Des instruments perfectionnés ont déjà été mis au point pour étudier les problèmes d'agriculture et son utilisation des terres afin de comprendre la complexité et la diversité des zones rurales. Depuis la Conférence de Den Bosch (1991) et le Sommet de Rio de Janeiro (1992), les partisans de l'agriculture et du développement rural durables ont élaboré une vue d'ensemble de questions comme la vulgarisation et la recherche, les sciences et les techniques, les infrastructures, les ressources humaines et les modes de subsistance durable. Le concept d'agriculture et développement rural durables englobe une large gamme de questions économiques, socioculturelles et environnementales liées à l'agriculture.
Le concept des fonctions multiples renforce ces approches antérieures par les moyens suivants.
Le concept permet donc de mieux comprendre les interactions complexes entre l'agriculture et l'utilisation connexe des terres, les multiples biens (alimentaires et non alimentaires) et services fournis par l'agriculture, la contribution que ces biens et services apportent à la réalisation d'objectifs plus larges de la société, ainsi que les incidences sur l'agriculture des facteurs environnementaux, économiques et sociaux, notamment la démographie et la mondialisation croissante des marchés et des échanges.
Alors que l'agriculture a intrinsèquement un caractère multifonctionnel, les politiques alimentaires et agricoles ne se sont souciées que récemment des grands défis que comporte le renforcement d'une série de fonctions.
Après une décennie d'intérêt pour l'agriculture durable, les concepts et priorités quélle requiert commencent à être mis en pratique. Toutefois, les gestionnaires des ressources naturelles doivent recevoir des stimulants appropriés pour appliquer plus largement les pratiques durables. Les systèmes incitatifs devraient offrir aux agriculteurs des possibilités et des avantages allant bien au-delà de l'agriculture et de la production vivrière de subsistance. Le souci actuel d'élargir le champ des politiques alimentaires et agricoles repose sur une meilleure compréhension des multiples facteurs qui favorisent ou défavorisent le renforcement de la durabilité.
L'élargissement du champ de préoccupation des politiques repose également sur la réévaluation, dans de nombreux pays et régions, du rôle de l'agriculture dans le développement économique. Dans des contextes différents et pour des raisons très diverses, on prend de plus en plus conscience du rôle permanent de l'agriculture et des terres dans le développement des pays de toutes les régions du monde, qu'ils aient un revenu faible ou élevé.
La différenciation croissante de l'agriculture selon les régions et les divergences correspondantes des objectifs et des priorités de développement contribuent également à renforcer l'intérêt pour la définition des fonctions multiples. Il ressort des débats de différentes instances internationales que les valeurs et les objectifs de l'agriculture et de l'utilisation des terres ne sont pas les mêmes dans toutes les régions du monde ni même dans les différents pays d'une même région. Ces différences apparaissent très nettement dans les diverses négociations concernant les échanges internationaux.
Les fonctions multiples de l'agriculture et des terres offrent des avantages particuliers dans différents contextes et différentes régions. La meilleure combinaison de fonctions aboutit à une gestion optimale à des fins économiques, sociales et environnementales.
Dans les régions où les pays en développement ont une agriculture pauvre et à potentiel faible, où il est généralement difficile d'assurer le renouvellement des ressources naturelles et la durabilité des écosystèmes agricoles, mais où l'agriculture de subsistance restera probablement une activité très importante, la combinaison de fonctions offre les avantages suivants:
Dans les régions des pays en développement pratiquant l'économie de marché, mais où les conditions sont peu favorables à l'agriculture et l'environnement naturel fragile, l'exploitation des fonctions multiples peut jouer un rôle important comme suit:
Dans les zones où l'agriculture intensive est pratiquée, mais qui souffrent de problèmes d'environnement, la combinaison des fonctions peut donner les résultats suivants:
Dans les régions agricoles "traditionnelles" des pays développés où la production risque de devenir de moins en moins compétitive, l'orientation vers les fonctions multiples peut donner les résultats suivants:
Dans les régions situées à la limite des zones forestières, et là où l'environnement présente un potentiel de production élevé et où le marché se développe rapidement, l'application du CMFAT peut contribuer à:
Dans chaque cas, il faut évaluer la valeur et l'importance des diverses fonctions avant de déterminer les modes d'action les plus opportuns. Le choix des mesures à prendre suscite toujours des débats entre les communautés locales, les autorités locales et nationales, les organismes techniques et les partenaires extérieurs. Les mesures et l'action sont ensuite fondées sur un accord commun, une évaluation conjointe des réalisations, enfin des réévaluations et renégociations périodiques.
