nous ont assuré que si on leur mettait à disposition une somme assez intéressante, elles continueraient à investir clans la pêche d'autant plus que bon nombre d'entre elles estiment qu'elles se sentent plus sécurisées dans ce secteur - c'est un métier qu'elles maîtrisent bien. Dans ce sens là, elles acheteraient plus de poissons, elles acquièreraient du matériel pour transformer le poisson, elles s'achèteraient des caisses isothermiques pour conserver le poisson et réduire les pertes, elles pourraient mieux marchander avec le pêcheur puisqu'elles auraient de l'argent frais disponible immédiatement. Elles sont conscientes aussi que le fait d'être analphabètes constituent aussi un gros handicap et que les alternatives sont limitées.
Une caractéristique des communautés visitées est le manque d'organisation communautaire. En effet, en dehors des structures "d'entraide pour les enterrements", à certains endroits, autant les pêcheurs que les femmes assurant la commercialisation du poisson n'avaient aucune structure organisationnelle (association, coopérative, groupement). A Praia, quelques expériences d'épargne collective temporaire les tontines (totocash) semblent donner quelques résultats et les femmes y participent régulièrement et y voient un certain avantage. L'INDP et le projet PAPASA a réussi à mobiliser quelques groupes femmes et pêcheurs pour des expériences pilotes en vue de la création d'associations d'intérêts économiques.
Il n'existe pas de lieu de rencontres dans les villages afin de permettre l'expression de réflexions collectives sur la vie dans les différents milieux. l'ensemble de nos discussions se sont tenues sur la plage ou sur la petite place que l'on retrouve dans certains villages. les personnes vivant dans ces communautés manifestent une certaine méfiance entre elles. Le fait pour eux de connaître les faits et gestes de chacun, étant donné la concentration sur des espaces restreints est sans doute l'élément qui conditionne une certaine réserve à la création d'associations ou de groupes d'intérêts communs. Cependant, un appui régulier pourrait aider à briser les réticences dans la mesure où les individus sont amenés à analyser les avantages et les modalités d'une organisation structurée. Tous se questionnaient sur la question du leadership: qui sera le chef? disaient-ils. Une étude plus poussée permettrait d'identifier les leaders naturels du milieu. Cependant, la mission a constaté que dans les groupes de femmes interviewés, il y a avait toujours une ou deux personnes à laquelle les autres laissaient la parole pour répondre à leur place.
Le tableau No 4 ci-après permet de voir qu'au niveau des intérêts stratégiques le besoin de générer des revenus plus élevés, est similaire chez les hommes comme chez les femmes.
Tableau No 4: Synthèse des Intérêts stratégiques des femmes et des hommes dans le secteur de la pêche artisanale selon les besoins exprimés par les hommes et par les femmes
Intérêts Stratégiques |
Intérêts (besoins) pratiques | |
Femmes revendeuses de poissons |
-Besoin d'organisation (professionnelle en tant que commerçants de poissons) |
- Besoin de formation (alphabétisation) |
Pécheurs |
- Besoin d'organisation en tant que producteur |
- besoin de formation en technique de pêche |
Rabidantes11 |
- besoins financier pour renforcer leurs activités et prendre une place plus stratégique dans le circuit de la commercialisation et valoriser son savoir-faire |
11 Nous avons délibérément fait des rabidantes une catégorie à part des autres femmes car le niveau de leurs besoins est différents des revendeuses au détail même lorsque ces les besoins sont les mêmes.
Compte tenu du lien professionnel assez étroit entre les deux groupes, la satisfaction de ce besoin chez un groupe risque d'aller à l'encontre des intérêts de l'autre groupe. En effet, pour avoir plus d'argent, les pêcheurs doivent vendre plus chers aux vendeuses or, compte tenu de l'étroitesse du marché sur plusieurs îles, la marge de profit des femmes sera très infime.
