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Quatrième session et table ronde: Aspects sociaux-économiques, rôle de la femme


Importance économique et sociale de l'élevage caprin dans la province de Chefchaouen
L'implication des femmes dans les programmes de développement: Situation et tendances
Un développement agricole par et pour la femme rurale
La situation des femmes rurales au Maroc
Organisation de l'élevage ovin et caprin et de la transformation du lait en Sardaigne
L'organisation des producteurs, à la base de la réussite des projets de la filière

Le processus de développement économique s'applique - le phénomène est logique et se retrouve partout, sous toutes les latitudes et sous toutes les cultures - de manière "centrifuge", des zones les plus favorisées vers les zones les plus marginales. Rien de surprenant à cela: on investit d'abord où c'est le plus rentable. Quand les créneaux "centraux" les plus prometteurs sont occupés et exploités, on en vient aux confins, qu'on aborde prudemment, parce qu'ils sont moins connus, moins hospitaliers, plus réticents au changement, en un mot: plus risqués. La chèvre a la malchance d'être un animal des marges, et ne doit l'intérêt qu'on lui manifeste aujourd'hui qu'à une certain ralentissement du progrès - voire à une saturation des débouchés - dans l'agriculture dominante. C'est ainsi que l'Europe, confrontée à la surproduction de lait de vache, désormais contingenté par le système des quotas, redécouvre le lait de chèvre et s'emploie à en relancer la consommation, l'intérêt peut être plus politique: les marges, moins contrôlables, moins assistées, ont des économies à la dérive. Dans certains cas, le sauvetage est devenu une urgence, et l'élevage caprin est une alternative propre, adaptée, pourvoyeuse d'emploi, et pour finir à la mode, en ces temps de rejet du tout-industriel.

De fait, dans le bassin méditerranéen, l'élevage caprin tient une place de choix dans la valorisation des zones de collines et de montagnes. Il est même parfois la seule activité agricole possible (en excluant les productions hors-sol), quand la conjonction d'une longue sécheresse estivale et d'une géomorphologie ingrate (terrains très pentus, aux sols superficiels et filtrants), ne permet le maintien que d'un couvert de ligneux. Bien organisé, il peut donc servir de base à une économie montagnarde moderne. Bien plus, relevant essentiellement de la compétence des femmes, la modernisation de la production laitière caprine représente l'opportunité de les intégrer à un processus de développement rural dont elles ont été longtemps exclues, et qui commence seulement à prendre en compte leur condition particulière et leurs aspirations. L'essor du secteur caprin doit être d'abord une histoire d'hommes ainsi que le démontre les expériences abouties (France) et en cours (Espagne, Maroc). L'esprit associatif, qui se nourrit de la notion d'intérêt partagé, doit animer l'ensemble des partenaires de la filière et les amener à coordonner leurs actions. Enfin, une volonté politique doit s'affirmer et accompagner le mouvement, qui devrait elle aussi trouver sa motivation dans l'intérêt bien compris du pouvoir central à mettre en oeuvre le développement des zones marginales, sources d'exode rural.

Importance économique et sociale de l'élevage caprin dans la province de Chefchaouen

Pr Mohamed RAKI
INSTITUT AGRONOMIQUE ET VÉTÉRINAIRE HASSAN II

INTRODUCTION

Le Maroc a saisi en mars 1993 l'Union Européenne pour entreprendre un vaste programme de coopération en faveur des Provinces du Nord. Les engagements financiers de l'UE et de ses États membres se sont élevés à 358 millions d'écus pour les années 1993 et 1994. Le Nord du Maroc est resté pendant longtemps à l'écart des programmes de développement qui ont favorisé les zones irriguées. Délaissée par les pouvoirs publics, en proie à une démographie galopante malgré l'exode rural et l'émigration, l'agriculture, restée traditionnelle, subit une lente dégradation. L'érosion en est la principale cause, due à la dégradation du couvert végétal imputable à une intense déforestation que n'ont pas su enrayer les quelques mesures prises par l'État.

La région souffre de handicaps spécifiques, récemment mis en évidence par des recherches de terrain, dus à l'enclavement de vastes zones, à la faiblesse des infrastructures de base, à la fragilité du milieu naturel, à l'attrait exercé par l'Europe - du fait de sa proximité - sur la population active, au vieillissement des chefs d'exploitation, au refus des jeunes de se livrer à des tâches agricoles pénibles et peu rémunératrices au regard du commerce de contrebande ou des activités liées à la production et à la transformation du cannabis... D'autres problèmes sont communs au reste de l'agriculture marocaine: exiguïté des exploitations, leur morcellement, insuffisance des revenus agricoles.

Ces recherches ont été consacrées à une analyse fine des systèmes de production, afin de comprendre les raisons profondes qui expliquent l'extension de la culture du cannabis. A l'instar des régions méditerranéennes du Sud de l'Europe qui ont modernisé et développé certaines activités traditionnelles, tel que l'élevage caprin en zone de montagne, l'arboriculture fruitière et le maraîchage en vue de répondre à la demande urbaine et aux besoins du tourisme, et qui pour ce faire ont bénéficié de financements très importants de la part de l'Union Européenne, l'agriculture pratiquée au Nord du Maroc peut amorcer une dynamique nouvelle, orientée vers la recherche d'activités de substitution à la culture du cannabis et qui permettraient aux paysans de la région d'améliorer sensiblement leur revenu, tout en participant à la couverture des besoins du pays pour certains produits de base (en particulier en développant l'oléiculture). La limitation de la culture du cannabis par des moyens répressifs ne peut se concevoir qu'avec la mise en oeuvre simultanée d'une politique volontariste de développement basée sur une connaissance approfondie des processus d'évolution de l'agriculture dans la région.

Cette communication se propose de présenter les résultats des études menées récemment sur l'élevage caprin dans la province de Chefchaouen, région située au Nord du Maroc. L'élevage caprin peut-il constituer une alternative de développement en zone de montagne et plus particulièrement dans le Nord du Maroc? Cette question est d'autant plus à l'ordre du jour que l'agriculture dans cette région est caractérisée par l'importance de la céréaliculture et de l'élevage caprin. Ce dernier a fait l'objet de peu d'actions de développement bien qu'il occupe une place privilégiée dans l'économie agricole de la région. Les expériences menées sur la rive méditerranéenne de l'Europe ont montré qu'il est possible d'intensifier ce type d'élevage dans le cadre des politiques de développement des zones de montagne défavorisées. C'est dans cette perspective que l'Association Nationale Ovine et Caprine (A.N.O.C.), organisation professionnelle des éleveurs, avec l'appui d'une organisation non gouvernementale belge, l'Association pour le Développement de la Recherche et de l'Action Intégrée (A.D.R.A.I) a lancé depuis 1990 un projet de développement de l'élevage caprin dans cette région. L'objectif de ce projet est d'assurer l'encadrement technique d'un groupe d'éleveurs de caprins, afin d'améliorer la productivité de leurs troupeaux.

Cette étude est divisée en quatre parties. La première est consacrée à la présentation de l'agriculture dans la province de Chefchaouen. La description des exploitations adhérentes à l'ANOC figure dans la deuxième partie. La troisième partie porte sur la place de l'élevage caprin dans les revenus de ce groupe d'agriculteurs. La dernière partie porte sur un échantillon d'agriculteurs qui couvre les différentes zones de la province de Chefchaouen, afin de mieux cerner la place des caprins dans l'économie des exploitations de cette région par rapport au groupe d'éleveurs de l'ANOC.

1. Présentation de l'agriculture dans la région

La province de Chefchaouen est une zone montagneuse humide, l'altitude varie de 100 mètres au bas des oueds à 1 700 mètres vers les hauts sommets. Placée sous les influences méditerranéenne et atlantique, elle reçoit une pluviométrie moyenne annuelle d'environ 900 mm. Cette zone a une topographie accidentée caractérisée par de fortes pentes. Près de 70% des terrains ont une pente supérieure à 20%. Les sols sont très sensibles à l'érosion. Les pertes en terre sont évaluées à 2 000 tonnes par km et par an. A signaler également que 80% de la superficie de cette province est couverte de forêts et de parcours qui contribuent pour plus de 70% dans l'alimentation du cheptel.

La population de cette province est estimée à 380 000 habitants. Elle est essentiellement rurale. La campagne abrite 90% de ses habitants. La densité y est très forte et est de l'ordre de 85 habitants au km2 malgré une forte migration vers les villes de Tanger et Tétouan ou vers l'étranger. Chaque foyer est composé en moyenne de 6 personnes.

Cette province compte quelque 34 500 exploitations sur une superficie agricole utile d'une centaine de milliers d'habitants, soit une moyenne de 3 ha par exploitation. En fait 90% des unités de production ont une dimension moyenne de seulement 1,8 ha et couvrent les deux tiers des terres cultivées. Les exploitations de plus de 10 ha sont rares. Elles représentent moins de 3% de l'ensemble et couvrent 12% des terres de culture. L'agriculture pratiquée dans la région est de type familial. Elle est composée de petites unités de production fortement morcelées (en moyenne neuf parcelles par exploitation). Le marché de la terre est très peu animé. Les femmes jouent un rôle essentiel dans la production. Elles accomplissent, en plus des tâches domestiques, l'essentiel des travaux agricoles.

Cette agriculture reste dominée par les céréales qui occupent plus de la moitié des superficies cultivées, les légumineuses et l'arboriculture se partagent à égalité l'autre moitié. Les fourrages et le maraîchage, pratiqués souvent en association avec les plantations d'arbres fruitiers dispersés (surtout des oliviers), couvrent respectivement 8% et 2% des superficies cultivées. Les rendements des céréales dépassent rarement 10 quintaux par ha. Ceux des légumineuses représentées essentiellement par les fèves et les féveroles sont en moyenne de 8 quintaux. Attaquées par des maladies, ces cultures sont en train d'être remplacées par les pois chiche.

La faiblesse de la productivité est liée à la nature des sols et à la persistance des techniques culturales traditionnelles et. En raison du caractère accidenté des terrains, les superficies labourées à l'araire représentent 80% des superficies cultivées. Les engrais sont destinés surtout à la culture du cannabis. Les semences sélectionnées sont très peu utilisées. A titre d'exemple, elles concernent seulement 8% des superficies emblavées en blé tendre.

L'élevage est extensif. La présence d'une végétation forestière naturelle abondante sur des terrains accidentés explique la prédominance de la chèvre dans cette zone. En 1995, les effectifs caprins s'élevaient à 200 milliers de têtes et étaient en augmentation constante par rapport au début des années quatre-vingt. Cette importance s'explique par l'aptitude d'adaptation de ces animaux aux zones de montagne. La productivité des troupeaux reste faible en raison d'une alimentation basée sur les ressources de la forêt (83% des apports en unités fourragères proviennent des parcours et du branchage) et de l'absence de tout contrôle de la reproduction des animaux.

Durant la même année, les troupeaux bovins étaient composés de près de 85 milliers de têtes. Les effectifs varient entre un et quatre têtes de bétail par agriculteur et sont pour la grande majorité de race locale. Ils sont entourés du maximum de soins étant donné leur utilisation dans les labours, et dans la production de lait et de viande. Les ovins comptaient moins de 75 milliers de têtes, avec une moyenne de 2 têtes par exploitation.

2. Caractéristiques des exploitations agricoles de l'ANOC

Les exploitations agricoles enquêtées, au nombre de 28, sont adhérentes à l'Association Nationale Ovine-Caprine. Elles ont été subdivisées en quatre classes de superficie. L'examen de cette répartition fait ressortir que 25% des exploitations ont moins de 5 ha et détiennent 11% de la superficie totale de l'échantillon. La majorité des exploitations ont une taille comprise entre 5 à 20 ha (67% du nombre total des exploitations) et concentre 72% de cette superficie (voir tableau 1). Ainsi du point de vue de la taille du patrimoine foncier, les éleveurs qui participent à cette action de développement sont relativement privilégiés par rapport à la majorité des agriculteurs de la région. Ce choix s'explique par le désir des promoteurs de ce projet de réunir les meilleures conditions pour sa réussite.

L'agriculture pratiquée est cependant du même type que celle des autres paysans de la région. Les cultures en sec sont dominantes. La part de l'irrigué augmente avec la taille de superficie. Ces exploitations revêtent deux caractéristiques communes: un système de culture apparemment homogène et des troupeaux caprins de même dimension, mais dont les effectifs sont supérieurs à ceux des autres éleveurs de la région. La moyenne régionale est de cinq chèvres par troupeau, alors que l'ANOC encadre des éleveurs qui possèdent près de 60 têtes chacun. En ce qui concerne le système de cultures, on constate que les exploitations de grande taille se distinguent par l'importance des terres laissées en jachère et par une plus grande importance du maraîchage. Cette activité s'explique à son tour par la prépondérance des terres irriguées dans cette catégorie d'exploitation. Les petits propriétaires accordent la priorité aux cultures vivrières destinées à nourrir leur famille et à entretenir leurs troupeaux.

