2.1 Le présent guide traite des grands conflits caractérisés par une violence durable pouvant entraîner des pertes en vies humaines, des atteintes physiques généralisées, et pousser des populations entières à quitter leurs terres. Ces conflits peuvent également provoquer la destruction de nombreuses infrastructures et la paralysie des institutions publiques. Leurs conséquences sont graves, notamment parce quils peuvent durer de nombreuses années.
2.2 Le présent chapitre sadresse aux spécialistes des régimes fonciers et de ladministration foncière appelés à contribuer à la réalisation de projets, mais ne possédant quune expérience directe limitée des conflits violents. Il définit la nature de tels conflits et décrit les caractéristiques habituelles des situations qui leur font suite, ainsi que les conséquences quune période de violence prolongée et de déplacements massifs de population peuvent avoir sur une société.
2.3 La plupart des conflits violents touchent les pays pauvres, mais il nexiste pas de lien de cause à effet entre pauvreté et violence. Les causes des conflits violents sont généralement complexes. Certains conflits sont liés à des rivalités portant sur la terre ou sur dautres ressources naturelles. Une croissance démographique, non accompagnée dun accroissement de la productivité ou de nouvelles sources de revenus dorigine non agricole, intensifie généralement la pression qui sexerce sur les ressources naturelles. La dégradation de lenvironnement qui en résulte augmente encore les contraintes auxquelles sont soumises les ressources restantes. Laccès à la terre étant souvent lié à lidentité sociale, les droits à la terre peuvent être utilisés pour exploiter politiquement la tension. Lorsque la propriété des terres est concentrée dans les mains dune minorité - quil sagisse dune catégorie sociale ou dune ethnie particulière -, les aspirations en faveur dune réforme agraire peuvent déboucher sur des luttes violentes. Les questions de structure agraire sont de nature essentiellement politique et les relations liées au régime foncier sont fondées sur les relations entre catégories sociales ou ethnies et conditionnées par celles-ci. Les problèmes fonciers sont appelés à acquérir une dimension politique et les problèmes politiques une dimension ethnique.
2.4 Des conflits violents peuvent éclater sans que le manque de terres et dautres ressources foncières constitue un facteur de déclenchement essentiel, mais les litiges à propos des terres peuvent se combiner à dautres problèmes et les différents protagonistes tenter de prendre le contrôle de ressources naturelles telles que le pétrole, les diamants et le bois pour financer leurs activités. De nombreux conflits ont pour principale origine la discrimination sociale, économique et politique qui sexerce à lencontre de catégories de la société, quil sagisse de minorités ou de la majeure partie de la population. Cette discrimination a souvent un impact sur les régimes fonciers, notamment par le biais de ce quil est convenu dappeler le «nettoyage ethnique» pratiqué dans certaines zones. La mauvaise gouvernance est un autre facteur de déclenchement commun à de nombreux conflits. La remise en cause de la légitimité de lÉtat peut être soulevée par des mouvements indépendantistes ou par des groupes subversifs. Les rancurs peuvent être alimentées par lexpérience de larbitraire, du favoritisme, de la corruption ou des extorsions. Les conflits peuvent également avoir pour origine des facteurs extérieurs tels que linstabilité dun pays voisin.
2.5 Des griefs, même partagés par de très nombreux membres dune société donnée, conduisent rarement à des actes violents en labsence dune mobilisation de la population par des meneurs. En elles-mêmes, des divisions à caractère ethnique ou religieux débouchent rarement sur des actes de violence. Toutefois, elles peuvent être exploitées par des chefs de file animés du désir de sattaquer à la pauvreté et à linjustice pour des motifs idéologiques, poussés par la cupidité ou lespoir de senrichir grâce aux conflits. Elles peuvent aussi porter sur les terres lorsque des groupes sociaux sont liés à des territoires particuliers tels que les foyers nationaux ou zones ethniques.
