La sécurité alimentaire en temps de crise dans les zones rurales: les femmes font entendre leur voix
Plusieurs centaines de femmes vivant dans les campagnes d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine ont récemment participé à des consultations locales sur l'insécurité alimentaire et ses conséquences. Quelques points de vue...
«Lorsqu'on confie un projet à des femmes, elles savent se montrer à la hauteur.» [FAO/G.Bizzarri]
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Analucy Bengochea, Honduras
Analucy Bengochea est coordinatrice du Comité garifuna pour les urgences, formé en 1998 après le passage de l'ouragan Mitch, qui a dévasté la région occupée par les communautés indigènes Garifuna, dans le nord-est du Honduras.
Notre comité a récemment organisé une consultation avec les communautés rurales du Honduras, qui a révélé que les familles ne prennent aujourd'hui que deux repas par jour. Nous avons constaté, à notre niveau, que la crise économique avait aggravé la pauvreté et l'insécurité alimentaire. Nombre de paysans cultivent des plantes vivrières pour la consommation de leur famille, et il ne leur reste pas grand-chose à vendre.
Les agricultrices, ne pouvant pas cultiver faute d'argent ou de terres, se trouvent dans une situation très difficile. Elles ont besoin d'emprunter, mais les banques exigent des garanties qu'elles ne sont pas en mesure d'apporter. Souvent, ces femmes se trouvent à la tête du ménage car l'homme est parti chercher du travail ailleurs. Leurs responsabilités sont de plus en plus lourdes dans la mesure où c'est à elles qu'il revient de trouver les moyens de nourrir et d'éduquer les enfants. Or, rien n'est prévu par les pouvoirs publics pour que soit récompensé tout ce travail accompli par les femmes.
Aujourd'hui, la faim ne touche pas uniquement les campagnes. Elle sévit à l'échelle planétaire dans toutes les strates de la société. Il est important que les agriculteurs, les populations autochtones, les gouvernements et les donateurs apprennent à travailler ensemble. Il est important, aussi, que tous les groupes soient représentés dans les processus décisionnels, car nul ne peut décider à la place d'un autre sans connaître sa réalité.
Les programmes de sécurité alimentaire doivent traiter directement avec les femmes, paysannes ou autochtones. Toutes les communautés rurales et agricoles fonctionnent selon des structures hiérarchiques. qui ont survécu à l'épreuve du temps. Il est important de travailler avec elles en en tenant compte. Lorsqu'on confie un projet à des femmes, elles savent se montrer à la hauteur.
Grâce aux consultations locales, nous avons pu rencontrer d'autres agriculteurs d'Amérique centrale et confronter nos stratégies et nos idées, au sujet, notamment, des cultures, des engrais organiques et des jardins potagers. C'est ainsi que j'ai appris qu'on utilise au Guatemala des engrais organiques, que nous avons donc adoptés au Honduras, tandis que les Guatémaltèques ont profité de notre expérience en matière de banques de semences. Nous nous efforçons de tirer parti de toutes les expériences transposables ailleurs.
Au niveau des autorités administratives, il faudrait institutionnaliser les bonnes pratiques émanant des communautés. Ce sont les populations de nos propres pays qui impulsent le changement. Il faut encourager l'adoption de politiques qui protègent notre environnement, qui éliminent l'insécurité alimentaire et qui promeuvent l'éducation.
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Gódavari Dange, Inde
Gódavari Dange est agricultrice dans le Maharashtra. Elle est à la tête du Réseau de la fédération Sakhi, l'un des 5 000 groupes de femmes bénéficiant de l'aide de Swayam Shikshan Prayog, une ONG indienne qui s'occupe d'éducation et de développement.
Nous avons réalisé une étude qui a révélé que les femmes de notre région souffraient d'anémie et ne se nourrissaient pas correctement. Lorsque nous leur avons demandé quelle en était la raison, elles nous ont expliqué qu'avant de pouvoir prendre leur repas, elles devaient servir toute la famille, et que lorsque c'était fait il ne restait guère à manger. Nous avons donc lancé un vaste programme éducatif pour convaincre les femmes de prendre soin d'elles-mêmes et leur faire comprendre que si elles négligeaient de se nourrir convenablement, elles seraient toujours malades.
Pour la majorité des femmes de notre région, l'agriculture est la seule source de revenus. Étant isolées, elles pâtissent du manque d'information et n'ont guère leur mot à dire sur le choix des cultures. Elles gagnent à travailler en groupe: cette année, par exemple, les pluies étaient prévues pour le mois de juin, mais sont arrivées en août. Les femmes qui s'étaient associées au sein de groupes ont rapidement changé leurs plans de culture et opté pour des légumes hâtifs sur trente jours. Nous avons financé les déplacements de femmes qui se sont chargées de former d'autres femmes pour qu'elles aussi profitent de ces connaissances.
Les consultations locales nous permettent d'échanger des données d'expériences et de savoir, par exemple, ce qui se fait au Népal ou au Sri Lanka. Nous rassemblons toute sorte d'informations, puis nous les communiquons aux autorités en faisant des suggestions. Lorsqu'ils ont affaire à un groupe de femmes nombreux, les représentants des autorités discutent plus facilement de leurs projets.
Ce n'est qu'en nous déplaçant à l'étranger que nous pouvons savoir quels sont les problèmes que l'on rencontre ailleurs et ramener des informations utiles. Le VIH, par exemple, est un véritable fléau dans notre région, mais nous n'en avions pas réellement conscience. Lorsque nous nous sommes rendues au Kenya, nous avons pu tirer des leçons de la manière dont les Kényans et l'Union africaine luttent contre le VIH et le sida. Nous nous sommes donc mises au travail et aujourd'hui, dans notre groupe, plus de 50 femmes se consacrent à ces questions.
