Page précédente Table des matières Page suivante


Troisième session: Production laitière caprine: Aspects zootechniques


Développement de l'élevage caprin: L'expérience de l'ANOC dans la province de Chefchaouen
L'expérience tunisienne en matière de filière lait caprine: Le projet d'intensification de l'élevage caprin laitier dans les oasis tunisiennes (P.I.C.O.) (Coopération tuniso-française: OEP - UCARDEC)
Un système intensif: La production laitière caprine au domaine de Douiet - Fès (Maroc)

Les systèmes d'élevage caprin méditerranéens n'ont fait l'objet jusqu'à présent que d'une attention très occasionnelle de la part des services agricoles et de vulgarisation, et sont donc en général largement méconnus. Le système type est extensif, basé sur l'utilisation presque exclusive des ressources des parcours. Il comprend fréquemment une transhumance, entre la plaine ou le piémont, et la montagne, et les troupeaux sont souvent confiés à des bergers, dont le savoir-faire procède avant tout de la tradition, ce qui est un atout en terme de connaissance, d'utilisation du milieu naturel, mais qui est insuffisant en terme de zootechnie. Les problèmes sont donc liés à l'insuffisance ou à la baisse de qualité saisonnière des disponibilités fourragères, ou au défaut de suivi du troupeau, autant sur le plan de l'alimentation (équilibre de la ration), que sur celui de la reproduction (conduite en troupeau unique, pas de séparation des animaux par catégories ou par âge) ou du suivi sanitaire (parasitisme, absence de vaccinations). Les performances zootechniques sont par conséquent assez faible dans leur ensemble.

Le lait n'étant pas la vocation première de l'élevage caprin, les races locales - prédominantes - sont de type mixte, d'aptitude laitière généralement médiocres. Elles sont par contre parfaitement aptes à valoriser les fourrages ligneux des parcours - jusqu'à développer des comportements particuliers, cf. les chèvres grimpeuses de l'arganeraie marocaine -. Il faut noter que globalement, les systèmes traditionnels sont en crise. Soit du fait de la raréfaction de la ressource fourragère classique: dégradation des parcours sous l'effet conjugué des sécheresses et d'une charge trop importante liée à l'augmentation des effectifs (Maroc); politique répressive des services forestiers qui restreignent l'accès au parcours, au nom de l'impératif du reboisement (Sardaigne). Soit par désaffection des jeunes générations pour une activité perçue comme peu valorisante, et à cause du vieillissement consécutif des éleveurs actuels, qui compromet sérieusement l'avenir du secteur.

Développement de l'élevage caprin: L'expérience de l'ANOC dans la province de Chefchaouen

M. A. N. AÏT BIHI
M. A. OUTMANI
M. M. BOUAÏSSA

ASSOCIATION NATIONALE OVINE ET CAPRINE

RÉSUMÉ:

Dans le cadre des efforts déployés par les différents concernés par le développement de l'élevage caprin au niveau national, l'ANOC entreprend depuis 1991, avec le soutien du MAMVA (Direction de l'Élevage), des actions visant l'amélioration des revenus des éleveurs de caprins dans la province de Chefchaouen.

Depuis 1992, ces actions, d'ordre technique, organisationnel et de formation, sont réalisées dans le cadre d'un projet de coopération avec l'ADRAI3 (ONG Belge) dont le cofinancement est assuré par le Ministère Belge de la Coopération pour une durée de cinq ans.

3 Association pour le Développement par la Recherche et l'Action Intégrée

Les résultats obtenus, après trois années d'activité, sont conformes aux objectifs fixés. En effet, l'équipe technique, actuellement opérationnelle, a été formée et a accumulé les expériences et les connaissances par la formation et la concertation avec les professionnels.

La conduite des élevages encadrés par l'ANOC s'est sensiblement améliorée sur tous les plans (alimentation, santé, bâtiments,...).

A travers ces éléments, il est démontré que les zones Nord présentent, en effet, des potentialités de développement de l'élevage caprin. Néanmoins, les outils classiques de développement doivent être adaptés au contexte de réalisation des actions.

Le choix de l'option de production doit être appréhendé à travers une démarche marketing où tous les éléments (prix, produit, marché, distribution et promotion) doivent être pris en considération.

L'expérience de l'ANOC dans le domaine du développement de l'élevage des petits ruminants, a facilité son intervention dans la Province de Chefchaouen et lui a permis d'identifier un certain nombre de contraintes qui méritent d'être discutées.

Elles sont de plusieurs natures, liées essentiellement à la spécificité de l'élevage caprin et à celle de la zone d'intervention avec toutes ses caractéristiques physiques, culturelles, historiques et sociales.

1. Caractéristiques de la zone

1.1. Milieu et population

La zone, qu'a choisi l'ANOC pour sa première action dans le domaine de l'élevage caprin, se trouve dans la province de Chefchaouen, au nord-ouest du Maroc. Elle fait partie de la région la plus isolée et la plus difficile d'accès de la façade méditerranéenne du Maroc. Ces régions de montagnes et de collines pâtissent d'un tel enclavement. D'autres contraintes pèsent sur cet espace: c'est un milieu écologiquement fragile, avec des sols très sensibles à l'érosion, du fait de leur nature géologique (nappes marneuses ou schisteuses) et de la pente forte des versants. A cela s'ajoute un climat de type méditerranéen: très pluvieux en hiver et sec en été.

La province de Chefchaouen est fort peuplée, au regard de ses potentialités. La densité de population est l'une des plus élevée au Maroc, avec une moyenne 80 hab/km2, rendu possible par la diversité des ressources plus que par leur abondance.

1.2. Activités agricoles

Cette zone est caractérisée par une agriculture de subsistance, à céréaliculture dominante, qui illustre l'orientation vivrière. Les exploitations sont familiales et de petite taille (de 0 à 3 ha).

En effet, la production agricole est essentiellement destinée à être consommée. Par contre, la plus grande partie (voire la totalité pour quelques familles) de la production animale, et particulièrement celle liée à l'élevage caprin, est commercialisée. Elle représente la grande part dans la formation du revenu monétaire.

La prédominance de l'espace forestier, représentant plus de 40 % de la superficie de la province, a favorisé la présence de l'espèce caprine. La forêt et les parcours de faible valeur pastorale pourvoient la quasi totalité de l'alimentation de ces caprins.