2.6 La cause immédiate des conflits est souvent le fait des chefs de file, qui ne sont pas prêts à négocier une solution pacifique. Leurs causes réelles peuvent être beaucoup plus difficiles à déceler; elles tiennent souvent à une combinaison de facteurs dont il est parfois difficile - voire impossible - dévaluer limportance. Un ensemble de facteurs peut entraîner des actes de violence dans une société, mais pas dans une autre. Une situation restée stable pendant des années peut être marquée par la violence en raison dune combinaison de facteurs tels que des interventions extérieures, des changements climatiques, le remplacement de dirigeants locaux ou une aggravation des disparités économiques. Dautres changements, tels la croissance démographique ou lintensification des migrations et la mise en place dinfrastructures et de services sociaux comme léducation contibuent à la remise en cause du consensus social. Laccumulation des sources de tension qui en découlent peut se traduire par un antagonisme accru entre les bénéficiaires des réformes et les autres.
2.7 En dégénérant, le conflit peut échapper au contrôle des dirigeants. La violence peut conforter les divisions au sein de la société, en renforçant les intérêts et les positions des différents groupes. En raison de la dimension spatiale des conflits violents et des régimes fonciers, il peut se révéler difficile de distinguer le rôle des premiers et des seconds dans le déclenchement et la poursuite dun conflit. La violence peut ne pas cesser alors même que les griefs qui en sont à lorigine nont plus lieu dêtre et au contraire être alimentée par les nouvelles prises de position.
2.8 Selon le présent guide, le début de la période postérieure au conflit correspond au moment où, les principales hostilités ayant cessé, laide internationale peut commencer. Le pays jouit alors dun certain degré de sécurité, même si la situation nest pas nécessairement sûre. Généralement, le passage dune période de violence intense à une période de relèvement dans lapaisement ne se fait pas sans à-coups. Il ne se produit pas non plus dans toutes les régions du pays au même moment. La conclusion dun accord de paix peut mettre fin à un conflit, mais lhostilité et le ressentiment peuvent perdurer des mois ou des années, avec des niveaux dintensité variables. Il peut même arriver que les tensions sociales saggravent pendant la période postérieure au conflit. Le retour des personnes déplacées peut être loccasion de chercher vengeance ou dassouvir de vieilles rancurs et les populations ayant fui la violence peuvent trouver à leur retour leur bien occupé.
2.9 On considère que la période postérieure au conflit sachève lorsque les systèmes juridiques de base et les institutions chargées de ladministration foncière sont en place et quil existe dans le pays une capacité suffisante pour concevoir des politiques. Toutefois, il peut être aussi difficile de définir la fin dune période postérieure à un conflit que den définir le point de départ, car la frontière est rarement facile à déterminer. Le processus de pacification peut se poursuivre pendant un temps beaucoup plus long.
2.10 La nature des activités menées pendant la période postérieure au conflit varie en fonction des progrès accomplis. Ces activités peuvent être caractérisées parce que plus particulièrement axées sur les secours durgence ou sur la conception et lapplication de politiques. Cette répartition en catégories est illustrée à la figure 1; elle est décrite plus en détail dans les paragraphes ci-après. Dans la pratique, ces différentes activités ne se déroulent pas de façon ordonnée. Un chevauchement est beaucoup plus probable. Des activités durgence comme celles liées au renforcement de la paix peuvent être nécessaires dans certaines régions dun pays donné, alors quune paix relative peut exister dans dautres. En conséquence, les activités liées à la conception des politiques peuvent démarrer de façon irrégulière selon les régions. De même, des institutions peuvent être établies dans les textes avant que les ressources et la capacité nécessaires pour mettre en uvre les plans soient disponibles. Même si lévolution vers la normalité peut être irrégulière comme lindique la figure 1, la capacité à concevoir et appliquer une politique dépendra de la capacité à préserver la paix. Plus le degré de pacification est élevé, plus il est probable que des politiques seront conçues et appliquées.
