par
Cécile Beauvallet-Le Coq
Sous-préfecture lacustre du Sud-Bénin comprenant 21 villages et regroupant environ 22.000 habitants, les Aguégués bénéficient depuis 1992 d'un projet de développement rural intégré co-financé par le FENU, le PNUD, le PAM et le gouvernement béninois.
Visant l'amélioration des conditions de vie de l'ensemble de la population, le projet a pour objetifs de développement la résolution des problèmes de court terme auxquels les populations sont confrontées et l'apport d'un mécanisme et de moyens leur permettant à plus long terme de "s'auto-développer dans le respect de la nature". Il comporte les cinq composantes suivantes:
- une composante "Désenclavement" prévoyant la construction de digues et d'un embarcadère,
- une composante "Amélioration des infrastructures de base" comprenant la construction d'une cinquantaine de bâtiments (sous-préfecture, mairies, écoles, centres de santé, maternités),
- une composante "Fonds d'équipement villageois" ayant pour objet le développement des activités génératrices de revenus pêche agriculture, commercialisation),
- une composante "Reconstitution progressive d'un écosystème adéquat" pour une protection accrue de l'environnement à travers des actions de sensibilisation des populations et de replantation,
- une composante "Renforcement des mécanismes de participation des populations" visant à travers une animation et une formation des différentes structures locales (autorités et cadres administratifs, association, groupements, etc.) un renforcement de leur capacité à l'auto-promotion.
Le projet revêt un caractère hautement participatif se basant sur une implication des populations de la phase de conception du projet jusqu'à son évaluation, une contribution financière et matérielle de leur part et un renforcement de leur capacité à initier, promouvoir et exécuter des actions de développement.
Trois ans après le démarrage effectif des opérations sur le terrain et suite à certaines difficultés rencontrées par l'équipe du projet à obtenir une participation suffisante de la part des populations, une consultation d'un mois a été menée pour étudier la participation des populations à la mise en oeuvre du projet et à la gestion des infrastructures fournies. A travers les documents disponibles et des entretiens/discussions de groupes menées sur le terrain, il a été possible de déterminer la nature de la participation effective des populations, de mettre en évidence les facteurs ayant permis d'atteindre les objectifs de mobilisation des populations ou ceux qui, au contraire, ont limité la participation et de proposer des recommandations visant à l'amélioration de la participation.
Participation des populations de construction des infrastructures et à leur gestion
La construction des infrastructures constituait la principale contribution matérielle des populations au projet. Celle-ci consistait en la fourniture, pour une cinquantaine de chantiers et sur cinq ans, de locaux de stockage pour le matériel de chantier et de main d'oeuvre bénévole pour différents travaux non spécialisés (nettoyage des sites, approvisionnement en eau et sable des chantiers, chargement et déchargement des matériaux).
Première action entreprise au démarrage du projet, la composante "Amélioration des infrastructures de base" a fait l'objet d'une préparation importante de la part de l'équipe du projet (phase de sensibilisation et d'animation des populations de trois mois et signature de conventions entre l'AFVP, responsable des chantiers, et les villages concernés).
Malgré cela, les résultats obtenus pour la participation des populations ont été très inégaux et de manière générale, très insuffisants (absence de villageois sur les chantiers, refus de travailler bénévolement,...). Différentes solutions ont été recherchées et des compétences diverses (autorités religieuses et autres leaders d'influence, animateurs,...) utilisées sans que des résultats durables puissent être obtenus. De fait, l'unique solution au problème a été la rémunération des villageois, ce qui, du point de vue de la participation des populations, peut être considéré comme un échec.