Tableau 1: Caractéristiques des exploitations de l'ANOC

Classes de superficie (en ha)

<5

5-10

10-20

20-30

Total

Nbre d'agriculteurs

7

10

9

2

28

En %

25

35

32

8

100

Sup. totale

29

73

128

49

279

En %

11

26

46

17

100

Sup. moyenne (ha): 4

7

14

24

10


dont en irrigué (en %): 4

13

28

40

25


Cultures

(%)

Céréales

68

57

48

46

56


* Blé tendre

41

42

43

41

43


* Blé dur

12

7

13

7

11


*Orge

29

39

36

38

34


* Maïs

18

12

8

14

12

Légumineuses

15

12

16

10

14

Maraîchage

3

7

20

10

10

Fourrages

3

2

1

0

2

Jachère

11

21

15

35

18

Troupeaux

(nombre de têtes)

Bovins

6

6

5

6

6

Caprins

61

73

62

65

66

Ovins

8

6

11

13

9

La répartition des troupeaux est sensiblement la même dans toutes les exploitations, aussi bien du point de vue de leur taille que de leur composition. L'élevage repose sur les troupeaux bovins et caprins avec une moyenne respectivement de 6 et de 66 têtes. L'élevage des moutons existe, mais est relégué au second plan. Sa présence relativement importante dans les grandes exploitations s'explique par la prépondérance de la jachère. Les bovins sont élevés en raison de leur utilisation en tant qu'animaux de trait dans les labours ainsi qu'en raison de leur rentabilité. La vente des veaux et accessoirement du lait procure en effet en moyenne 35% des recettes de l'élevage. Cette proportion, de 7% dans les exploitations comprises entre 10 et 20 ha, atteint 43% dans celles de moins de 5 hectares. Ces pourcentages attestent l'importance de l'élevage des bovins qui permet de répondre à la moitié de la consommation de la population en viande rouge dans la province de Chefchaouen. L'autre moitié est couverte surtout par les caprins.

La vocation première de l'élevage caprin est la production de viande. La production laitière est très faible, voire même inexistante. Cet élevage est conduit d'une manière extensive. La forêt constitue l'essentiel de l'alimentation des troupeaux. Les aliments concentrés (orge, maïs et pulpe sèche de betterave) sont distribués aux chèvres gestantes ou allaitantes ou aux chevreaux destinés à la vente pendant les périodes de soudure ou d'engraissement.

Les troupeaux sont constitués dans la majorité des cas de 20% de mâles et de 80% de femelles gardées souvent jusqu'à un âge avancé. Les mâles sont vendus à un âge tardif: un à deux ans. Beaucoup de pratiques courantes doivent être considérées comme inadéquates: les saillies ne sont pas contrôlées; les boucs sont en permanence avec les chèvres, et les meilleurs sont vendus sur le marché pour l'abattage; les chevrettes sont saillies très jeunes; enfin, peu d'éleveurs achètent des animaux pour renouveler leur troupeaux. Les animaux achetés constituent surtout un moyen de placement des liquidités. Les ventes interviennent au moment des labours et des moissons ou avant la fête de l'Aïd El Kébir. Elles se produisent le plus fréquemment lorsqu'il n'y a pas d'autres ressources pour faire face aux besoins de la famille.

Les mises bas sont étalées sur toute l'année avec une concentration en hiver, période durant laquelle les chevreaux sont le plus exposés faute de soins et d'alimentation suffisante. La mortalité des jeunes animaux est de l'ordre de 20% dans la Province de Chefchaouen. Elle est tombée à 5% dans les troupeaux encadrés par l'ANOC. Le gardiennage des troupeaux est très souvent confié à des enfants peu expérimentés.

3. Revenus des agriculteurs de l'ANOC

En moyenne, chaque agriculteur dispose d'un revenu de l'ordre de 37 000 dirhams10. Ce revenu est voisin de celui révélé par l'enquête nationale sur le niveau de vie relatif à l'année 1990/91 et qui est de 38 000 dh par ménage en milieu rural. L'analyse de la structure du revenu global de la famille (voir tableau 2) fait ressortir que:

* Le revenu agricole constitue la composante principale du revenu familial. La part du revenu agricole dans le revenu familial est en moyenne de 72%;

* Les revenus annexes diffèrent d'une exploitation à une autre, selon le type d'activité exercée (émigration, commerce, travail dans d'autres exploitations, administration, construction-travaux publics...) et selon la taille de superficie.

10 1 dirham » 0.60 FF

Tableau 2: Caractéristiques du revenu familial dans les exploitations agricoles de L'ANOC

Classes des exploitations

Superficie (ha)

UGB

Revenu global (en dh)

Structure du revenu familial (en %)

Revenu agr./ha

R. cultures

R. élevage

R. annexes

<5

4

14

30.000

13

47

40

4.220

5-10

7

15

34.000

23

60

17

3.855

10-20

14

14

43.000

24

37

39

1.850

20-30

24

17

50.000

65

35

0

2.050

U.G.B.: unité gros bétail

Le revenu agricole moyen est de l'ordre de 26 580 dh. L'analyse de la structure du revenu permet de tirer trois enseignements:

1 - en moyenne, la part du revenu de l'élevage dépasse celle des cultures et représente près des deux tiers du revenu agricole;

2 - dans les plus petites exploitations, cette part atteint 78% du revenu agricole;

3 - en valeur absolue, l'élevage procure un niveau de revenu sensiblement le même quelque soit la taille des exploitations, pour un montant qui oscille entre 14 000 et 20 000 dirhams. Cette faible variation est due au fait que la taille des troupeaux est approximativement la même pour tous les adhérents de l'ANOC. Le revenu des cultures diffère d'une exploitation à une autre selon la nature des systèmes de production et le degré de leur diversification. D'une manière générale, les parts des marges brutes des céréales et de l'arboriculture sont dominantes. Elles sont de 34% et 44% respectivement.

L'examen de la structure du revenu de l'élevage montre que près de la moitié de ce revenu provient de l'élevage caprin. L'autre moitié provient essentiellement de l'élevage bovin (35%), ovin, de l'aviculture et de l'apiculture.

En moyenne, l'élevage caprin participe pour 23% au revenu familial des agriculteurs de l'échantillon. Cette contribution varie entre 18 et 36%. Cette variation reflète les écarts de productivité des différents troupeaux caprins. Elle s'explique essentiellement par les différences observées dans le mode de conduite des troupeaux surtout au niveau de l'alimentation produite et achetée.

De plus, l'élevage caprin représente en moyenne le tiers du revenu agricole. Il constitue par conséquent la composante principale du revenu agricole dans les exploitations enquêtées. Cette contribution varie d'une exploitation à une autre et peut atteindre 44% des ressources provenant de l'agriculture.

4. L'élevage caprin dans la province de Chefchaouen

Une étude récente, réalisée dans cette province sur l'agriculture sur un échantillon qui couvre les différentes zones, a permis de préciser l'importance des caprins dans l'économie des exploitations de cette région par rapport au groupe d'éleveurs de l'ANOC. Comme la précédente, cette étude ne porte pas sur la zone la plus aride de la province située le long de la côte méditerranéenne et où la pluviométrie est inférieure à 500 mm par an, mais sur les parties les plus pluvieuses, qui se trouvent au centre de la province (1200 à 2000 mm par an). Dans la partie sud et sud ouest, il pleut entre 900 et 1300 mm.

Le relief des zones humides de la province est montagneux. L'altitude varie entre 100 et 2000 mètres. Les terres en pente représentent 50 à 75% de la superficie de la province. Ce relief accidenté ne convient pas à l'élevage des moutons. Les trois quarts des agriculteurs enquêtes ne possédant pas de troupeaux ovins. On distingue trois zones selon l'altitude: la basse, la moyenne et la haute montagne. L'importance de l'élevage caprin varie considérablement, en allant de la basse à la haute montagne.

La basse montagne est la région la plus favorisée grâce à l'abondance relative des terres situées en plaine, à l'importance de la couverture forestière et des ressources en eau et à sa localisation à proximité des principaux centres urbains et des souks de la région. Ce sont ces facteurs qui ont permis l'installation du maraîchage et des cultures fourragères. Ils expliquent le développement d'une agriculture marchande destinée à satisfaire la demande de la région en fruits, légumes et en produits laitiers.

L'élevage des bovins y est conduit de manière relativement intensive. Les deux tiers du troupeau sont de race améliorée. Les troupeaux sont de faible taille (deux têtes et plus). L'élevage caprin y est également le plus développé, comparativement aux autres zones de la province et profite de l'alimentation gratuite offerte par les forêts de cette région. La taille moyenne des troupeaux est de 17 têtes par exploitation (voir tableaux en annexe).

La moyenne montagne est située dans le bassin versant du Loukkos. C'est une région à vocation arboricole. L'enquête a concerné la commune de Mokrissat. L'élevage bovin est conduit d'une manière plus extensive, les races sont locales. L'élevage caprin est dominant du point de vue des effectifs. La taille moyenne des troupeaux est de 13 têtes par exploitation. Cet élevage souffre de la réduction des parcours suite aux reboisements effectués dans la région pour lutter contre l'envasement des barrages situés en aval (barrage sur l'oued El Makhazine).

La zone de haute montagne est la plus défavorisée. Le milieu physique est très dégradé. L'enquête a porté sur les communes de Béni Darkoul et de l'oued Melha. L'élevage des chèvres est marginal. Il est pratiqué par les agriculteurs qui peuvent nourrir leur bétail à partir des ressources alimentaires produites dans les exploitations et qui disposent d'une assise foncière relativement importante (15 à 20 hectares). Les deux tiers des agriculteurs de l'échantillon n'ont pas de caprins. L'élevage des bovins, surtout de race locale, est généralisé. Ces animaux sont utilisés dans les labours.

Ainsi, la place de l'élevage caprin diffère d'une zone à l'autre selon les conditions du milieu et la nature des interventions de l'État. D'une manière générale, l'élevage représente la moitié du revenu agricole en basse montagne, légèrement moins dans la partie haute et environ le tiers dans la zone de moyenne altitude. La première place revient aux bovins: respectivement les deux tiers du revenu de l'élevage dans la zone la plus favorisée, un peu moins en haute altitude et environ la moitié en moyenne montagne. C'est dans cette dernière que les caprins contribuent le plus à ce revenu: 40 à 50% dans les exploitations les plus représentatives de cette zone contre 25% en basse montagne et 12% dans la partie la plus haute.

5. À la recherche de solutions aux problèmes de la zone Nord du Maroc

Ces deux études ont montré l'existence de deux dynamiques de développement. La première encouragée par L'ANOC privilégie le développement de l'élevage caprin. La seconde s'oriente vers le développement de l'élevage bovin en s'appuyant sur une demande urbaine en croissance. Ces deux dynamiques ne s'excluent pas. Le développement de l'élevage caprin est cependant limité par le type d'alimentation du cheptel et le mode de conduite de sa reproduction.

Les caprins tirent l'essentiel de leur nourriture de la forêt. Celle-ci souffre d'une dégradation rapide et intense (défrichement, ébranchages, pâturage,...). La qualité nutritive des essences forestières est médiocre et la strate herbacée est peu développée. Or la forêt ne peut pas à elle seule couvrir tous les besoins du cheptel et notamment ceux qui correspondent à des cycles de production déterminés (fin de gestation, lactation, croissance des jeunes). Les éleveurs ne sont pas habitués à cultiver la terre pour nourrir leur cheptel.

La reproduction des caprins est totalement incontrôlée. Ces derniers se trouvent dans la majorité des cas hébergés dans un local non adéquat (manque d'hygiène, mauvaise aération, dimension petite, cohabitation avec d'autres espèces,...). Tous ces facteurs font que la productivité du troupeau en viande et en lait est très faible. L'élevage caprin constitue encore, pour la plupart des éleveurs, une réserve de trésorerie. Les périodes de vente sont déterminées par les besoins de liquidité et non par les conditions du marché. En outre, la production laitière des chèvres est très faible. Par conséquent, la vente du lait est une pratique peu répandue. Dans le cas où la production laitière augmente, les éleveurs se trouvent confrontés au problème de l'acheminement du lait vers le souk en raison de la nature accidentée du relief. De plus, les connaissances des agriculteurs dans le domaine de la transformation du lait en fromage sont très limitées.

La solution de ces problèmes passe avant tout par l'amélioration de l'alimentation. Une alimentation suffisante et rationnelle est à la base de tout effort visant à augmenter les performances des troupeaux. L'achat d'aliments composés et la culture de la luzerne sur les terres irriguées sont susceptibles d'aider les paysans à réaliser cet objectif. Il est certain que l'application de ces recommandations se trouve limitée par l'exiguïté des propriétés et la faiblesse des potentialités de la région.

