Page précédente Table des matières Page suivante


3. RENTES ECONOMIQUES

Comme nous l'avons déjà note, les deux groupes d'espèces les plus importants sont les poissons pélagiques qui se déplacent par bancs (sardinelles, chinchards et sardines) et les céphalopodes (poulpes, encornets et seiches). S'y ajoutent les stocks démersaux de sparidés et de merlus qui contribuent pour beaucoup à valoriser les prises de la région (respectivement environ 85 et 75 millions de dollars aux prix présumes). Dans les deux courbes de prix, les quatre groupes d'espèces font plus de 75 pour cent de la valeur totale des prises dans la sous-zone. Elles représentent, par conséquent, les espèces qui justifient le plus de recherche.

Comme presque partout dans le monde, les renseignements que l'on détient ici sur l'état des stocks sont maigres et ont besoin d'être approfondis. Ceux dont on dispose déjà permettent néanmoins de savoir qu'un certain nombre de décisions et d'actions peuvent immédiatement intervenir, afin d'accroître le bénéfice que les Etats côtiers sont susceptibles de tirer de la pèche. En particulier, il est très important de savoir que plusieurs des stocks les plus précieux ont été pêches à un point tel qu'une diminution de l'effort de pêche serait souhaitable, à la fois pour des raisons biologiques et économiques.

Les travaux d'évaluation ont montré le besoin de limiter l'effort exercé sur les stocks suivants: crevettes, aussi bien en ce qui concerne la pêche artisanale en lagune que la pêche en mer (sauf quelques exceptions), merlu, sparidés et céphalopodes du secteur subtropical nord ainsi qu'apparemment sardine dans la zone méridionale et maquereau. Par contre, les stocks de sardinelles et de chinchards dans la zone nord et les stocks démersaux côtiers et hauturiers du golfe de Guinée pris globalement ne paraissent pas trop exploites (FAO 1979a).

Fig. 4 - Valeur estimée des prises, selon les courbes de prix A et B, par pays et groupes d'espèces

Source: Texte Tableau 3.

Tableau 5

ECHELLE ESTIMEE DE LA RENTE ECONOMIQUE HYPOTHETIQUE OFFERTE PAR LA PECHE DES CEPHALOPODES AU NORD DU CAP-VERT



Base 1976

Base 1977

A.

Estimation des prises 1976 et 1977 (en milliers de tonnes)


180


162

B.

Estimation du revenu brut, à 2 000 $ E.-U./t (en millions de dollars)

$

360

$

324

C.

Rente économique actuellement retirée de cette pêche (en millions de dollars)

$

23

$

23

D.

Coût total de la pêche, rente exclue (en millions de dollars)

$

337

$

301

E.

Coût total de la pèche, à fmax, (en millions de dollars)

$

236

$

182

F.

Estimation du rendement permanent maximum (en milliers de tonnes)


198


198

G.

Revenu brut potentiel, à 2 000 $ E.-U./t (en millions de dollars)

$

396

$

396

H.

Rente économique hypothétique (en millions de dollars)

$

160

$

214


Sources et calculs de déduction

Ligne A = COPACE 78/11, Tableau 9
Ligne B = Ligne A multipliée par 2 000 dollars E.-U.
Ligne C = Tableau 8, ci-après
Ligne D = Ligne B moins ligne C
Ligne E = Ligne D divisée par 1,43 (1976) et par 1,65 (1977)
Ligne F = COPACE 78/11, Tableau 10 ci-après
Ligne G = Ligne F multipliée par 2 000 dollars E.-U.
Ligne H = Ligne G moins ligne E.
En ce qui concerne les céphalopodes, les informations dont nous disposons aujourd'hui permettent d'indiquer qu'une grande partie de l'effort de pèche excessif se situe actuellement dans le périmètre situe au nord du Cap-Vert, ou s'effectue la quasi-totalité des captures de ces espèces. Pour l'ensemble des céphalopodes dans ce périmètre, on a estime que l'effort de pêche engage en 1977 était de 65 pour cent supérieur à celui nécessaire pour produire un rendement permanent maximum des stocks (FAO 1978a, Tableau 10). En 1975, l'effort n'était que de 43 pour cent supérieur (FAO 1978a, Tableau 9). En outre, on a calculé que le rendement permanent maximum serait supérieur d'environ 22 pour cent au taux des captures de 1977, et de 10 pour cent à celui de 1976.

Ces estimations ont servi à en déduire une mesure approximative de la rente économique hypothétique, que pourrait offrir la pêche aux céphalopodes au nord du Cap-Vert (Tableau 5). Il convient de souligner le mot “hypothétique”: à la fois, en raison de la méthode de déduction employée et de l'incapacité pratique, actuellement, à tirer de telles rentes de cette pèche.

