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3. Les concepts de sécurité alimentaire et leur aptitude à répondre aux défis posés par la croissance urbaine


3.1 - Les différents concepts de sécurité alimentaire et leurs objectifs
3.2 - Les implications des choix de concepts pour les interventions de sécurité alimentaire

3.1 - Les différents concepts de sécurité alimentaire et leurs objectifs

Le concept de sécurité alimentaire est loin d’être unique et universel. Il a fortement évolué depuis son apparition dans les années 70. Plus de trente définitions ont pu être repérées entre 1975 et 1991 (MAXWELL et FRANKENBERGER, 1995), ce qui montre la diversité des approches. Il a évolué semble-t-il de considérations très économiques et quantitatives vers des considérations plus humanistes et plus qualitatives.

Encadré 1

Quelques définitions de la sécurité alimentaire

  • Capacité de tout temps d’approvisionner le monde en produits de base, pour soutenir une croissance de la consommation alimentaire, tout en maîtrisant les fluctuations et les prix (ONU, 1975).
  • Capacité d’atteindre des niveaux souhaités de consommation sur une base annuelle (SIAMWALLA et VALDES, 1980).
  • Une certaine capacité de financer des besoins d’importations pour satisfaire les consommations souhaitées (VALDES et KONANDREAS, 1981).
  • La sécurité alimentaire consiste à assurer à toute personne et à tout moment un accès physique et économique aux denrées alimentaires dont elle a besoin (FAO, 1983).
  • L’accès pour tous et en tout temps à une alimentation suffisante pour une vie active et en bonne santé (REUTLINGER, 1985; BANQUE MONDIALE, 1986).
  • Un pays et un peuple sont en situation de sécurité alimentaire quand le système alimentaire fonctionne de telle sorte qu’il n’y a aucune crainte de ne pas posséder une alimentation suffisante (MAXWELL, 1987).
  • La sécurité alimentaire correspond à la capacité pour toute personne de posséder à tout moment un accès physique et économique aux besoins alimentaires de base. Une stratégie nationale de sécurité alimentaire ne peut être envisagée sans assurer la sécurité alimentaire au niveau du foyer familial (PAM, 1989).
  • La capacité d’assurer que le système alimentaire fournit à toute la population un approvisionnement alimentaire nutritionnellement adéquat sur le long terme (STAATZ, 1990).
  • La sécurité alimentaire est assurée lorsque la viabilité du ménage, défini en tant qu’unité de production et de reproduction, n’est pas menacée par un déficit alimentaire (FRANKENBERGER, 1991).


Les différentes définitions (Voir encadré 1) mettent en évidence quatre types d’évolutions:

Au cours de ces dernières années, la plupart des définitions ont convergé vers un certain nombre de mots-clés: satisfaction, accès, risque, durabilité.

La satisfaction doit être quantitative et qualitative. Le concept d’alimentation suffisante peut être défini par un nombre de calories, par les besoins nécessaires à la survie ou pour mener une vie active et en bonne santé, par une mesure des conséquences de la sous-alimentation (adaptations génétiques, physiologiques, comportementales), par rapport à une estimation des besoins du foyer ou de l’individu. La satisfaction qualitative suppose un équilibre nutritionnel de la ration alimentaire (protéines, lipides, glucides), mais aussi un apport suffisant en micro-nutriments. Par ailleurs, les aliments doivent répondre à des qualités sanitaires et hygiéniques satisfaisantes. Il y a donc ambiguïté sur le niveau optimal de satisfaction.

L’accès aux ressources alimentaires est déterminé par la sécurité alimentaire. Ace niveau, il convient de distinguer la disponibilité et l’accessibilité. La disponibilité concerne le court terme; elle peut être limitée par l’insécurité de la zone, l’enclavement du village, et le prix des denrées alimentaires. La disponibilité est nécessaire pour permettre l’accès aux denrées alimentaires mais elle n’est pas suffisante. A titre d’exemple, une région peut disposer de stocks alimentaires mais un village de cette région peut être marqué par une insécurité alimentaire en période de soudure du fait de son isolement. Dans un autre cas, même si le marché du village est bien achalandé, une famille peut se trouver en insécurité alimentaire si elle a connu le chômage et si les prix du marché sont trop élevés pour son pouvoir d’achat. L’accessibilité des populations aux ressources alimentaires fait référence au moyen terme. Il s’agit le plus souvent d’une combinaison entre production, échanges et mécanismes sociaux. En zone rurale, les populations vont s’appuyer principalement sur leur production complétée par des échanges de denrées alimentaires sur le marché. En milieu urbain, les denrées alimentaires nécessaires aux populations viennent principalement du marché. Dans ce cas, des mécanismes sociaux (entraide, soutien familial, aide alimentaire, crédits) vont intervenir pour préserver l’accès aux disponibilités et la sécurité alimentaire des populations.

La notion de risques et de mécanismes d’adaptation est au centre de la sécurité alimentaire. Le niveau de risque pour un foyer ou une communauté est fonction des modes d’accès aux ressources alimentaires et du capital disponible. Pour minimiser les risques, les populations adoptent des mécanismes d’adaptation ou de réaction à trois niveaux:

Lorsque ces mécanismes d’adaptation sont insuffisants et menacent la sécurité alimentaire du foyer, des activités vont se déployer en réponse à la situation défavorable, en trois étapes:

La vulnérabilité de la population d’une région soumise à des crises dépend à la fois des mesures qui peuvent être mises en œuvre dans un contexte donné et de la capacité des familles à répondre à ces événements. La vulnérabilité d’une population peut être estimée par l’analyse des mécanismes d’adaptation et de réaction mis en œuvre en réponse à une situation difficile. Lorsque les mécanismes ne sont pas efficaces, le foyer entre dans une situation de vulnérabilité chronique.