La lutte contre les maladies, et surtout contre le parasitisme, constitue également un moyen d'augmenter la productivité du troupeau. En effet, l'amélioration de l'état sanitaire des animaux augmente l'efficacité alimentaire, les performances de croissance et de reproduction, et la résistance au froid. Un plan prophylactique a été réalisé chez tous les adhérents de l'ANOC et les résultats furent satisfaisants. Un autre moyen de parvenir à augmenter la productivité des troupeaux est celui de la castration des chevreaux. L'amélioration génétique est une opération réalisable après avoir mis en pratique la panoplie des solutions énoncées précédemment. L'ANOC a commencé, par entreprendre l'identification systématique des animaux adultes et jeunes. Cette intervention a permis de réformer les animaux mal développés et mal conformés, et de trier les animaux reproducteurs pour constituer les premiers noyaux de sélection.

A la question posée au début de cet article sur l'opportunité de développer l'élevage caprin dans le nord du Maroc et en particulier dans la province de Chefchaouen, l'expérience engagée par l'ANOC permet de répondre par l'affirmative. Toutefois, il convient de prendre les précautions nécessaires avant d'entreprendre un programme de vaste envergure. L'expérience des pays méditerranéens européens du Nord constitue également un acquis qu'il faudrait adapter aux conditions du Maroc. Le programme mis en place par l'Union Européenne dans la zone nord du Maroc pourrait contribuer à renforcer les dynamiques locales de développement dans cette région. L'expérience menée par l'ANOC et soutenue par une ONG belge mérite d'être soutenue et étendue à d'autres zones. La coopération entre les pays des deux rives de la Méditerranée pourrait s'inspirer de cette expérience basée sur une collaboration étroite entre les principaux acteurs de ce projet. D'autres alternatives visant à revitaliser l'agriculture dans cette région et à lui imprimer de nouvelles orientations sont cependant à prospecter. La mise au point d'un plan de développement pour cette région pourrait ouvrir la voie à un vaste chantier de recherche des solutions adaptées à une région livrée pendant longtemps à elle même, et dont l'économie s'est aujourd'hui réfugiée dans la production et la transformation du cannabis. Le succès remporté par le programme d'amélioration de l'élevage caprin montre qu'il est permis de rêver à autre développement pour cette région.

Annexes

Taille des troupeaux par classe de superficie en zone de basse montagne (en % des agriculteurs)

Classes des UP (ha)

BOVINS

CAPRINS

OVINS

[0,1]

1 à 2

> 2

[0,1]

1 à 10

10

[0,1]

1 à 10

10

<5 ha

0

50

50

33

33

34

83

17

0

5 à 10

0

33

67

17

50

33

66

0

34

10 à 15

0

0

100

0

0

0

100

0

0

15 à 20

0

0

0

100

0

0

0

100

0

Importance des recettes de l'élevage par rapport aux recettes d'exploitation

Zones

<5 ha

5 à 10

10 à 15

>5

Basse montagne

57

43

46

50

Moyenne montagne

58

56

21

-

Haute montagne

57

41

49

45

L'implication des femmes dans les programmes de développement: Situation et tendances

Mme Marie-Jane MERMILLOD,
Fonctionnaire Principale en Économie Familiale

SERVICE POUR L'INTÉGRATION DES FEMMES DANS LE DÉVELOPPEMENT - FAO

INTRODUCTION

En 1995, année où s'est tenue la Quatrième Conférence Mondiale sur les femmes à Beijing, l'importance du rôle de la femme dans l'agriculture et le développement rural a été unanimement reconnue. Lors des réunions préparatoires, et en particulier celle organisée par la FAO à Dakar en novembre 1994, une Résolution a été adoptée afin que des mesures soient prises pour freiner la détérioration continue du statut socio-économique des femmes rurales, qui empêche leur pleine intégration dans le développement.

1. Les femmes dans les politiques de développement

En effet, malgré l'évolution que l'on a pu constater depuis une vingtaine d'années, des progrès considérables restent encore à faire pour qu'au niveau national, des politiques et stratégies de développement en faveur des femmes rurales soient élaborées et mises en oeuvre. Un développement agricole et rural, durable et équitable, ne peut réussir que grâce à la participation conjointe des hommes et des femmes.

La migration des hommes à la recherche d'un emploi salarié, en ville ou à l'étranger, accroît de façon significative l'importance de la femme dans la production vivrière, et nombreuses sont celles qui doivent assumer de facto le rôle de chef de famille et de l'exploitation agricole.

Les femmes rurales se voient confrontées à de multiples contraintes sur les plans suivants:

- constitutionnel: reconnaissance de leur existence en tant que personne majeure, égalité quant à leurs droits de citoyen, droit de vote, d'élection, etc.;

- économique: droit à l'héritage, accès à la terre en tant que propriétaire, accès aux sources de financement, aux institutions bancaires et au crédit;

- social: accès et égalité dans le travail, les fonctions et les rémunérations, accès aux subventions et aux allocations sociales et familiales, reconnaissance de leur statut de parent, de productrice économique, de travailleuse.

Les femmes sont souvent écartées des bénéfices du développement; l'écart entre les hommes et les femmes s'accentue et provoque un déséquilibre de société qui risque de devenir irréversible.

Au cours de la dernière décennie, de nombreuses réunions ont été organisées aux niveaux national et régional sur le rôle de la femme dans la production alimentaire et agricole au Proche-Orient et au Maghreb. Des mesures importantes ont été prises, ou sont en voie de réalisation, sur des points tels que:

- législation prévoyant l'égalité des droits pour la femme;

- programmes de formation et vulgarisation agricole prenant en compte les besoins spécifiques des agricultrices;

- accès des femmes aux coopératives, au crédit et promotion d'organisations professionnelles de femmes agricultrices;

- élaboration de stratégies et plan d'action pour une meilleure insertion des femmes dans les plans sectoriels de développement agricole;

- examen plus approfondi de l'impact de l'introduction de nouvelles technologies sur la charge de travail des femmes et des bénéfices qu'elles peuvent en tirer afin d'éliminer les retombées négatives de certaines modernisations.

- prise en compte des besoins spécifiques des femmes rurales dans les programmes et projets de développement.

- établissement d'une base de données statistiques, détaillées et fiables, sur la population active agricole, incluant des informations sur la répartition des activités et des responsabilités entre les hommes et les femmes selon les cultures principales et les saisons.

Trop souvent, les projets s'adressant aux femmes rurales se sont concentrés sur des activités dites "génératrices de revenus". Une attention particulière doit être portée sur ce domaine, car des études plus approfondies ont montré que, souvent, la rentabilité de ces entreprises était très médiocre.

Pour ne pas marginaliser les femmes dans des activités dites professionnelles, consommant temps et énergie pour un bénéfice incertain, il faut faire preuve de créativité, surmonter certaines contraintes socio-culturelles et surtout essayer de répondre aux aspirations réelles des femmes rurales en fonction du contexte spécifique où elles se trouvent.

Une attention particulière doit être donnée aux questions telles que l'accès à la terre et aux facteurs de production, le pouvoir de décision, la définition de la valeur économique de la contribution de la femme à la production vivrière et agricole, la reconnaissance du statut de la femme en tant qu'agricultrice, le rôle de la femme dans la protection des ressources naturelles et de l'environnement, l'impact des politiques d'ajustement structurel et les accords commerciaux sur les ressources financières au niveau du ménage, l'expansion du secteur privé et les modalités d'accès des femmes en raison de leur manque d'indépendance financière et de leur niveau d'instruction.

Il est de plus en plus évident que les femmes doivent être intégrées aux grands courants du développement agricole et rural. Cela est essentiel si l'on veut exploiter au maximum le potentiel de la population active agricole masculine et féminine, afin d'assurer la sécurité alimentaire au niveau national. De nos jours, il est nécessaire d'élargir le débat en ne parlant pas uniquement du rôle de la femme, mais en se basant sur une analyse plus détaillée des différences entre les rôles socio-économiques des hommes et des femmes. Bien que certains plans nationaux de développement adoptés depuis le début des années 80 fassent mention de politiques et de programmes pour les femmes, la majorité sont toujours largement axés sur le rôle reproductif et familial de la femme et continuent d'ignorer son rôle comme productrice et contribuant à l'économie nationale.

2. L'exemple du Projet de Développement des Parcours et de l'Élevage de l'Oriental marocain

En partant d'exemples concrets, tels que l'analyse de l'impact du Projet de Développement des Parcours et de l'Élevage de l'Oriental au Maroc, nous montrerons comment les besoins des femmes rurales ont été prises en compte et quelles sont les difficultés qui doivent encore être surmontées.

Un rapport récent préparé pour le FIDA (Fonds international de développement agricole) sur le projet de développement des parcours et de l'élevage de l'Oriental (PDPEO) au Maroc met en évidence les difficultés majeures rencontrées telles que:

- la difficulté d'assurer un encadrement féminin stable;

- les activités qui ont été développées concernent les sphères de la santé, l'hygiène, le petit élevage, l'artisanat textile, la relation entre l'environnement et la collecte du bois et de l'alfa, et l'initiation à l'action coopérative des activités, n'ont répondu que dans une certaine mesure aux besoins des femmes;

- les activités génératrices de revenus ont été centrées sur l'artisanat textile, l'aviculture et récemment l'apiculture et l'introduction de la chèvre laitière, mais sans obtenir une adhésion complète sur ces derniers thèmes;

- des actions ponctuelles ont été menées afin d'introduire des techniques susceptibles de réduire la charge de travail des femmes et de protéger l'environnement tels que les fours à gaz, les fours améliorés, les fours solaires, les charettes-citernes pour le transport de l'eau, initiatives qui, sans aucun doute, améliorent la situation des femmes, mais sont encore trop limitées pour avoir un impact réel.

Lorsque l'on essaie d'évaluer l'impact du programme, on peut retenir les points suivants:

- La portée des opérations de vulgarisation est faible sur le plan quantitatif et on dispose de peu d'informations permettant de mesurer l'impact des actions entreprises;

- le manque d'indicateurs pertinents aptes à mesurer le degré de réception des messages et d'efficacité des campagnes de vulgarisation;

- le champ d'action du programme de vulgarisation se limite en général aux femmes proches des centres ruraux ou urbains et le nombre de femmes touchées reste extrêmement faible;

- les femmes manifestent une sensibilité marquée envers les thèmes sociaux et humains (soins aux enfants et planning familial) et un faible intérêt face aux questions techniques (conduite de l'élevage et développement de l'esprit coopératif);

- le problème fondamental est l'adaptation des thèmes développés aux besoins des femmes et la compréhension effective des messages;

- la nécessité de favoriser l'esprit de participation, d'assurer la viabilité des projets et de responsabiliser les femmes a été soulignée, mais les contraintes socio-culturelles sont difficiles à surmonter;

- le manque de mobilité des femmes pour assurer la commercialisation des produits (raisons socio-culturelles) et leur dépendance vis-à-vis des intermédiaires;

- la nécessité de connaître le milieu et d'avoir des liens étroits avec la recherche et le développement;

- la nécessité de comprendre, au-delà des conventions sociales, quel est le véritable pouvoir d'influence des femmes, et quel est leur poids économique réel;

- l'utilité de s'interroger sur l'impact général d'un projet sur les femmes et de se demander quelles ont été les répercussions favorables sur le mode de vie familiale en termes de revenus mais aussi de confort, d'amélioration de l'habitat, de la diminution des charges de travail. Est-ce que la politique d'ensemble du projet a eu une incidence positive sur les femmes? Est-ce que l'augmentation des revenus a apporté un allégement du travail des femmes ou une disponibilité financière supplémentaire? Les points d'eau implantés par le projet ont-ils eu une répercussion positive sur les corvées d'eau que la femme doit généralement assumer?

- la démarche participative souvent évoquée par les projets ne réussit pas toujours à prendre en compte les besoins et les attentes de bénéficiaires, surtout lorsque les conditions ne permettent pas aux femmes de s'exprimer librement.

Ces quelques points soulevés n'apportent pas une solution à l'insertion des femmes, mais c'est sur la base d'une telle analyse et des discussions avec les bénéficiaires qu'un programme pourra être élaboré en fonction des besoins réels des femmes.

Un développement agricole par et pour la femme rurale

Dr. Sabah BENJELLOUN
INSTITUT AGRONOMIQUE ET VETERINAIRE HASSAN II
DÉPARTEMENT DE NUTRITION

INTRODUCTION

En milieu rural, la femme, comme la décrit Dr. Longhurst, spécialiste du développement rural, est le pivot entre la production et la consommation (Longhurst, 1983). En effet, le rôle de la femme dans la génération du revenu familial est souvent double: par ses activités à l'intérieur du foyer, elle permet d'épargner le temps des autres membres de la famille, les rendant ainsi disponibles pour un travail rémunéré; par une activité génératrice de revenu monétaire, elle participe directement aux dépenses familiales.