Le système d'élevage est de type extensif et la taille du troupeau dépasse rarement une quarantaine de têtes. Les populations caprines de la zone sont largement métissées, suite à l'introduction continue de géniteurs de races espagnoles murciana-granadina, malaguena et andalouse.

1.3. Situation écologique et socio-économique

L'agriculture et l'élevage étant d'une productivité faible et les autres secteurs économiques offrant peu de débouchés, les populations tirent un maximum des ressources naturelles de ce milieu reconnu fragile. Ainsi, les paysans, n'ayant pas diversifié dans d'autres activités économiques et restés à l'écart des innovations agronomiques, se lancent dans une course à l'extensification, aux dépens de sols sur pentes et peu profonds, ce qui a pour conséquence une dépréciation accélérée du capital agronomique: déforestation et défrichement, dégradation des parcours et érosion. Il s'agit d'une rupture de l'équilibre: besoins/ressources. Face à ces problèmes, les paysans se tournent vers des solutions alternatives:

- la double émigration vers les villes (l'exode rural) et vers l'étranger (l'Europe voisine, à quelques dizaines de km seulement);

- la contrebande avec les "presidios" (Cebta et Mélilia), séquelle d'une colonisation séculaire;

- et la culture du kif, qui ne cesse de gagner du terrain.

Mais pour une grande partie des agriculteurs de la région où la forêt et le matorral sont encore présents, l'élevage caprin constitue encore une activité économique importante. L'objectif principal de cet élevage reste la production de viande, malgré le désir manifesté par les éleveurs d'améliorer le potentiel laitier du cheptel, vu le caractère rentable de ce produit.

2. Projet de développement et l'élevage caprin

2.1. Historique

Depuis sa création, l'ANOC avait prévu d'agir dans le domaine de l'élevage caprin. Au début de la réflexion, deux zones d'actions ont été fixées pour la réalisation de ce projet: Ouazzane (dont la partie concernée par le projet dépend actuellement de la Province de Chefchaouen) et Moulay Bouazza (Province de Khénifra au Moyen Atlas).

Ce n'est que durant la campagne 1988-89 qu'un pré-projet de développement de l'élevage caprin dans la province de Chefchaouen a été proposé au Conseil d'Administration de l'Association qui l'a accepté. Suite à cette acceptation, la prospection, l'analyse des besoins des éleveurs et les contacts avec les différents partenaires ont été lancés, pour aboutir à l'élaboration du projet ANOC-ADRAI intitulé "Projet de développement de l'élevage caprin dans la région de Chefchaouen".

2.2. Justification du projet et ses objectifs

Le problème central de la production agricole dans cette région réside dans la faiblesse des rendements des cultures et des productions animales, dû, entre autres, à l'absence d'un encadrement technique ciblé et d'une vulgarisation des techniques modernes d'élevage adaptées aux besoins des éleveurs.

Les méthodes traditionnelles d'élevage ne permettent pas de valoriser pleinement le potentiel productif des animaux (type métis). Les quelques paramètres zootechniques repris ci-dessous illustrent bien la situation actuelle:

* une mortalité importante;
* un faible taux de reproduction (inférieur à 80 %);
* une faible performance pondérale, 25 kg (mâle) et 22 kg, (femelle adulte);
* une faible production laitière.

Un tel constat n'est pas étonnant, si l'on sait que le secteur caprin a fait l'objet de peu d'actions de développement, malgré son rôle socio-économique incontesté. Compte tenu de cette situation et de la demande de quelques éleveurs, l'ANOC réalise, dans le cadre dudit projet, un programme vaste et diversifié dont les actions sont d'ordre technique, pédagogique et organisationnel:

- l'encadrement technique d'une quarantaine d'éleveurs pilotes au niveau de la conduite des troupeaux (santé, alimentation, reproduction, sélection, aménagement des chèvreries,...);

- la formation des éleveurs et des techniciens avec la collaboration d'une société coopérative de chèvres belges;

- l'organisation des éleveurs dans un cadre professionnel (ANOC);

- l'organisation des approvisionnements en intrants;

- la réalisation des études en relation avec les besoins et les problèmes rencontrés sur le terrain.

2.3. Partenaires

L'ANOC collabore avec plusieurs partenaires pour la réalisation de ce projet qui est cofinancé par le Ministère Belge de la Coopération au Développement (AGCD). L'Association bénéficie de l'assistance technique et financière de l'ADRAI et l'appui de la Direction de l'Élevage (MAMVA). D'autres partenaires scientifiques et professionnels de la Belgique appuient cette action: l'Unité d'Économie Rurale de l'Université de Louvain4 et la Société Coopérative de Chèvres d'Alken (Belgique).

4 Le Projet est supervisé par le professeur J. DEGAND de la Faculté des Sciences agronomiques de l'Université Catholique de Louvain (Belgique)

3. Résultats de trois années d'activités

Les réalisations et les résultats obtenus durant ces trois années d'activités sont très encourageants, si bien que l'ANOC désire étendre cette action à d'autre province du nord.

3.1. Formation de l'équipe technique

Une équipe technique composée d'un animateur et d'un technicien caprin a été constituée et formée; elle est déjà opérationnelle sur le terrain. Sa spécialisation dans l'élevage caprin avance bien.

3.2. Encadrement technique

40 éleveurs motivés, répartis sur 18 villages de 6 communes rurales et possédant un cheptel caprin de 2 500 têtes, bénéficient d'un encadrement de qualité. Les exploitations de ces éleveurs encadrés devront bientôt (à terme du projet) être considérées comme références dans la région.

3.2.1. Santé

Un programme prophylactique est élaboré et mis en oeuvre chez les bénéficiaires. Les résultats sont encourageants (diminution de la mortalité et donc du manque à gagner).

3.2.2. Alimentation

Ce volet de l'encadrement est réalisé par:

- des conseil sur la conduite alimentaire des troupeaux;

- l'installation d'essais de démonstrations chez les éleveurs qui sont visités par des éleveurs adhérents et non adhérents à l'ANOC;

- l'organisation des achats groupés d'aliments (économie d'échelle) et d'autres intrants.