FIGURE 1
2.11 Les activités durgence mettent laccent sur la mise en place dun système de gouvernance de base et sur la fourniture de services humanitaires. Elles ont généralement lieu durant la période immédiatement postérieure au conflit, avant que commence la mobilisation à grande échelle des ressources. Cette période est souvent caractérisée par labsence à peu près totale de toute gouvernance et de règles de droit effectives, ainsi que par une destruction massive des infrastructures. La sécurité alimentaire est limitée. Les risques dépidémie et dexploitation de la population, en particulier concernant les groupes vulnérables comme les femmes et les enfants, les personnes âgées, les malades, les blessés ainsi que les minorités ethniques, sont généralement élevés. Des opérations internationales de maintien de la paix - désarmement et démobilisation des combattants par exemple - peuvent avoir lieu ou pas au cours de cette période. Labsence de certitudes quant au retour au calme ou les problèmes posés par la présence de mines ou de pièces non explosées dissuade parfois les populations de regagner leur foyer ou leur lieu de travail. Les spécialistes des régimes fonciers et de ladministration foncière doivent jouer un rôle dans la définition des priorités relatives aux politiques agraires. Ils doivent également recenser les mesures de portée immédiate susceptibles dêtre appliquées dans un délai relativement bref.
2.12 Les activités liées à la conception de politiques privilégient la planification des services administratifs et infrastructures nécessaires. Elles ont lieu lorsque les activités durgence prennent fin et lorsque des plans plus concrets peuvent être établis pour lavenir. Ces activités concernent notamment:
Recherche et recrutement du personnel de base qualifié;
Définition des domaines daction prioritaires;
Edification des bases des services de lÉtat, des institutions et autres aspects des services administratifs;
Définition des lignes directrices provisoires pour faire face aux urgences et attribution des fonctions au sein des services de lÉtat;
Elaboration de politiques à long terme, recrutement du personnel et mise en place du système administratif.
Les politiques en matière de régime foncier doivent être bien conçues, de manière à ne pas susciter de nouveaux conflits. Elles doivent prendre en considération les conditions sociales, politiques et économiques existantes. Les spécialistes des régimes fonciers et de ladministration foncière peuvent participer à la conception dun cadre dorientation de portée générale destiné à résoudre les problèmes fonciers. Ils doivent conseiller toute une série de décisions de principe, de portée plus limitée, conditionnant laccès à la terre au moyen de programmes de restitution des terres et de réinstallation.
2.13 Les activités liées à lapplication de politiques sont généralement concentrées vers la fin de la période post-conflit, lorsque le pays a retrouvé un degré de stabilité acceptable sur les plans politique et social. Au cours de cette période, les institutions provisoires et leurs politiques sont alors soigneusement définies et traduites dans les textes. Des stratégies sont mises en place et certaines activités dadministration publique courante sont ainsi amorcées dans les limites du raisonnable. Les responsables de ladministration foncière doivent aider à la mise en uvre de politiques, par exemple en matière de restitution des terres et de réinstallation. Ils doivent suivre et évaluer lefficacité de ces politiques.
2.14 Au cours de la période postérieure au conflit, les populations modifient souvent les stratégies visant à assurer leurs moyens dexistence. Une stratégie de survie durant un conflit et immédiatement après peut privilégier une production agricole permettant datteindre rapidement dimportants rendements, ainsi que laccès à des ressources naturelles comme les denrées vivrières poussant à létat sauvage, le gibier, le bois de chauffage et leau. À un stade ultérieur, une stratégie visant à assurer des moyens dexistence peut porter sur laccès à la terre et à leau à proximité des réseaux de transport afin de permettre lenlèvement des produits à destination des marchés. Un changement de stratégie peut également supposer une migration des zones rurales vers les centres urbains. Le passage dune stratégie de crise à une stratégie adaptée au développement risque de prendre du temps. Il entraîne souvent une modification des priorités des populations vers différents types de ressources naturelles et dautres biens.
2.15 La présente section fournit un aperçu des particularités que présente un pays émergeant dun conflit violent. Les caractéristiques des régimes fonciers sont présentées au chapitre 3. Les guerres civiles sont souvent longues et de nombreux conflits durent plus dune dizaine dannées. Au Liban, la guerre civile a duré 17 ans. LAfghanistan a été le théâtre dun conflit pendant plus de 20 ans, le Guatemala pendant plus de 30 ans et le Soudan pendant plus de 40 ans. Lorsque des pays sont victimes dactes de violence généralisés durant de telles périodes, il en résulte souvent une crise humanitaire (voir encadré 1).