Malheureusement, peu d'efforts ont été consentis jusqu'à présent pour l'amélioration des conditions de la femme, tant au niveau de la recherche qu'au niveau des actions de développement. Pendant longtemps, les activités qui sont regardées comme étant du ressort de la femme n'ont reçu qu'une attention minime lors du classement des priorités d'intervention et de la compétition pour les ressources techniques limitées. Par exemple, la collecte de bois comme combustible étant la responsabilité des femmes, les pays ont couru le risque de la déforestation jusqu'à ce que les gouvernements ne se rendent compte du problème. De même, l'approvisionnement en eau pour la consommation domestique étant la charge des femmes, l'eau de boisson est restée une priorité inférieure du développement rural, jusqu'à ce qu'il ait été démontré que le coût économique des problèmes de santé qui en résultent était élevé. Actuellement, les professionnels du développement sont de plus en plus conscients du coût énorme de l'ignorance délibérée du rôle de la femme.

Cette introduction n'a pas pour but de magnifier le rôle de la femme, par rapport à celui de l'homme, dans la vie familiale. Il est évident que le concours de leurs efforts est nécessaire à l'amélioration des conditions de vie de la famille. Néanmoins, il est nécessaire d'insister sur le fait que l'amélioration des conditions de la femme, à savoir son état nutritionnel, sanitaire, éducationnel, et économique, ne peut qu'avoir des retombées positives sur le bien-être de l'ensemble des membres de la famille ainsi que sur le développement national global.

1. Rôle des femmes rurales dans l'entretien de la famille

1.1. Rôles des femmes rurales à différentes étapes de la vie

Durant chaque étape du cycle de la vie, les femmes ont des rôles biologique, économique et culturel bien définis. Outre la discrimination dont les filles font l'objet en matière de nutrition et de santé, les petites filles sont éduquées dans un esprit de docilité et d'abnégation. A la place de l'école ou du jeu, il leur est imposé de travailler à la maison ou sur la ferme. L'entretien des petits frères et soeurs leur est souvent délégué. Dans la plupart des cas, la corvée d'eau potable leur incombe. Ces rôles affectent négativement leur croissance et leur état de santé. Malgré le fait que les activités productives sont effectuées par les garçons et les filles, l'effet sur les filles est à plus long terme. Par exemple, une fille de petite taille est plus susceptible de donner des enfants de petite taille lorsqu'elle enfantera. Le fait que l'inscription à l'école est plus élevée parmi les garçons augmente la charge de travail des filles en même temps qu'il diminue leurs chances d'être employée plus tard dans la vie.

Lorsque les filles grandissent, les pressions culturelles en faveur d'un mariage précoce les confrontent à un risque majeur. Une fois mariées, le conflit entre leurs différents rôles prend encore plus d'ampleur.

Dans la plupart des cultures, les soins des enfants et les soins de santé des membres de la famille est de la responsabilité des femmes. Les soins aux âgés, aux malades, et aux mourants sont également la responsabilité des femmes (Mc Guire et Popkin, 1990). Les femmes sont le lien crucial entre la famille et les systèmes de santé traditionnels et modernes. Ainsi, aux femmes incombent les responsabilités d'amener les enfants aux séances vaccinations, de se procurer ou de produire les sels de réhydratation pour les enfants diarrhéiques, d'allaiter les enfants jusqu'à six à 24 mois et de les supplémenter d'une manière valable, et d'amener les enfants de moins de cinq ans au programme de surveillance nutritionnelle afin d'être pesés. Ces activités sont consommatrices de temps (surtout celles qui sont répétitives) et peuvent limiter la participation des femmes aux programmes d'activités génératrices de revenu.

En général, les études montrent que les femmes dans les pays pauvres ont beaucoup moins de temps de loisir que les hommes, car elles s'occupent de la majorité des activités domestiques et sont aussi actives économiquement.

1.2. Rôle des femmes rurales dans la sécurité alimentaire de la famille

La préparation des aliments et leur distribution au niveau familial est la responsabilité des femmes; cette responsabilité comprend souvent la collecte de combustible ainsi que l'apport d'eau pour l'utilisation domestique. Dans plusieurs cultures, les femmes sont aussi responsables en partie du système de production alimentaire. La Commission Économique des Nations Unies pour l'Afrique estime que 70% de la production alimentaire est effectuée par les femmes. Dans presque toutes les cultures, les femmes se chargent de la production jardinière des légumes et de l'élevage de petits animaux comme les chèvres, les cochons, les lapins, et la volaille. Pour certains élevages, il y a une certaine répartition des tâches entre les hommes et les femmes. Par exemple, dans les sociétés nomades, les hommes s'occupent des bovins la plupart du temps, les déplaçant sur de longues distances à la recherche de l'eau et du pâturage; les femmes s'occupent des vaches gestantes et allaitantes et des nouveaux-nés. Elles influencent le nombre de veaux qui survivent, car elles contrôlent la quantité de lait qui leur est donnée et celle qui est réservée à la consommation familiale.

Dans la plupart des sociétés africaines, les femmes participent à raison de 70% du temps total consacré à la production alimentaire, à 100% du temps consacré à la transformation des aliments, à 50% du temps consacré au stockage des aliments et à l'élevage, à 60% de la commercialisation, à 90% du temps consacré à la recherche de l'eau et à 80% du temps consacré à la collecte du bois de chauffage (Gittinger, 1990).

Une étude des systèmes de production agricole et de la sécurité alimentaire familiale dans trois pays de l'Afrique Occidentale (Longhurst, 1985) a montré que dans les trois pays (Nigeria, La Gambie, et Sierra Leone), les femmes assuraient une large responsabilité pour garantir la sécurité alimentaire familiale. L'auteur a noté que même au Nigeria où la réclusion interdit aux femmes le travail dans les champs, elles cultivent des petits jardins de manière intensive, afin d'assurer un certain apport alimentaire à la famille. En Gambie et en Sierra Leone, elles jouent un rôle égal à celui de l'homme dans la production alimentaire au niveau familial. En plus, les femmes et les enfants complémentent le régime alimentaire familial par la cueillette de fruits et légumes sauvages.

Lors d'une étude sur l'impact nutritionnel des systèmes de production agricole au Kenya, il a été rapporté que les foyers dans lesquels le système de production agricole était géré par une femme avaient moins de problèmes de malnutrition (Hitchings, 1982). En effet, plusieurs études de par le monde ont montré que le revenu gagné par la mère de famille a plus de chance d'être utilisé dans les dépenses immédiates de la famille (comme les dépenses alimentaires) que celui gagné par le père de famille (Trenchard, 1987; Kennedy and Oniang'o, 1990). Ces études ont montré que ce dernier a tendance à utiliser son revenu dans les grandes dépenses, telles que le logement ou les investissements agricoles de grande envergure.

2. Rôles des femmes rurales dans les systèmes de production agricole

L'Organisation Internationale du Travail estime que 78% des femmes en Afrique sont actives en agriculture, comparé à 64% des hommes (Gittinger, 1990). Malheureusement, les données gouvernementales sous-estiment souvent le nombre de femmes actives en agriculture. Il est estimé que si le travail non payé des femmes au foyer se voyait attribuer une valeur économique, il ajouterait à peu près le tiers (ou quatre trillions de dollars) au produit économique annuel mondial (USAID, 1991).

Au Maroc, les statistiques officielles indiquent que les femmes constituent 16% de la main d'oeuvre en agriculture et 23% dans le secteur non agricole (Islam et Dixon-Mueller, 1991). L'Enquête Nationale sur les femmes rurales réalisée par le Ministère de l'Agriculture et de la Réforme Agraire en 1987 montre que le temps que la femme rurale consacre aux différentes activités est en moyenne de 12 heures et atteint 19 heures en zones irriguées (MARA, 1992). Parmi les activités de la femme rurale au Maroc au niveau de l'exploitation, on note la traite des vaches, le barattage du lait, le petit élevage, plusieurs des travaux liés aux cultures maraîchères et aux légumineuses, la préparation des semences et des fertilisants, et l'aide à l'opération du semis. D'autres activités incluent le désherbage, le binage, le séchage, le démariage, et la moisson manuelle des céréales. Lorsque la moisson est mécanisée, les femmes s'occupent également du glanage après le passage des moissonneuses batteuses. La récolte des cultures maraîchères délicates est également effectuée par les femmes. Sur les plantations, les femmes participent à la cueillette de fruits. Enfin, la femme participe aussi à l'entreposage, le conditionnement, la conservation et le stockage des produits.

Une étude dans les bassins versants de l'Oued Lakhdar et de l'Oued Tassaout a montré que la femme travaille en moyenne 16 à 17 heures par jour sans interruption, se consacrant à des activités aussi diversifiées que pénibles. En effet, en plus du travail domestique dont lui incombe l'entière responsabilité, une bonne partie du travail en dehors de la maison (agricole et non agricole) lui revient également (Benjelloun, 1995).

Malgré cette participation massive aux activités agricoles, les revenus de la vente des produits commercialisés par les femmes ne sont détenus par les femmes que dans 50% des cas (MARA, 1992). Aussi, concernant la prise de décision, la vente et la location de la terre, l'achat des intrants et la répartition des cultures reviennent totalement aux hommes. Les femmes ne participent que dans 50% des cas aux décisions relatives à l'équipement du foyer et l'achat des vêtements et dans 87% pour l'éducation des enfants (MARA, 1992). Les femmes dans les régions de l'Oued Lakhdar et de l'Oued Tassaout ne sont que rarement consultées à propos des activités agricoles et pas toujours dans les affaires domestiques (Benjelloun, 1995).

Les femmes dans le Pakistan rural passent 50% de leur temps dans la participation directe aux opérations agricoles sur les champs (Hassan, 1984). Neuf heures parmi les 18 sont dépensées dans la garde des animaux, la traite des vaches, la transformation du lait, le travail sur les champs (cultivant, désherbant, et moissonnant), la collecte du bois et la préparation du feu pour la cuisson, et le transport des repas à leurs maris dans les champs. En plus, elles passent, en moyenne, deux heures à s'occuper des enfants surtout si elles sont allaitantes.

3. Impact des projets de développement agricole sur les femmes rurales

3.1. Impact sur le rôle de la femme dans l'agriculture

Les projets de développement agricole ont affecté ou affectent encore le rôle joué par la femme dans le système de production agricole. Certains projets ont simplement ignoré la femme rurale et se sont adressés seulement ont hommes. Ces projets ont parfois même amélioré la situation des hommes, alors qu'ils ont détériore celle des femmes (Cloud, 1979). Ceci est dû au fait que souvent, les planificateurs de ces projets ne comprennent pas l'économie locale, le partage de travail, et le contrôle des ressources. Guegan (1985) a montré, à partir de l'exemple du Niger, comment le défaut de statistiques officielles en ce qui concerne la productivité agricole féminine et l'apport des femmes dans l'économie nigérienne, entraîne - lors de la mise en place de projets agricoles, en particulier de projets hydro-agricoles - la non-prise en compte du travail réel des femmes et provoque pour ces dernières des difficultés pour maintenir leur possibilité de production agricole, support indispensable à l'équilibre alimentaire familial.

Alors que dans les sociétés agricoles traditionnelles, les femmes étaient reconnues comme productrices d'aliments et donc étaient accordées des droits sociaux et économiques, l'intégration de ces sociétés dans la division internationale du travail a conduit à une autre division de travail par sexe et âge, qui a affecté négativement les femmes. Ainsi, dans certains grands projets de développement agricole, les agents du gouvernement ont simplement ignoré les systèmes locaux d'héritage qui accordaient la terre aux femmes (Savane, 1981).

Dans l'Est de la Caraïbe, malgré la participation des femmes au système de production agricole, elles reçoivent en moyenne un revenu inférieur à celui des hommes et beaucoup d'entre elles se décrivent comme femmes au foyer plutôt que comme paysannes (Chase, 1988). Ces femmes reçoivent également moins d'attention de la part des vulgarisateurs agricoles.

D'autre part, il a été remarqué que dès qu'une technologie agricole est améliorée, la production passe dans les mains de l'homme, du fait que les projets qui amènent cette amélioration s'adressent aux hommes seulement. Par exemple, le contrôle des champs de riz par les femmes en Gambie était presque parfaitement corrélé avec le niveau technologique de production (von Braun, 1988).

Par ailleurs, plusieurs études montrent que le passage de l'agriculture de subsistance à l'agriculture commerciale s'est traduit, spécialement en Afrique, par un passage de la responsabilité du budget familial de la femme à l'homme (Pinstrup-Andersen, 1983).