ENCADRÉ 3: PERCEPTIONS DU CMFAT Grande-Bretagne: En 1939, "il existait près de 500 000 exploitations, y compris des exploitations à temps partiel, en Grande-Bretagne. Il s'agissait en majorité de petites unités mixtes de moins de 20 hectares pratiquant l'élevage des bovins, des ovins, des porcins et des volailles et quelques cultures arables. Avant l'ère de protections par l'Etat, les agriculteurs devaient entreprendre toute une gamme d'activités pour assurer leur sécurité financière. Si le prix d'un produit déterminé s'effondrait, d'autres leur évitaient la ruine. Ce mode d'exploitation mixte était économiquement très stable. En outre, il créait une campagne dynamique et plaisante, riche en faune sauvage et échappant à peu près à la pollution. De plus, près d'un million de travailleurs étaient employés à temps complet ou partiel dans les exploitations britanniques, de sorte que près de 1,5 million de familles vivaient en tout ou partie de la terre tout en fournissant "gratuitement" des services écologiques. Jamais la campagne anglaise n'a été si belle. Jamais elle n'a abrité un éventail plus riche d'habitats et d'espèces sauvages..." (Harvey, 1997:9). Indonésie Aujourd'hui, les potagers familiaux sont particulièrement développés sur l'île de Java où on les appelle pekarangan... Dans un jardin familial javanais, on a compté 56 espèces différentes de plantes utiles servant les unes d'aliments, d'autres de condiments ou d'épices, d'autres de médicaments, d'autres encore de fourrage pour le bétail... Une grande partie des produits sont destinés à la consommation du ménage, mais certains sont échangés avec les voisins et d'autres vendus... La végétation est si dense qu'à première vue, le jardin peut paraître une forêt en miniature... Un observateur plus attentif remarque que l'extrême diversité des plantes est associée à un niveau élevé de productivité, de stabilité, de durabilité et d'équité ... (Conway, 1997: 177). Kenya L'accroissement de la densité de la population rurale a eu des effets positifs à Machakos (1,3 millions d'habitants): interruption de la dégradation des terres, augmentation des investissements pour leur amélioration, évolution technique, augmentation de la production par hectare et par personne, diversification des cultures et des revenus, moindre de vulnerabilité aux crises alimentaires..." (Mortimore, 1998:196). Japon "Les champs de paddy sont aménagés de façon à retenir des volumes d'eau considérables. Ils contribuent à réduire les risques de glissement de terrain et d'inondation... La capacité de retenue d'eau des rizières serait celle d'un réservoir d'environ 5 milliards de mètres cubes, soit plus de 8 fois la capacité de retenue du plus grand barrage du pays... D'après une étude, le caractère multifonctionnel de l'agriculture, par exemple la conservation des terres grâce aux rizières, représente au Japon une valeur monétaire supérieure à 4,6 milliards de yens par an alors que celle de la production totale de riz atteint seulement environ 3 milliards de yens par an" (Gouvernement du Japon, 1999). |
Dans tous les pays, l'agriculture est l'activité qui occupe la plus grande part des terres "anthropisées" de sorte qu'elle joue un rôle important dans la transformation de l'environnement par l'homme qui a modelé le paysage et les modes de vie rurale naturels au fil des siècles. Dans la plupart des pays, elle constitue encore directement et indirectement la base économique de subsistance de la majeure partie de la population. Il n'est donc pas surprenant que tout en produisant de la nourriture et des fibres, l'agriculture apporte de multiples autres contributions aux activités de la société: elle fournit des biens et des services qui peuvent être classés comme des "fonctions" distinctes. Au lieu de distinguer simplement entre productions alimentaires et non alimentaires, le concept de CMFAT sous-entend la production simultanée et intégrée d'une grande quantité d'extrants qui peuvent être importants pour la société et pour l'environnement.
Les fonctions clefs auxquelles l'agriculture apporte une contribution sont les suivantes:
Les effets combinés des quatre fonctions contribuent à réaliser le développement rural.
« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation). La sécurité alimentaire est liée à toute une gamme de facteurs, notamment la gestion durable des ressources naturelles (agriculture, pêches et forêts), l'accroissement de la production, les politiques à différents niveaux, le commerce international, la protection de la biodiversité, la sauvegarde de l'environnement, l'investissement, la paix et la stabilité.
La réalisation de la sécurité alimentaire bénéficie de puissants appuis politiques comme le montre le fait que 112 chefs d'Etat ou de gouvernement (ou leurs adjoints) et plus de 70 représentants de haut niveau d'autres pays ont adopté la Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale et le Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation en 1996.
Dans de nombreux pays, des politiques et programmes non durables, des technologies non appropriées, l'insuffisance des infrastructures et des institutions rurales, ainsi que l'existence des ravageurs et maladies, se sont traduits par le manque d'efficacité et le gaspillage des ressources naturelles et humaines, des intrants et des produits. La base de ressources de l'alimentation, de l'agriculture, des pêches et de la foresterie est compromise et menacée par des problèmes comme la désertification, le déboisement, la pêche excessive, la surcapacité et les rejets des pêcheries, l'affaiblissement de la biodiversité ainsi que l'utilisation peu rationnelle de l'eau, le changement climatique et la destruction de la couche d'ozone. Ces effets négatifs sur l'environnement menacent la sécurité alimentaire à long terme.
Le développement économique et social du secteur rural est une condition clef pour réaliser la sécurité alimentaire pour tous. La pauvreté, la faim et la malnutrition figurent parmi les causes principales de l'exode accéléré des zones rurales vers les zones urbaines dans les pays en développement. L'éradication de la pauvreté est indispensable pour améliorer l'accès à la nourriture. La vaste majorité des personnes sous-alimentées sont incapables de produire elles-mêmes de la nourriture en quantité suffisante ou n'ont pas les moyens d'en acheter. Les zones rurales des pays en développement ne disposent en général que de ressources techniques et financières et d'infrastructures d'enseignement médiocres. Le manque de possibilité de réaliser des revenus, l'absence de récoltes, le mauvais entretien des systèmes de production, l'insuffisance des réseaux de distribution, l'accès limité aux services publics et la qualité médiocre de ces services posent dans ces zones des problèmes fondamentaux qui doivent être étudiés en liaison avec la sécurité alimentaire en milieu rural.
L'accroissement de la production dans les pays à faible revenu et à déficit vivrier est fréquemment l'un des moyens essentiels d'accroître les produits alimentaires et les revenus dont disposent les populations vivant dans la pauvreté. Il doit être complété par la création d'emplois et de revenus qui aura pour effet d'augmenter la demande solvable dans ces zones, ce qui stimulera à son tour la production, la diversification économique et le développement rural et favorisera donc la sécurité alimentaire à long terme.
Le commerce international est un élément clef pour assurer la sécurité alimentaire au niveau mondial. Il permet d'utiliser rationnellement les ressources et stimule la croissance économique, facteur critique pour améliorer la sécurité alimentaire. Il permet à la consommation alimentaire de dépasser la production vivrière, contribue à atténuer les fluctuations de la production et de la consommation et à réduire la nécessité de constituer des stocks. Il a une incidence considérable sur l'accès à la nourriture en ayant un effet positif sur la croissance économique, les revenus et l'emploi. Des politiques économiques et sociales intérieures appropriées permettent de mieux faire profiter toute la population, y compris les pauvres, de la croissance économique. Des politiques commerciales appropriées complètent ces politiques économiques et sociales et aident à atteindre les objectifs de croissance durable et de sécurité alimentaire pour tous.
A moins que les gouvernements nationaux et la communauté internationale ne s'attaquent aux causes de l'insécurité alimentaire, le nombre d'êtres humains souffrant de faim et de malnutrition dans les pays en développement restera très élevé et la sécurité alimentaire durable ne sera pas réalisée. La communauté internationale est appelée à jouer un rôle clef en appuyant l'adoption de politiques nationales appropriées et, le cas échéant, en fournissant une assistance technique et financière pour aider les pays en développement et les pays dont l'économie est en cours de transition à promouvoir la sécurité alimentaire.