2.16 Pertes en vies humaines. Avant que la paix ne sinstaure dans un pays victime dun conflit violent de longue durée, un nombre considérable de personnes auront probablement trouvé la mort ou subi des violences physiques. On estime à plus de 3 millions le nombre de personnes tuées au cours du conflit qui a ravagé la République démocratique du Congo. Le reste de la population a souvent été victime de lésions corporelles ou damputations après avoir marché sur des mines et vit dans la crainte constante dactes de violence. Les pertes en vies humaines peuvent avoir pour origine des désaccords ethniques ou religieux. Dans certains conflits, la majorité des victimes appartiennent à des groupes spécifiques. Dans dautres, les atrocités sont commises par toutes les factions.
ENCADRÉ 1 Les pays émergeant de conflits violents présentent certaines caractéristiques communes:
|
2.17 Disette et famine. De graves pénuries de nourriture caractérisent généralement les pays victimes de conflits, la production et la distribution de vivres étant désorganisées. Les difficultés rencontrées pour avoir accès aux terres, aux semences, aux outils agricoles, au bétail et aux capitaux de façon organisée peuvent aggraver linsécurité alimentaire, notamment lorsque les stocks de nourriture sont réduits et que les récoltes sont encore sur pied. Le manque chronique de nourriture, outre quil affaiblit physiquement la population, limite sa capacité de travail.
2.18 Déplacements de population. La violence entraîne généralement lexode dune grande partie de la population, quil sagisse de réfugiés ou de DI. Dans de nombreux cas, ces déplacements sont la conséquence dévictions forcées. Un grand nombre de personnes déplacées peuvent être contraintes de sinstaller sur des terres sans posséder aucun titre. Lorsque les conflits se prolongent, les déplacements de population peuvent concerner plusieurs générations. La section ci-après décrit plus en détail lexode de la population et son retour vers ses foyers dorigine.
2.19 Conséquences sociales et psychologiques. Il arrive que de nombreux survivants soient extrêmement traumatisés. Confrontées à des scènes de meurtre, de viol et de torture, les personnes déplacées sont séparées de leurs proches, et perdent leur emploi. Cette situation peut provoquer chez elles des troubles psychologiques, les empêchant ainsi de retrouver des moyens dexistence à lissue du conflit. Les conditions de vie peuvent susciter des tensions et des affrontements, un grand nombre de personnes étant contraint de vivre dans un espace insuffisant, logement de fortune au statut de plus en plus permanent. Les pays émergeant dun conflit manquent souvent des moyens nécessaires pour traiter des victimes traumatisées.
2.20 En général, les conflits nont pas les mêmes conséquences pour les hommes et pour les femmes. Les hommes sont davantage susceptibles dêtre recrutés, volontairement ou de force, par lune des factions en présence. Ils peuvent aussi être tués ou faits prisonniers. Les femmes ayant ainsi des responsabilités accrues dans la prise en charge des enfants et des membres âgés de la famille avec cependant un accès plus limité aux ressources. Avec les enfants, elles représentent généralement la majorité des personnes déplacées indigentes. Il arrive quelles aient vécu avec la crainte permanente dêtre violées, les différentes factions pouvant même utiliser sciemment les violences sexuelles et la torture comme une arme. Parfois, elles sont violentées au moment où elles fuient leur village ou dans les camps créés pour les personnes déplacées. Elles sont aussi victimes de viols collectifs et autres types dagressions entraînant des lésions graves, voire la mort, des maladies sexuellement transmissibles et des grossesses involontaires. Les femmes violées peuvent aussi être rejetées ou maltraitées par leur propre communauté. Lorsque les hommes sont restés, la répartition des tâches hors du foyer peut placer la famille devant un choix difficile: exposer les femmes au risque dêtre violées et les hommes au risque dêtre tués dans lhypothèse où ils seraient pris par des factions rivales.
2.21 Les enfants sont, eux aussi, touchés par le conflit. Les jeunes garçons sont parfois enlevés et enrôlés de force. Ceux qui séchappent sont parfois pris pour des combattants par la partie adverse, qui les prend pour cible. Les filles peuvent subir des violences sexuelles, quand elles nont pas été enlevées pour servir aux combattants d «épouses temporaires». Dans les pays où les jeunes filles ont pour tâche daller chercher du bois de chauffage et de leau et de garder les troupeaux loin des zones de peuplement sûres, elles sont plus exposées que leurs aînées.