De leur côté, pour avoir une marge intéressante et ne pas trop taxer clientèle, les vendeuses de poisson doivent acheter le poisson a un prix relativement bas, ce qui ne fait pas l'affaire du pêcheur qui doit faire des investissements réguliers pour maintenir son niveau de production.
Dans le cadre d'une stratégie en faveur des pêcheurs, le choc des intérêts va s'exacerber davantage et rendre les femmes encore plus vulnérables.
En se référant aux statistiques fournies par l'INDP pour 1992, la capture totale au Cap-Vert dans la pêche artisanale s'élève à environ quatre mille huit cent quatre vingt quatre tonnes de poissons.
Tableau No 5: la capture Par Ile en lien avec le nombre de revendeuses et le nombre de pêcheurs
ILES |
TOTAL DES CAPTURES (ton) (a) |
NOMBRE DE VENDEUSES (b) |
NOMBRE DE PÊCHEURS (a) |
Santiago |
2068 |
795 |
2004 |
Sao Vincente |
922 |
164 |
490 |
Santo Antao |
472 |
176 |
460 |
Fogo |
318 |
27 |
450 |
Brava |
192 |
84 |
164 |
San Nicolau |
410 |
132 |
230 |
Boavista |
82 |
36 |
80 |
Sal |
188 |
52 |
150 |
Halo |
232 |
36 |
115 |
TOTAL |
4884 |
1502 |
4143 |
Sources:
a) données provisoires de 1992. Statistiques de l'INDP
b) données de 1986: Hanek 1986
Note: Les informations ont été tires de deux sources car il n'existe actuellement aucune donnée sur le nombre réel de femmes impliquées dans la commercialisation et la transformation du Poisson au Cap-Vert, sauf sur quelques îles.
Les analyses faites par certains consultants (Hanek G.,) proposent un taux variant entre 1,5 et 1,8 femme par bateau. Si l'on compte le nombre de pirogues12 en 1992, soit 1343, il y aurait ainsi entre 2014 et 2417 femmes impliquées dans la commercialisation du poisson. Lorsqu'on compare avec les données fournies dans le document préparé pour le séminaire "femme et développement" sur la population active, nous pouvons supposer que du nombre indiqué (119.200) environ 50% sont des femmes soit 47 680 femmes. De ce nombre, le taux d'activité a été estimé dans ce même document, chez les femmes est de 39.2, ainsi, sur la base de ces chiffres, on peut dire qu'environ 10 à 12 % des femmes ayant un travail leur permettant de générer un revenu, se retrouvent dans le secteur de la pêche artisanale. De ce nombre la moitié travaillerait à temps plein. Comparé à 1986, nous pouvons constater qu'il y a plus de femmes impliquées dans la commercialisation que 6 ans plus tôt en dépit du fait que le niveau de la capture baisse.
12 Statisques de l'INDP pour 1992, non encore publiés
Selon les dires des femmes notamment sur l'île de Santiago il y a de plus en plus de femmes qui se lancent dans cette activité pour gagner une petit revenu, surtout durant la période allant de août à novembre. En plus des adultes, il faut tenir aussi compte des jeunes filles qui, à partir de 14 ans, ont pour responsabilité de vendre une certaine quantité de poissons. Cela fait partie de son apprentissage obligé puisque les perspectives pour des emplois alternatifs sont presque nulles.
L'on peut supposer que les femmes commercialisent environ 80% de la capture, soit 3800 tonnes de poissons. Il n'existe aucune donnée sur la quantité rejetée à la mer ni sur la quantité de poissons transformés tant par les hommes que par les femmes.
Ces lacunes sur le plan statistique devraient être corrigées au cours de la phase principale afin de mieux suivre l'évolution de la participation des femmes et aussi d'évaluer les pertes après capture. Il sera possible d'utiliser ces informations pour sensibiliser tant les pêcheurs que les femmes sur les techniques de conservation et de transformation.