De toute évidence, la réalisation de la sécurité alimentaire est une tâche complexe qui requiert un environnement propice et des politiques assurant la paix ainsi que la stabilité et l'équité sociales, politiques et économiques. Combiner les fonctions économiques (conditions propices de crédit, d'investissement et de commerce) et sociales (services publics, ressources humaines et équité) liées à l'agriculture peut aider à atteindre cet objectif. Le concept du CMFAT peut fournir une optique et des instruments utiles pour indiquer aux responsables des décisions les moyens possibles de parvenir à la sécurité alimentaire.
En qualité d'acteur et de gardien, l'homme joue un rôle dynamique dans l'entretien et la viabilité des écosystèmes. L'environnement est essentiel à toute vie tout en fournissant la plupart des services fondamentaux nécessaires comme le recyclage de l'air et de l'eau, la fourniture de matériaux de base, d'énergie et d'autres ressources et en étant utile dans d'autres domaines comme les loisirs. Tous les systèmes agricoles et d'utilisation des terres influent directement sur les composantes et le fonctionnement des milieux écologiques. Aussi, les écosystèmes sont ainsi presque tous devenus progressivement des systèmes aménagés, mais avec des résultats très variables.
L'agriculture et son utilisation des terres peuvent avoir des effets bénéfiques ou néfastes. En fait, les incidences des systèmes d'exploitation sont maintenant étroitement imbriquées au fonctionnement normal de la plupart des écosystèmes. L'agriculture peut influer sur le volume et la qualité des disponibilités d'eau pour les usages industriels et urbains, par le biais de l'entretien des bassins versants, des infiltrations et de la régularisation des fluctuations des nappes phréatiques. Elle peut contribuer à maîtriser l'érosion et en conséquence, les forts ruissellements qui ont des effets négatifs en aval. Elle a alors un impact économique indirect et étalé dans le temps.
L'agriculture peut apporter des avantages directs à l'environnement: réduction de la pollution grâce à l'aménagement des sols et de la végétation; augmentation de la biomasse et de la fixation d'éléments nutritifs grâce aux cultures mixtes, au travail des terres et à l'application d'engrais; enfin, capacité de résistance accrue des écosystèmes grâce à la lutte contre l'érosion.
L'agriculture peut également avoir des effets négatifs sur les écosystèmes et le renouvellement des ressources naturelles. Citons comme exemple les pratiques agricoles comportant un recours excessif aux produits chimiques, à l'irrigation et au travail mécanisé du sol; dans la plupart des cas, il s'agit de systèmes de production hautement spécialisés à fonctions multiples mais qui entraînent des inconvénients non négligeables, principalement la pollution, la réduction de la capacité de résistance et de la diversité des écosystèmes cultivés et le non-renouvellement de la structure des sols. Ceci rend les terres bien plus vulnérables aux chocs extérieurs et réduit leur capacité de reprise après un choc, par exemple pendant la saison sèche lorsque la capacité de rétention d'eau du sol a diminué ou que de fortes précipitations ont provoqué une érosion due à la déstabilisation de la couche superficielle.
Les modifications de l'environnement suscitent des préoccupations à de nombreux niveaux. La négociation et l'application d'accords internationaux sont désormais un moyen important d'influer sur l'utilisation et l'aménagement de l'environnement. La série de conventions adoptées depuis le Sommet de Rio, notamment, celles concernant la biodiversité, le changement climatique et la désertification ont des répercussions directes pour l'agriculture. Elles établissent des directives et des objectifs pour la conservation de certaines ressources essentielles. Les dangers que présente la réduction de la biodiversité qui entraîne des pertes définitives de matériel génétique, ainsi que le niveau des émissions de substances pouvant contribuer aux changements du climat mondial ont particulièrement retenu l'attention.
L'encadré ci-après montre combien le concept de CMFAT est utile pour permettre au secteur agricole de répondre en particulier aux problèmes mondiaux du changement climatique, de la désertification, de la biodiversité, de la qualité et des disponibilités d'eau, de la pollution des eaux, en favorisant les incidences bénéfiques, en limitant les incidences néfastes sur l'environnement, en développant l'utilisation des ressources renouvelables et en prenant en compte les impacts cumulatifs éventuels.