3.2.3. Sélection

Les actions de tri, de réforme, d'identification des animaux et du choix de reproducteurs (chevrettes d'élevage...) ont permis la constitution des premiers noyaux de sélection chez 29 éleveurs.

3.2.4. Aménagement et construction des chèvreries

Compte tenu de l'importance des bâtiments d'élevage pour l'élevage caprin, plusieurs actions ont été réalisées:

- équipement de plusieurs chèvreries avec des mangeoires mobiles;

- conception et réalisation de cinq chèvreries modèles chez des éleveurs. La construction d'autres chèvreries sont programmées.

3.3. Formation des éleveurs

L'action de formation a un double objectif; elle vise l'amélioration de la technicité des éleveurs et leur capacité d'animation, comme chefs d'exploitations de référence, auprès des éleveurs visitant leurs élevages. Il s'agit de la formation individualisée des bénéficiaires (dans leurs exploitations) et de la formation en groupe (session) et ce pratiquement dans tous les domaines dont a besoin l'élevage caprin: la santé animale, l'alimentation et la sélection. Des sessions de formation pratiques ont été également conçues et organisées à l'intention des fils d'éleveurs.

3.4. Activités d'animation et de développement

Une quarantaine d'éleveurs caprin bénéficient de ce projet. Ce sont des éleveurs de référence (éleveurs pilotes = relais). 30 sont adhérents à l'ANOC (réseau). Ces derniers ont crée le premier groupement ANOC "Groupement caprin de Chefchaouen", dont l'action commence à porter ses fruits. Les éleveurs de la région (non adhérents) s'intéressent de plus en plus aux activités de l'ANOC. Le groupement et ses membres participent également aux manifestations agricoles (foires agricoles et caprines) locales ou nationales.

3.5. Études

La vulgarisation, confrontée aux réalités du terrain, suscite inévitablement des thèmes de recherche. Une collaboration avec des chercheurs, des enseignants-chercheurs et des professeurs nationaux et étrangers, est donc fréquemment sollicitée. Le Projet a, en effet, toujours bénéficié de conseils scientifiques. Plusieurs stages et mémoires de fin d'études ont été réalisés dans le cadre du projet et dans la zone d'action de Chefchaouen. D'autres travaux sont en cours de réalisation.

3.6. Quelques résultats concrets

Les actions de formation et d'encadrement technique intense auprès de ce réseau d'une quarantaine d'élevages a eu comme résultats immédiats une nette amélioration des performances des animaux encadrés.

Plusieurs indicateurs permettent d'apprécier ce résultat: d'une part, la production de viande a été bien améliorée. Les éleveurs produisaient et vendaient des chevreaux âgés maigres et à des prix bas (environ 250 à 300 dirhams). Aujourd'hui, les mêmes éleveurs encadrés vendent leurs chevreaux jeunes à un poids élevé et à un prix intéressant qui dépasse souvent les 700 dirhams par tête.

D'autre part, la production du lait est en cours d'amélioration, même si c'est un processus lent. Cependant, les résultats obtenus sont très intéressants: la chèvre produisait à peine pour allaiter son chevreau. Actuellement, et suite à un travail d'encadrement et de sélection (sans introduction du sang étranger), l'éleveur commence à traire ses chèvres et en tire plus que le besoin des chevreaux. Quelques éleveurs ont pu vendre jusqu'à 20 litres par jour avec un troupeau de 30 chèvres. Il faut remarquer que le lait est un produit intéressant pour les paysans, car en plus de l'amélioration qu'il apporte au niveau de la nutrition de la famille, il peut assurer un revenu quotidien durant plusieurs mois par an.

4. Quelques contraintes

Les potentialités de développement de l'élevage caprin dans la région de Chefchaouen existent. Cependant plusieurs problèmes et contraintes sont à surmonter pour faciliter cette action de développement.

4.1. Au niveau structurel

La géographie et l'histoire de cette région du Maroc en ont fait une zone enclavée. Les difficultés d'accès ne facilitent pas les échanges avec les autres régions du pays (débouchés pour les produits agricoles et approvisionnements) le problème des infrastructures est donc posé.

Dans cette région du Maroc méditerranéen, à forte densité de population, dont les exploitations sont de petite taille et les troupeaux également, la paysannerie est prudente et méfiante. Les agriculteurs se préserve des velléités d'intervention à leur manière, en utilisant le silence! (Il faut être subtil à ce niveau). Cette situation, très différente des grandes régions agricoles du pays, nécessite de la part du "développeur" une démarche appropriée. En effet, dans ce contexte, il faut établir une communication sérieuse et suivie avec la plupart des éleveurs encadrés et par la suite veiller à s'assurer du maintien de leur collaboration en vrais partenaires.

Face à ces problèmes de gestion des ressources humaines peut-on agir sans le consentement et la participation des intéressés? Les projets ONG, valorisant la professionnalisation de l'élevage caprin, peuvent constituer une alternative intelligente.

4.2. Au niveau technique

Les ressources alimentaires pour le bétail sont limitées. La forêt et le matorral, offrant des unités fourragères gratuites, ne peuvent pas satisfaire les exigences d'une conduite alimentaire rationnelle d'un troupeau caprin durant toute l'année. Il faut trouver d'autres ressources complémentaires: la production fourragère sur l'exploitation et l'achat des intrants à l'extérieur (sur le marché). Ceci nécessite des innovations appropriées au niveau agronomique et organisationnel.

L'amélioration génétique du cheptel caprin pose aussi énormément de problèmes. La sélection des animaux sans introduction de sang extérieur (races sélectionnées) est possible; c'est même une bonne voie qui permettrait de progresser sur tous les fronts: tout en sélectionnant des animaux, on améliore la technicité des éleveurs (apprentissage), la maîtrise de la production fourragère et ainsi toute la conduite d'élevage. Mais c'est un travail pour le long terme qui nécessite une vision globale, une grande participation des éleveurs et beaucoup d'efforts au niveau des actions techniques, pédagogiques et organisationnelles (esprit de partenariat!). Il s'agit d'un investissement.