Les causes susceptibles d'expliquer un tel échec ont été les suivantes:
- la mentalité des populations des Aguégués, connues pour être peu communicatives, indépendantes, peu enclines aux travaux et préoccupations communautaires;
- l'insuffisance de consultation des populations dans la phase de formulation du projet et dans l'établissement des modalités de la participation; un mauvais ciblage des personnes sensibilisées;
- la conception même du projet: travaux trop importants à réaliser dans des délais trop courts; mauvaise distribution des rôles (I'AFVP a été chargée à la fois de la réalisation et du suivi des chantiers); trop grande complexité des modalités de participation (certains travaux étaient payés sur certains chantiers et non sur d'autres, ce qui a conduit à une contusion au sein des populations);
- une mauvaise coordination entre la réalisation des travaux sur le terrain et l'arrivée des vivres PAM promis dans les conventions.
Par ailleurs, concernant l'entretien des infrastructures fournies par le projet, l'étude a mis en évidence une absence de réflexion des populations sur le rôle qu'elles devront jouer dans la gestion des infrastructures. Le problème n'a, semble-t-il, pas été discuté au départ et commence seulement à être pris en considération. Quelques initiatives indépendantes ont été notées (instauration de corvées de nettoyage des infrastructures sanitaires par des groupements de femmes; constitution d'un fonds d'entretien à partir de la vente des matériaux d'anciens bâtiments détruits) mais la question de l'entretien reste entière et la nécessité de créer le plus tôt possible des structures de réflexion au sein des villages ou parmi les utilisateurs a été plusieurs fois évoquée.
Participation des populations au Fonds d 'équipement villageois
La participation prévue des populations pour la constitution du fonds d'équipement villageois réside dans l'adhésion des populations à une Caisse Villageoise d'Epargne et de Crédit et dans la constitution d'un dépôt par épargne préalable (20% du crédit sollicité).
L'organisation d'une campagne de sensibilisation et l'attrait que constituait l'accès au crédit ont conduit à une bonne mobilisation des populations. L'adhésion d'un nombre suffisant de sociétaires (évaluée à 16% de la population totale) a d'ores et déjà permis d'ériger la Caisse Villageoise en Caisse Locale de Crédit Agricole Mutuel et donc d'élire parmi les populations de la sous-préfecture les 15 membres du Conseil d'Administration. Par ailleurs, la Caisse a fourni un crédit à environ 900 personnes et l'on peut considérer l'opération comme une réussite qui s'explique par la réelle priorité que constitue l'accès au crédit pour les populations.
Cependant, l'étude de la participation des populations à cette composante a mis en évidence une participation différente selon les groupes. Les femmes et les groupements, pourtant considérés comme des groupes de population à privilégier, ont ainsi peu participé, soit à cause d'un manque d'information ou d'une mésinformation (les femmes pensaient au départ ne pas avoir accès au crédit), soit parce que l'accès au crédit leur était refusé (les groupements ont une mauvaise réputation et sont mal connus).
Par ailleurs, l'existence de problèmes de fond a été soulevée, qui, s'ils ne sont pas résolus, pourront à terme limiter l'adhésion de la population:
- inadéquation des conditions d'octroi de crédit au milieu des Aguégués (épargne préalable trop importante, montant des crédits (limités à 500.000 F CFA) trop faible, crédits octroyés sur des périodes trop courtes (maximum un an) à un taux d'intérêt estimé trop élevé (16%/an),
- mauvaise organisation de la distribution des crédits qui ne sont pas toujours disponibles au moment où les populations en ont le plus besoin,
- manque de suivi technique des opérations financées.
Participation des populations à la composante "Reconstitution progressive d'un écosystème adéquat"
Cette composante a bénéficié d'un travail de sensibilisation très important réalisé par une ONG locale (enquête diagnostic-évaluation rapide puis production à partir des informations collectées d'un matériel de sensibilisation audio-visuel adapté à la zone) et a de fait conduit à une très bonne réponse des populations aux séances et aux méthodes utilisées. Les populations se sont ensuite organisées pour la mise en place d'un nombre suffisant de pépinières et ce, malgré le fait qu'elles n'aient pas reçu les vivres PAM prévus à cet effet. Un total de 10.000 plants d'essences forestières a été replanté sur les berges.
