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4. Vue d'ensemble des études de mesure de la capacité

Mesurer la capacité et son taux d'utilisation dans différents secteurs de l'économie n'est pas un phénomène nouveau[29]. Des études sur la capacité et l'efficacité ont été réalisées pour l'agriculture, les professions de santé et certains secteurs de l'industrie de même que pour les pêches sur la plan nationale et à l'étranger.

Ainsi, Morrison (1985) a utilisé les données annuelles sur l'industrie manufacturière aux Etats-Unis de 1954 à 1980 pour élaborer et comparer les indices classiques et de nouvelles mesures d'utilisation de la capacité économique. Des limites de production stochastiques ont été utilisées pour réaliser une étude comparative des producteurs de blé au Pakistan (Battese et Broca, 1996) et pour déterminer l'efficacité technique de 26 compagnies des eaux dans les zones rurales du Nevada (Bhattacharyya et al., 1995). Reinhard et Thijssen (1998) ont eu recours à une méthode fondée sur des fonctions de production à distance pour définir et évaluer une mesure de l'efficacité d'utilisation des ressources en utilisant un ensemble d'exploitations laitières néerlandaises pour caractériser une pollution non ponctuelle à la source, tandis que Fare et al.(1989) ont eu recours à une méthode non fondée sur l'utilisation de paramètres pour mesurer la capacité, la concurrence et l'efficacité dans les hôpitaux.

Ces études donnent une indication des critères de mesure de la capacité en usage dans de nombreux secteurs et largement appliqués par les scientifiques ainsi que par toute une série de gestionnaires et de décideurs. Ce qui est nouveau c'est la volonté des responsables de la gestion des pêches de répondre de façon explicite aux problèmes de capacité qui se posent dans les pêcheries.

S'il est souvent question des niveaux excessifs d'utilisation de la capacité dans nombre d'études sur les pêches internationales et les pêches des Etats-Unis, la nature unique de la plupart des pêches est rarement prise en considération lorsque des méthodes classiques de mesure de la capacité sont appliquées. Les méthodes classiques supposent l'existence de marchés relativement efficients du point de vue de la répartition des biens et services (produits) utilisés dans le processus de production.

Dans la plupart des pêches des Etats-Unis et des pêches internationales, il existe d'importants facteurs externes (facteurs externes d'appartenance générale) qui se traduisent par une série d'incitations pouvant entraîner une répartition gravement faussée des ressources utilisées dans le processus de production. L'un des symptômes de cette mauvaise répartition est l'utilisation excessive par le secteur de capital et de travail pour pêcher du poisson.

Il en résulte que les évaluations de l'utilisation de la capacité fondées sur les méthodes actuelles d'analyse par enveloppement des données (DEA) et de frontières de production stochastiques (SPF) font apparaître un très important excès de capacité dans les pêches libres d'accès et dans les pêches libres d'accès réglementées dans lesquelles une réglementation portant sur le contrôle et le suivi est appliquée pour tenter de limiter le niveau des captures.

De plus, pour les responsables de la gestion des pêches, ces méthodes conçues pour mesurer l'excès de capacité dans les pêches libres d'accès réglementées ne tiennent pas compte comme il conviendrait de la surcapacité résultant des facteurs externes.

4.1. Mesure de la capacité dans les pêches mondiales

Le problème de la capacité de pêche suscite un intérêt croissant depuis une dizaine d'années tant au niveau national que dans les différents pays et il est souvent fait référence aux études de portée internationale destinées à mesurer la capacité de pêche à l'échelle mondiale pour démontrer comment les investissements excessifs consentis dans les techniques de pêche ont décimés les stocks mondiaux de poissons.

Ainsi, Fitzpatrick (1995) a calculé que l'effort de pêche moyen avait augmenté de 270 pour cent entre 1965 et 1995, soit un taux de croissance annuel moyen de 9 pour cent. Cet accroissement de la capacité de pêche s'est accompagné d'une augmentation du nombre des bateaux, qui est passé de 0,6 million en 1970 à 1,2 million en 1992, soit une augmentation annuelle moyenne de 2,2 pour cent. Garcia et Newton (1995) ont estimé que la capacité de pêche mondiale devait être réduite de 25 pour cent pour que les recettes puissent couvrir les coûts d'exploitation et de 53 pour cent pour que les recettes puissent couvrir l'ensemble des coûts. De même, une diminution substantielle de la capacité mondiale des flottilles - jusqu'à 50 pour cent - serait nécessaire pour que les niveaux de capacité correspondent à un rendement durable de la ressource (Mace, 1996).

Dans d'autres études, telles que la synthèse des résultats de différentes analyses (DEA et analyses des crêtes) de la capacité de pêche fondée essentiellement sur des informations concernant les intrants relatives à certaines pêches du Canada et d'Etats membres de la FAO (Hsu, 2000) ont permis de conclure que:

4.2. Mesure de la capacité dans certaines pêches commerciales

Bien que la documentation sur la capacité des pêches commerciales ne soit pas abondante, différents documents et études de cas ont permis de mettre en lumière certains aspects de ce problème complexe:

L'examen réalisé par Ward et al. (2000) constitue une source d'information qui peut aider à déterminer si l'excès de capacité constitue un problème grave dans une pêcherie donnée. Il s'appuie sur la documentation publiée disponible dans laquelle sont évalués les niveaux de capacité des pêcheries des Etats-Unis à l'aide de ces mesures reconnues de la capacité et du taux d'utilisation de la capacité.

4.2.1. Études antérieures

C'est Ballard et Roberts (1977) qui, les premiers, se sont efforcés d'évaluer les niveaux de capacité dans les pêches aux Etats-Unis. Ils ont eu recours à la méthode des crêtes pour évaluer les taux d'utilisation de la capacité pour dix pêcheries côtières du Pacifique qui, en 1973, représentaient 86 pour cent en valeur et 72 pour cent en poids des captures réalisées dans cette région. En 24 ans, le tonnage des bateaux opérant dans ces pêcheries a augmenté de 197,4 pour cent et la valeur réelle de la pêche de 65,4 pour cent seulement tandis que les captures diminuaient de 0,5 pour cent. Le tableau 1 indique que le niveau d'utilisation de la capacité a diminué au cours de la période analysée.