Un certain nombre d'éleveurs, dont les adhérents de l'ANOC sont en mesure (technicité moyens...) de réaliser techniquement l'amélioration génétique par la voie du croisement (d'absorption par exemple) avec l'introduction des boucs améliorateurs. Ces éleveurs ont manifesté à maintes reprises leur souhait d'améliorer vite la qualité génétique de leur troupeau, surtout pour le lait.

Mais malheureusement, l'importation de reproducteurs est pratiquement impossible pour des raisons sanitaires. Ceci est lié, à juste titre, à la préoccupation des pouvoirs publics de maintenir le cheptel national indemne de maladies contagieuses telle que le CAEV. A ce sujet, il y a lieu de signaler les échec du passé avec certaines races européennes. Cette difficulté retarde le processus de développement de l'élevage caprin et met en péril le dynamisme et la volonté de développement affichés jusqu'à présent par les éleveurs. Quelle autre solution pouvons-nous choisir? Serait-elle objectivement justifiée?5

5 Ndlr: le problème a été en partie résolu depuis, puisque des importations de reproducteurs français ont eu lieu au premier semestre 1996, sous contrôle strict des services vétérinaires.

4.3. Au niveau économique et commercial

Les contraintes économiques ont été le souci principal de l'ANOC depuis le démarrage du projet. Même si les activités ont été supportées par nos partenaires de la Belgique (ADRAI et AGCCD) et du Maroc (MAMVA - Direction de l'Élevage), la pérennité d'une telle entreprise restait sans assurance, autant en ce qui concerne le financement du projet que sa rentabilité.

4.3.1. Le financement

Pour réaliser de tels programmes de développement qui demandent dans leur phase initiale d'importants moyens financiers, la recherche de ces moyens est une étape prioritaire et indispensable.

Il serait en effet peu réaliste d'envisager une prise en charge financière par les populations cibles, largement déshéritées. Leur contribution, même si on parvient à en faire accepter le principe, ne peut couvrir la totalité de ces charges.

Il conviendrait de rappeler ici, à simple titre de comparaison, ce que l'État a accordé au secteur de l'élevage bovin pour son développement dans les zones irriguées et ce, pendant plus de 20 ans.

Peut-on espérer que l'élevage caprin, - élevage, pour le moment, des pauvres et zones marginalisées -, puisse, dans la conjoncture actuelle caractérisée par la récession économique et le désengagement de l'État, bénéficier de pareils privilèges?

Quelles sont donc les mesures législatives et organisationnelles à mettre en place en vue de favoriser le "décollage" du développement de l'élevage caprin?

4.3.2. La rentabilité

Pour tout investissement, réalisé par l'État ou des privés, la rentabilité du secteur doit être démontrée.

Pour l'élevage caprin, il a été démontré dans les pays du Nord de la Méditerranée, que seule la valorisation du lait par sa transformation en fromage, et dans certains cas, la production de viande de jeune chevreau, pourraient garantir une rémunération motivante pour le producteur.

Si les actions d'encadrement technique, de la vulgarisation des techniques d'élevage et de formation des éleveurs ont surtout pour objectifs d'améliorer la technicité des éleveurs et les performances des animaux et donc de produire plus de viande et de lait, d'autres problèmes demeurent, qui appellent d'autres réponses. Il s'agit des problèmes liés à la valorisation et de la commercialisation des produits.

En effet, une production axée sur la chèvre et ses produits procurerait un avantage comparatif à faire valoir sur les marchés? Mais qu'en est il de ces marchés? Y existe-t-il des débouchés pour ces produits? Quelles sont les habitudes alimentaires et le comportement d'achat? Quels types de produits faut-il élaborer et privilégier? Quelle voie de valorisation (produits de ferme, semi-industriel, industriel)? Le pouvoir d'achat n'est-il pas un facteur limitant pour la décision d'achat? Enfin, qu'en est-il de la rentabilité et du revenu de l'éleveur?

5. CONCLUSION

Les provinces du Nord, malgré les difficultés inhérentes au milieu (caractéristiques physiques, culturelles, historiques et sociales), ont un potentiel réel pour le développement de l'élevage caprin.

L'ANOC, forte de son expérience dans le domaine du développement de l'élevage des petits ruminants, peut développer une démarche appropriée, adaptée à ces spécificités régionales.

Il a été démontré qu'un encadrement rapproché des éleveurs et adapté au milieu physique et humain, permet d'améliorer sensiblement la productivité.

Par ailleurs, si dans ces provinces, la production et la commercialisation des chevreaux semble ne devoir poser aucun problème majeur, la valorisation, la distribution et la commercialisation du lait et de ses dérivés semblent d'autant plus compliquées qu'on à faire à un secteur productif atomisé et inorganisé

Il est certain que le lait et le fromage de chèvre sont des produits d'une haute valeur ajoutée. En outre, nous pouvons affirmer qu'il existe au Maroc un marché du fromage de chèvre (Rabat, Casablanca,...), susceptible de se développer, à certaines conditions. Cependant, il faut être très prudent. Il reste encore, en marge des actions d'encadrement et de vulgarisation, qui en sont encore à leur début, beaucoup de questions en suspens et de problèmes à résoudre. Cela va des questions d'hygiène et de collecte du lait à sa commercialisation en passant par sa valorisation.

Afin de pouvoir relever un tel défi, il serait nécessaire de passer par une phase de lancement du "produit programme" durant laquelle le soutien financier, technique et organisationnel doit être assuré par tous les opérateurs (pouvoirs publics, professionnels, organisations de développement,...).

Références bibliographiques

CHUNLEAU, Y, 1995. Manuel pratique d'élevage caprin.

OUTMANI, A, 1994. Rapport de la deuxième tranche du projet ANOC-ADRAI "Développement de l'élevage caprin à Chefchaouen".

OUTMANI A, 1993. Rapport de la première tranche du projet ANOC-ADRAI: développement de l'élevage caprin à Chefchaouen.

OUTMANI A. & BOUAÏSSA M., 1995. Revue l'Eleveur, n° 3 de l'ANOC.

ANOC-ADRAI, 1991. Dossier de base du projet ANOC-ADRAI: développement de l'élevage caprin à Chefchaouen.

ITTIHAD ICHTIRAQUI, 1993. L'agriculture dans la province de Chefchaouen.