Au Maroc, le Projet pastoral de la Haute Moulouya a eu un impact profond sur la femme (Teitlbaum, 1980). En effet, sur le plan social, l'élevage caprin étant sous le contrôle des femmes, son développement aurait pu profiter aux revenus des femmes par la vente de produits laitiers et par la fabrication et la vente de tapis. Or, l'orientation "ranch" du projet a plutôt réduit l'élevage caprin, ce qui a affecté négativement le revenu des femmes. En outre, beaucoup de femmes dans la Haute Moulouya, surtout celles des familles pauvres fabriquent des vêtements et des couvertures à partir de la laine de mouton pour leur famille, mais elles fabriquent aussi d'autres objets destinés à la vente. Ainsi, la réduction de la production de laine, causée par le projet, non seulement diminue le revenu, mais entraîne aussi une distribution intra-familiale du revenu au détriment des femmes. Ceci peut entraîner des pertes sur le plan nutritionnel, puisque les femmes dans cette région participent de façon déterminante au budget familial, surtout pour la nutrition et la santé des jeunes enfants. La marginalisation du rôle économique des femmes s'accompagne généralement d'un accroissement des taux de divorce, de prostitution et de maladies vénériennes. Cette situation entraîne une plus grande négligence des enfants et la dégradation de leur statut nutritionnel.

3.2. Impact sur la charge de travail de la femme

La plupart des projets agricoles ambitionnent et ont heureusement pour effet d'augmenter le revenu et l'emploi des femmes. Malheureusement, ils ont parfois aussi pour effet d'augmenter la charge de travail des femmes, sans pour autant augmenter leur revenu (USAID, 1988). En effet, un des impacts les plus négatifs des projets de développement agricole, a été l'ignorance sinon la détérioration des conditions de la femme. Il est souvent argumenté que l'agriculture commerciale accroît la pression sur l'emploi du temps quotidien de la femme rurale (Fleuret et Fleuret, 1980). Certains projets ont entraîné une intensification du travail agricole auquel la femme participe, sans se soucier d'alléger ses autres fardeaux.

Dans une étude de l'impact du projet d'irrigation dans la région du Doukkala au Maroc, les femmes se plaignent de l'augmentation de leur charge de travail: «Avant l'irrigation, on travaillait moins et on n'avait pas besoin de beaucoup d'argent» (Alaoui, 1987). Un rapport d'évaluation de la Banque Mondiale de ce même projet (The World Bank, 1988) remarque que les femmes regrettent aussi qu'il se soit également soldé par une moindre scolarisation de leurs filles, à cause de l'augmentation de la quantité de travail agricole.

L'évaluation de l'impact du Projet d'irrigation dans la région du Bhima en Inde a montré que le travail de la femme a augmenté en moyenne de quatre heures par jour pendant les périodes de moisson et de deux heures pendant le reste de l'année (Biswas, 1988). Cette augmentation était due à un accroissement des effectifs des troupeaux dont les femmes sont responsables, et à l'utilisation plus intense de la terre pendant l'année. De même, au Niger, après l'introduction de la culture de coton, le temps de travail des femmes dans les champs a augmenté de quatre jours pendant la période d'hivernage (Guegan, 1985).

L'étude de l'impact d'un projet de développement rural en Turquie (Rabeneck, 1985) a rapporté, d'après les déclarations des sages-femmes des villages, que l'incidence des accouchements prématurés et des avortements spontanés augmente pendant la période de moisson. Elles attribuent ceci à l'augmentation du travail physique des femmes.

4. CONCLUSION

En résumé, il est fortement recommandé que les politiques rurales prennent en compte ce double objectif: mettre en oeuvre à la fois un développement rural qui profite réellement aux femmes, et une promotion féminine, dont profitera immédiatement le développement rural. Les aspects qui paraissent être prioritaires à l'heure actuelle sont: l'intégration effective des femmes rurales dans les projets de développement agricole, la vulgarisation auprès des femmes en matière d'agriculture, d'élevage, de nutrition et de santé. L'exploration des possibilités d'amélioration de leur conditions économique, en particulier par la création d'activités génératrices de revenu, devrait être entreprise en parallèle avec les projets de développement agricole. Le progrès des sociétés rurales passe par l'amélioration de la condition féminine.

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La situation des femmes rurales au Maroc

Mme Khadija DOUBLALI

MINISTERE DE L'AGRICULTURE ET DE LA MISE EN VALEUR AGRICOLE
DIRECTION DE L'ENSEIGNEMENT LA RECHERCHE ET DU DÉVELOPPEMENT

1. Situation des femmes rurales au Maroc

De par leur rôle fondamental dans la société rurale, les femmes constituent un "public" de premier ordre, à prendre en compte de manière prioritaire dans toute stratégie de développement.

L'analphabétisme, qui maintient la femme à l'écart du progrès technique et social, ainsi que l'insuffisance des infrastructures rendent souvent fort pénible l'exécution de leurs tâches quotidiennes dans l'exploitation familiale: activités ménagères et activités liées à l'agriculture et l'élevage.

Les travaux différent selon l'âge, la saison et les périodes. Quand la charge des activités agricoles diminue, la femmes consacre l'essentiel de son temps aux activités ménagères, à l'éducation des enfants et à l'élevage domestique, ainsi qu'à certaines pratiques artisanales.

Les charges de travail des femmes varient également en fonction des systèmes d'exploitation. Quand l'exploitation est en irrigué, la femme se trouve dans l'obligation d'assister son mari dans les travaux agricoles tout au long de l'année, car la rapide rotation des cultures supprime l'opportunité des périodes creuses. En effet, pour l'ensemble des zones, le temps consacré aux différentes activités est en moyenne de 12 heures. (Réf.: Enquête nationale sur les femmes rurales 1987/MAMVA).

La responsabilité de la femme se trouve répartie à trois niveaux différents:

- au sein de la famille
- au niveau de l'exploitation agricole
- et dans l'économie rurale et la prise de décision

Outre les activités domestiques, la femme rurale joue un rôle primordial dans les activités à caractère productif: l'élevage domestique est l'activité la plus importante de la femme, c'est elle qui se charge de l'alimentation et de l'entretien des animaux.

Généralement, la traite des vaches, le barattage et la transformation du lait et le petit élevage relèvent directement de sa responsabilité; ils constituent son activité économique principale.

Dans le domaine de la production végétale, les femmes sont particulièrement actives dans les cultures maraîchères et les légumineuses alimentaires et se chargent des manipulations qui exigent une certaine souplesse. Elles participent à la préparation des semences et des fertilisants, et réalisant le semis sur le terrain. L'opération de recouvrement des semences leur revient également Les travaux d'entretien des cultures sont le plus souvent pratiqués par les femmes, ils regroupent le désherbage, le binage, le séchage et le démariage.

Dans les zones accidentées, souvent les femmes contribuent aux récoltes des céréales, les moissons sont alors effectuées manuellement. Dans les zones les plus riches et mécanisées, les femmes se chargent du glanage après le passage des moissonneuses batteuses, tandis que pour les légumineuses, elles pratiquent elles-mêmes manuellement la récolte quand cette dernière n'est pas mécanisée.

La plupart des cultures maraîchères, dont les fruits sont fragiles et délicats, ainsi que les pommes de terre, sont récoltées par les femmes. En arboriculture, les femmes participent à toutes les cueillettes de fruits. Leur participation, s'étend également à l'entreposage, le conditionnement, la conservation et le stockage des produits.

Ces dernières années, la contribution des femmes aux travaux agricoles devient de plus en plus importante, surtout dans les zones irriguées.

Quant à leur rôle dans l'économie rurale et la prise de décision, on peut dire d'une manière générale, que si la commercialisation des produits vivriers et des animaux est surtout du ressort du mari, la femme commercialise quant à elle les produits laitiers - en particulier le beurre -, la volaille et les produits d'artisanat.

Les revenus procurés par les ventes des produits commercialisés par les femmes leur reviennent à hauteur de 50% environ. Elles ont une importante autonomie de décision en ce qui concerne l'équipement du foyer et l'achat des vêtements, ainsi qu'à propos de l'éducation des enfants. Par contre, la vente et la location des terres, l'achat des intrants et le choix de l'assolement répartition des cultures relèvent des décisions du mari. Enfin, 10 à 15% de femmes sont chefs d'exploitation, et, à ce titre, preneurs de décision à part entière.

Donc, de la très grande diversité des situations, on peut retenir trois constantes quant aux rôles de la femme en milieu rural:

· la contribution des femmes aux travaux agricoles est importante;
· les tâches domestiques et sociales mobilisent beaucoup de temps et d'énergie.
· l'éducation des enfants, la préparation des repas et l'approvisionnement en eaux et en bois
· les activités féminines sont variées (transformation des produits vivriers ou commerce).

Vue la diversité de ces rôles féminins, on déduit donc que la vulgarisation féminine a un champ d'intervention plus large et englobant que la vulgarisation agricole, puisqu'elle doit agir non seulement dans le champ technique, mais aussi dans le champ social, domestique, etc... Cette vulgarisation agit donc dans un système complexe sur un terrain sensible ce qui rend sa situation délicate à cerner.

En ce qui concerne les difficultés qui s'opposent au à l'amélioration du statut des femmes dans leur environnement socio-économique et technique, on peut citer ce qui suit:

· le poids des traditions, qui pèsent plus particulièrement sur elles, donc leur soumission aux normes sociales et valeurs culturelles limite leur participation aux actions de développement;

· leur surcharge de travail quotidien;

· leur difficulté d'accès à la terre, et dans certains cas, la diminution de leurs droits fonciers traditionnels.

· leur difficulté pour obtenir des crédits, faute de pouvoir fournir des garanties

· le taux d'analphabétisme très élevé des femmes

· les moyens matériels très limités des familles rurales.

2. Actions du MAMVA en matière de développement économique en faveur de la femme rurale

Conscient de l'importance des femmes rurales dans le processus de développement, le MAMVA accorde une grande importance à la composante féminine dans les activités de développement, notamment en matière de formation et d'encadrement, à travers l'organisation d'actions de vulgarisation, le renforcement du personnel féminin et son perfectionnement, la promotion des coopératives féminines; l'élaboration de projets générateurs de revenus, ainsi que la réalisation de projets de développement rural en collaboration avec les différents départements ministériels, les ONG et les organismes internationaux.

2.1. Actions de vulgarisation au profit des femmes rurales

Ces actions ont consisté en:

· l'organisation de concours
· réunions et journées d'information
· stages et reprises
· parcelles de démonstration
· voyages d'information
· actions dans différents projets femmes rurales.

2.2. Les recrutements

En vue de renforcer la participation de cadres féminins aux structures de vulgarisation, la Division de la Vulgarisation Agricole (DVA) a recruté, durant la période 1990-92, 125 agents féminins dont 13 ingénieurs et 112 techniciennes, ce qui a porté le nombre de vulgarisatrices à 180 en fin 1992 contre 155 en 1990.

2.3. La formation

Des sessions de formation sont organisées au profit des vulgarisatrices. A cet effet, il importe de signaler qu'un programme intensif de formation a été mené en collaboration avec l'UNICEF pendant la période 1987-89, et ce dans le but de permettre aux vulgarisatrices d'appliquer sur le terrain les connaissances acquises.

2.4. Coopératives féminines et projets générateurs de revenus

Malgré les difficultés à organiser les femmes rurales en groupements, diverses actions de vulgarisation sont menées pour la promotion des coopératives féminines. Actuellement, le nombre de coopératives féminines agricoles s'élève à 17 unités, regroupant 409 adhérentes. Ces coopératives concernent la production agricole, avicole, ovine et autres. Par ailleurs, un intérêt particulier a été accordé à l'identification et au financement de projets générateurs de revenus dans le but d'aider les femmes rurales à supporter les charges familiales. Jusqu'à fin 1992, 16 projets ont été identifies, mais seulement 2 ont été financés et sont en cours d'exécution à Tanger et Settat.

2.5. Accès des femmes au crédit

L'objectif essentiel de la cellule de la promotion de la femme rurale créée à la CNCA, est d'étendre les services financiers à un grand nombre de femmes rurales, en vue de promouvoir leurs activités génératrices de revenu: dans ce sens, les crédits sont destinés pour financer des programmes ambitieux réservés à la femme rurale.

Les résultats obtenus dans le cadre de cette opération ont été très encourageants puisque le nombre des clientes servies est passé de 400 en 1989 à près de 2 000 en 1991. Parallèlement, les crédits attribués ont quintuplé d'une année à l'autre, tandis que les dépôts effectués ont augmenté de 300%. Les prêts accordés ont été destinés essentiellement au petit élevage, au creusement de puits, à l'acquisition de petit matériel agricole, à l'artisanat et à la construction de logements.

2.6. Alphabétisation des femmes rurales

Un projet en matière d'alphabétisation des populations rurales est mis en oeuvre en coopération avec le Ministère de l'Emploi et des Affaires Sociales et de la Banque Africaine pour le Développement. Ce projet concerne l'alphabétisation de 2 629 personnes, dont 649 sont des femmes soit 24,68%, relevant de 30 coopératives de la réforme agraire, 27 vulgarisatrices sont mobilisées pour la réalisation de cette activité.