Cependant, pour l'ensemble de la fonction environnement, le concept de CMFAT peut être utile pour établir les meilleures liaisons entre l'agriculture et les qualités biologiques et physiques de l'environnement naturel. Il est indispensable de renforcer les capacités des institutions locales d'assurer l'aménagement durable des ressources locales. Afin de stimuler l'investissement et la planification à long terme, les agriculteurs doivent être certains de jouir de droits appropriés de propriété, d'accès contôlés ou autres formes d'usage des terres. Lorsque les droits d'accès aux ressources sont peu clairs, d'un autre âge, compromis par d'autres droits, ou ne sont pas respectés, les utilisateurs ont tendance à exploiter les ressources dans leur intérêt personnel immédiat. Les ressources ne sont alors pas toujours gérées de façon durable ni renouvelées et finissent par s'épuiser. L'évolution est la même dans le cas des forêts, des parcours, des eaux, des pêcheries et de la faune sauvage. De telles situations provoquent fatalement des conflits. Pour résoudre ces conflits de façon durable, il faut respecter les règles, qu'elles soient formulées dans un nouveau contrat conclu entre les utilisateurs eux-mêmes ou en rapport avec l'Etat ou d'autres acteurs. Dans tous les cas de ce genre, un système de suivi et de sanction en cas de non-respect des règles est nécessaire.
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ENCADRÉ 4: PERTINENCE DU CONCEPT DE CMFAT POUR RÉSOUDRE LES PROBLÈMES MONDIAUX D'ENVIRONNEMENT - QUELQUES EXEMPLES Changement climatique Au niveau planétaire, le tiers environ du réchauffement total au cours des vingt prochaines années devrait être imputable aux émissions d'origine agricole. Le défrichement des forêts pour la mise en culture et l'agriculture sur brûlis sont des sources importantes d'émissions de carbone. L'agroforesterie et les modes d'exploitation durables fondés sur la foresterie, avec utilisation des produits non ligneux, offrent d'excellentes solutions de remplacement. L'agriculture peut contribuer à lutter contre l'effet de serre, grâce surtout à l'utilisation plus rationnelle des engrais azotés et à la substitution du carbone par l'utilisation de biocombustibles. La réduction des superficies brûlées ou dénudées par le travail du sol permet de réduire les émissions de C02. En outre, l'emploi plus intensif de matières organiques peut contribuer à fixer le carbone dans le sol, ce qui est l'une des fonctions naturelles des écosystèmes cultivés. C'est là un domaine où le caractère multifonctionnel de l'agriculture et divers avantages conjoints peuvent être directement exploités. On peut favoriser l'adoption de nouvelles pratiques en assurant la formation des producteurs tout en offrant des incitations financières. Les négociations engagées à Kyoto et Buenos Aires sur la Convention relative au climat vont dans ce sens; elles ont notamment permis de définir un "mécanisme pour un développement propre" et de proposer de créer un marché des "droits d'émission". Quels que soient les instruments choisis, les moyens financiers g'nérés permettront d'encourager la fixation du carbone, la substitution et la réduction des émissions. Désertification L'agriculture et la foresterie peuvent contribuer à limiter la désertification (voir le Background 3: Drylands, FAO/Netherlands 1999c). De nombreuses techniques ont déjà été mises à l'essai et appliquées, notamment l'aménagement des bassins versants au moyen de techniques de stockage des eaux et de lutte contre le ruissellement, la plantation d'arbres et d'espèces végétales stabilisant les sols, ou les ouvrages de maîtrise des eaux en terre. Il y faut une coordination technique poussée pour assurer la cohérence et l'exploitation des synergies. Pour obtenir de bons résultats, les propriétaires et les utilisateurs des terres et des ressources naturelles doivent se mettre d'accord sur les modalités d'exécution, le financement et l'échelonnement des travaux. Les communautés locales peuvent, en tant que telles, tirer profit de ces réalisations mais certains individus ou groupes sociaux peuvent enregistrer des gains ou des pertes plus ou moins importants. Ces mesures requièrent au préalable des mécanismes efficaces de négociation et de médiation. Les exemples de réussite montrent que les populations sont souvent tout à fait conscientes des problèmes en cause et sont prêtes à accepter des solutions qui exigent à la fois de gros efforts matériels et des signes de bonne volonté dans les négociations et l'exécution. Les négociations doivent porter sur toutes les dimensions des changements proposés, les responsabilités, tâches et bénéficiaires étant définis en détail. Le soutien - financier ou matériel - doit être ciblé avec soin de façon à encourager les investissements qui sont nécessaires. Biodiversité