L'expérience tunisienne en matière de filière lait caprine: Le projet d'intensification de l'élevage caprin laitier dans les oasis tunisiennes (P.I.C.O.) (Coopération tuniso-française: OEP - UCARDEC)

M. Mohamed JEMALI
OFFICE DE L'ÉLEVAGE ET DES PÂTURAGES (OEP, Tunisie)

M. J.M. VILLEMOT
UCARDEC/OEP

N.B.: La présente communication est une compilation effectuée à partir de l'exposé présenté par M. Jemali à Chefchaouen et de l'article de M. Villemot sur le même thème paru dans Capricorne, le bulletin de l'UCARDEC, du premier trimestre 1995.

INTRODUCTION

A l'Automne 1992 se met en place dans quelques oasis des gouvernorats de Gabès, Kebili, Medenine et Tozeur, dans le cadre de la coopération bilatérale tuniso-française, un projet d'intensification de l'élevage caprin laitier dans les oasis du sud tunisien.

La présente communication se propose de décrire ce projet, d'en présenter les actions principales et les premiers résultats, de montrer l'implication des organisations professionnelles dans son fonctionnement.

Nous commencerons par rappeler les arguments qui ont milité pour la mise en place d'un projet filière lait de chèvre dans les oasis du Sud tunisien.

1. L'agro-système oasien: palmier, chèvre et luzerne

L'oasis est un milieu où l'harmonie apparente, qui tient du miracle dans un environnement aussi hostile que le désert, est un complet artifice, due à une savante "culture de l'équilibre": parfaite maîtrise de l'irrigation et excellente pratique de la complémentarité des diverses productions végétales et animales (arboriculture à l'ombre des palmiers dattiers, et à l'étage inférieur fourrages, maraîchage et petit élevage6, 7). Or, cet équilibre est aujourd'hui en péril:

- le système traditionnel de partage des eaux, l'émiettement des exploitations et la rareté - ou la raréfaction - des ressources en eaux souterraines sont des freins au développement;

- la salure élevée des eaux d'irrigation entraîne la salinité des sols des oasis et leur stérilisation progressive;

- à cause des conditions de température et du lessivage lié à une irrigation par submersion, la matière organique se dégrade très rapidement dans les sols oasiens;

- l'agriculture oasienne connaît aujourd'hui une véritable pénurie de main d'oeuvre: en raison des progrès réalisés dans la scolarisation, qui a pour conséquence "perverse" une désaffection des jeunes générations pour les travaux agricoles, au point que la force de travail est devenue une contrainte plus forte que l'immobilisation du capital;

- l'agriculture oasienne évolue rapidement - avec tous les risques que cela comporte - vers la monoculture de dattes de qualité à destination du marché à l'export.8

6 DOLLE V., 1985. L'agriculture oasienne; une association judicieuse élevage - agriculture irriguée sous palmiers-dattiers pour valoriser l'eau, ressource rare. Les Cahiers de la recherche-développement, n° 9-10, 70-72.

7 TOUTAIN G., DOLLE V., FERRY M., 1989. Situation des systèmes oasiens en régions chaudes. Les cahiers de la recherche-développement, n°22.

8 HADJEJ M.S., Les systèmes de production agricoles dans les zones arides. Tiré à part, IRA Médenine.

La situation est préoccupante: l'oasis reste un système de production complexe qui ne peut survivre qu'avec une totale maîtrise de l'association agriculture-élevage. Le maintien de niveaux de productivité élevés implique un taux de matière organique du sol suffisant et stable, donc la présence d'un élevage dans l'oasis.2

Il se trouve que la chèvre est, depuis toujours, l'élément le plus important de l'élevage oasien: c'est elle qui permet d'assurer la satisfaction directe des besoins immédiats de la famille en lait, produits laitiers et viande.

2. Les divers types d'élevages

Différents types d'élevage coexistent, qui ont peu évolué dans l'histoire:

2.1. Les troupeaux en système extensif

Ils regroupent fréquemment plus de 150 animaux, ovins et caprins, conduits sur parcours dans l'optique d'une production - à moindre coût - de viande. Ce système est en relation de plus en plus étroite avec l'oasis, surtout depuis les dernières années, marquées par la sécheresse: ces troupeaux tendent à se fixer aux alentours des oasis, ce qui facilite la distribution des concentrés destinés à la sauvegarde du troupeau.

2.2. Les troupeaux collectifs

Il s'agit de petits troupeaux familiaux (2 à 3 chèvres), appartenant à des éleveurs disposant d'un jardin dans l'oasis ou à des éleveurs sans terres. Les chèvres sont rassemblées le matin en un troupeau collectif et conduites sous la garde d'un berger sur le parcours. Elles reçoivent à leur rentrée "à la maison", le soir, de la luzerne en vert (provenant du jardin d'oasis ou achetée sur le souk), les restes des repas, un complément en orge ou des écarts de triage de dattes, des chèvres spontanées, coupées et séchées. Ce système, bien intégré à l'oasis, tend à régresser du fait de l'urbanisation.

2.3. Les troupeaux des agriculteurs-éleveurs

Il s'agit d'effectifs plus importants d'ovins et de caprins, toujours sédentarisés, non pas dans l'oasis, mais «à la maison». Ces troupeaux sont toujours intégrés à l'exploitation: alimentation utilisant les ressources fourragères et les sous-produits de l'exploitation; utilisation du fumier pour les cultures de la palmeraie; participation du troupeau au revenu de l'exploitation, par l'autoconsommation des produits laitiers, la production de viande et l'apport en trésorerie qu'elle procure, enfin, par l'épargne sur pied, facilement mobilisable en cas de besoin, que représente la chèvre. Si elle ne semble ne jouer aucun rôle dans l'accroissement ou la diversification de la production, elle permet en revanche d'assurer la satisfaction directe des besoins immédiats de la famille.

C'est un constat: la chèvre fait plus partie du domaine de la maison que de l'exploitation. C'est dire combien, au sens premier et fort du terme, la chèvre est «l'animal domestique des oasis».

2.4. Les races

Le cheptel caprin est très hétérogène et composé pour l'essentiel d'animaux de populations locales: chèvres à viande de différents formats (bédouines) et chèvres plus laitières (oasiennes). Outre les populations locales, on trouve de nombreux produits de croisements antérieurs opérés avec les races maltaise et nubienne, mais aussi avec des races algériennes des oasis (M'zab, Soufi, chèvre de Touggourt).