2.22 Évolution des valeurs et des attentes. Les conflits peuvent entraîner de profonds changements des valeurs et des attentes de certains. Cette évolution ne touchant pas la totalité ni même la majorité de la population,peut avoir pour effet daggraver les tensions entre ses différentes composantes. Dans un certain nombre de conflits, les femmes présentes dans les camps de réfugiés ont créé des associations pour améliorer leurs conditions de vie. Ce changement de comportement des femmes peut avoir été spontané ou encouragé par des ONG internationales. Il nentraîne pas nécessairement une modification de lattitude des hommes. Laccession des femmes à lautonomie durant le conflit suscite parfois chez les hommes le sentiment dune perte de pouvoir, en particulier dans les camps, où leur rôle traditionnel de soutien de famille est exercé par les organismes dassistance. Les organisations féminines créées pendant le conflit peuvent ensuite renforcer le rôle des femmes et travailler au renforcement de leur pouvoir politique et économique. La responsabilisation croissante des femmes à lissue du conflit peut être vue dun mauvais il par les hommes qui, souhaitant un retour aux conditions sociales et aux structures de pouvoir antérieures, sy opposent.
2.23 Les conflits peuvent aussi favoriser la transmission du pouvoir dune génération à une autre. Dans de nombreuses sociétés, lâge inspire le respect. Toutefois, les chefs traditionnels sont souvent mal préparés pour faire face aux conditions nouvelles prévalant dans les camps de réfugiés et les camps de peuplement. Les jeunes sadaptent plus aisément quand leurs connaissances linguistiques leur permettent de communiquer directement avec le personnel des organismes daide internationaux. Ayant un parcours scolaire plus long que leurs aînés, ils sont parfois recrutés par des ONG. Partant, lamélioration de leur situation au plan politique et économique peut pénaliser les hommes plus âgés de la communauté.
2.24 La découverte des modes de vie urbains modifie les comportements et les attitudes. Dun côté, les déplacements peuvent accélérer le processus durbanisation. Les populations ayant fui les zones rurales pour se réfugier dans des agglomérations, plus sûres, peuvent avoir bénéficié de services tels que léducation, les soins de santé ou lélectricité et avoir été exposés à toute une série de biens de consommation. Il arrive quelles hésitent à regagner les zones rurales et à se priver ainsi de ces agréments. Dun autre côté, les populations qui regagnent les zones rurales peuvent y véhiculer des valeurs et des perceptions propres aux centres urbains.
2.25 Destruction des infrastructures et des habitations. Les conflits entraînent généralement la destruction de bon nombre dhabitations et autres biens appartenant à des civils. En outre, les infrastructures nécessaires à une gouvernance minimum comme les équipements de transport (routes, voies ferrées, ponts, aéroports et ports), les moyens de communication (radio et télévision) et les immeubles (bureaux, tribunaux et services darchives) sont souvent détruites.
2.26 Capacité limitée de lÉtat. Au cours du conflit, lÉtat est parfois partiellement ou totalement incapable dexercer son autorité dans certaines parties du pays. Limpuissance des services de lÉtat est surtout perceptible dans les zones de combat ou dans les régions contrôlées par les forces rebelles. Des affrontements de longue durée se traduisent généralement par une diminution de lautorité de lÉtat dans lensemble des régions, les ressources financières étant détournées de leur destination dorigine au profit dactivités liées au conflit.