L'agriculture a des répercussions très importantes sur la biodiversité, à l'intérieur et à l'extérieur des exploitations. En retour, la biodiversité elle-même, qu'il s'agisse des espèces domestiques ou sauvages, constitue la base de l'agriculture à différents niveaux désertification (voir le Background Paper 1: Agricultural Biodiversity, FAO/Netherlands 1999a). Les ressources génétiques végétales et animales fournissent à l'agriculture ses principaux éléments de production; la diversité génétique à l'intérieur des espèces animales et végétales exploitées permet de les améliorer et de les adapter en permanence aux nouveaux besoins par le biais de l'évolution et de la sélection organisée. A un autre niveau, de nombreuses composantes de la biodiversité assurent des services essentiels aux systèmes de production agricole: c'est ainsi que les organismes des sols assurent le cycle des éléments nutritifs, ou que les prédateurs naturels combattent les ravageurs. La diversité au niveau des écosystèmes ou des terroirs apporte aussi souvent une contribution importante à la stabilité des systèmes de production. Les pratiques agricoles peuvent avoir un impact négatif ou positif sur la biodiversité. Ainsi, la lutte intégrée contre les ravageurs peut sauvegarder les prédateurs naturels. La conservation des matières organiques du sol peut déclencher une synergie en stabilisant les populations de prédateurs en maintenant des sources d'alimentation de remplacement. L'utilisation des races locales permet de conserver des ressources génétiques végétales importantes pour les cultures au niveau mondial. Les modifications des pratiques agricoles et les nouvelles technologies peuvent soit renforcer soit affaiblir la biodiversité agricole. Qualité de l'eau et disponibilités La demande croissante d'eau pour l'agriculture, l'industrie et les zones urbaines accentue la concurrence et les risques de conflits dans de nombreuses régions (voir le Background Paper 6: Water, FAO/Netherlands 1999f). L'agriculture peut apporter une contribution importante au stockage de l'eau grâce aux techniques de conservation. Les gains individuels et locaux sont associés à des avantages sociaux communs. La sauvegarde des forêts peut faciliter l'infiltration des eaux dans l'intérêt général. Les négociations, contrats et mesures incitatives encouragent les utilisateurs de terres à entretenir ou reconstituer les forêts, en leur absence, au lieu de peut-être défricher les terres pour les cultiver. Il existe aussi de nouvelles techniques qui permettent de concilier l'utilisation des terres à des fins agricoles et l'infiltration des eaux: ainsi l'établissement d'un couvert végétal réduit le ruissellement; on peut conjuguer la production d'énergie hydraulique, la fourniture d'eau potable et l'irrigation par gravité. Aux niveaux régional et national, les organismes publics d'aménagement des bassins hydrauliques peuvent étudier et adopter les mesures et les instruments nécessaires d'encouragement. Au niveau international, l'amélioration en commun de l'aménagement des eaux internationales est fondée sur des conventions et financée par des mécanismes comme le Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM). Pollution Il existe de nombreux moyens de réduire la pollution: réglementation, principe du "pollueur-payeur", négociations de contrats et incitations officielles. La plupart des pays adoptent et appliquent des lois sur l'environnement qui établissent un cadre pour résoudre les litiges. Il existe également de nombreuses solutions techniques applicables en agriculture. Sur l'exploitation, on peut par exemple modifier les techniques de production pour assurer la protection intégrée des cultures, limiter l'utilisation des engrais chimiques et utiliser des plantes cultivées et des arbres pour recycler les éléments nutritifs perdus par suite du lessivage. Les innovations industrielles peuvent également être utiles, par exemple: traitement des déchets animaux pour les transformer en énergie et en engrais commerciaux, utilisation d'engrais sous capsules multiples pour ne libérer que des quantités limitées d'éléments nutritifs dans des conditions déterminées d'humidité et de température, enfin, fabrication de produits chimiques moins dangereux. |
La principale fonction de l'agriculture et de la foresterie est la production matérielle de biens, essentiellement de produits alimentaires destinés à la consommation humaine ou au commerce international. La production primaire fournit également des fourrages et aliments pour les animaux, des matières premières destinées à la production d'énergie (par exemple, co-génération de chaleur et de puissance à partir d'alcool), le biogaz (voir le Background Paper 2: Bioenergy, FAO/Netherlands 1999b), des produits pharmaceutiques et d'autres produits pour l'habillement, le logement, etc.