Participation des populations à la composante "Renforcement des mécanismes de participation des populations "
La participation des populations à cette dernière composante s'est faite sous la forme:
- de participation des représentants des différentes catégories socio-professionnelles au Comité de Gestion du projet,
- de participation des populations à des séances d'information, de sensibilisation et d'animation,
- de participation des populations à des activités de formation.
Hormis les difficultés rencontrées lors de la phase de sensibilisation générale de démarrage du projet (faible participation des villageois et plus particulièrement des femmes), l'ensemble des activités développées dans la composante ont été bien accueillies par les populations et ont fait l'objet d'une bonne participation des populations. L'intégration de la population dans l'organe décisionnel du projet ainsi que les animations spécifiques à certaines activités (replantation) ou à certains groupes (groupements de femmes et groupements de pisciculteurs) sont très appréciées des populations. De même, les formations techniques et l'alphabétisation, qui pourtant n'avait jusqu'à lors jamais réellement fonctionné dans la sous-préfecture, soulèvent un certain engouement des populations.
Cependant on a pu noter que la pleine participation des populations était parfois limitée. Les limites de la composante et leurs causes sont les suivantes:
- le fonctionnement du Comité de Gestion a été limité par la faible disponibilité de certains membres du Comité, par un manque de moyens (aucun budget ne lui a été octroyé par la contrepartie béninoise) et a été gêné par une certaine rigidité du projet ne lui permettant pas de tenir compte des propositions et initiatives des populations pendant l'exécution du projet,
- les activités d'information, sensibilisation et animation, si elles ont été bien suivies, n'ont pas été suffisantes; ces activités ont été trop rapidement déléguées aux structures locales existantes sans que celles-ci bénéficient au préalable d'un appui technique pourtant nécessaire; ceci rejoint un problème général d'encadrement technique des populations lié à une insuffisance de personnel technique sur le projet et à un manque de collaboration clairement définie avec les agents techniques en place sur le terrain (agents de vulgarisation du Secteur de Développement Rural - CARDER-Aguégués),
- les actions entreprises n'ont pas toujours vu leurs applications se manifester: ainsi l'alphabétisation n'est pas assez vue comme une composante horizontale du projet parcé que la phase d'utilisation des bases acquises - utilisation pour la gestion, la lecture de livrets techniques écrits en langue locale - n'a toujours pas débuté deux ans après la fin de la première série d'alphabétisation.
L'étude de la participation des populations des Aguégués au projet a montré une mobilisation variable des populations suivant les groupes et les activités. La faible participation des populations à la construction des infrastructures et l'engouement rencontré pour certaines actions mieux encadrées (replantation, appui aux groupements) ont montré l'importance de l'animation des populations.
Aussi, afin de pérenniser l'action du projet, semble-t-il nécessaire pour les trois dernières années du projet que l'équipe du projet s'attache plus sérieusement au travail d'animation des populations. La création d'un comité de réflexion et d'organisation des activités d'animation et de sensibilisation, le renforcement de la collaboration avec les structures locales susceptibles de réaliser le travail général d'animation sur le terrain et l'intensification de l'appui aux groupements et plus particulièrement aux groupements de femmes, ont été les principales solutions proposées pour atteindre ce but.
Par ailleurs, des recommandations spécifiques aux différentes composantes ont été faites:
- la réflexion sur la question de l'entretien des infrastructures fournies par le projet doit être menée le plus rapidement possible; l'organisation de cette réflexion pourra être soumise à l'Association de développement des Aguégués qui sera chargée de réunir les intéressés et de les amener à réfléchir et à trouver des solutions à ce problème;
- dans le cas du Fonds d'équipement villageois, les modalités d'octroi de crédit pourront être revues (augmentation du montant octroyé et allongement de la durée de remboursement à deux ans); l'accès au crédit des groupements devra être facilité (l'intensification du travail d'appui aux groupements servant par ailleurs de garantie); la distribution des crédits devra être mieux répartie entre les activités et faite en fonction des périodes de pointe de chaque activité.