Néanmoins, cette méthode présente certaines lacunes. En premier lieu, les chiffres indiquent qu'il existe un potentiel d'accroissement des captures sans qu'il soit nécessaire de consentir de gros investissements en capital. En d'autres termes, un taux d'utilisation de la capacité de 50 pour cent ne signifie pas que la flottille aurait une meilleure efficacité économique si sa taille était réduite de 50 pour cent. En deuxième lieu, l'évolution des conditions météorologiques ou des stocks biologiques peut conduire à exagérer la capacité potentielle de capture de la flottille, de sorte que les années de crête les chiffres apparaissent anormalement élevés et les années intermédiaires défavorables. En troisième lieu, l'évolution technologiques utilisée pour évaluer la production potentielle par unité d'intrant correspond à la modification en pourcentage de la production unitaire des intrants pendant la période située entre les crêtes et peut à ce titre être influencée par la réglementation et l'évolution des niveaux de compétence de la main d'œuvre, qui peuvent fausser l'évolution des taux d'utilisation de la capacité.

Smith et Hanna (1990) ont évalué les taux d'utilisation de la capacité pour la pêche au chalut de fond dans l'Etat de l'Oregon entre 1976 et 1985. Ces taux ont été obtenus en multipliant le nombre de bateaux par la taille, l'efficacité technique et le nombre de sorties de chacun d'eux. Le tableau 2 indique que ces taux ont atteint un niveau maximum en 1976 et qu'ils sont tombés à 3,9 pour cent en 1980.

Tableau 1: Taux d'utilisation de la capacité dans dix grandes pêcheries de la côte Pacifique (Ballard et Roberts, 1977)

ANNÉE

ESPÈCES

GERMON

DORMEUR DU PACIFIQUE

CRABE ROYAL ET CRABE DES NEIGES

POISSON DE FOND

HARENG

SAUMON (FILET MAILLANT)

SAUMON (LIGNE) DE TRAÎNE

SAUMON (SEINE COULIS-SANTE)

CREVETTES

THON TROPICAL

1956

92.7










1957

107.3*



100.0*







1958

69.6



102.3*







1959

89.3

100.0*

88.3

100.0*

100.0*





73.4

1960

49.6

90.3

84.8

57.8

49.9

28.1

2.8

7.2

85.2

78.4

1961

48.1

81.2

100.0*

56.2

46.0

27.6

3.4

12.2

100.0*

100.0*

1962

64.2

58.3

83.5

68.0

70.6

22.1

3.7

14.0

68.4

85.9

1963

80.8

60.9

100.0

67.8

68.1

15.5

5.0

12.5

70.0

85.6

1964

67.3

53.2

76.3

64.9

69.5

24.1

4.8

17.4

55.4

100.0*

1965

46.5

59.0

100.0*

74.5

53.1

33.6

4.5

10.2

60.0

93.7

1966

37.5

84.8

67.9

67.1

29.6

27.2

3.7

18.3

100.0*

75.4

1967

48.0

90.8

66.5

58.4

27.0

18.8

4.0

8.2

67.0

100.0*

1968

47.7

100.0*

29.9

61.1

60.3

16.8

2.9

15.7

84.1

77.8

1969

36.2

73.5

20.8

61.1

47.2

15.5

2.1

11.3

73.4

74.1

1970

47.2

82.2

18.5

58.4

30.2

28.4

3.1

13.8

100.0*

76.8

1971

39.1

47.2

26.1

41.2

10.3

18.2

3.1

12.9

83.2

61.2

1972

44.6

27.4

34.8

53.4

26.2

15.3

2.5

9.0

66.4

53.0

1973

33.6

14.3

21.1

52.0

19.4

11.5

2.8

7.6

74.4

51.0

1974










46.5

1975










42.6

* l'évaluation des tendances fait apparaître une année de crête

Tableau 2: Taux d'utilisation de la capacité de la flottille de chalutiers dans l'Etat de l'Oregon de 1976 à 1985 (Smith et Hanna, 1990)

ANNÉE

CAPACITÉ D'UTILISATION DE LA FLOTTILLE*

CAPACITÉ DE CAPTURE EN NOMBRE DE TONNES NETTES

UTILISATION EN % (CAPTURE / CAPACITÉ)

1976

74 480

6 258

8,4

1977

80 322

5 235

6,5

1978

131 487

7 958

6,1

1979

216 792

11 389

5,3

1980

238 294

9 356

3,9

1981

220 382

11 326

5,1

1982

294 240

15 810

5,4

1983

278 051

16 233

5,8

1984

245 448

11 650

4,7

1985

206 949

11 612

5,6

* Produit de la capacité de la flottille indiquée dans le tableau 2 de l'étude Smith et Hanna (1980)

L'élimination des bateaux étrangers entre 1976 et 1982 a entraîné un triplement de la capacité de la flottille nationale, des bateaux neufs et de plus grande taille venant s'ajouter aux bateaux présents. L'accroissement des captures sébastes à partir de 1981 a entraîné un accroissement des taux d'utilisation de la capacité jusqu'en 1983. La récession survenue en 1982 a entraîné un accroissement des coûts fixes et variables dans la pêcherie qui s'est traduit par une réduction de la taille de la flottille (deuxième colonne du tableau 2) tandis qu'une nouvelle réglementation entraînait une diminution des niveaux de capture (troisième colonne du tableau 2) qui s'est traduite par une augmentation des taux d'utilisation de la capacité après 1984.

Cette analyse démontre qu'une mesure de gestion donnée ne peut à elle seule permettre de maîtriser de façon efficace l'augmentation de la capacité.

4.2.2. Autres études de mesures de la capacité

La méthode d'analyse par enveloppement des données (DEA) a été appliquée par Kirkley et Squires (1999) et par Kirkley et al. (1999) pour évaluer la capacité des pêcheries nationales aux Etats-Unis.

Ces études ont consisté à appliquer la DEA à des groupes de données concernant dix bateaux pêchant la coquille saint Jacques dans l'Atlantique nord-ouest pour les années 1987 à 1990. Elles ont fait apparaître un important excès de capacité par rapport au niveau de capture durant ces années dans cet échantillon de la flottille. Les bateaux exploités de façon efficiente pouvaient accroître leur production totale d'environ 50,8 pour cent entre 1987 et 1990. Avec un nombre optimal de jours en mer et de marins, ils auraient pu, sur 285 jours et sous réserve que l'état de la ressource le permette, accroître encore leur production de 39,9 pour cent.