2.27 Lorsque les hostilités cessent, ladministration centrale et locale est souvent dans lincapacité de gérer la reconstruction. Les grands projets de construction et de développement étant complexes, leur planification et leur gestion posent, y compris lorsque la situation est stable, des difficultés aggravées par le manque de moyens caractérisant généralement les pays émergeant dun conflit. LÉtat peut ne pas être en mesure de fournir aux populations regagnant leur foyer des vivres et des services tels que la santé, léducation, lapprovisionnement en eau et lassainissement. Les administrations peuvent manquer de personnel expérimenté à tous les niveaux, les fonctionnaires ayant fui ou trouvé la mort et leur matériel et locaux avoir été détruits. Il existe souvent un manque de coordination entre les services de lÉtat, de même quentre ceux-ci et les organismes daide. Ainsi, il a pu être décidé dalimenter une zone en électricité ou en eau, mais celle-ci peut être inaccessible parce que le réseau routier na pas été remis en état ou elle peut être privée de services sociaux indispensables. En outre, il arrive que la légitimité du gouvernement soit contestée par ceux-là mêmes qui ont été ses adversaires. Les tensions existant à léchelon local et national peuvent engendrer des actes violents, les détenteurs darmes à feu étant encore nombreux et lÉtat dans lincapacité de régler les différends en faisant respecter la légalité.
2.28 Dans la situation chaotique qui prévaut, les risques de corruption sont dautant plus élevés. En labsence de procédures comptables, les fonds destinés à la reconstruction sont souvent détournés. Ceux qui ont accès aux profits rendus possibles par la victoire de leur camp ont tendance à sopposer aux efforts visant à rétablir une bonne gouvernance.
2.29 Manque de financement. La plupart des pays émergeant dun conflit déjà pauvres et endettés avant le début des hostilités, ne sont pas en mesure dassurer lacquittement de la dette lors du conflit ce qui accroît leur niveau dendettement. En conséquence, ladministration centrale et locale tend à être fortement tributaire de la communauté internationale. La demande de financement excède généralement les ressources disponibles pour le relèvement et la reconstruction. Les stratégies mises en place sont souvent impossibles à appliquer en raison du manque de ressources disponibles. Les estimations de coût initial sont souvent très inférieures aux besoins effectifs.
2.30 Dépossession des programmes de relèvement. Les pays émergeant de conflits violents ont souvent besoin de laide internationale, mais la nature et la portée de lassistance requise peuvent varier considérablement. Dans certains cas, le gouvernement qui était en fonction avant les hostilités reste en place au terme du conflit; dans dautres, un nouveau gouvernement national est formé. Dans les deux cas, la communauté internationale réagit en appuyant les efforts du gouvernement pour remettre sur pied linfrastructure physique, sociale, économique, politique et administrative. Parfois, la communauté internationale met en place une administration chargée elle-même dassurer la gouvernance. Ainsi, en Bosnie-Herzégovine, lAccord de paix de Dayton a créé le Bureau du Haut Représentant pour contrôler la mise en place des aspects civils de lAccord. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a mis en place au Kosovo une mission dotée de larges pouvoirs législatifs, et au Timor-Leste une administration provisoire investie dun important pouvoir législatif et exécutif.
2.31 Des interventions internationales simposent souvent en raison de la faiblesse des moyens nationaux. Dans des cas extrêmes, les autorités neutres imposées par la communauté internationale jouent un grand rôle dans lélimination de politiques, de lois et de pratiques discriminatoires qui, sans leur intervention, auraient pu perdurer. Toutefois, les interventions de la communauté internationale suscitent incontestablement des tensions liées au fait de savoir si les politiques sont nationales ou imposées par létranger.
2.32 Les conflits entraînent des déplacements massifs de population, créant ainsi un grand nombre de réfugiés et de DI. Quelque 75 pour cent de la population a été déplacée au Timor-Leste; en Sierra Leone et en Bosnie-Herzégovine, près de la moitié de la population a fui les combats, une partie trouvant refuge dans les pays voisins. Les populations sont souvent expulsées par la force. Les personnes déplacées nont en général pas le temps de se préparer et fuient en abandonnant à peu près tout. Elles reçoivent alors des avis contradictoires des gouvernements, des forces armées et des organismes daide, et sont souvent contraintes de sinstaller sur des terres sans être en possession dun titre officiel. Ces déplacements de population peuvent mettre en jeu plusieurs générations, lorsque les conflits durent des dizaines dannées.
