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Transfert de technologies et d’informations: améliorer la capacité de lutte contre les insectes défoliants en République de Moldova

G. Allard, J. Ghent, I. Mironic et L. Spitoc

Gillian Allard est chargée de la protection des forêts auprès du Département des forêts de la FAO, Rome.
John Ghent est entomologiste forestier auprès du Service forestier, Département de l’agriculture des Etats-Unis, Asheville, Caroline du Nord (Etats-Unis).
Ion Mironic est chef de la protection des forêts auprès de Moldsilva, l’Organisme forestier de l’Etat, Chisinau (République de Moldova).
Liliane Spitoc travaille auprès de l’Institut de recherche et gestion forestières, Chisinau (République de Moldova).

Grâce au transfert de technologies et de matériel, les pays en développement et les pays aux économies en transition sont à même de maîtriser les infestations catastrophiques d’insectes forestiers nuisibles.

Parmi les défis auxquels sont confrontés de nombreux pays dans le domaine de la santé des forêts, figurent les infestations sporadiques d’insectes nuisibles capables de provoquer la mort des arbres, et d’entraîner ainsi des pertes en ressources économiques et environnementales. Lorsqu’une infestation atteint les proportions d’une épidémie et touche de vastes étendues de terres parfois inaccessibles, l’épandage aérien de biopesticides est parfois le seul moyen de traiter efficacement l’infestation et de protéger des forêts de haute valeur. Cependant, le coût élevé des programmes d’épandage aérien interdit généralement les traitements à grande échelle, sauf dans les pays développés.

Des technologies ont été mises au point pour garantir que l’épandage aérien sera précis, économique et respectueux de l’environnement. Dans la plupart des cas, toutefois, les pays en développement et les pays aux économies en transition ne disposent que de matériel d’épandage désuet ou obsolète et d’aéronefs dotés d’aptitudes minimales à la navigation ou à la communication. Les compétences et la formation nécessaires pour effectuer ces opérations sans danger et de façon efficace et économique leur font également défaut.

Dans la plupart des régions, il est rare que se produisent de graves défoliations à grande échelle causées par les insectes. Les infestations catastrophiques de défoliants forestiers indigènes tendent à assumer un caractère cyclique et n’ont souvent lieu qu’une ou deux fois au cours de la carrière d’un forestier. C’est pourquoi les gestionnaires des terres ont normalement des compétences et une expérience limitées, voire inexistantes, en matière d’épandage aérien de biopesticides. Dans ces cas-là, une aide internationale peut contribuer à prévenir la catastrophe.

En 1999, en République de Moldova, une grave infestation de plusieurs espèces de papillons nocturnes défoliants a décimé les ressources forestières éparses du pays. La menace de niveaux inacceptables de mortalité s’est conjuguée à de graves dommages causés par des tempêtes hivernales et une succession de sécheresses estivales. Ne disposant que d’un matériel désuet et manquant de ressources financières, le pays n’a pu déployer que des efforts limités et coûteux pour maîtriser les problèmes dus aux insectes. Après avoir fait tous les efforts possibles, le gouvernement a sollicité l’aide de la FAO.

Sous l’égide du Programme de co-opération technique (PCT), la FAO a collaboré avec le Service forestier du Département de l’agriculture des Etats-Unis (USDA) pour répondre à cet appel. Aux Etats-Unis, la spongieuse (Lymantria dispar), introduite accidentellement et établie en 1869, a imposé le traitement aérien des forêts dans une partie ou l’autre du pays presque chaque année depuis la fin des années 40. Grâce à ces interventions, le Service forestier de l’USDA a acquis de profondes connaissances en matière d’épandage aérien et a encouragé des efforts continus de recherche visant à réduire les coûts du traitement, à en accroître l’efficacité et à réduire au minimum les impacts sur l’environnement forestier. Le Service forestier a également mis en œuvre un programme de grande envergure destiné à former et à aider les différents organismes de gestion des terres dans les zones nouvellement infestées, afin qu’ils appliquent des techniques d’épandage aérien correctes.