Il est apparu que le taux d'utilisation de la capacité par sortie en fonction des contraintes observées en matière de production et de ressource était très faible mais relativement élevé en termes d'efficacité technique. Il est également apparu que le manque d'efficacité technique constituait une des principales raisons pour lesquelles les bateaux n'étaient pas exploités à un niveau proche de la capacité optimale mais les taux d'utilisation de la capacité différaient en fonction des critères de mesure utilisés. Ils étaient ainsi beaucoup plus élevés lorsqu'ils étaient mesurés par rapport au nombre observé de jours de pêche par an plutôt que par rapport au nombre optimal de jours de pêche par an (96,6 pour cent au lieu de 85,6 pour cent respectivement, par exemple).

Edwards et Murawski (1993) ont conçu un modèle bioéconomique pour évaluer les avantages économiques qui pourraient découler d'une exploitation efficace de la pêcherie aux poissons de fonds de Nouvelle Angleterre. Bien qu'elle n'ait pas porté directement sur la capacité, leur étude a fait apparaître que cette pêcherie pouvait générer d'importants avantages nets si elle était exploitée au niveau social optimal. Le tableau 3 indique que l'effort de pêche optimal a été estimé à un niveau inférieur de 70 pour cent à l'effort observé en 1989. L'excès d'effort a été évalué à 60 pour cent pour la morue de l'Atlantique, 70 pour cent pour la limande à queue jaune et 80 pour cent pour l'aiglefin.

Une mesure de l'utilisation de la capacité fondée sur la production permet d'estimer le niveau des captures potentiellement réalisable par rapport au niveau effectif. Toutefois, la méthode fondée sur les intrants utilisée par les deux chercheurs a permis de déterminer le niveau d'effort nécessaire en vue d'obtenir le maximum d'avantages nets pour le pays dans son ensemble. En permettant de déterminer le niveau optimal d'intrants nécessaire pour obtenir un niveau de production donné, l'étude a donné une indication de l'important niveau d'excès de capacité caractérisant apparemment cette pêcherie.

Tableau 3: Exploitation efficiente des ressources en poissons de fonds en Nouvelle Angleterre, 1989 (Edwards et Murawski, 1993)

ESPÈCES/ENGINS

EFFORT DE PÊCHE

EFFECTIF

DURABLE

OPTIMUM SOCIAL

Chalut à grément: toutes espèces

75

49

22

Morue de l'Atlantique

80

71

31

Limande à queue jaune

57

26

17

Haddock

145

42

28

Kirkley et Squires (1986) ont utilisé une méthode hédonique pour mesurer la valeur en capital et l'investissement dans la pêche au chalut à grément de Nouvelle Angleterre. Un indice des valeurs du stock en dollars constants a été évalué à partir d'un sous-échantillon de la flottille de pêche. Le tableau 4 indique que les fluctuations des investissements en capital ne correspondaient pas nécessairement au décompte des bateaux. Le nombre des chalutiers a augmenté chaque année après 1965. Toutefois, les niveaux du stock ont fluctué au cours de la période, diminuant même durant quatre années.

Tableau 4: Indices des équipements en fonction de la valeur (dollar constant) et du décompte des bateaux (Kirkley et Squires, 1988)

ANNÉE

STOCK (CAPITAL)

VALEUR (Dollar constant)

DÉCOMPTE DES BATEAUX

CHALUTIER*

FILET DE SURFACE

TOTAL

CHALUTIER*

FILET DE SURFACE

TOTAL

1965

100

100

100

100

100

100

1966

111

91

105

102

94

104

1967

152

70

119

109

77

106

1968

110

95

103

104

106

103

1969

113

79

98

104

106

101

1970

99

51

80

108

74

102

1971

91

79

86

108

83

104

1972

104

48

89

108

74

110

1973

109

44

92

105

79

112

1974

82

26

72

107

49

117

1975

112

32

96

105

66

124

1976

80

47

83

109

202

132

1977

111

87

115

107

202

141

1978

144

79

133

116

189

148

1979

175

168

190

137

313

186

1980

201

211

222

158

440

212

1981

167

185

192

158

413

210

* Type d'engins en fonction du nombre de jours en mer

Di Jin et al. (2000) ont appliqué une méthode similaire pour réaliser une étude de la productivité totale des facteurs selon des évolutions distinctes de l'abondance des stocks obtenus grâce à une amélioration de l'efficacité technique pour la même pêcherie. La diminution générale annuelle de la productivité totale des facteurs constatée dans la pêcherie aux poissons de fonds de Nouvelle Angleterre entre 1964 et 1993 (6,6 pour cent) était due essentiellement à une diminution de l'abondance des stocks. Corrigée de la diminution de l'abondance des stocks, la productivité totale des facteurs a en fait augmenté de 4,8 pour cent par an en moyenne.

Ces résultats confirment que le problème fondamentale qui se pose aux pêcheries de poissons de fonds de Nouvelle Angleterre est un excès de capacité.

Le Service national des pêches maritimes (Ward et al., 2001) a réalisé une étude qualitative pour mesurer la surcapacité, qui s'inscrivait dans le cadre d'une évaluation générale des niveaux de capacité dans les pêcheries gérées à l'échelon fédéral.

Une première évaluation qualitative a permis de déterminer qu'un problème de surcapacité digne d'appeler l'attention des gestionnaires responsables se posait dans 55 pour cent des pêcheries gérées à l'échelon fédéral analysées dans sept rapports de portée régionale. Les pêcheries ne connaissant pas de problème de surcapacité étaient notamment les suivantes: deux pêcheries à contingents transférables de la côte est, plusieurs pêcheries d'espèces pélagiques à faible valeur de côte est et ouest et différentes pêcheries dans lesquelles était pratiquée une pêche aux petits métiers, généralement à temps partiel, ou une pêche de subsistance, de la côte occidentale du Pacifique et des Antilles sous juridiction des Etats-Unis.

Ces résultats indiquent que le problème de surcapacité qui se pose dans les pêcheries gérées à l'échelon fédéral est un problème qui appelle une solution de la part des responsables de la gestion.

4.3. Mesure de la capacité dans le secteur de la pêche récréative

Les problèmes de capacité ne se posent pas seulement dans le secteur de la pêche commerciale; ils se posent également dans le secteur de la pêche récréative. De plus, une capacité de pêche récréative excessive a été définie comme préoccupante lorsque les données nécessaires pour concevoir des mesures de maîtrise de la capacité n'existaient pas et que la notion de pêche récréative était mal comprise (Kirkley, 1998)

Définir et mesurer les niveaux de capacité dans le secteur de la pêche récréative est une tâche complexe. En premier lieu, parce que dans ce domaine la production n'est pas fonction du tonnage ou du nombre de poissons capturés mais du plaisir éprouvé. Bien que ce plaisir soit lié au nombre de poissons capturés, il dépend également d'autres facteurs. Malheureusement, on ne dispose généralement pas de données pour mesurer la qualité du plaisir procuré par la pêche, le potentiel de plaisir maximum que peut éprouver le pêcheur, voire le niveau maximum de capture possible.