2.7. Etude sectorielle sur l'intégration des femmes au développement

L'objectif de cette étude est de préparer une stratégie visant une meilleure intégration des femmes dans le développement. Cette recherche a été menée avec l'assistance financière de la Banque Mondiale, elle était réalisée au niveau de 39 zones. Un atelier de synthèse des résultats est prévu pour le mois de Mai 1995.

2.8. Autres activités de la vulgarisation féminine

Il y a lieu de signaler qu'en dehors des actions réalisées dans le cadre du Plan Directeur de la Vulgarisation, de nombreuses actions ont été entreprises en collaboration avec des organismes internationaux, concernant l'éducation populaire, l'élevage pastoral, l'amélioration des conditions de vie des femmes, l'implication des femmes dans l'élaboration des programmes de développement.

3. Contraintes et recommandations

En ce qui concerne les contraintes qui s'opposent à un encadrement satisfaisant des femmes rurales, on peut citer quelques unes:

- d'abord les moyens humains: le nombre des vulgarisatrices est très réduit, ce qui se traduit par un faible ratio d'encadrement.

- le nombre de recherche et des études dans le domaine des femmes rurales est insuffisant, ce qui a pour conséquence la persistance les lacunes quant à la situation exacte de la femme rurale.

- les moyens logistiques en particulier ceux liés au transport, sont très réduits, ce qui handicape en grande partie les actions de vulgarisation féminine.

Nos recommandations seront donc les suivantes:

- renforcement des moyens humains des cellules de la vulgarisation féminine.

- dotation des cellules de vulgarisation féminine en moyens matériels nécessaires.

- motivation des vulgarisatrices par l'organisation des stages de formation à l'intérieur et à l'extérieur de pays.

- encourager le financement des recherches-actions sur les femmes rurales, afin d'élaborer des programmes d'encadrement plus adaptés, et d'identifier des projets générateurs de revenus pour les femmes.

- encourager la création de groupements productifs par les femmes rurales et le financement des activités génératrices de revenus pour ces femmes.

- trouver une formule d'encadrement plus adaptée par le recrutement des aides vulgarisatrices.

- réfléchir sur les possibilités de soulager les femmes de certaines corvées, principalement, celle de l'eau et du bois, en substituant d'une part, le bois par d'autres sources d'énergie tel que le biogaz, l'énergie solaire et le gaz, et d'autre part, en équipement des puits par les pompes.

Annexe: Unité d'élevage caprin et de fabrication de fromage au profit des femmes rurales à Melloussa, province de Tanger

1. NATURE ET BUT DU PROJET:

- Création d'une unité spécialisée en élevage caprin de race du Nord Marocain gérée par les femmes en vue de rentabiliser leur travail et d'améliorer leur revenu par la vente du lait produit par un troupeau exploité en commun.

- Valorisation de la production laitière caprine par le montage d'une fromagerie.

2. LOCALISATION DU PROJET

Le projet concernera dans une première phase un groupe de 20 femmes du village Roummane de la commune rurale Melloussa Province de Tanger.

3. CONSISTANCE DU PROJET

L'unité caprine sera constituée d'une chèvrerie de 200 m2, le troupeau de base serait de 100 chèvres reproductrices.

4. ÉTAT D'AVANCEMENT DU PROJET

Sur une superficie d'un hectare mis à la disposition de l'Union des Femmes Marocaines par la collectivité ethnique du Douar Roummane, les constructions de la chèvrerie sont au stade d'achèvement.

5. SOURCES DE FINANCEMENT

Le terrain est cédé au projet par la collectivité ethnique du douar Roummane.

Le financement relatif à l'acquisition de chèvres, à la construction des bâtiments et à l'achat d'un véhicule est assuré par le programme des Nations Unies pour le Développement.

L'encadrement du projet est assuré par les services locaux du Ministère de l'Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole.

6. ORGANISME DE GESTION

La gestion de l'unité sera assurée par la Sous-section de l'Union des Femmes Marocaines de Melloussa avec l'aide technique des cadres du Ministère de l'Agriculture.

Organisation de l'élevage ovin et caprin et de la transformation du lait en Sardaigne

A. PIRISI, A. LEDDA, M.F. SCINTU

ISTITUTO ZOOTECNICO E CASEARIO PER LA SARDEGNA
LOC. BONASSAI - 07040 OLMEDO (SASSARI - SARDEGNA) ITALIA

RÉSUMÉ

La Sardaigne est une île située au centre de la zone méditerranéenne et caractérisée par un relief de collines et de montagnes. L'élevage des espèces ovines et caprines y est d'une importance notable: environ 4.300.000 têtes; 292 millions de litres par an de lait de brebis et 16,9 millions pour le lait de chèvre; environ 25.000 éleveurs, soit = 30% des actifs agricoles.

Le système d'élevage le plus commun est le système extensif. Cependant, dans les zones de plaine, on note un progrès sensible des systèmes intensifs ou semi-intensifs. En fait, l'élevage caprin est caractérisé de manière générale par la précarité ou l'absence de structures d'exploitation, et se trouve relégué aux zones marginales, à végétation de type arbustif (maquis méditerranéen).

Les laits de brebis aussi bien que de chèvre sont presque intégralement destinés à la transformation, effectuée à trois niveaux économiques différents: par les industriels privés (50% de la production), par les coopératives (35%) et par les éleveurs eux-mêmes (15%). Cette situation illustre bien la prépondérance qu'exercent désormais sur le secteur les transformateurs industriels. Ceci peut être considéré comme le résultat de la politique régionale pour le secteur laitier, qui depuis les années cinquante, à travers d'importants financements publics, a permis la création de coopératives d'éleveurs et l'amélioration des structures de la transformation, provocant un abandon sensible de la fabrication fermière.

Le gouvernement de la Sardaigne a mis en oeuvre un programme - actuellement en cours - pour l'amélioration des infrastructures des exploitations (électrification et adduction d'eau, logement des animaux...), de sorte à permettre une augmentation et une stabilisation de la productivité des troupeaux et une amélioration qualitative du lait, en réaction aux récentes directives européennes (n° 92/46 et 94/71) qui définissent les normes sanitaires pour la production et la commercialisation du lait et produits dérivés. Parallèlement, l'Association des Éleveurs de Sardaigne conduit depuis une dizaine d'années un programme d'assistance zootechnique et vétérinaire qui comporte entre autres le contrôle systématique et l'amélioration de la qualité du lait à la ferme et qui fournit également des informations sur la gestion des élevages.

Pour finir, les unités de recherche, tant universitaires que régionales (IZCS), oeuvrent à une meilleure valorisation de la matière première, à travers diverses études portant sur l'amélioration génétique, la reproduction, l'alimentation, l'optimisation des nouvelles technologies de transformation, sans oublier l'amélioration technique des trois fromages A.O.C. sardes: Fiore Sardo (1800 tonnes), Pecorino Romano (30 200 tonnes) et Pecorino Sardo (18 000 tonnes).

INTRODUCTION

La Sardaigne, avec ses 24 090 km² d'étendue est la deuxième île de la Méditerranée; par sa situation géographique (entre 38°50' de latitude Nord et entre 8°8' et 9°50' de longitude est), elle se trouve au centre de la Méditerranée Occidentale, en pleine zone climatique méditerranéenne, avec des précipitations moyennes annuelles pas vraiment insuffisantes (environ 600 mm par an), mais très irrégulièrement réparties sur l'année. En règle générale, les précipitations abondantes en automne et au printemps, diminuent en hiver et sont pratiquement inexistantes en été.

Ce climat influence considérablement le développement des pâturages naturels et des herbages qui montrent donc deux pics, l'un, réduit, en automne et l'autre, plus élevé, au printemps.

La morphologie de la région, est caractérisée par l'absence de plaines, et la prédominance des plateaux, collines et montagnes, qui représentent un habitat où les ovins et les caprins se sont adaptés avec facilité, comme le démontre la présence en nombre important du mouton sauvage, le mouflon (Ovis musimon), dans les montagnes de l'intérieur de l'île.

Les données du tableau 1, concernant la consistance du bétail et la production laitière de la Sardaigne, démontrent clairement que l'élevage de la brebis et de la chèvre laitières représente l'activité zootechnique prédominante dans la région.

Tableau 1: Effectifs et production de lait en Sardaigne (ISTAT 1992).


Effectifs (n°)

Lait (tonnes)

Bovins

310 400

1 799

Ovins

4 073 200

29 280

Caprins

292 600

1 360

Il faut aussi souligner le fait que, parmi les pays européens, l'Italie produit environ 21,2% du lait de brebis précédée en cela uniquement par la Grèce (23,8%). De plus dans ce contexte, la Sardaigne à elle seule réalise une production égale à 11,1% de la totalité, dépassant ainsi les niveaux de production de la France (7,9%) et de l'Espagne (10,4%).

Distribution de la production de lait de brebis en Europe

(F.A.O., 1992)

1. Le secteur ovin

1.1. Caractéristiques de l'élevage ovin en Sardaigne

La brebis de race Sarde est essentiellement une brebis laitière. Sa zone d'élevage, autrefois limitée à la Sardaigne, s'étend aujourd'hui à d'autres régions d'Italie (Lazio, Toscana, Umbria, etc.). Il s'agit d'une race de taille moyenne, avec un poids moyen de 40-45 kg pour les brebis et de 70-80 pour les béliers. La valeur du lait trait représente environ 70-75% de celle du produit total de l'élevage, tandis que la viande représente les 30-25% restant, celle de la laine étant pratiquement nulle. La production annuelle moyenne individuelle de lait trait, calculée sur 180 jours, se situe, pour les brebis contrôlées (livre généalogique), aux environs de 200 litres avec des pointes qui peuvent rejoindre les 500 litres.

Le système d'élevage le plus commun est le système extensif ou semi-intensif où l'alimentation des animaux est basée essentiellement sur l'utilisation directe des pâturages naturels ou des herbages et des prés, aujourd'hui de plus en plus complétée par des aliments concentrés et par du fourrage conservé (généralement du foin). L'alimentation du bétail et, par conséquent, sa productivité, étant basée principalement sur l'utilisation du pâturage, est fortement dépendante du climat qui détermine l'irrégularité et le caractère saisonnier de la production de lait.

En Sardaigne l'élevage ovin est actuellement pratiqué par environ 20 000 exploitations agricoles, avec un effectif moyen d'environ 155 têtes, dont 122 sont des brebis. Dans l'île on élève 4 073 000 têtes (environ 39% de l'effectif national) dont 2 248 000 brebis (ISTAT, 1992); le secteur ovin-caprin occupe environ 25 000 personnes ce qui représente environ 30% des personnes employées dans le secteur agricole.

1.2. Production du lait de brebis

La production de lait ovin en Sardaigne est estimée à environ 292 800 tonnes, ce qui représente environ 52% du total national (ISTAT, 1992). Le lait ovin est totalement destiné à la transformation fromagère, la quantité utilisée au niveau familial pour la préparation du Gioddu (yaourt typique de lait de brebis ou de chèvre) étant insignifiante.

Entre 1982 et 1992, une augmentation de la production de lait ovin égale à 19,2% a été constatée en Italie, tandis qu'en Sardaigne, pour la même période, l'augmentation a été égale à 40,3%. Plusieurs facteurs ont déterminé cette augmentation en Sardaigne: l'amélioration génétique de la race, la rationalisation des techniques d'élevage et les conditions de marché favorables ces dernières années en particulier pour le fromage Pecorino Romano.

La transformation du lait est effectuée en Sardaigne (mais le constat est valable aussi pour le reste de l'Italie) par trois catégories d'opérateurs économiques: les industriels, les coopératives, les éleveurs. En Sardaigne, 77 fromageries (39 privées et 38 coopératives) se consacrent à cette activité collectant environ 85-90 % du lait, tandis que le 10-15% restant est transformé à la ferme, principalement en fromage Fiore Sardo. Alors que les fromageries gérées aussi bien par les privés que par les coopératives possèdent des structures et des équipements modernes utilisant les technologies actuelles, les éleveurs quant à eux effectuent la transformation dans des conditions très précaires.

1.3. Importance et typologie de la production fromagère ovine

La quantité de fromage pur brebis produit annuellement en Sardaigne est estimée de 52 à 53 000 tonnes, dont 30 225 sont représentés uniquement par le Pecorino Romano (campagne fromagère 1993-94), à la production duquel contribue environ 62 % de la totalité du lait ovin produit en Sardaigne. Comme nous l'avons signalé précédemment et comme les données chiffrées le démontrent, la transformation du lait de brebis constitue la principale industrie agro-alimentaire de l'île. La quantité de fromages de brebis produite chaque année est répartie de la manière suivante: (tableau 2).