L'agriculture reste une force très importante pour assurer le fonctionnement et la croissance de toute l'économie, même dans les sociétés hautement industrialisées où les agriculteurs sont peu nombreux. Les investissements et certaines activités nouvelles liées, par exemple, à la diversification ou à l'accroissement de la production peuvent avoir des répercussions économiques en aval et en amont de l'agriculture et son utilisation des terres. En tant que secteur client, l'agriculture a besoin de divers intrants: travail, services et capitaux. En tant que producteur, elle fournit des biens et des services qui sont traités, transportés, commercialisés et distribués. Elle a donc des liens multiples avec d'autres secteurs. Tous ces effets économiques peuvent être estimés sur la base des comptes nationaux et des calculs économiques.
L'évaluation des avantages et des impacts de l'agriculture doit aller bien au-delà de la fonction de production primaire. L'évaluation des diverses fonctions doit englober des projections des avantages potentiels à court, moyen et long termes. Le degré de complexité et de maturité du marché présente une importance fondamentale pour la fonction économique (voir le Background Paper 4: Environment and Trade, FAO/Netherlands 1999d). Le niveau de développement institutionnel est capital, tout comme l'est le potentiel de production de biens et de services qu'offrent les ressources naturelles durables.
La fonction sociale de l'agriculture englobe des éléments qui sont importants pour tous les pays, des plus industrialisés au moins avancés. Le concept de CMFAT prend en compte, une fois qu'ils ont été dégagés, les effets négatifs des pratiques agricoles appliquées et il permet aux parties intéressées d'étudier des mesures pour les éliminer ou les atténuer mais aussi pour tirer parti des synergies potentielles. L'objectif immédiat consiste à renforcer la viabilité des zones rurales et des communautés et à maintenir les valeurs culturelles liées à l'agriculture et aux terroirs pour les sociétés urbaines et rurales. Toutefois, cet objectif peut être atteint suivant divers moyens et avec des résultats différents.
Les zones rurales sont associées à des notions de "culture", de "tradition" et d'"identité" qui sont considérées comme positives et même essentielles. Cependant, les communautés agraires ont subi des transformations spectaculaires. Par exemple, la migration des travailleurs vers les villes et les relations ville-campagne ont eu des effets considérables sur les ressources et les revenus ruraux. Dans les zones agricoles les plus marginales, les populations locales sont désormais tributaires d'échanges permanents avec l'extérieur et d'envois de fonds de celui-ci. Toutes les économies rurales ont des liens avec les marchés urbains et souvent aussi avec les marchés internationaux. La dynamique ancienne ou nouvelle des échanges entre zones urbaines et zones rurales peut être prise en compte dans les analyses fondées sur le concept de CMFAT.
Ce concept présente l'avantage de n'être pas axé exclusivement sur la production, considéré comme la fonction unique ou même comme la fonction nécessairement la plus importante de l'agriculture pour les sociétés rurales contemporaines. Il englobe toute la gamme d'activités liées à la terre et autres ressources naturelles, notamment la sauvegarde d'éléments naturels très importants, le maintien d'activités secondaires et tertiaires liées à l'agriculture et la sauvegarde du patrimoine historique et culturel, les loisirs et le retour des migrants ruraux au moment de la retraite. La survie des cultures locales et nationales est souvent fondée sur des systèmes de croyance et de pensée qui se sont progressivement constitués dans les zones rurales. La viabilité sociale ne repose donc pas uniquement sur la "fonction alimentaire".
L'importance de la fonction sociale apparaît clairement dans les cas des zones rurales des pays les plus industrialisés, qui ne présentent souvent qu'une importance directe modeste pour l'emploi et les revenus au niveau national. Cependant, les fonctions socioculturelles de l'agriculture et de la terre existent également dans de nombreux pays à revenu moyen, et dans d'autres sociétés rurales en rapport avec des zones urbaines ou des activités économiques non agricole. On doit également prendre en considération les aspects sociaux de l'urbanisation et de l'exode rural, sans idée préconçue quant aux avantages ou aux désavantages qu'ils présentent.