Un deuxième problème se pose: celui de déterminer le point d'équilibre entre travail et plaisir et la manière dont il influe sur l'évaluation ultérieure de la satisfaction associée à la pêche ou du niveau des services offerts. Enfin, il est indispensable de pouvoir déterminer la demande de sorties en mer pour pouvoir évaluer la capacité de la pêche récréative.

Optant pour une approche fondée sur la production physique, Kirkley (1998) a évalué la capacité et l'utilisation de la capacité pour la pêche récréative du Golfe du Mexique et de la côte Atlantique de 1986 à 1995 en définissant la capacité comme le niveau de prises potentielles maximum en termes de nombres de sorties de pêcheurs en ayant recours à la méthode des crêtes (Tableau 5).

En ce qui concerne l'utilisation de la capacité, les pêcheurs s'adonnant à la pêche récréative prenaient une quantité de poissons inférieure au niveau maximum qu'ils auraient pu prélever si la ressource ou un autre facteur n'avaient pas limité leur niveau de prise mais des hypothèses extrêmes ont été retenues pour utiliser cette définition de la capacité et de l'utilisation de la capacité.

Tableau 5: Captures et effort de pêche dans les pêcheries récréatives de l'Atlantique et du Golfe du Mexique de 1985 à 1995 (Kirkley, 1998)

ANNÉE

DÉBARQUEMENTS

SORTIES

DÉBARQUEMENTS PAR SORTIE

CAPACITÉ

TAUX D'UTILISATION DE LA CAPACITÉ

1986

407

60

6,78

407

100

1987

272

51

5,33

346

79

1988

291

59

4,93

400

73

1989

248

49

5,08

332

75

1990

250

46

5,43

312

75

1991

385

58

6,63

393

98

1992

292

53

5,51

360

81

1993

284

51

5,57

346

82

1994

331

58

5,51

393

84

1995

312

58

5,38

393

79

D'une part, il a été supposé que la demande de pêche récréative devait pouvoir être distinguée de la demande de tous les autres biens et services, y compris les autres activités récréatives; plus généralement, lorsque les consommateurs achètent différents biens et services ils les regroupent en catégories composites telles que: nourriture, logement, habillement et loisirs. Toutefois, cette hypothèse en matière de séparabilité permet d'analyser la demande de pêche récréative et ultérieurement son utilité sans avoir à procéder à une analyse de la demande pour l'ensemble des biens et services. D'autre part, la méthode des crêtes s'appuie sur la production maximum par unité d'intrant (sortie en mer) et l'adapte en fonction de l'évolution des techniques dans le temps. Toutefois, dans l'étude, il a été supposé que le niveau technologique demeurait constant dans le temps.

En conséquence, les captures potentielles maximales effectives ne constituent pas un bon indicateur de la capacité ou une évaluation d'utilisation de la capacité dans le secteur de la pêche récréative. Compte tenu des pratiques de pêche récréative générales et traditionnelles, elles représentent toutefois une limite supérieure possible desdites captures.

4.4. Mesure de la capacité dans le secteur de la pêche artisanale

La question de la mesure de l'utilisation de la capacité dans le secteur de la pêche artisanale n'est pas traitée dans la documentation spécialisée.

Si des taux d'utilisation comparables peuvent être calculés pour des entreprises pratiquant la pêche commerciale à petite, à moyenne ou à grande échelle, les artisans pêcheurs et les pêcheurs pratiquant la pêche aux petits métiers sont souvent tributaires de productions multiples pour pouvoir assurer leur survie économique, voire leur survie tout court.

Pour pouvoir appliquer les mesures d'utilisation de la capacité existante à la pêche aux petits métiers et à la pêche artisanale, il faudrait supposer que les produits sont séparables. Or, si l'on considère la capacité indépendamment des autres produits nécessaires pour assurer la survie, les mesures d'utilisation de la capacité disponibles qui ne reposent que sur les niveaux des produits ou des intrants risquent de ne pas donner au gestionnaire responsable suffisamment d'informations pour tenir dûment compte des pêcheurs pratiquant la pêche artisanale ou la pêche aux petits métiers.

4.5. Résumé

Des études sur la capacité de différentes pêcheries ont été réalisées au fil des années à partir de différentes techniques de mesure qualitative et quantitative. Elles démontrent généralement que l'excès de capacité constitue un problème de gestion dans les pêcheries où des mesures ont été réalisées.

Le recours à des méthodes différentes pour mesurer la capacité à différentes époques interdit généralement toute comparaison directe des évaluations de la capacité concernant les différentes pêcheries. Les études démontrent également que de nombreuses hypothèses sont nécessaires pour réaliser des estimations, notamment dans le secteur de la pêche récréative. Une méthode normalisée de mesure de la capacité est nécessaire pour rendre possible les comparaisons entre pêcheries, entre échelles de production et entre périodes.

Toutefois, pour conclure sur une note plus optimiste, si des comparaisons entre pêcheries, entre régions ou entre périodes ne sont pas possibles, ces études de cas montrent bien l'intérêt que suscitent les problèmes d'excès de capacité et leur gravité dans les secteurs de la pêche commerciale et récréative. Des estimations de la capacité n'existant pas dans la documentation spécialisée pour de nombreuses pêches réglementées, il faut prévoir davantage d'analyses si l'on souhaite que les décideurs et les gestionnaires privilégient la réduction de la surcapacité en tant que stratégie propre à garantir une pêche durable.

Les études de cas indiquent qu'un certain nombre de difficultés doivent être résolues avant qu'il soit possible d'estimer la capacité dans les pêches à espèces, à secteurs, à productions et à campagnes multiples ainsi que dans la pêcherie artisanale et récréative. De surcroît, les évaluations de portée mondiale et les études de cas individuels montrent que la distinction entre les notions d'excès de capacité et de surcapacité n'ont pas été intégrées de façon explicite dans les estimations sur la capacité des pêches.