Depuis 1998, les entomologistes du Service forestier de l’USDA ont fourni, en collaboration avec la FAO, une assistance technique au niveau du pays en matière de formulation et de mise en œuvre de projets d’épandage aérien en Bulgarie, Mongolie, Roumanie et dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, ainsi qu’en République de Moldova.

Il s’agit là d’un échange dans les deux sens, puisque les Etats-Unis profitent aussi d’une collaboration avec les spécialistes nationaux de la protection des forêts; les pays partagent des idées sur la gestion de la santé des forêts, des connaissances sur les ravageurs exotiques potentiels, des techniques nouvelles d’enquête et des approches novatrices de gestion des problèmes relatifs aux ravageurs forestiers.

Effets d’une infestation d’insectes défoliants sur une forêt de frênes (Fraxinus spp.) en République de Moldova

I. MIRONIC


LES FORÊTS DE LA MOLDOVA

Les forêts et les autres terres boisées (appartenant toutes à l’Etat) ne couvrent qu’environ le dixième des 3,3 millions d’hectares du territoire de la République de Moldova. Les deux tiers de ces forêts sont disponibles pour l’approvisionnement en bois, tandis que le reste est affecté à la conservation et à la protection de la nature, notamment la protection contre l’érosion du sol, car la dégradation des terres est un problème grave qui touche l’ensemble du pays. Presque toutes les forêts entrent dans la catégorie des formations semi-naturelles; de petites superficies ont été boisées, notamment pour éviter l’érosion. A l’exception d’une zone limitée, les espèces feuillues s’adjugent pratiquement la totalité du matériel sur pied et comprennent des espèces de chêne (Quercus) qui, à elles seules, occupent la moitié des forêts. Parmi d’autres espèces importantes, figurent le hêtre (Fagus spp.), le charme (Carpinus spp.), l’érable (Acer spp.), le frêne (Fraxinus spp.), le tilleul (Tilia spp.), le bouleau (Betula spp.), le peuplier (Populus spp.) et le robinier (Robinia pseudoacacia), ce dernier étant une essence introduite.

En Moldova, le bois sert essentiellement à la production d’énergie. Plus de la moitié de tout le bois consommé va à l’approvisionnement en bois de feu et charbon de bois. Les forêts jouent également un rôle important pour la population comme source de produits forestiers non ligneux, tels que noix, fruits, baies, herbes médicinales, miel, champignons et fourrage. L’industrie forestière relève presque entièrement de l’Etat, et sa production ne suffit pas à satisfaire les besoins des marchés intérieurs, en raison de la pénurie de matières premières et de la faible capacité de production.

L’organisme forestier de la République de Moldova, «Moldsilva», est chargé de la gestion des terres boisées domaniales. Moldsilva gère environ 87 pour cent des forêts du pays. Les municipalités ou les exploitations agricoles gèrent le reste, mais dépendent de Moldsilva pour la direction de la gestion.

Moldsilva met en œuvre un programme de protection des forêts exceptionnellement actif, avec la collaboration d’un personnel hautement qualifié. A la station de protection des forêts, le personnel surveille annuellement l’état de santé des forêts dans l’ensemble du pays. Les prises de décisions et la planification des traitements éventuels tiennent compte de la gravité des dommages, du niveau des risques qui menacent les peuplements forestiers et des ressources disponibles. La structure organisationnelle de la surveillance de la santé des forêts et l’intensité des enquêtes dépassent celles des Etats-Unis. Cependant, les contraintes financières et la vétusté du matériel d’épandage entravent l’efficacité de la lutte contre les grandes infestations.


SITUATION DES RAVAGEURS FORESTIERS

Des infestations d’insectes défoliants se sont manifestées dans toute la péninsule balkanique et le sud-est de l’Europe au cours de la décennie écoulée. Une sécheresse prolongée, conjuguée au grand âge des peuplements forestiers, a accru la vulnérabilité des forêts aux infestations de défoliants forestiers indigènes. Ces conditions rappellent un grand nombre de celles qui ont entraîné de vastes infestations de défoliants forestiers dans certaines régions des Etats-Unis.