Tableau 2: Production des fromages pur brebis en Sardaigne

Types

Quantité (en tonnes)

Pecorino Romano

30 200*

Pecorino Sardo

16 000**

Fiore Sardo

900**

Fromages à pâte molle (Caciotta)

4 000**

Fromages canestrati

2 000**

TOTAL

53 100**

Ricotta (fromage de lactosérum)

16 000**

* Consorzio per la Tutela del Formaggio Pecorino Romano, ** estimations

1.4. Types et quantités de fromages ovins

L'État italien reconnaît et protège la Dénomination d'Origine (DO) pour trois de fromages sardes: le Pecorino Romano, le Fiore Sardo et le Pecorino Sardo. Le Pecorino Romano occupe la première place dans la production fromagère ovine de l'île et, si nous faisons la somme des quantités fabriquées en Sardaigne et dans le Latium (qui est l'autre région où ce fromage peut être fabriqué), le total de la production atteint actuellement 36 072 tonnes par année, ce qui représente environ 39 % du lait de brebis italien. Depuis quelques années la fabrication fermière du Pecorino Romano a complètement disparu, pour être remplacée par la transformation industrielle, aussi bien en Sardaigne que dans le Latium. On observe la même évolution pour le Pecorino Sardo pour lequel, toutefois, il existe encore une petite production fermière. La fabrication du Fiore Sardo, fromage typique de l'ancienne tradition fromagère de la Sardaigne, est en revanche encore aujourd'hui presque totalement réalisée par l'entreprise familiale, alors que l'on commence à effectuer des essais de production industrielle dans des entreprises privées et coopératives.

Hormis ces trois fromages à pâte dure et tendre et à longue ou moyenne période d'affinage, qui représentent la majeure partie de la production fromagère de la Sardaigne, on produit avec le lait de brebis une vaste gamme de fromages à pâte dure (généralement de type canestrato) et à pâte molle à courte période d'affinage (caciotta), qui sont vendus sur le marché sous diverses marques commerciales. Du sérum qui reste après la transformation du lait, on obtient la ricotta (type sérac), un produit avec une valeur nutritive élevée et de très haut niveau gastronomique, qui peut être vendu frais 24 heures après sa fabrication (ricotta "gentile") ou après salage et affinage d'environ un mois au minimum (ricotta affinée).

Bien que la transformation du lait de brebis soit désormais réalisée essentiellement dans des fromageries industrielles, le berger sarde (éleveur et fromager depuis toujours), n'a heureusement pas abandonné complètement cette activité à la ferme, en particulier pour la fabrication du Fiore Sardo. En effet, bien que l'on envisage aussi pour ce fromage la possibilité d'augmenter la production industrielle, on estime que la production à la ferme ne doit pas disparaître, mais qu'au contraire elle doit persister, augmenter et s'améliorer qualitativement.

Dans ce but, le Fiore Sardo a fait l'objet d'études, auprès de notre Institut, sur la technologie de fabrication et sur la microflore dominante, qui ont permis de mettre en évidence certains points critiques sur lesquels il est possible d'intervenir. Le but est celui d'élever le standard qualitatif moyen, sans pour autant en compromettre les caractéristiques de qualité fixées par la tradition et recherchées par le consommateur. Par ailleurs, les éleveurs qui produisent ce fromage ont constitué le Consorzio per la tutela del formaggio Fiore Sardo (Organisme qui s'occupe de la sauvegarde du fromage) qui, avec l'appui financier du Ministère de L'Agriculture ainsi que celui du Gouvernement Régional, s'engage à donner un élan à la modernisation des structures de transformation fermières et à la réalisation de petites fromageries équipées de façon simple, mais fonctionnelle.

A ce propos, il faut signaler que, sur initiative du Consorzio lui-même et avec la collaboration technique de l'Ente Régionale di Sviluppo e Assistenza Tecnica in Agricoltura11, seront réalisés d'ici peu les trente premières fromageries fermières modernisées, qui permettront au berger de produire dans le respect des normes nationales et communautaires en matière de transformation du lait. L'exploitation pastorale, opportunément restructurée de façon à ce qu'elle puisse se consacrer aussi à la transformation du lait, permettra de boucler le cycle qui va de l'élevage à la transformation du lait, jusqu'à la commercialisation du fromage Un type d'activité intégrée de cette façon permet sans doute d'optimiser la valorisation de la matière première, permettant à l'entreprise pastorale, d'un point de vue économique, d'accroître considérablement son revenu et d'un point de vue social, de valoriser au mieux une main-d'oeuvre qui, au sein de l'entreprise, serait inutilisée ou sous-utilisée.

11 (Établissement régional de développement et d'assistance technique agricole)

2. Le secteur caprin

2.1. Caractéristiques de l'élevage caprin

La race caprine sarde appartient au type laitier méditerranéen, elle est caractérisée par des animaux de taille variable selon les zones d'élevage (colline, montagne ou plaine) avec un poids moyen de 45 kg pour les chèvres et de 75 kg pour les boucs. Pour la chèvre de race sarde, la valeur de la production est surtout représentée par le lait, environ 65%, et par la viande, environ 35%; la production moyenne individuelle de lait trait se chiffre aux environs de 150 litres par lactation (8 mois environ).

Bien qu'il ne soit pas au même niveau que l'élevage de brebis, l'élevage caprin revêt lui aussi une grande importance pour la Sardaigne, essentiellement du point de vue social. Il représente en effet l'opportunité d'utiliser les ressources fourragères naturelles de certaines zones de collines et de montagnes, qui autrement resteraient inutilisées, et de ce fait, y assure la continuité et le maintien des activités agricoles.

En Sardaigne, l'élevage caprin est pratiqué par environ 5 000 exploitations situées en grande partie dans les provinces de Nuoro et de Cagliari. Il est surtout diffusé dans des endroits où l'alimentation des animaux se base essentiellement sur du maquis méditerranéen, c'est à dire de feuillages, de pousses et d'arbustes typiques de cette végétation qui, surtout pendant l'hiver et l'été, représente presque l'unique ressource alimentaire. Pour ce type d'élevage également, la Sardaigne occupe la première place parmi les régions italiennes: on y élève 292 000 caprins (dont 167 000 chèvres) qui représentent environ 22% de l'effectif national (ISTAT, 1992). La taille des troupeaux est très variable (de 80 à 400 têtes), avec un effectif moyen de 48 têtes par exploitation et 50% des élevages compris entre 100 et 200 têtes.

Contrairement à l'élevage ovin, l'importance de l'élevage caprin n'a subi aucune modification importante lors des dix dernières années et cela pour différentes raisons, à savoir: une rémunération insuffisante du lait de chèvre (son prix est normalement inférieur d'environ 20% par rapport à celui de brebis) et des produits dérivés, révolution des techniques agronomiques et zootechniques qui ont permis d'utiliser de meilleures zones de colline et de montagne pour l'élevage de la brebis laitière, reléguant celui de chèvre aux zones plus difficiles et marginales.

2.2. Les fromages au lait de chèvre

La production de lait de chèvre en Sardaigne est estimée environ à 16 900 tonnes (ISTAT, 1992) et représente environ 20% de la production nationale totale. Contrairement à ce qui se passe pour le lait de brebis, le lait de chèvre est en majeure partie transformé à la ferme par les éleveurs. On peut estimer qu'à peine 15-20% de ce lait est utilisé dans les fromageries pour la production de fromages mixtes de lait de brebis et de chèvre, ou pour la production sur petite échelle de deux types de fromages à courte période d'affinage: l'Ircano et le Biancospino, le premier à pâte molle et l'autre à croûte fleurie. Il s'agit de nouveaux produits pour la fromagerie caprine de la Sardaigne, fabriqués selon une technologie mise au point par notre Institut.

En raison de la priorité de la transformation artisanale et en raison du fait qu'une partie importante de lait est utilisée pour la fabrication de fromages mixtes, il est difficile d'estimer la quantité de fromage caprin produit en Sardaigne qui toutefois, en fonction d'un rendement moyen du lait (14-15%) peut être estimé à 2 300-2 500 tonnes par an. En ce qui concerne la transformation artisanale, les éleveurs travaillent dans des conditions extrêmement précaires; ils produisent surtout deux types de fromage, un à pâte crue et l'autre à pâte demi-cuite, qui ressemblent beaucoup aux fromages de lait de brebis aussi par leur aspect extérieur, mais qui sur le plan commercial occupent une position subalterne par rapport aux analogues fromages de brebis.

Pour valoriser le lait de chèvre, on estime qu'en Sardaigne, en fonction des nouvelles normes de l'U.E., il faudrait que l'on puisse agir dans deux directions fondamentales:

· transférer aux fromageries industrielles (coopératives ou privées) la plus grande partie du lait et en particulier celui qui provient des élevages où l'extrême précarité des installations (eau, électricité, viabilité) et des entreprises elles-mêmes ne permettent pas d'assurer les garanties nécessaires pour une bonne qualité du produit;

· maintenir et soutenir, au besoin par des financements publics, la production fromagère artisanale uniquement dans des exploitations où il serait possible de créer des conditions favorables pour assurer une transformation correcte du lait et l'affinage des produits.

Nous devons toutefois admettre que la deuxième hypothèse ne sera pas facilement réalisable à grande échelle, vu les conditions objectives de sous-équipement dans lesquelles encore aujourd'hui les éleveurs sardes ont coutume de travailler.

3. Organismes et structures de soutien de la filière ovine-caprine

Le contrôle de la productivité des animaux (production de lait, etc.) est confié à l'Associazione Italiana Allevatori (A.I.A.) qui a aussi un rôle d'assistance technique par l'Associazione Régionale degli Allevatori (A.R.A.) et les Associazioni Provinciali degli Allevatori (A.P.A.). L'Associazione Nationale della Pastorizia (Asso. Na. Pa.) s'occupe de la sélection du bétail, tient les livres généalogiques et effectue les contrôles fonctionnels. Le gouvernement régional sarde, et en partie l'UE, financent à travers des programmes l'activité de l'A.R.A. et de l'A.P.A. en ce qui concerne les contrôles fonctionnels, la tenue des livres généalogiques, la réalisation du Plan Fécondité, le programme sur la qualité du lait et le laboratoire régional pour les analyses du lait.

3.1.1. Organismes de recherche et d'expérimentation

La recherche appliquée pour le secteur ovin et caprin de la Sardaigne est menée par l'Istituto Zootecnico e Caseario per la Sardegna (IZCS) et en partie par les Facultés d'Agronomie et Vétérinaire de l'Université de Sassari. L'IZCS est un Organisme publique régional qui, depuis les années 60, s'est intéressé, en ce qui concerne les aspects zootechniques:

· à l'amélioration génétique de la population ovine à travers la mise au point de schémas de sélection pour la brebis sarde;

· aux études de mise au point des techniques de traite mécanique et de réalisation de la machine à traire;

· à la rationalisation des techniques d'alimentation sur le plan quantitatif et qualitatif, en relation avec les besoins de la brebis et de la chèvre sarde et dans le but de permettre aux animaux d'exprimer au mieux leur potentiel productif;

· enfin, aux études sur la reproduction (cycle reproductif des animaux, possibilité de contrôle de leur activité sexuelle, application des techniques d'insémination artificielle et, plus récemment, à l'utilisation et à l'adaptation aux espèces ovines et caprines des techniques de super-ovulation et de transfert d'embryons, afin d'accroître l'intensité de la sélection et d'accélérer le progrès génétique).

En ce qui concerne le lait et le fromage, après les premières études de base sur les caractéristiques physico-chimiques du lait de brebis sarde, l'activité de recherche et d'expérimentation dans le secteur laitier-fromager s'est surtout dirigée vers la solution des problèmes liés à l'amélioration et à la standardisation qualitative des productions fromagères traditionnelles. Ceci s'est fait avec le souci de préserver leur caractère typique et de valoriser leurs caractéristiques de qualité, sans pour autant négliger la mise au point de techniques pour la fabrication de nouveau types de fromages.

Dans ce cas, l'activité de recherche a également été menée grâce au soutien financier publique accordé principalement à l'IZCS et en partie à l'Université par le Gouvernement régional, alors que ces dernières années, on a pu accéder aux financements mis à disposition par l'U.E. et, dans une moindre mesure, par les Ministères des Ressources Agricoles et de la Recherche Scientifique (CNR). Dans le secteur fromager la recherche s'est adressée particulièrement au Pecorino Romano, au Fiore Sardo, aux fromages caprins traditionnels et, actuellement, elle est en train d'approfondir certains aspects fondamentaux relatifs au fromage auquel, dernièrement, l'État italien a reconnu la Dénomination d'Origine: le Pecorino Sardo.

Un autre aspect collatéral, mais non moins important de l'activité de l'IZCS est celui de la formation et de la mise à jour du personnel qui travaille dans le secteur de la transformation du lait. Ouvriers et techniciens formés auprès de l'Institut ont trouvé un emploi dans les établissements fromagers; cela a permis d'initier et d'entretenir ensuite un dialogue direct avec l'Institut de Recherche, à travers un réseau de techniciens fromagers spécialisés faisant partie de l'ERSAT.