5 Stratégies de gestion de la capacité

5.1. Reconnaître les problèmes de capacité

Les niveaux excessifs de la capacité de pêche ont été reconnus responsables pour une large part:

Toutefois, bien que de nombreux scientifiques de différentes disciplines aient souligné la nécessité de résoudre les problèmes liés à la capacité, rares ont été les mesures directes adoptées dans la pratique pour résoudre les problèmes d'excès de capacité et de surcapacité, notamment dans le domaine de la pêche. Cependant, la situation est en cours d'évolution. La mondialisation du phénomène et l'effet d'une capacité de pêche excessive sur l'état biologique et économique de nombreuses pêcheries à travers le monde est une source croissante de préoccupation depuis quelques années (FAO, 1997).

Ainsi, en 1998, la FAO a créé un groupe de travail technique sur la gestion de la capacité de pêche, qui est chargé d'examiner les différentes questions liées aux méthodes de mesure, de surveillance, de gestion et de limitation, aux aspects politiques et institutionnels de plus large portée ainsi qu'aux dimensions du problème spécifiques à la haute mer. Le groupe de travail a souligné qu'il était impératif pour les pays et pour la communauté internationale en général de prendre des mesures pour résoudre et prévenir les problèmes de surcapacité, conformément à ce qui était recommandé dans le Code de conduite pour une pêche responsable de 1995 et il est parvenu à un large consensus quant à la nécessité:

5.2. Intégrer les problèmes de capacité dans la gestion

Les méthodes de gestion proposées pour résoudre le problème de capacité dans le secteur de la pêche industrielle n'intègrent généralement pas de façon explicite les deux notions distinctes d'excès de capacité et de surcapacité. De surcroît, même dans les cas où des distinctions ont été établies entre les mesures d'ajustement des incitations et les mesures de suppression des incitations, les effets de ces mesures de gestion et leurs conséquences respectives sur la surcapacité n'ont pas été distingués de leurs effets sur l'excès de capacité.

La plupart des méthodes de gestion proposées pour résoudre le problème de la capacité dans le secteur de la pêche commerciale n'ont pas non plus établi de distinctions entre les systèmes de production à petite et à grande échelle. De même, les questions d'excès de capacité et de surcapacité dans le secteur de la pêche récréative et artisanale n'ont pas non plus été traitées de façon explicite dans les méthodes de gestion.

Il n'a pas non plus été établi de relation entre les réglementations destinées à gérer la capacité et les objectifs stratégiques de gestion des pêches. La plupart des réglementations proposées en matière de gestion de la capacité suppose de façon implicite ou explicite que l'objectif souhaité est l'efficacité économique. Dans la réalité, le maintien de communautés vivant de la pêche commerciale ou de la pêche artisanale pour leur survie peut constituer un objectif social tout aussi important, voire plus prioritaire. Ainsi, il peut être nécessaire de procéder à une répartition du total des captures entre les pêcheurs pratiquant la pêche commerciale et les artisans pêcheurs qui ne soit pas optimale sur le plan économique et biologique afin de préserver une communauté d'artisans pêcheurs; néanmoins, sous réserve de cette stratégie et de ce choix en faveur d'une répartition non optimale, les captures doivent être effectuées le plus efficacement possible sur le plan économique, c'est-à-dire avec le niveau de capacité minimum pour les deux catégories de pêcheurs.

Ces types de nouveaux problèmes de gestion doivent occuper une place de choix dans le débat sur la capacité de pêche et la nécessité de définir des critères bioéconomiques de deuxième catégorie pour les évaluer doit être réaffirmée.

Lorsqu'une pêche a été définie comme présentant des niveaux d'excès de capacité ou de surcapacité inacceptables, il convient d'élaborer une série de réglementations pour maîtriser la capacité dans l'immédiat et réduire les niveaux de capacité par la suite. Les stratégies en matière de gestion de la capacité ont privilégié les mesures de suppression des incitations et les mesures de modification des incitations (FAO 1998).

Les mesures de suppression des incitations peuvent être considérées comme des mesures conçues pour accélérer la réaction du marché à l'excès de capacité. Ces solutions à court terme atténuent le problème de capacité en interrompant ou en ralentissant son développement mais il ne modifie pas les incitations commerciales qui sont à l'origine de la surcapacité dans la pêche[30].

Les mesures de modification des incitations sont conçues pour éliminer la surcapacité en corrigeant les effets commerciaux externes de la liberté d'accès qui existent dans les pêcheries. Ces solutions à long terme visant à corriger la surcapacité modifient le cadre réglementaire pour créer des incitations commerciales propres à réduire les niveaux de capacité dans la pêche[31].

Cunningham et Greboval (2001) ont expliqué la nécessité de gérer la capacité de pêche et passé en revue les problèmes techniques et questions d'orientation que cela pose. Des principes directeurs fondés sur les dispositions du Code de conduite pour une pêche responsable sont utilisés pour examiner l'origine, les conséquences et la dynamique d'un développement excessif de la capacité de pêche. Notant les problèmes liés au libre accès de même que les questions qui se posent lorsqu'on tente de gérer les pêches relevant de ce régime, les auteurs ont examiné une série de mesures de gestion possibles comme l'introduction d'incitations ou d'obstacles de type économique, l'imposition de contingents individuels, l'imposition de restrictions en matière d'accès et la mise en place d'un système de cogestion - du point de vue de leur aptitude à limiter la capacité de pêche. Les effets et inconvénients possibles de ces mesures ont également été analysés[32].

5.3. Mesures de limitation de la capacité fondées sur la suppression des incitations

Ces mesures visent à bloquer les incitations économiques liées sur la liberté d'accès en vue d'accroître la capacité de la flottille. Il peut s'agir notamment:

Les mesures de suppression des incitations destinées à maîtriser la capacité posent un problème d'application. Si une entreprise de pêche est placée dans l'impossibilité de maximiser ses profits pour l'échelle de production qui est la sienne par une mesure de gestion de la pêche, on peut dire qu'une incitation à contourner la réglementation a été créée. En d'autres termes, s'il est possible d'employer une stratégie de pêche différente ou si un autre intrant peut être substitué à l'intrant soumis à contrôle, les pêcheurs peuvent violer l'esprit de la réglementation, par exemple en élargissant un bateau pour répondre à l'imposition d'une limite de longueur. S'il n'est pas possible de contourner la réglementation et que la probabilité d'être pris et condamné est suffisamment faible de sorte que le montant escompté de l'amende soit inférieur à la perte de revenu nette, les pêcheurs peuvent adopter des stratégies pour contrevenir à la réglementation dans sa lettre.