Lorsque la République de Moldova a sollicité une assistance internationale au début de 1999, environ 95 700 ha de forêts avaient été attaqués par des insectes phyllophages: Tortrix viridana, Erannis defoliaria, Operophtera brumata et Lymantria dispar. Les chercheurs moldoves ont estimé que de 60 à 90 pour cent des pertes de croissance annuelle des arbres sur pied, soit environ 200 000 m3, étaient causés par ces ravageurs. Depuis 1993, la superficie moyenne infestée par les insectes phyllophages a varié entre 50 000 et 70 000 ha (de 16 à 22 pour cent des terres boisées), dont 30 000 à 40 000 ha sont des forêts qui imposent un traitement aérien en raison de leur haute valeur économique et génétique et du niveau élevé de l’infestation.


TRANSFERT DE TECHNOLOGIES

La première phase de l’assistance prévoyait une collaboration avec le pays en vue de mettre au point une méthode de gestion intégrée des ravageurs. Pour protéger l’environnement, la FAO encourage l’application de pesticides biologiques (non chimiques), comme Bacillus thuringiensis var. kurstaki (Btk) ou de régulateurs de la croissance des insectes pour la lutte contre les lépidoptères (papillons nocturnes et diurnes). Ces produits ont de faibles effets sur les insectes non visés, dont un grand nombre sont bénéfiques pour un écosystème forestier sain. On prépare spécialement de nouvelles formules à haute activité de Btk pour un épandage non dilué et à faible volume (de 2 à 3 litres par hectare). L’épandage de produits à faible volume permet de réaliser d’importantes épargnes de biopesticides, ainsi que des économies notables.

Pour assurer une bonne protection du feuillage avec des volumes aussi faibles, le Btk doit être appliqué en très petites gouttelettes ne mesurant qu’environ 100 μm – soit une mesure à peine supérieure au diamètre d’un cheveu. Les régulateurs de la croissance des insectes utilisant l’eau comme support (qui s’évaporent rapidement et doivent donc être épandus lorsque l’humidité relative dépasse 60 pour cent) sont appliqués à un volume supérieur: de 5 à 9 litres par hectare avec des gouttelettes de 150 μm. On peut également appliquer les régulateurs de la croissance des insectes en utilisant une préparation à base d’huile qui permet des volumes inférieurs, soit 3 litres par hectare et des gouttelettes comprises entre 80 et 100 μm.

La FAO a fourni des aéronefs modernes capables de lancer des jets à faible volume. Les aéronefs agricoles locaux utilisés pour le traitement des forêts (hélicoptères KA-26) avaient d’anciennes lances d’arrosage hydrauliques adaptées à la pulvérisation des volumes importants et des grandes gouttelettes nécessaires pour protéger les cultures agricoles. Pour obtenir les petites gouttelettes nécessaires à l’aspersion à faible volume du Btk et des régulateurs de la croissance des insectes, on a installé des pulvérisateurs centrifuges modernes sur les aéronefs existants. Ces pulvérisateurs peuvent être réglés de manière à produire des gouttelettes de différentes tailles, y compris les petites gouttelettes convenant au Btk.

Des cours de formation aux techniques d’épandage actuellement utilisées dans le traitement des forêts ont également été dispensés dans le cadre du projet. L’emploi de techniques d’épandage à faible volume exige une nouvelle conception de l’opération.

De petits changements dans les conditions de l’environnement peuvent notamment influencer l’efficacité du traitement. On a décrit aux directeurs de projet les conditions optimales, et un calendrier des pulvérisations leur a été recommandé. Les pulvérisations avec de petites gouttelettes sont semblables à une brume ou à un brouillard légers. Lorsque les pulvérisations sont dégagées à 15 m au-dessus du couvert forestier, un vent léger de 2 à 3 m par seconde peut déplacer le nuage insecticide de 100 m. Une faible humidité et de hautes températures peuvent provoquer l’évaporation des gouttelettes et la remontée du brouillard insecticide sur le courant d’air chaud dégagé par le réchauffement diurne de la terre. Les conditions optimales de pulvérisation se présentent d’habitude entre le lever du soleil et 10 h – une période plus courte que celle typique du traitement des cultures agricoles.

