Page précédente Table des matières Page suivante


8. Aspects éthiques


8.1 Introduction

La production d'animaux génétiquement modifiés soulève diverses préoccupations éthiques légitimes. La nécessité d'aborder ces préoccupations avec un esprit ouvert et sans préjugés est amplifiée par une partie critique de l'opinion publique qui met en cause certaines des réalisations de la biotechnologie moderne. La prise de décisions et l'adoption de politiques responsables imposent d'inclure les considérations éthiques parmi les facteurs saillants dès les étapes préparatoires de l'analyse des risques.

L'éthique prend ses racines à la fois dans les religions et dans les philosophies séculières, mais le sens moral et la conscience de valeurs morales sont partagés par tous les individus. L'éthique comporte une dimension positive tenant à la conception que nous avons de ce qui est bien dans la vie et la société, et une dimension négative qui tient à ce que nous jugeons comme moralement condamnable. Si l'on considère, par exemple, les pratiques alimentaires dictées par la religion en matière de consommation de viande de porc, l'utilisation de matériel génétique provenant de porcs pourrait poser des problèmes.

8.2 Éthique de l'environnement et bien-être des animaux

Dans de vastes pans de l'éthique occidentale dominante, l'être humain est au coeur de nos préoccupations morales. Les progrès de la connaissance ont incité de nombreuses personnes à prendre conscience du fait qu'il existait de nombreuses raisons d'étendre les préoccupations d'ordre moral au règne animal, voire aux écosystèmes. On en est ainsi arrivé à débattre du statut moral des animaux et à porter une attention accrue à la question du bien-être des animaux, qui a aussi un lien avec les animaux transgéniques. Les premières expériences menées sur des saumons à croissance augmentée, par exemple, ont fait apparaître des difformités crâniennes chez certains individus (Devlin et al., 1995). En règle générale, la volonté d'utiliser des animaux génétiquement modifiés pour la production de nourriture va de pair avec un souci du producteur d'assurer ou d'améliorer la santé des animaux et de préserver leur bien-être, mais cette règle n'est pas infaillible. C'est pourquoi il incombe aux organismes compétents d'évaluer, cas par cas, ce qui relève du bien-être des animaux dans le cas des animaux transgéniques.

8.3 Incertitudes

La prise de décisions responsables du point de vue éthique impose, entre autres choses, de recourir aux meilleures connaissances existantes et d'avoir conscience des incertitudes dont elles peuvent être entourées. Si l'on s'accorde généralement à reconnaître qu'une bonne évaluation des risques doit s'accompagner d'une certaine dose d'incertitude, les instruments utilisés couramment pour rendre visibles ces incertitudes restent limités. Toutefois, la recherche a beaucoup progressé sur ce sujet au cours de la dernière décennie, et il existe maintenant des instruments intéressants et utiles pour représenter les incertitudes (Walker et al., 2003). C'est important d'un point de vue éthique parce que, dans certains cas, les incertitudes sont dues à l'état de nos connaissances (et indiquent donc souvent qu'il faut poursuivre la recherche), alors que dans d'autres, elles sont liées à des caractéristiques intrinsèques du système étudié, par exemple le chaos ou la complexité, ou à des états d'équilibre multiples sans changement d'état linéaire et déterministe. Dans ces derniers cas de prévisibilité intrinsèquement limitée, il nous faut adopter un mode responsable de gestion des incertitudes. Ce point a une importance à la fois pour l'utilisation du principe de précaution dans la gestion des risques et pour la communication et la présentation de résultats scientifiques comme base de cette gestion. Le principe de précaution ne repose pas sur une notion irréaliste de risque zéro. La meilleure précaution réside parfois dans un développement soigneusement maîtrisé, contrôlé et progressif. Il est indispensable que l'on se préoccupe explicitement des incertitudes contenues dans nos évaluations et que l'on adopte des schémas pour les gérer de manière responsable.

8.4 Transparence et débat public

Reconnaître l'autonomie du consommateur et son droit de faire librement et en connaissance de cause des choix sur le marché est un des aspects de la gestion responsable. Les craintes qui s'expriment dans certains courants d'opinion quant au fait que les nouvelles techniques génétiques pourraient ne pas être utilisées à des fins «justes» ou justifiées du point de vue éthique en sont un autre. La répartition des risques et des avantages peut poser des problèmes moraux, et les avantages peuvent paraître insuffisants. Actuellement, même le manque de données sur cette répartition est un sujet de préoccupation. La fracture technologique et la répartition déséquilibrée des avantages et des risques entre pays développés et pays en développement suscitent des préoccupations du même ordre. Le problème prend souvent d'autant plus d'acuité qu'entrent en ligne de compte des droits de propriété intellectuelle ou des brevets donnant l'avantage au bastion de la connaissance scientifique et technologie. Les questions d'équité et de justice sont donc manifestement importantes. Toutes ces considérations convergent vers la dimension positive de l'éthique, c'est-à-dire un débat sur la finalité, les avantages et les risques. C'est une nécessité pour la société d'aborder ces questions de front et dès les premiers stades du développement (Sagar, Daemmrich et Ashiya, 2000; Kapuscinski et al., 2003). Il faut donc anticiper par l'évaluation, et il importe d'expliquer la nécessité que ces évaluations soient éclairées par des données scientifiques. Les responsables de la gestion des risques et de la prise des décisions devraient s'atteler à cette tâche en collaboration avec les parties concernées.