Le moyen de résoudre ces problèmes d'application est de concevoir avec soin les mesures de gestion et de prévoir des pénalités suffisamment lourdes ainsi que des niveaux de répression tels que le montant prévu des amendes décourage les pêcheurs d'envisager de contrevenir à la lettre ou à l'esprit de la réglementation.

Malheureusement, rien ne prouve qu'un strict respect de la réglementation conduise à une réduction de la capacité dans une pêche donnée.

5.3.1. Limitation de l'accès

La limitation du nombre de permis n'est pas en soi une mesure suffisante pour réduire la capacité; elle doit s'accompagner d'autres mécanismes destinés à contrôler le taux d'augmentation de la capacité qui peuvent prendre la forme suivante:

L'imposition de limites en matière d'accès ne s'est pas révélée efficace au Mexique par exemple, les organes de contrôle n'ayant pas été en mesure de déterminer si les bateaux en service étaient en possession d'un permis (FAO 1998).

Les modifications apportées au programme de limitation du nombre des permis en vue de résoudre le problème d'étoffement du capital consistent notamment à rendre les permis transférables ou à les fractionner. Dans le premier cas, l'accès de nouveaux pêcheurs est autorisé au fur et à mesure que les pêcheurs déjà en activité quittent la pêcherie. Si la redevance à acquitter revient à prélever une partie des revenus générés par le stock, elle n'empêche pas un accroissement de la capacité dans le long terme. Le taux d'accroissement de la capacité est réduit mais la capacité continue de croître avec le temps.

Les programmes de fractionnement des licences consistent à attribuer à chaque pêcheur opérant dans une pêcherie à accès limité une portion de permis. Pour donner un exemple du type de fonctionnement de ce genre de permis, on peut indiquer que le détenteur d'un tel permis serait tenu de racheter un autre permis partiel à un confrère pour obtenir un permis complet. Il pourrait donc en résulter une diminution du nombre total de détenteurs de permis dans une pêche donnée.

5.3.2. Programmes de rachat

Des programmes de rachat de bateaux et de permis sont proposés. Ils servent de plus en plus d'instruments de gestion destinés à réduire l'excès de capacité dans le secteur de la pêche. Ces programmes consistent; comme leur nom l'indique, à racheter et à retirer de la circulation des bateaux ou des permis pour réduire la capacité de la flottille. Ils sont appliqués depuis un certain temps dans de nombreuses régions du monde: Japon, Etats-Unis, Canada, Norvège, Australie, Communauté européenne et Taiwan notamment.

Les motivations et les objectifs des programmes étaient les mêmes mais les mécanismes d'application différaient, les uns consistant à racheter des permis plutôt que des bateaux tandis que d'autres limitaient l'utilisation du permis ou le droit d'accès à la pêcherie à la seule pêche commerciale. En général, les objectifs des programmes de rachat de bateaux sont les suivants: préservation des stocks de poissons, amélioration de l'efficacité économique par la rationalisation de la flottille et paiements de transfert (aide d'urgence au secteur de la pêche par exemple).

Holland, Gudmundsson et Gates (1999) ont analysé des programmes de rachat de bateaux et de permis dans un certain nombre de pêcheries de la planète pour en évaluer l'efficacité. Ils ont ainsi constaté que, si les objectifs des programmes étaient habituellement les mêmes, les caractéristiques de leur conception différaient considérablement. La conclusion à laquelle ils sont parvenus est que si des programmes de rachat bien conçus peuvent améliorer les effets immédiats de ce type de méthode, les opérations de rachat ne sont généralement pas un moyen efficace d'atteindre l'objectif déclaré, à savoir réduire la capacité.

Dans le meilleur des cas, les programmes de rachat peuvent permettre une réduction provisoire de la capacité; toutefois, dans la mesure où les incitations liées à la liberté d'accès demeurent, l'accroissement de l'abondance des stocks appellera un accroissement de la capacité. Si les incitations commerciales sont corrigées grâce à une modification de la réglementation et de la gestion, il existe une plus grande probabilité que les différents pêcheurs préserveront leurs stocks de ressources (stock de poissons en particulier) de sorte que les programmes de rachat gagneront en efficacité dans la mesure où des rentes sur la ressource sont captées par le mécanisme de régulation qui donne accès à la pêcherie.

5.3.3. Impositions de restrictions sur les engins et les bateaux

L'imposition de restrictions sur les engins et les bateaux ont pour objet de maîtriser la capacité en contrôlant l'utilisation des facteurs de production entrant dans l'effort de pêche. L'imposition d'un maillage minimum (pêche aux poissons de fond de Nouvelle Angleterre), la limitation du nombre des casiers ou des nasses (pêche au homard de Floride), l'imposition de limites à la longueur des palangres ou interdiction de certains engins (chaluts en Floride) figurent au nombre des méthodes employées dans différentes pêcheries. La réglementation des caractéristiques physiques des bateaux est également un moyen utilisé pour maîtriser la capacité.

De manière générale, les pêcheurs contournent la réglementation en substituant d'autres intrants ou de nouveaux types d'engins aux engins et aux intrants soumis à restrictions. Les restrictions imposées en ce qui concerne la longueur des bateaux ont ainsi été contournées par une augmentation de la largeur ou de la puissance des moteurs. Dans la pêche de poissons téléostéens de Floride, les pêcheurs ont remplacé les chaluts par des d'autres engins et continué de pêcher malgré l'interdiction d'utilisation de filets.

5.3.4. Total autorisé des captures

L'imposition d'un total autorisé de captures (TAC) est destiné à préserver ou à reconstituer des stocks de poissons en imposant des contingents de capture pour les pêcheries nationales, en répartissant le stock entre différents types d'engins de pêche ou catégories de pêcheurs ou en répartissant les stocks internationaux entre des pays.

Lors de la réunion du groupe de travail technique "il a été reconnu qu'appliqués indépendamment de toute autre mesure ou presque les TAC étaient la porte ouverte à la pire des situations; à savoir un accroissement rapide de la capacité de pêche " (FAO 1998). Au fur et à mesure que les stocks de poissons se reconstituent grâce à la diminution de la mortalité de pêche, des rentes apparaissent qui attirent dans la pêcherie une nouvelle capacité si l'accès de nouveaux pêcheurs ou l'accentuation de l'effort de pêche existant ne sont pas maîtrisés. Il en résulte donc une course à la pêche qui se traduit par un accroissement de la capacité, une réduction de la durée des campagnes et une augmentation des coûts à prévoir pour débarquer la même quantité de poissons sur une période plus réduite. Lorsque les limites d'un TAC contraignant sont sur le point d'être atteintes, il peut se révéler difficile d'obtenir suffisamment de données en temps réel permettant de justifier la fermeture de la pêche et c'est pourquoi les TAC sont fréquemment dépassés.