Il est important de se rendre compte que les conditions qui règnent à l’aéroport peuvent s’écarter sensiblement de celles de la zone à traiter. C’est pourquoi il est essentiel de disposer d’instruments portables d’évaluation des conditions météorologiques et d’instaurer de bonnes communications entre les responsables de la surveillance météorologique et les directeurs de projet.

L’évaluation des dépôts d’insecticide est importante pour déterminer la qualité de l’épandage. Dans le cadre du projet, des cours de formation ont été dispensés en classe et sur le terrain pour introduire des techniques de surveillance des dépôts et de la qualité du programme de traitement. L’une des techniques les plus simples consiste à utiliser des cartons sensibles à l’eau, traités à l’aide d’une teinture jaune qui bleuit en présence des pulvérisations à base d’eau. Ces cartons ont permis de mesurer facilement la taille des gouttelettes et la densité des dépôts. Pour faciliter la mesure des gouttelettes, le projet a fourni des micromètres manuels et des logiciels d’usage courant gratuits. On peut effectuer des essais biologiques sur le terrain pour déterminer le niveau du dépôt de Btk présent sur le feuillage, et indiquer aux directeurs de projet si la pulvérisation a été déposée de manière uniforme sur un massif et s’il reste suffisamment de matériel après une averse.

Une formation à l’usage du pulvérisateur AgDisp, mis au point par le Service forestier de l’USDA, a été dispensée pour démontrer les effets des conditions météorologiques, du réglage du pulvérisateur centrifuge et de la taille des gouttelettes sur le dépôt d’insecticide. Le modèle peut également servir à évaluer les facteurs qui influencent la dérive du jet par rapport à l’objectif, ou à assurer la protection de zones sensibles près des endroits traités.

Aéronef local pour le traitement des cultures agricoles (hélicoptère KA-26) doté d’une lance d’arrosage vétuste, inadaptée aux opérations forestières de pulvérisation
de biopesticides à faible volume

J. GHENT


Des pulvérisateurs centrifuges modernes ont été installés sur des aéronefs existants pour obtenir des gouttelettes de la dimension nécessaire aux pulvérisations à faible volume du Btk et des régulateurs de la croissance des insectes

G. ALLARD


Opération de pulvérisation de biopesticides en cours

I. MIRONIC


UN RÉSULTAT PROMETTEUR

En 2000, un épandage aérien a été entrepris sur 7 600 ha de forêts de haute valeur en République de Moldova. L’efficacité des traitements a été estimée à 96-98 pour cent à l’aide du matériel et des technologies fournies par l’entremise du projet. Ces opérations ont permis d’éviter une importante défoliation des plantations forestières et ont réduit la possibilité d’un transfert transfrontière. Les économies réalisées ont été estimées à 45 pour cent par rapport aux coûts de l’utilisation de produits moins efficaces et de matériel désuet.

Il est important de gérer les forêts de manière à réduire au minimum, à l’avenir, les risques de grandes infestations de ravageurs et de maladies, et de surveiller la situation des insectes sur une base continue pour permettre d’intervenir dès l’apparition des problèmes. Le projet a permis d’approfondir les techniques de surveillance et d’établir une base de données pour la gestion à long terme des forêts, en vue de mettre à jour et de perfectionner les systèmes existants.

Des méthodes similaires ont été appliquées avec succès en Bulgarie, en Roumanie, dans l’Ex-République yougoslave de Macédoine, en Mongolie et en République populaire démocratique de Corée, suggérant que ce type de projet, qui transfère l’information d’un pays à un autre, est extrêmement utile pour la protection des forêts.

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