Pour calculer ces estimations, on est parti de l'hypothèse principale selon laquelle le coût total de l'effort de pêche a été égal, en 1976 comme en 1977, au revenu total de la pêche. Cette hypothèse est basée sur les modèles théoriques biologiques et économiques, qui, à leur tour, procèdent d'un certain nombre de postulats: à savoir, un degré élevé de mobilité à l'intérieur et à l'extérieur de la pêcherie, des prix constants et uniformes par tonne de jauge des bâtiments. Bien que le modèle biologique semble correspondre assez bien aux valeurs observées, les renseignements économiques dont on dispose sont insuffisants pour pouvoir évaluer le modèle économique. Par conséquent, l'échelle de la rente économique hypothétique, qui se situe entre 160 et 214 millions de dollars par an, doit être utilisée seulement pour indiquer que la zone en question pourrait probablement retirer de la pêche aux céphalopodes un supplément important de rente économique. On notera aussi que les calculs sont bases sur une réduction de l'effort de pêche au point de rendement permanent maximum. Théoriquement, des rentes économiques plus intéressantes pourraient résulter d'efforts de pêche même inférieurs.

Il convient aussi de mentionner deux autres problèmes à propos de la méthode de déduction utilisée. Le premier procède de l'estimation de la rente économique actuellement perçue, qui est certainement trop basse. Comme il a été signalé dans la discussion, cette estimation ne tient pas compte de la charge que représente, pour les bateaux étrangers, l'obligation de débarquer en Mauritanie une certaine proportion de leurs captures. Si les rentes actuellement perçues se montaient à 50 millions de dollars - deux fois le taux supposé - l'estimation du total des rentes économiques hypothétiques serait accrue de 15 à 20 millions de dollars environ.

Le second problème tient à ce que les estimations négligent les revenus tirés d'autres espèces que les céphalopodes. Selon les courbes de prix et de rendement que l'on applique pour ces autres espèces, les rentes hypothétiques peuvent être supérieures ou inférieures à celles calculées ci-dessus.

A supposer même que les rentes hypothétiques correspondent à la réalité, il est peu vraisemblable qu'elles puissent être encaissées intégralement dans les conditions présentes. Les stocks de céphalopodes du périmètre nord du Cap-Vert ne constituent qu'une partie des disponibilités qu'offrent ces mollusques aux flottilles extrêmement mobiles qui les pèchent. D'autres stocks importants existent dans l'Atlantique nord-ouest et dans le Pacifique nord-est ainsi que, semble-t-il, dans le périmètre situe au sud du Cap-Vert1/. Les prix d'accès à un stock particulier ne sauraient être évalues isolement. Comme pour tout autre produit offert sur le marche, les pécheurs chercheront à se le procurer la ou la différence entre le total de leurs charges et de leurs revenus individuels est maximisée. Si, par conséquent, la Mauritanie augmente trop le coût d'accès aux céphalopodes, les pécheurs iront les chercher ailleurs, la ou le prix en est moins élevé, même si le rendement par unité d'effort peut, lui aussi, être inférieur.

1/ D'après des renseignements récents, il s'effectue actuellement d'importantes captures de seiches par unité d'effort au large des cotes de Guinée-Bissau et de la République de Guinée.
Théoriquement, dans un marche libre, le coût de l'accès aux stocks sera lie aux différences que présenteront les charges et les rendements par unité d'effort de pêche, tout propriétaire d'un stock devant pouvoir retirer intégralement le maximum de la rente économique disponible (directement ou indirectement).

Mais les marches parfaits existent rarement et, dans la situation présente ou le marche des droits à l'accès est juste en train de se développer, il y a peu de chances de pouvoir tirer de la pèche l'intégralité des rentes économiques.

En outre, comme ce marche est d'apparition récente, il faut laisser le temps aux ajustements de se mettre en place. De fortes hausses soudaines du coût d'accès à un stock particulier pourraient être une source de perturbations et entraîner des dommages prolonges, à la fois pour les Etats côtiers et les pays pêcheurs étrangers. Sans période d'ajustement, l'armement d'un pays donne peut être contraint d'abandonner les lieux de pêche, réduisant ainsi dans le futur le nombre des acheteurs potentiels des droits d'accès et restreignant le marche. Si les Etats côtiers étaient pleinement capables d'exploiter leurs ressources marines avec leurs capitaux et leur main-d'oeuvre propres, le départ des bâtiments étrangers ne réduirait pas nécessairement le bénéfice net qu'ils peuvent en tirer. Mais lorsque tel n'est pas le cas, ces Etats serviront leur intérêt économique en permettant aux ajustements de se faire progressivement et en ne se privant pas de la possibilité de tirer un revenu économique de la pêche étrangère.