Le débarquement de grosses quantités de poissons sur de courtes périodes se traduit souvent par une capacité de transformation excédentaire c'est-à-dire un problème de pointe de charge. Il en résulte donc une capacité de pêche excédentaire et une sous-utilisation de la capacité de transformation.

5.3.5. Limitation des captures par bateau

L'imposition de limites de captures par bateau est une forme d'imposition de contingents individuels sans possibilité de transfert entre pêcheurs.

L'imposition de restrictions sur les quantités débarquées permet de ralentir la course à la pêche, qui est l'indication de l'existence d'un excès de capacité dans une pêcherie. L'imposition graduelle de limites de captures a été appliquée dans des pêcheries de sorte que les contingents de captures attribués soient plus élevés pour les pêcheurs exerçant à plein temps ou spécialisés que pour les pêcheurs à plein temps ou non spécialisés (pêches aux vivaneaux du Golfe du Mexique par exemple). Les pêcheurs peuvent contourner les mesures de limitation des captures en débarquant leur poisson sur des quais ou des ports éloignés. L'imposition de limites de captures par bateau peut donc avoir une utilité dans les pêches de type communautaire ou dans les régions où les sites de débarquement sont contrôlés.

5.3.6. Contingents d'effort individuels

L'imposition de contingents d'effort individuels (IEQ) limite l'effort de pêche autorisé pour un bateau dans une pêcherie donnée. Les restrictions portent habituellement sur la durée du chalutage, la durée des sorties en mer ou le nombre de jours de pêche par bateau. Lorsque les IEQ sont transférables, les pêcheurs peuvent les racheter à leurs pairs ou les revendre aux nouveaux venus. Toutefois, comme dans le cas des limites de capture par bateau, il est difficile de faire appliquer la réglementation dans la limite où l'effort s'exerce en dehors des ports et parce qu'il est possible d'échapper aux restrictions.

Comme dans le cas avec les restrictions en matière d'engins et de bateaux, l'étoffement du capital est fréquent lorsque des IEQ sont imposés. Si le nombre de jours de pêche ou la durée du chalutage reste constant, il arrive que les pêcheurs accroissent la puissance du bateau en substituant d'autres intrants aux facteurs de production utilisés pour réaliser l'effort de pêche fixé de sorte que l'effort individuel effectif augmente. La capacité de l'ensemble de la flottille peut donc augmenter dans le temps.

5.4. Mesures d'incitation par adaptation visant à corriger la capacité

Les mesures d'incitation par adaptation permettent de disposer de stratégies de longue durée visant à maîtriser la capacité en modifiant le cadre réglementaire afin de créer des incitations commerciales qui encouragent les pêcheurs à modifier leur capacité de pêche. Les mesures relevant de cette catégories sont notamment les suivantes:

Ces types de mesures de gestion des pêches éliminent les effets externes liés à la liberté d'accès en incitant les pêcheurs à se comporter comme s'ils possédaient les ressources halieutiques in situ. Lorsque ces ressources ne peuvent plus être exploitées par tout un chacun, les pêcheurs sont disposés à investir dans l'avenir en préservant les ressources halieutiques ainsi que les autres ressources utilisées pour pêcher.

La surcapacité est ainsi éliminée.

5.4.1. Contingents individuels transférables

L'imposition de contingents individuels transférables est efficace pour maîtriser la capacité là où cette mesure est appliquée.

Bien qu'ils permettent de réguler par eux-mêmes la capacité, les ITQ ne sont pas considérés comme une mesure applicable à tous les cas de figure. On s'est interrogé sur la possibilité d'appliquer les ITQ à des stocks de poissons très variables comme les stocks de crevettes du Golfe du Mexique ou à des stocks comportant plusieurs cohortes d'âges en raison des craintes que suscitent les risques de captures d'espèces à valeur élevée. Les captures accessoires sont un autre problème qui a été soulevé à propos des ITQ et qui n'a pas reçu de solution pratique satisfaisante. Il peut se produire une diffusion ou une multiplication de la capacité si les ITQ sont imposés successivement dans une série de pêcheries. Les entreprises de transformation qui ont surinvesti afin de disposer de la capacité de ressources nécessaire pour faire face à la course à la pêche peuvent être confrontées à de graves problèmes économiques si elles sont exclues des attributions d'ITQ initiales.

Néanmoins, une importante diminution sur le long terme de la capacité a été constatée dans les pêches où des ITQ avaient été appliquées. Par delà les problèmes d'amélioration des résultats commerciaux que posent les systèmes comportant la fixation d'ITQ, Arnasson (1998) s'est intéressé plus spécifiquement aux effets que de tels systèmes avaient eu, en tant qu'instruments de gestion, sur l'excès de capacité ou la surcapacité. Il a constaté que les nouveaux investissements en capital avaient diminué et que la flottille de pêche concernée par le système d'ITQ en Islande avait été réduite. En fait, dans certaines pêcheries islandaises, le nombre d'unités en service et, partant, le niveau de l'effort de pêche, avaient sensiblement diminué. En outre, une analyse des rentes économiques et de la valeur des parts contingentées indiquait que le système de gestion générait d'importants avantages économiques nets.

5.4.2. Taxes

Si l'imposition d'une taxe sur les débarquements équivaut en théorie à la fixation d'ITQ en ce qui concerne la réduction de la capacité, on dispose de peu d'informations empiriques quant à ses effets réels.

Le difficile problème que pose l'imposition de taxes est celui de déterminer le taux optimal à appliquer à chaque période considérée. En effet, le niveau de capacité d'une pêcherie dépend de l'abondance du poisson, de son prix à bord et du coût unitaire de l'effort de pêche à l'instant considéré. Étant donné que les coûts, les prix et l'abondance du poisson fluctuent, les niveaux de capacité doivent être corrigés par la taxe. Celle-ci doit être modifiée dans le temps. Avec les ITQ, les corrections déterminant le niveau de capacité optimale s'opèrent automatiquement sur le marché des ITQ. Avec la taxe, l'administration concernée doit déterminer le niveau approprié de la taxe et le moment où elle doit être modifiée pour assurer une maîtrise optimale de la capacité. Dans les pays asiatiques, l'imposition d'une taxe sur les débarquements a soulevé des protestations générales parmi les pêcheurs pratiquant la pêche aux petits métiers et les consommateurs qui craignaient une augmentation des prix (FAO 1998).