La durabilité: l’insécurité est transitoire lorsque le foyer se trouve temporairement incapable de répondre aux besoins alimentaires des membres de la famille. Elle peut avoir pour origine des événements non prévus (insécurité liée à des événements politiques) ou apparaître de façon saisonnière en raison de difficultés logistiques ou de prix élevés.

L’insécurité chronique peut résulter d’une succession de situations d’insécurité temporaires qui ont épuisé toutes les capacités de réponse.

Les mesures à entreprendre seront différentes selon que l’on a à faire face à une insécurité transitoire ou chronique.

3.2 - Les implications des choix de concepts pour les interventions de sécurité alimentaire

Le choix fondamental entre une dynamisation du système par l’amont de la chaîne alimentaire ou par l’aval de la chaîne pour assurer la sécurité alimentaire des populations ne se pose pas en ces termes.

Aujourd’hui, la plupart des chercheurs et des praticiens sont d’accord pour un juste milieu où la disponibilité des aliments et l’accès sont jugés tout aussi importants (PINSTRUP ANDERSEN, 1995). Actuellement, le concept de sécurité alimentaire est abordé selon différentes perspectives que l’on retrouve dans les tableaux suivants. Ces tableaux présentent les facteurs à considérer dans une stratégie de sécurité alimentaire, regroupés selon leur horizon temporel et leur niveau.

Il ressort clairement que la notion de sécurité alimentaire peut être abordée de plusieurs manières et qu’il s’agit d’un concept multidisciplinaire qui inclut des dimensions techniques, économiques, sociales, culturelles et politiques. La sécurité alimentaire universelle, telle que recommandée lors du Sommet mondial de la FAO, supposerait de mettre en œuvre simultanément l’ensemble de ces mesures dans la cohérence. Enfin, il est important de replacer le concept de sécurité alimentaire dans celui, plus large, de stratégie alimentaire, elle-même partie d’une stratégie de développement socio-économique. La figure 1 rappelle les principales composantes d’une stratégie alimentaire répondant à des objectifs et réclamant des politiques macroéconomiques et des politiques sectorielles (GHERSI et MARTIN, 1996). (Voir figure 1).

La sécurité alimentaire universelle suppose la sécurité pérenne (à court, moyen et long terme) à tous les niveaux (macro, méso, micro). Selon l’option choisie par les autorités, certains éléments de la stratégie alimentaire sont à prendre particulièrement en considération comme le montrent les tableaux suivants:

Figure 1 Principales composantes d’une stratégie alimentaire

Source: GHERSI et MARTIN, 1996

Tableau 2
Stratégies de sécurité alimentaire au niveau macro (perspective nationale et intersectorielle)

Court terme

Moyen terme

Long terme

Alerte précoce des crises alimentaires:
· inondations et sécheresses;
· pluies mal distribuées;
· hausse des prix des aliments;
· vente d'animaux;

Conditions macroéconomiques propices:
· croissance du revenu par habitant;
· niveau d'emplois;
· stabilité des prix;
· taux de change pour éviter une sur évaluation et permettre l'accès aux devises.

Paix civile et stabilité des politiques;

Redistribution des richesses:

Elaboration d'une stratégie alimentaire intégrant l'équilibre alimentaire et nutritionnel.

·déficits alimentaires.

Gestion des crises alimentaires:
· utilisation des stocks de sécurité;
· importations alimentaires supplémentaires;
· distribution d'aide alimentaire.

Equilibre intersectoriel pour ne pas pénaliser l'agriculture:
· investissement dans l'agriculture;
· contrôle de l'exode rural et de l'urbanisation;
· développement des IAA sources d'emplois et de revenus.

Côté offre:
· capacités productives par région et par type de producteur;
· potentiel des surfaces cultivables;
· potentiel de rendements par progrès technologique;
· implications pour la gestion durable des ressources naturelles.


Attention à l'impact des politiques gouvernementales sur la sécurité alimentaire

Côté demande:
· croissance démographique et capacités de contrôle;
· urbanisation et capacités de contrôle;
· variations de revenus par catégorie socio-économique;
· habitudes alimentaires par catégories socio-économiques.

Tableau 3
Stratégies de sécurité alimentaire au niveau méso (filières et marchés du secteur agroalimentaire)

Court terme

Moyen terme

Long terme

Libéralisation de la législation sur la commercialisation des denrées alimentaires;

Assurance de ne pas dépasser un prix plafond en jouant sur les stocks, les importations et l’aide alimentaire.

Réduction des coûts de transactions formelles et informelles par la simplification des procédures commerciales, la standardisation des mesures et normes de qualité et la lutte contre la corruption;

Amélioration de l’information des agents économiques sur les prix et les opportunités de vente et d’achat sur différents marchés;

Amélioration de la concurrence en éliminant les monopoles publics et privés non justifiés et en s’assurant du comportement concurrentiel des oligopoles;

Libéralisation des prix;

Amélioration de l’accès au crédit par les producteurs, les commerçants, et les PME de transformation;

Meilleure compréhension du fonctionnement des filières et marchés, du comportement des acteurs, de l’impact des programmes de sécurité alimentaire.

Amélioration des infrastructures de transport pour désenclaver les régions, diminuer le temps et le coût de transport;

Amélioration des infrastructures de communications pour faciliter la circulation de l’information et réduire les coûts de transaction;

Investissement dans la recherche et la vulgarisation pour développer des technologies de production urbaine et de transformation des produits alimentaires;

Investissement dans l’éducation primaire de toute la population, dans l’éducation secondaire et supérieure.


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