3. Le projet PICO

Le projet PICO s'est fixé pour objectif de parvenir à rationaliser et structurer la filière lait de chèvre en zone oasienne, afin d'améliorer le revenu des éleveurs. Aucune action de développement n'avait été menée jusqu'à présent en faveur de l'élevage caprin. Toujours considéré comme marginal, ce petit élevage semble pourtant être le plus adapte aux structures d'exploitations et aux ressources fourragères disponibles. De plus, il peut permettre de maintenir la fertilité des sols, et de diversifier, améliorer, et sécuriser les revenus des agriculteurs oasiens. Ne cachons pas les difficultés à faire passer un système caprin d'une situation d'autosubsistance à la production d'excédents commercialisables. Et c'est pourtant là l'enjeu du projet, le pari sur l'avenir engagé par les oasiens. Aujourd'hui, sur une surface limitée de jardins d'oasis, la production de lait de chèvre peut devenir une activité à part entière, sans mettre en péril l'équilibre précaire de l'oasis.

Les différents partenaires du projet sont l'Office tunisien de l'Élevage et des Pâturages, les Commissariats Régionaux au Développement Agricole, les Coopératives de Service Agricole, et l'UCARDEC (Unité de Coordinations des Actions de Coopération en Recherche et Développement caprin, France), qui se sont coordonnés pour la mise en oeuvre des actions programmées. La stratégie du projet aura été de retenir comme groupe-cible les agriculteurs-éleveurs, en raison:

- de la taille des effectifs caprins plus élevée que dans les autres systèmes.

- de l'intégration de cet élevage à l'activité agricole: «l'agriculteur d'oasis gère une association agriculture-élevage aux relations tout à fait synergiques: le fumier des petits élevages sédentaires d'oasis est une denrée précieuse pour maintenir la fertilité des sols, sur lesquels poussent en association palmier-dattier et de nombreuses cultures dont la luzerne. Cette plante fourragère de haute productivité, qui fournit l'essentiel de la ration alimentaire du troupeau, fixe dans le sol l'azote atmosphérique dont profitent le palmier et les cultures associées, l'ensemble valorisant l'eau du même système d'irrigation».

- de l'intérêt du maintien d'une activité agriculture-élevage, pour que soit assuré l'équilibre du système oasien: la fumure organique permet la valorisation des productions végétales d'un sol naturellement peu fertile.

- des performances potentielles d'un système «petit ruminant laitier-légumineuse fourragère» dans ce type d'exploitations.

Le projet comprend trois principaux volets:

3.1. L'amélioration génétique, par diffusion de sang alpin

Le potentiel de production en lait des chèvres locales est généralement faible (0,72 kg par jour pendant 67 jours). Seule l'amélioration génétique peut permettre un accroissement rapide et significatif de ces performances: les recherches entreprises par l'Institut des Régions Arides montrent l'intérêt du croisement avec l'Alpine pour accroître le potentiel des chèvres locales (F1 alpine x locale = 1,33 kg de lait/jour pendant 157 jours).

Le PICO a particulièrement travaillé sur l'amélioration génétique des populations locales et a utilisé, pour ce faire, trois méthodes:

· Les centres de saillies (ou stations de monte);

· La synchronisation des chaleurs suivie de saillies naturelles par des boucs alpins prêtés par le projet;

· L'insémination artificielle.

Graphique 1: Évolution du nombre de chèvres touchées par les différentes méthodes de reproduction (synchronisation des chaleurs, centres de saillies CS, Insémination artificielle IA)

L'évolution quantitative de ces trois méthodes est présentée dans le graphique 1 ci-dessus. Cette évolution sur trois campagnes appelle trois remarques: un tassement de l'effectif touché par les centres de saillies, une très nette progression du nombre de chèvres entrant dans le programme de synchronisation des chaleurs suivie de saillies naturelles, une progression plus timide du nombre d'inséminations artificielles.

Cette évolution s'explique de la façon suivante: les centres de saillies touchent en priorité de petits élevages qui ne sont pas la "cible directe" du projet (75 % des élevages touchés par le projet, mais seulement 35 % des animaux). La synchronisation des chaleurs suivie de saillies naturelles n'est pas sans inconvénients, mais permet de sensibiliser les éleveurs à la maîtrise de la reproduction. L'insémination artificielle nécessite une équipe de techniciens formés à la technique, et ne peut se mettre en place que lorsque les éleveurs ont surmonté les obstacles socio-culturels qui lui font entrave.

Les résultats de fertilité pour les deux dernières méthodes sont présentés au graphique 2 ci-dessous. Pour chacune des méthodes, l'augmentation des taux de fertilité est spectaculaire, progressant en une campagne de plus de 20 points. Les techniques de base semblent rodées, les protocoles de mise en oeuvre au point. L'objectif est maintenant le développement de l'insémination artificielle.

Graphique 2: Résultats de fertilité pour les méthodes de synchronisation des chaleurs et d'insémination artificielle

3.2. Les aspects strictement zootechniques

· l'amélioration de l'alimentation des troupeaux, par le biais de l'intensification fourragère: mise en place de parcelle de démonstration de culture destinées à pallier le déficit fourrager observé.

Traditionnellement, les surfaces fourragères sont menées en intensif (45 % de la SAU en irrigué), et la luzerne occupe 80%, parfois plus, des surfaces fourragères: ce qui ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes:

- exploitée tous les 15 à 20 jours pendant une grande partie de l'année, sa pousse est fortement ralentie pendant les pois d'hiver et les mois d'été les plus chauds.

- pendant ces mois «creux», la luzerne est remplacée par des mauvaises herbes, des branchages provenant de la taille des oliviers, mais aussi, et surtout, par des dattes et des concentrés.

Pour résoudre les problèmes identifiés en matière de culture fourragère et d'alimentation des troupeaux, le PICO a choisi de vulgariser l'introduction de cultures d'orge et d'avoine en vert pour combler le déficit alimentaire en période hivernale, et de sorgho pour pallier le ralentissement de la pousse de la luzerne observé en été.