Certains hommes nous ont fait des difficultés car ils refusaient de laisser les femmes entrer dans nos réseaux locaux. Mais la situation est en train de changer car ce sont les femmes, et non les hommes, qui aujourd'hui ont accès aux ressources et lorsqu'elles contrôlent les ressources, les femmes gagnent le respect des hommes.
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Florence Shakafuswa, Zambie
Agricultrice et membre de l'association des femmes de Katuba, dans le nord-ouest de la Zambie, Florence Shakafuswa a participé à deux consultations locales organisées à l'intention des femmes.
J'ai commencé à m'intéresser aux consultations locales grâce à mon association. J'ai participé à une consultation au Ghana, où on nous a parlé de l'intérêt d'une formation parajuridique. La question de la terre est un gros problème pour les femmes en Zambie. Beaucoup ignorent la marche à suivre pour demander la reconnaissance de leurs droits fonciers. Lors de la consultation locale, des femmes qui avaient une formation parajuridique nous ont expliqué l'essentiel de ces démarches. J'aimerais voir continuer ces consultations car on apprend beaucoup de l'expérience d'autres femmes.
n Zambie, nous avons très peu de femmes aux plus hauts niveaux de responsabilité politique, et cet état de fait se répercute aux niveaux inférieurs. Les femmes n'ont pas suffisamment d'aplomb pour faire entendre leur voix. Elles doivent parfois cacher à leur mari qu'elles viennent aux réunions de femmes. Il arrive très souvent que le ressentiment ou le soupçon conduisent à la violence ou au harcèlement.
Il faut que les femmes apprennent à diriger et il faut qu'elles travaillent avec les hommes. Parfois, les hommes reconnaissent que les femmes jouent un rôle important dans la sécurité alimentaire. Ils ont de quoi manger chez eux, mais certains ne se demandent même pas d'où vient leur repas. Pourtant, ils mangent et reconnaissent que c'est à leur femme qu'ils le doivent. Du même coup, les hommes se rendent compte peu à peu que les femmes sont capables de faire bien d'autres choses qui sont importantes pour eux.
Ce sont les hommes qui distribuent les semences et les engrais. Nous voudrions que les femmes participent à ce processus car celles qui en ont vraiment besoin ne bénéficient pas d'une attention suffisante. Il ne suffit pas de dire: «Aidez les femmes». Ce qui compte, c'est qui prend les décisions, qui s'occupe de l'assistance. Je pense qu'il faut tenir compte, dans les politiques, des idées et des initiatives des femmes, en faisant participer les femmes dès les premiers stades de la décision et de l'élaboration des politiques.
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Nereide Segala Coelho, Brésil
Nereide Segala Coelho fait partie du Rede Pintadas, un forum de développement innovant qui réunit autorités locales, groupes d'agricultrices, coopératives agricoles et autres ONG, dans l'État de Bahia.
Avant de participer aux consultations locales, je croyais qu'il n'y avait que Rede Pintadas, là où j'habite, qui discutait des questions d'insécurité alimentaire, de droit à l'eau, de commercialisation et de conditions de travail. Je sais aujourd'hui que dans les campagnes du monde entier d'autres femmes sont confrontées aux mêmes problèmes.
Mon mari et moi possédons un hectare de terre, que nous cultivons, et trois vaches laitières. Notre terre est située dans une zone semi-aride, l'une des plus pauvres du Brésil. Le travail est dur car nous faisons pratiquement tout à mains nues. Dans notre région, les terres appartiennent généralement aux hommes. Le seul programme public d'aide directe aux femmes est une allocation dont peuvent bénéficier les femmes qui gagnent peu, à condition que leurs enfants soient scolarisés. Cette allocation ne leur permet cependant pas de prendre un crédit. Les banques prêtent plus volontiers aux hommes. Lorsqu'une femme cherche à obtenir un prêt, elle s'aperçoit souvent que ses biens ont déjà été engagés comme garantie par son mari.
Il faut donc, avant toute chose, que les agricultrices aient le droit de posséder les terres qu'elles cultivent. Il faut également qu'elles aient accès aux ressources qui leur permettront de produire. En ce qui nous concerne, par exemple, il nous est difficile de produire du fromage ou du yaourt: pour pouvoir vendre nos produits, je dois faire pasteuriser notre lait dans une usine qui se trouve à 36 km de la ferme. Or, nous ne disposons pas de système de réfrigération pour stocker le lait: le temps d'en avoir suffisamment pour le faire pasteuriser, il tourne. Nous avons rencontré d'autres problèmes pour vendre la viande que nous produisons (du bœuf et du veau). Il a fallu deux ans pour obtenir des autorités sanitaires les autorisations nécessaires. Mais sans système de réfrigération, nous ne pouvons pas stocker la viande.
Récemment, avec d'autres femmes, nous avons parlé des problèmes de stockage, de traitement et de commercialisation de nos produits. Mais nous devons changer les comportements des consommateurs. Lorsqu'à l'école, on a demandé aux enfants d'où venait ce qu'ils mangent, ils ont tous répondu «du supermarché»! Aucun n'a répondu «de la Terre, de la Pacha Mama». Si nous voulons développer et préserver nos pratiques agricoles, il faut absolument inscrire l'agriculture dans les programmes scolaires. Sans cela, nos enfants vont grandir avec une mentalité de citadin. C'est pour cela que nous avons lancé auprès des jeunes un vaste projet qui doit les aider à comprendre que tout ce que nous avons vient de l'agriculture.