2.33 Des communautés entières ont été contraintes de se réinstaller dans des «villages protégés» placés sous le contrôle de larmée. Les déplacements forcés de civils par des gouvernements sont autorisés par la Convention de Genève lorsquils ont pour objet de protéger des populations contre les attaques de rebelles, entourés cependant dun certain nombre dobligations, notamment la distribution de nourriture et deau et la mise à disposition dun abri. Bien que la nécessité de protéger la population puisse servir dalibi, ces relogements sont effectués dans un souci délibéré de contrôler certaines zones en les vidant de leur population. Les forces rebelles peuvent interdire les établissements humains dans les zones quelles occupent afin de soustraire des populations au contrôle du gouvernement. À linverse, les forces gouvernementales exercent parfois des représailles contre des villages suspectés daccueillir des troupes rebelles ou dabriter des sympathisants. Les agissements des deux parties rivales peuvent causer la mort de villageois, la destruction de maisons et de stocks de nourriture ainsi que le déplacement des survivants.
2.34 Sur le plan juridique, il existe une importante distinction entre réfugiés et DI. Les réfugiés sont des personnes qui fuient leur foyer pour trouver la sécurité dans un autre pays. Les obligations juridiques des pays sont définies par la Convention relative au statut des réfugiés (1951) et par son protocole (1967). Les DI sont des personnes ayant fui la violence, mais sans franchir les frontières nationales. De ce fait, elles sont soumises aux lois nationales et peuvent donc ne pas être protégées par le droit international. Les réfugiés bénéficient souvent dune protection dans le cadre de structures bien définies, alors que les DI tendent à échapper à la vigilance des organisations internationales.
2.35 Le retour des réfugiés se fait généralement dans le cadre daccords spécifiques négociés à lissue du conflit. La Convention relative au statut des réfugiés contient des clauses de cessation définissant les périodes à lissue desquelles une personne ne peut plus prétendre au statut de réfugié. En revanche, le droit international ne définit pas le moment à partir duquel les DI réintègrent la société et les décisions prises à leur sujet peuvent lêtre de façon arbitraire. En raison de lapplication de critères différents par les Etats, le nombre de DI, voire lexistence même dun problème de DI dans un pays donné, peut être contesté.
2.36 Un DI peut acquérir le statut de réfugié en traversant une frontière internationale. Inversement, la perte du statut de réfugié à lissue dun accord de paix peut entraîner une augmentation du nombre de DI si les réfugiés sont dans lincapacité de regagner leur foyer dorigine. Le nombre de réfugiés, de DI et danciens combattants rentrant chez eux au terme dun conflit peut être très élevé, mais connaître la date de leur retour nest pas aisé. Beaucoup de DI ont pu conserver lanonymat durant le conflit par crainte des persécutions, dans le même sens, le retour spontané des réfugiés peut ne pas apparaître dans les statistiques officielles.
2.37 La sécurité constitue souvent lun des principaux motifs de préoccupation dans les zones soumises à une tension continue. Certains réfugiés et DI hésitent à regagner les zones dont ils ont été expulsés par la force parce quils jugent la situation encore instable. Il arrive aussi que des régions dun pays donné soient classées comme sûres alors que la situation demeure incertaine.
2.38 Lune des préoccupations premières de nombreuses personnes regagnant leur foyer dorigine est darriver à disposer de moyens dexistence durables. Les possibilités demploi sont généralement réduites, notamment dans les zones rurales. Certaines terres ne se prêtent pas à lagriculture en raison de la présence de mines ou de la végétation qui les a envahies quand elles étaient à labandon. La population découvre quelquefois quelle na plus accès à des vivres ou à leau ainsi quà des services tels que léducation et la santé comme dans les villes ou les camps de peuplement. Faute de pouvoir exploiter des terres ou trouver dautres emplois, une partie cherche à gagner les centres urbains.
2.39 Des désaccords peuvent apparaître entre les réfugiés et les DI lorsquils sont de retour chez eux. Certains programmes privilégient le retour des réfugiés, alors même que les deux catégories ont été contraintes de fuir pour les mêmes raisons. Les DI peuvent mal supporter que les réfugiés aient bénéficié dune assistance et parfois dun emploi lorsquils se trouvaient dans un autre pays, ou encore quils rentrent au pays avec des biens utilitaires neufs acquis à létranger. Les programmes peuvent également distinguer différentes catégories de réfugiés, ceux qui ont fui à une certaine époque nétant pas forcément traités comme ceux qui ont fui lors dun exode ultérieur.