8.5 Le rôle des principes éthiques dans les évaluations

Dans le domaine de la santé et de la médecine humaine, il est maintenant d'usage de réaliser des études éthiques pratiques. Quatre principes fondamentaux sont posés dans le domaine biomédical: respect de l'autonomie, volonté d'aider, volonté de ne pas nuire, et justice (Beauchamp et Childress, 2001). Ces principes semblent être largement acceptés, correspondre à des théories éthiques importantes et s'appliquer à la plupart des problèmes qui se présentent dans le domaine biomédical. Dans le domaine des animaux génétiquement modifiés, un cadre analogue devra être mis en place si l'éthique doit effectivement devenir partie intégrante de la réglementation et des conseils en matière de politique d'orientation. Des prolongements des principes du domaine biomédical à d'autres aspects technologiques et environnementaux ont été créés, par exemple sous la forme d'une «grille éthique» (Mepham, 1996; Kaiser et Forsberg, 2000; Schroeder et Palmer, 2003). L'idée directrice, dans ce cadre, est de combiner l'utilisation de divers principes avec les perspectives liées aux intérêts des différents acteurs et d'autres organismes susceptibles d'être affectés et leur environnement. Le paragraphe suivant présente une version schématique d'une approche de ce type. La raison d'être de ces cadres et approches est de rendre l'évaluation éthique plus transparente et plus méthodique, et donc de la faire entrer dans le champ de l'assurance de qualité.

8.6 Une évaluation éthique schématisée

En supposant que nous voulions étudier les aspects éthiques d'une certaine modification génétique à réaliser à des fins alimentaires dans une espèce de poisson d'une région donnée, si nous suivons l'approche de la grille éthique, nous commencerons par nous demander qui sont les parties concernées. Nous devrons aussi nous entendre sur les organismes susceptibles d'être affectés et leurs composantes de l'environnement, par exemple les poissons et autres biotes. Il faudra alors établir un jeu de principes éthiques tels que justice/équité, dignité/autonomie et des considérations de bien-être comportant à la fois l'élimination de facteurs négatifs et l'accroissement de facteurs positifs du bien-être. Une fois établie une entente commune sur ces principes, il importera de spécifier les principes pour chaque perspective d'intérêt. Avec la présentation d'un exemple de grille éthique (voir le tableau 2), il devient évident que certaines des cases de ce tableau (indiquées en grisé) ont un rapport direct avec la description scientifique contenue dans l'évaluation de la sécurité et des avantages des animaux génétiquement modifiés. Il y a donc chevauchement entre l'évaluation éthique et l'évaluation et la gestion des risques. Il est maintenant possible de préciser dans la grille les conséquences spécifiques de la nouvelle technologie et les incertitudes dans nos connaissances. Cela permet d'élargir la vision des problèmes.

TABLEAU 2. Schéma de grille éthique (ayant valeur d'exemple uniquement - les cases en grisé sont aussi directement liées à la description scientifique de l'évaluation de la sécurité et des avantages des animaux génétiquement modifiés)

Grille éthique concernant les poissons génétiquement modifiés:

Bien-être (réduction des facteurs négatifs)

Bien-être (promotion des facteurs positifs)

Dignité/autonomie

Justice/équité

Petits producteurs

Dépendance à l'égard de la nature et des sociétés

Revenus suffisants et sécurité de l'emploi

Liberté d'adopter ou de ne pas adopter

Traitement commercial équitable

Consommateurs

Aliments sûrs

Qualité nutritionnelle

Respect du choix du consommateur (étiquetage)

Caractère abordable de l'aliment

Poisson traité

Traitement correct des animaux

Résistance accrue aux maladies

Liberté de comportement

Respect des capacités naturelles (telos)

Biotes

Pollution et contraintes imposées aux ressources naturelles

Durabilité accrue

Maintien de la biodiversité

Aucune contrainte supplémentaire imposée aux ressources naturelles régionales


Page précédente Début de page Page suivante