Des parcelles de démonstration ont donc été mises en place: 8 hectares d'orge et d'avoine en vert à l'automne 93 (20 éleveurs touchés), 11 hectares de sorgho au printemps 94 (82 éleveurs touchés). Les résultats ont été hétérogènes, compte tenu des contraintes rencontrées par les éleveurs (irrégularité du tour d'eau), mais ont tout de même permis de montrer que ces cultures avaient des rendements intéressants en matière verte pendant la période de dormance de la luzerne: 18 tonnes/ha/coupe pour l'avoine, 14 pour l'orge et 25 pour le sorgho (pour chacune des cultures mises en place 2 à 3 coupes ont été réalisées).

Avec l'introduction de ces cultures, les déficits fourragers sont résorbés; mais la répartition des surfaces fourragères est modifiées: au lieu de 80% de luzerne, on a tendance à s'orienter vers le système suivant: Luzerne 60% - Céréales 25% - Sorgho 15%.

Ce système est performant pour l'alimentation rationnelle des troupeaux, mais ne va pas sans poser de réels problèmes aux éleveurs des oasis traditionnelles. Dans ces exploitations, la mécanisation est impossible, le coût d'implantation d'une culture est donc élevé: la culture pérenne (luzerne) a un intérêt économique évident par rapport aux cultures annuelles (céréales). En effet, les charges de mains d'oeuvre représentent 70 % des charges pour l'implantation d'un are de culture fourragère.9

9 avec la contribution de Marc BEAURE D'AUGERES, Patrick BOURGEOIS et Garance FAUGERE, stagiaires de l'IAMM et de INA PG.

Ces observations ont conduit l'équipe du PICO à:

- vulgariser les méthodes de fanage pour permettre la constitution de stocks fourragers et améliorer l'élevage des jeunes,

- introduire à titre d'essai de nouvelles espèces susceptibles d'être mises en place derrière une céréale avec des façons culturales superficielles (colza et navet fourrager), ou semées en pépinière puis repiquées en bordure de planches (betteraves et cou fourrager).

Pour la prochaine campagne de printemps, l'acquisition d'une balance et d'un four à micro ondes va permettre d'estimer la teneur en matière sèche des fourrages et conduire à mieux raisonner les quantités à distribuer (aucun aliment, pas même l'eau, n'est distribué ad libitum).

· la conduite du troupeau

Elle est toujours très traditionnelle: les mâles sont en permanence présents dans le troupeau, les chevreaux et chevrettes tètent leurs mères jusqu'au tarissement de la production laitière ou leur vente sur le souk. Un prélèvement de lait, pour l'autoconsommation, est effectué une fois par jour sur les meilleures laitières ou les mères de portées simples: les système d'élevage est encore principalement orienté vers la production de viande.

En ce qui concerne l'amélioration des techniques de conduite d'élevage, les avancées du PICO sont lus timides: si les éleveurs ont bien compris l'intérêt de «la race française» pour améliorer le gabarit et la production laitière, s'ils sont sensibilisés aux intérêts de la diversification des cultures fourragères pour améliorer l'alimentation de leurs troupeaux, ils hésitent encoure à investir dans l'élevage caprin et à modifier leurs techniques. Ils ne le feront que s'ils sont en mesure de vendre leur production de lait, donc d'améliorer leurs revenus.

· les bâtiments

En règle générale on ne peut parler de bâtiments. Les chèvres sont logées «à la maison», soit dans un enclos de fortune dans la cour de l'habitation (un abri sommaire est alors réalisé avec une ossature en quartiers de bois de palmier et une couverture en palmes), soit dans une vieille maison désaffectée, soit dans les pièces d'une maison en construction.

Au niveau des équipements d'élevage et de l'organisation interne des bâtiments, les conditions sont très défectueuses: la distribution des fourrages se fait à même le sol, celle de l'eau et des concentrés dans des fûts de récupération ou des pneus coupés en deux. Non seulement les aliments sont rapidement souillés, mais une partie des fourrages distribués est gaspillé par piétinement.

Le PICO est intervenu dans ce domaine en faisant réaliser par un artisan soudeur des râteliers-auges (type caisse à fourrages libre-service) adaptés aux caprins (un modèle chèvres et un modèle chevreaux). Ces équipements sont placés en démonstration dans des élevages touchés par le projet, pour sensibiliser les éleveurs à l'intérêt de limiter le gaspillage des fourrages et le parasitisme.

3.3. Le développement de l'aval de la filière, par l'ouverture de centres de collecte de lait de chèvres et d'unités artisanales de transformation et/ou de conditionnement.

Tout le lait de chèvre étant aujourd'hui autoconsommé, il est difficile d'estimer les quantités qui pourront être collectées et révolution de ces quantités dans le temps. Tous les partenaires restent cependant relativement sereins devant cette interrogation: quelles quantités de lait pourront être effectivement collectées? Une petite étude de faisabilité, réalisée par l'équipe du PICO, montre, que quelque soit le scénario retenu, l'opération devient bénéficiaire à partir d'une collecte quotidienne supérieure à 250 litres de lait, soit l'équivalent de la production d'un troupeau de 100 chèvres Alpines...

Il subsiste d'autre part une incertitude sur les potentialités réelles du marché des produits laitiers caprins, encore peu prospecté. Mais là encore, les craintes liées à cette incertitude sont à module car:

- dans les gouvernorats du sud, la production laitière ne couvre pas 25 % des besoins: l'autosuffisance est loin d'être assurée... et le lait de chèvre, qui dans ces régions jouit d'une bonne «image de marque» par tradition, peut y contribuer.

- on assiste en Tunisie à un intérêt croissant du consommateur pour les produits laitiers dans un contexte de croissance démographique et d'augmentation du pouvoir d'achat moyen des familles: l'engouement des jeunes générations pour les yaourts en est une illustration.

- s'il existe bien dans le pays deux modèles de consommation en ce qui concerne les produits laitiers, l'un urbain et l'autre rural (ainsi que le montre le graphique 3 ci-dessus), le modèle de consommation de type urbains semble être en progression et se propager dans les milieux ruraux, ce qui implique une augmentation de la demande en produits laitiers par standardisation des habitues alimentaires.