Toute une autre gamme de questions est associée au bien-être général des populations rurales. Par des examens effectués à des échelles et des niveaux multiples, on peut dégager les fortes variations locales de la situation sociale, tout en cernant les liaisons critiques avec les niveaux sous-régional ou autres. On peut également examiner l'importance des questions liées à la parité entre les sexes, à l'âge, à la stratification, aux catégories sociales, à l'équité, à l'accès différencié aux ressources et aux chances relatives. Les résultats ainsi obtenus servent à évaluer et influencer l'orientation des interventions à venir concernant l'agriculture, compte tenu de la nécessité de maintenir les services de base et les ouvertures économiques nécessaires pour que les zones rurales restent intéressantes pour les membres de leurs communautés: écoles, dispensaires et autres services de santé, sécurité, communication, routes et transport.
Les services d'information et d'éducation relèvent de la fonction sociale, bien qu'ils intéressent toutes les fonctions. Il est particulièrement important d'étudier les savoirs locaux et d'instaurer des relations entre les communautés locales et les sources extérieures de connaissances spécialisées, d'information et de conseils. Les politiques d'information du public sont efficaces à condition que les populations locales puissent exprimer leur volonté collective en sorte que leurs sociétés puissent continuer à vivre sur des bases durables. Cette volonté peut être formulée explicitement par les dirigeants locaux ou rester implicite lorsque la croissance et le développement d'activités locales créent un état d'esprit favorable dans la communauté.
Dans les zones où l'agriculture s'est fortement spécialisée et utilise intensivement des produits chimiques industriels, le paysage a beaucoup changé et, dans certains cas, la pollution s'est généralisée. Certaines sociétés, en particulier les sociétés industrialisées à revenu élevé, ont progressivement donné la préférence à des formes d'agriculture qui sauvegardent au moins en partie les paysages historiques et réduisent la pollution. Ce souci s'exprime de différentes manières: dans la politique, par la constitution de partis et de programmes "verts", de groupes ou d'associations de conservation de la nature; sur le marché, par l'apparition d'une demande d'agrotourisme et de produits de qualité. Ces produits véhiculent une vue positive - et même souvent romantique - des cultures et des paysages ruraux. Cette demande peut se manifester au plan privé et au plan public. Le public recherche de plus en plus les produits agricoles "traditionnels" et artisanaux. Pour répondre à cette demande, la qualité doit être certifiée au moyen de dénomination d'origine contrôlée, de spécifications techniques et d'un contrôle réel de la qualité. Les consommateurs sont prêts à payer de tels produits plus cher que des produits ordinaires équivalents. Les producteurs doivent se conformer à des réglementations plus strictes dans certains cas (par exemple, mode d'élevage et alimentation des animaux).
Cependant, la demande de conservation des paysages et de la culture rurale ne peut pas toujours être entièrement exprimée par la demande de produits de la terre. Il existe aussi une demande qui présente toutes les caractéristiques d'une demande publique et pose sur des biens ouverts à tous (sans exclusion), comme les paysages ruraux. Elle peut s'exprimer sous forme de demande d'activités touristiques et de loisirs (hôtels, restaurants, musées, distractions). Pour la maintenir, il est nécessaire de conserver les aspects visuels du paysage d'origine (ouvrages en terre, infrastructures anciennes, haies, arbres et bosquets, utilisation de techniques et de matériaux de construction locaux, etc.). Même les paysages profondément transformés et soumis à de fortes pressions démographiques comme les zones côtières et les autres rivages sont de plus en plus souvent modifiés pour retrouver leur caractère d'origine.
Enfin, le nombre important de parties engagées - à des niveaux et des échelles variables - forme l'élément clef de l'avenir de l'agriculture et des terres. Elles expriment directement leurs préférences et actions en ce qui concerne les biens et les services sur les marchés, et indirectement par l'intermédiaire des organismes publics (autorités locales, Etat et autres intermédiaires). Ces "parties prenantes" sont centrales pour les questions liées au leadership, aux pouvoirs de décision et aux degrés d'autonomie réels au niveau local, et aux niveaux sous-régional et national. Au niveau local, les parties prenantes sont les agriculteurs et les autres groupes participant directement à la production ainsi que les groupes s'occupant de gestion et de propriété foncière. Les personnes au sein des services ruraux non agricoles - comme les banques et les administrations - interviennent également.