5.4.3. Redevances

Les redevances ont les mêmes effets sur la réduction de la capacité que les taxes sur les débarquements.

En théorie, le versement d'une redevance par kilo de poisson débarqué ou sur la part de contingents détenue à l'administration assurant la gestion de la pêcherie diminue le prix à bord pour le pêcheur et tend donc à ralentir le taux de croissance de la capacité dans la pêcherie. La Nouvelle-Zélande est le seul pays qui ait testé cette méthode avant d'appliquer le principe d'un recouvrement des frais de gestion. Aux Etats-Unis, la méthode est utilisée par le ministère de l'intérieur pour récupérer des rentes dans le secteur de l'extraction des ressources naturelles (concessions pour l'extraction de pétrole en mer par exemple) et pourrait être appliquée à la gestion des pêcheries.

5.4.4. Droits de pêche collectifs

Des systèmes de type communautaire et des systèmes de cogestion ont été introduits avec un certain succès dans plusieurs pays pour maîtriser et réduire la capacité. Ils ne sont cependant pas considérés comme très efficaces lorsqu'il n'existe pas de capacité de renforcement des institutions, lorsque le nombre de pêcheurs ne peut pas être limité ou lorsque le pouvoir de faire appliquer les droits et règles n'appartient pas à la communauté.

Pour que des systèmes de droits collectifs puissent être efficaces, il est indispensable que le groupe soit en mesure d'exclure ceux qui n'en font pas partie; en d'autres termes, que son droit soit exécutoire. De plus, si les coûts liés à la conclusion d'un accord applicable (coûts de transaction) ne sont pas prohibitifs, une gestion de type communautaire peut se révéler tout à fait efficace. En revanche, si les coûts de transaction sont trop élevés, des effets indésirables sont possibles.

Les méthodes de gestion de type communautaire ont apporté la preuve de leur efficacité dans quelques cas, par exemple au Sénégal, au Japon et dans les années 40 et 50 pour la pêche à la crevette dans le Golfe du Mexique.

Aux Etats-Unis, le Service national des pêches maritimes et les conseils pour la gestion de la pêche peuvent être considérés comme un système de cogestion qui s'est révélé inapte à maîtriser la capacité dans les pêcheries nationales.

La gestion de type communautaire a ceci d'intéressant qu'elle rapproche les décideurs des conséquences de leurs actes mais, compte tenu de l'ampleur de la portée des décisions possibles et de leurs conséquences, les problèmes de capacité ne peuvent être résolus de façon satisfaisante. Plus simplement, étant donné que la gestion de type communautaire permet d'appliquer n'importe quelle méthode pour régir les décisions en matière de capacité au sein de la communauté, il est possible d'utiliser des mesures d'incitations par blocage pour atténuer, mais non pas pour corriger, les problèmes de capacité.

Nonobstant, il existe un certain nombre d'exceptions à ce principe général et des lieux où des groupes ont adopté des mesures visant à corriger la capacité. Aux Etats-Unis, on peut citer l'exemple de la pêche aux cerniers communs dans la région sud-est, la pêche au flétan et à la morue charbonnière de la région du nord-est et de l'Alaska ainsi que la pêche au mactre solide de la région centrale de la côte Atlantique des Etats-Unis. De même, les quotas de développement communautaire institués pour les tribus autochtones de l'Alaska sont un exemple de programmes d'attribution de droits de pêche collectifs efficace: la communauté étant à même de maîtriser efficacement l'effort de pêche, elle est en mesure de réduire la capacité.

5.4.5. Droits d'utilisation territoriale

Les droits d'utilisation territoriale (TURF) sont un autre moyen de maîtriser la capacité en incitant les pêcheurs à se comporter comme s'il existait un droit de propriété sur les parages de pêche. L'accès aux parages ou aux sites de pêche et son utilisation sont limités à un petit groupe ou à un seul individu, qui peuvent déterminer les méthodes de pêche et l'allocation du poisson.

Les concessions ostréicoles peuvent être considérées comme une forme de TURF. Or, une étude dans laquelle étaient comparés un régime de propriété privé et un régime d'accès public a révélé que les TURF permettaient et une diminution des investissements en capital et une augmentation des effectifs employés au ramassage des huîtres (Agnello et Donnelley, 1976).

5.5. Gestion stratégique de la capacité

Il existe une pléthore d'instruments pour tenter d'atténuer ou plus généralement de gérer les problèmes de capacité.

Les solutions les plus durables aux problèmes de surcapacité pouvant exister dans les pêcheries relèvent des mesures correctives par adaptation des incitations mais le recours à de telles stratégies peut nécessiter une modification des méthodes de gestion existantes, solution qui n'est pas nécessairement simple. D'autres mesures de type provisoire sont envisageables mais il faut alors considérer les incitations qu'elles peuvent créer et les effets qu'elles peuvent avoir à court et à long terme. Enfin, l'adoption effective de mesures destinées à atténuer ou à corriger la capacité relève du domaine politique et, en tant que telle, elle ne correspond pas forcément à la stratégie la plus efficace du point de vue technique.


[29] Le Bureau des statistiques évalue régulièrement sur le plan quantitatif les niveaux de capacité industrielle des principaux secteurs de l'économie des Etats-Unis.
[30] L'imposition de moratoires sur les permis ou la mise en place de programmes de limitation du nombre des licences constituent des exemples de ce que le groupe de travail de la FAO a défini comme étant des mécanismes de suppression des incitations. L'accès de nouveaux pêcheurs est bloqué mais pour les pêcheurs présents la situation demeure celle d'une pêche libre d'accès. Il en résulte que la croissance de la capacité est ralentie mais pas stoppée et que la capacité totale n'est pas réduite.
[31] La pêche au cernier commun du sud-est des Etats-Unis et la pêche au flétan et à la morue charbonière de la région du nord-ouest constituent deux exemples de pêches pour lesquelles les gestionnaires ont corrigé les incitations commerciales en modifiant l'organisme de gestion et conduit les pêcheurs à limiter leur capacité de pêche.
[32] Il existe également des besoins d'ordre administratif et institutionnel pour certains types de pêche comme la pêche en haute mer et la pêche aux petits métiers. Les recommandations contenues dans le document portent sur l'évaluation de la capacité de pêche, le cadre d'orientation, les options existant en matière de gestion, la surveillance et la recherche, la pêche aux petits métiers et la participation du secteur.

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