On ne doit pas interpréter cette discussion autour des rentes économiques comme signifiant que le bénéfice net des Etats côtiers doit seulement provenir des revenus économiques à tirer de la pêche étrangère. Nous essayons simplement ici d'évaluer approximativement le montant des rentes économiques qui pourraient être disponible. L'utilisation des marchés internationaux pour l'évaluation des ressources, et aussi de l'accès à ces ressources, est un moyen qui permet de prendre la mesure économique de la valeur des droits de pêche correspondants. Ces droits, les Etats côtiers peuvent les exercer directement en développant leur propre industrie de la pêche, ou bien les affermer à des pays étrangers en échange, soit des revenus économiques, soit d'autres sortes d'avantages tels que la formation de leurs pécheurs, l'installation de moyens de transformation, l'octroi de dons d'aide, etc. Que les Etats côtiers cherchent à tirer de leurs ressources un bénéfice net par le développement de leur capacité halieutique ou grâce aux revenus économiques perçus sur la pèche étrangère, les calculs de rentabilité hypothétique montrent que les bénéfices potentiellement disponibles sont considérables.

Enfin, en ce qui concerne les céphalopodes, comme d'ailleurs pour toutes les pêches en gênerai, on ne peut tirer de bénéfice sans encourir certaines dépenses. Si l'Etat côtier souhaite développer ses propres moyens de pèche, ces dépenses comprendront évidemment le coût de la pèche. Mais, en outre, il faudra tenir compte de plusieurs autres charges afférentes à la gestion (que celle-ci emploie comme pécheurs des nationaux ou des étrangers), incluant le coût d'acquisition des informations nécessaires à l'amélioration des décisions, les frais d'établissement et d'impositions des règlements, redevances ou taxes, le coût de leur application. Tous ces coûts, particulièrement ceux d'exécution, ne sont pas négligeables: cela signifie que les bénéfices potentiels nets des Etats côtiers seront inférieurs aux rentes hypothétiques que nous avons calculées. Pour l'instant, il n'y a aucun moyen de déterminer l'ordre de grandeur de ces coûts pour la pèche aux céphalopodes.

Outre les céphalopodes, il existe d'autres pêches dans la sous-zone septentrionale du COPACE qui sont évidemment l'objet d'un effort de pêche excessif. Cela concerne notamment les stocks de merlu, de brèmes de mer et de crevette. Bien que les renseignements dont nous disposons ne soient pas suffisants pour procéder à une estimation, même hypothétique, de leur rentabilité économique potentielle, il est certain qu'il y a pénurie économique de ces produits et que les droits à l'accès de leurs stocks représentent une valeur. Par conséquent, si les Etats côtiers le désirent, ils peuvent tirer certains avantages de la pêche étrangère, soit en imposant des taxes ou des droits sur les permis de pêche, soit en demandant l'octroi de dons d'aide. Pour tirer de la pêche étrangère le maximum d'avantages nets, une approche empirique consiste à augmenter progressivement les redevences et taxes, puis à observer les résultats.

En ce qui concerne les espèces pélagiques se déplaçant par bancs, il semblerait possible d'accroître les captures de sardinelles et de chinchards. Pour les sardines, l'analyse la plus récente suggère que le stock de la zone C (entre 23 et 26° de latitude N) est péché très près de son rendement potentiel d'environ 510 000 tonnes (FAO 1979b). Les autres stocks des zones A et B (au nord de 26°N) ne paraissent pas être exploités au taux de leur production maximum. Ces conclusions, toutefois, sont provisoires: il n'est même pas certain que les stocks de ces trois zones soient des stocks distincts.

En résumé, il est clair que la valeur économique des ressources halieutiques dans la sous-zone nord du COPACE est très élevée - peut-être davantage que dans aucune autre région du monde de superficie comparable. Les flottilles d'un petit nombre d'Etats côtiers étrangers produisent au total un revenu brut proche d'un milliard de dollars, dont les trois-quarts sont prélevés par les pays extérieurs à la zone (en admettant que l'Espagne doive être considérée comme entrant dans cette catégorie).

Cette richesse entre aujourd'hui sous la juridiction d'une demi-douzaine d'Etats côtiers, dont la majeure partie relève des zones économiques étendues du Maroc, de la Mauritanie et du Sénégal, auxquelles celles de la Guinée-Bissau et de la République de Guinée ajoutent un potentiel important. Ces Etats côtiers ont la faculté de bénéficier largement de l'exploitation des ressources, soit en tirant profit des pavillons étrangers, soit en développant leurs propres moyens de pêche, soit en faisant les deux.

L'ampleur de ces bénéfices, toutefois, ne saurait faire l'objet actuellement d'estimations satisfaisantes, faute de renseignements économiques suffisants. Il est vraisemblable que la plus forte croissance des bénéfices nets pourra provenir de la pèche aux céphalopodes, mais plusieurs autres pêches témoignent aussi d'une valeur élevée. Dans tous les cas, on peut escompter que ces valeurs augmenteront dans le futur, étant donne la hausse des prix de tous les produits de la pêche et les difficultés croissantes que les pays pratiquant la pêche lointaine doivent affronter pour avoir accès aux zones économiques dans d'autres régions du monde.


Page précédente Début de page Page suivante