Graphique 3: Comparaison de la consommation de produits laitiers en milieu urbain et rural

Enfin, nous souhaitons expliciter la manière dont sont impliquées les organisations professionnelles et le rôle qu'elles tiennent dans chacune des actions du projet (3 mois après l'ouverture des centres de collecte et des unités de transformation, les coopératives ont "entre leur mains" l'ensemble des opérations de collecte, transformation et commercialisation).

Dans cette première phase du projet, le PICO a concentré ses efforts sur la partie amont de la filière; mais il l'a toujours fait, et pour toutes les actions, en concertation et avec la collaboration des coopératives de services agricoles:

- pour l'ouverture et la gestion des centres de saillies,
- pour la constitution des réseaux d'éleveurs témoins,
- pour les programmes de mise en place des parcelles de démonstration...

Les coopératives sont également sensibilisées à l'intérêt de la mise en place de centres de collecte de lait et d'unités de transformation: à la fois pour diversifier leurs activités et pour améliorer le revenu de leurs adhérents. Mais les difficultés pour mettre en place ce volet aval de la filière sont nombreuses:

- les coopératives sont de création récente ont été créées à la fin des années 80: leur activité pour l'essentiel a consisté à acheter des intrants (aliment du bétail, semences, engrais, petit matériel) et à les revendre à leurs adhérants. Peu d'entre elles ont réussi, à ce jour, à diversifier leurs activités: notons tout de même que la coopérative de Douz a créé une petite unité de fabrication d'aliments du bétail et projette d'installer des chambres froides pour le stockage des dattes, et, que la coopérative de Mareth commercialise la production de fruits et légumes de ses adhérents et a exporté cet automne des grenades vers la France (avec l'appui d'un projet d'échanges inter-coopératives du Bureau International du Travail).

A ce jour, aucune des coopératives du sud ne s'est lancée dans la transformation de produits agricoles. Avec le PICO, l'occasion s'en présente aujourd'hui mais, malgré la motivation de tous, la concrétisation des efforts engagés tarde à venir. Pourquoi?

- de création récente, les coopératives sont fragiles au niveau financier. Il est aisé de comprendre leurs réticences à se lancer dans des actions qu'elles jugent "à risques" (même si elles sont convaincues de leur intérêt), et qui exigent des investissements importants: aménagement d'un local, raccordement du bâtiment aux réseaux d'eau potable et d'électricité... Si l'Office de l'Élevage et des Pâturages est prêt à faire le maximum pour partager, avec deux coopératives, les risques liés au démarrage d'une telle opération, les investissements - autres que ceux liés à l'acquisition de matériel (prise en charge par la coopération française) - restent à la charge des coopératives. C'est là aujourd'hui la principale contraintes qu'il reste à lever.

4. CONCLUSION

Le PICO est à un tournant de son histoire: six mois avant la fin de la première phase de trois ans, il est nécessaire de faire le point, d'évaluer et de faire des choix pour l'avenir.

Ne revenons pas sur les acquis du projet: il était difficile d'aller plus loin dans les actions sur l'amont de la filière. Le projet n'avait pas choisi la facilité en intervenant dans un milieu difficile, sur un élevage marginal, avec des organisations professionnelles trop récentes pour être sûres d'elles dans une dynamique de filière, et trop fragiles pour investir.

Aujourd'hui l'alternative est claire:

- ou s'investir encore - avec nos partenaires - dans l'aval de la filière: et ce choix demandera, pour voir aboutir l'action entreprise, du temps ou de nombreux efforts,

- ou repenser le projet en gommant son orientation laitière.

Autant dire que dans l'immédiat cette deuxième alternative n'est pas celle retenue par les coopératives de services agricoles qui ont déjà fait des choix pour l'avenir proche, même si elles ont encore des difficultés à surmonter pour les réaliser:

· La coopérative de Douz a choisi de s'orienter vers la fabrication fromagère. Dans un premier temps le marché visé est celui lié au tourisme: pour ce marché le PICO a mis au point dans l'atelier fromager de la ferme OEP de Chencou un fromage légèrement pressé, d'un poids moyen de 1,8 kg, avec une croûte mince et une consistance ferme dont la pâte se caractérise par une douceur veloutée.

Un outil de communication (dépliant trois volets) a été élaboré, avec le concours de l'Ambassade de France, pour assurer la promotion de ce produit en le présentant comme issu des oasis du sud tunisien.

· La coopérative de Medenine a choisi un autre créneau: en se basant sur la bonne image du lait de chèvre et sur le déficit chronique en lait frais entier dans le gouvernorat, elle a opté pour la pasteurisation puis le conditionnement en sachets du lait (frais ou acidifié).

Ces différents choix témoignent des motivations des acteurs engagés dans l'action «filière lait de chèvre»: il n'y a pas «un modèle» pour faire émerger une filière, mais des entreprises... que l'équipe du PICO espère voir aboutir dans les mois qui viennent.

Un système intensif: La production laitière caprine au domaine de Douiet - Fès (Maroc)

M. BENNIS
DOMAINE DE DOUIET

N.B.: L'exposé de M. Bennis, largement illustré par des supports audio-visuels (transparents, diapositives), n'a pas donné lieu de sa part à une communication écrite.

RÉSUMÉ:

Le Domaine Royal de Douiet dispose d'un troupeau de 80 chèvres de race Alpine dont les objectifs ont été fixés comme suit:

- Production de lait pour la transformation
- Production de reproducteurs mâles et femelles destinés aux éleveurs

Cet élevage est conduit en système intensif, en zéro pâturage. Ce type de conduite permet de réaliser des performances élevées, mais nécessite la mise en place et la maîtrise de programmes rigoureux d'alimentation, d'amélioration génétique de reproduction et de prophylaxie.

La destination du lait, à savoir la production de yaourts et de différents types de fromages, impose une qualité bactériologique et physico-chimique, compatible avec les exigences de l'industrie de transformation.

Prix de revient du litre de lait au domaine de Douiet:

Alimentationa:

2,50 dhs/litre

Reproduction

0,15 dhs/litre

Main d'oeuvre

0,60 dhs/litre

Autres charges

0,25 dhs/litre

Amortissement

0,60 dhs/litre

TOTAL

4,10 dhs/litre (2,4 F)

a le coût alimentaire est calculé en prenant le prix des fourrages au prix de marché.


Page précédente Début de page Page suivante