3.1.2. Organismes et Établissements d'assistance technique

En Sardaigne, l'assistance technique aux éleveurs est menée essentiellement par l'A.R.A. et l'A.P.A. à travers de zootechniciens et de vétérinaires. Depuis le début des années 80, conformément au Plan Agricole National (Loi n° 984 du 27.12.1977) il existe aussi, en Sardaigne, un Plan Fécondité qui, à travers un réseau d'assistance gratuite, vise à améliorer la fertilité du bétail. Cela a représenté, pour la zootechnie sarde, un progrès considérable pour l'éleveur qui, en absence d'assistance technique, agissait le plus souvent seul sur la base des notions empiriques que la tradition lui avait transmises.

Au fil des années, le Plan Fécondité a élargi ses propres objectifs: en 1983 il a été complété par le Plan Qualité du Lait, qui envisage la caractérisation du lait de mélange des différents élevages, ainsi que la sensibilisation de l'éleveur aux problèmes liés à l'amélioration de la qualité du lait. Chaque entreprise concernée par le Plan est soumise à deux contrôles par mois sur des échantillons de lait fermier, sur lesquels on effectue les analyses suivantes: protéine, matière grasse, lactose, cellules somatiques, cryoscopie, flore totale et pH. Ensuite, pour chaque exploitation, on rédige une fiche avec les données analytiques relevées, qui sont comparées aux valeurs analytiques moyennes du lait collecté par l'établissement auquel l'éleveur livre habituellement son lait. Sur la base de ces données, le technicien et l'éleveur mettent au point les stratégies pour faire face aux problèmes éventuels: en effet, en Sardaigne, le Plan d'Hypofécondité et le Plan Qualité du Lait contribuent depuis longtemps à assurer à l'éleveur une assistance technique concernant non seulement les problèmes agronomiques, sanitaires et alimentaires de l'élevage, mais aussi une assistance plus particulièrement adressée à l'amélioration de la qualité du lait.

L'organisation actuelle des Plans prévoit:

- pour les zootechniciens:

· analyse des problèmes d'environnement, agronomiques et zootechniques qui entravent la production des entreprises;

· prélèvements et analyses d'échantillons de sol, d'engrais, d'eau et d'aliments bétail;

· conception de plans alimentaires pour le bétail;

· conseil pour l'amélioration qualitative et quantitative des productions, en particulier du lait;

· conseil pour l'achat et l'emploi des équipements de l'exploitation.

- pour les vétérinaires:

· prophylaxie sanitaire des élevages;

· contrôle de l'état sanitaire du troupeau;

· synchronisation des chaleurs;

· Insémination artificielle.

Depuis la dernière décennie, le nombre d'entreprises concernées par le Plan d'amélioration de la qualité du lait, et par conséquent le nombre des échantillons analysés, ont augmenté constamment (Fig. 1). A la fin de 1994 (A.R.A., 1994), 185 techniciens (92 zootechniciens, 93 vétérinaires et 10 techniciens coordinateurs) s'occupaient de l'assistance technique en faveur de 8 292 entreprises pour un total de 1 830 487 têtes entre ovins et caprins. Les résultats de l'amélioration de la qualité bactériologique du lait ont été particulièrement intéressants: en effet, en comparant les valeurs moyennes de charge bactérienne relevées l'année où le Plan a démarré avec celles de 1995, on remarque une baisse de plus de 42%.

Fig. 1 - Courbes du nombre des exploitations concernées et du nombre d'échantillons contrôlés pendant la dernière décennie.

4. Récentes mesures d'intervention publique en faveur du secteur ovin-caprin

Les nouvelles normes communautaires et l'exigence pour les entreprises pastorales ovines et caprines de se conformer aux standards des pays plus avancés du point de vue zootechnique, même dans une situation de difficulté objective due, comme nous l'avons dit, au climat, au territoire et à une carence d'infrastructures, ont persuadé le Gouvernement de la Région Autonome de la Sardaigne de mettre au point une série d'interventions pour soutenir le secteur tout entier.

Le Département de l'Agriculture et Réforme Agro-Pastorale a récemment prévu un plan financier pour la mise en conformité des structures des entreprises du secteur ovin-caprin à la Norme Communautaire 92/46. Les interventions prévues font partie d'un programme qui sera en vigueur pendant les années 94-96, suivant les termes du règlement de l'U.E. n° 2081 du mois de juillet 1993. Pour les trois premières années, est prévue une dépense totale de 300 milliards de lires par tranche de 100 milliards par année; pour les trois années suivantes, la suite du programme prévoit une dépense supplémentaire de 470 milliards. Les bénéficiaires de ces fonds seront les entreprises ovines-caprines laitières qui possèdent au moins 100 têtes en production et 10 hectares de S.A.U. Le soutien financier pendant la période 94-99 concernera 10 000 entreprises et 2 500 000 têtes en production. Les trois premières années, l'intervention concernera 4 100 entreprises et 1 000 000 de têtes en production. L'aide financière (publique à 75 %: FEOGA et R.A.S.) servira aussi à la réalisation des oeuvres et à l'achat de l'équipement suivants:

· construction des locaux pour la traite;
· ouvrages pour le ravitaillement en eau de l'entreprise;
· ouvrages pour l'élimination des déchets;
· raccordement au réseau électrique ou achat de groupes électrogènes;
· machines à traire mécaniques;
· tanks réfrigérés.

Si cet important investissement financier (770 milliards de lires en six ans) est utilisé correctement, il pourra provoquer une authentique révolution dans le secteur de l'élevage ovin-caprin et de la production du lait en Sardaigne. Dans ce contexte, l'Établissement Régional d'Assistance Technique, à travers le Service pour la Réforme Agro-Pastorale, jouera un rôle fondamental pour l'information des éleveurs, l'instruction technico-administrative des projets de restructuration des entreprises, pour la vérification des nouvelles structures et des nouvelles installations et surtout pour l'assistance des chefs d'exploitation dans le processus de modernisation du secteur.

La situation analysée jusqu'ici sommairement montre comment tout le secteur est actuellement engagé, avec le soutien public, pour chercher des solutions aux problèmes posés par les récentes directives communautaires et pour répondre de façon concrète aux exigences d'une classe naissante de travailleurs, particulièrement les plus jeunes, qui représentent un facteur essentiel pour le développement, la promotion et la valorisation du secteur.

5. CONCLUSIONS

En conclusion, on peut affirmer que l'élevage ovin sarde, à la suite des engagements financiers importants prévus, se dirige vers un processus de modernisation et de rationalisation très prometteur. Les interventions prévues au niveau des entreprises, et au delà, dans le secteur de la transformation du lait et de la valorisation de ses produits, peuvent représenter un modèle pour une amélioration de la production ovine-caprine dans d'autres régions du bassin méditerranéen où ces productions sont présentes. La faiblesse intrinsèque de ce secteur, qui du reste joue un rôle important pour la valorisation de ressources naturelles de plusieurs zones désavantagées, pourra être éliminée uniquement avec la mise au point d'un projet global, qui comprendrait les différentes phases depuis la production du lait jusqu'à la commercialisation de ses dérivés, pour la réalisation duquel l'intervention publique se révèle déterminante.

De cette façon il sera possible de sortir l'élevage ovin-caprin de la stagnation, condition encore trop souvent liée à des formes de gestion archaïques, et peu adaptées aux exigences d'une activité de production moderne orientée vers le marché. C'est seulement lorsque ce fossé sera comblé que le secteur pourra vivre de ses propres moyens, à l'exemple de ce qui se passe dans d'autres régions, où ce processus est en vigueur depuis longtemps.

L'organisation des producteurs, à la base de la réussite des projets de la filière

M. François ETEVENON

Éleveur

PRÉSIDENT DE LA FNEC (FÉDÉRATION NATIONALE DES ÉLEVEURS DE CHÈVRES). FRANCE

N.B.: La présente communication est une compilation effectuée à partir de l'exposé présenté par M. Étévenon à Chefchaouen et de l'article de M.me Caramelle-Holtz sur le même thème paru dans "La Chèvre" n° 208 de mai-juin 1995

La région Midi-Pyrénées (sud-ouest de la France) n'est pas une région traditionnellement caprine. Pourtant cet élevage s'y est développé depuis une quinzaine d'années, grâce à la volonté d'un certain nombre d'éleveurs. L'exposé qui suit se propose de montrer comment l'organisation qu'ils se sont donnée leur a permis de développer leurs projets.

1. Une région hétérogène, de renouveau caprin

La région considérée présente trois zones géographiques distinctes:

1. le Massif Pyrénéen, au sud, qui s'étend sur une partie des départements de l'Ariège, la Haute-Garonne et des Hautes Pyrénées. L'altitude y est élevée, l'hiver est long et les précipitations abondantes (900 à 1200 mm/an)

2. au nord, les contreforts du Massif Central - Causses et Ségalas -, qui s'étendent sur les départements de l'Aveyron, du Tarn, du Lot et du Tarn-et-Garonne. Les Causses sont des plateaux calcaires karstiques, de faible potentialité agronomique, culminant à plus de 1000 m. Les sols sont caillouteux, peu profond, ou argileux dans les zones dépressionnaires. La pluviométrie se situe entre 700 et 900 mm/an, avec un déficit estival marqué. Ce sont des zones de parcours. Les Ségalas sont des zones de meilleure potentialité agronomique (étymologiquement, terres à seigle). Les sols sont sablo-limono-argileux et la pluviométrie généralement un peu plus importante que sur les Causses, mais souffrant de la même sécheresse estivale. Les cultures fourragères y donnent de bons résultats.

3. entre ces deux masses montagneuses, un corridor de plaines et de vallées, comprenant une partie des départements du Tarn, de la Haute Garonne et du Gers. Les sols y sont de bonne valeur agronomique et la pluviométrie est de 700 mm environ. Le déficit hydrique estival peut être compensé par l'irrigation, ce qui a permis dans la zone l'intensification et la spécialisation des systèmes de production: viticulture, maraîchage, arboriculture.

En ce qui concerne l'élevage caprin, le contexte de départ était le suivant: peu de chèvres, peu de considération pour cette "vache du pauvre" de la part des agriculteurs locaux. Pourtant quelques troupeaux se sont constitués, souvent à l'initiative de jeunes venus d'ailleurs.

Dans cet environnement défavorable, le regroupement était une nécessité: ils constituent des syndicats départementaux, très conviviaux, où s'échangent les informations techniques, les expériences. Peu à peu, ces syndicats s'intéresseront à l'ensemble des problèmes auxquels sont confrontés les éleveurs: écoulement des produits (lait, fromages, viande); appui technique; approvisionnements spécifiques; subventions12... Selon les cas, ils trouveront des solutions propres ou les négocieront avec les partenaires appropriés (coopératives, chambres d'agriculture, collectivités locales...).

12 Dans plus de la moitié des communes de la région, les élevages peuvent bénéficier de l'indemnité haute montagne, montagne ou spéciale piémont. S'y ajoutent les primes PCO et "monde rural". En 1994, 530 des 1730 élevages de la région avaient pu bénéficier de l'une ou l'autre de ces mesures.

Au fil des années, cette action associative a donc rendu crédibles les éleveurs et l'élevage caprin. La filière a su s'organiser et la diversité des produits et des structures sont le reflet de la dynamique que les éleveurs, installés il y a 15-20 ans, ont su insuffler au niveau régional. Ce mouvement a pu s'imposer d'autant plus facilement que dans le même temps, le modèle agricole dominant était remis en cause, ce qui a conduit à considérer avec intérêt les activités dites de "diversification". C'est ainsi que les ateliers caprins se sont fréquemment installés à côté des ateliers bovins viande ou des cultures de vente, plus rarement des bovins lait ou des ovins viande. Cette mixité, quand elle a perduré, s'observe davantage chez les producteurs laitiers (ne transformant pas à la ferme).

2. Structure et caractéristiques de la filière

Actuellement, la région compte 1730 exploitations pratiquant l'élevage caprin (effectif total: environ 46 000 chèvres), dont 550 effectivement spécialisées. Dans le piémont pyrénéen, les élevages, peu nombreux, transforment à la ferme, et bénéficient de la clientèle touristique d'été et d'hiver. Sur les Causses et les Ségalas, les effectifs sont beaucoup plus importants et les élevages vendent leur production aux laiteries (Aveyron) ou le transforment eux-mêmes (Lot). L'élevage caprin est également assez bien implanté dans la Vallée de la Garonne et dans le Gers.

La filière viande et reproducteurs est bien structurée autour de trois groupements régionaux: coopérative "Capri-Quercy" sur le département de Tarn-et-Garonne, coopérative "Les Chevriers du Rouergue" sur le département de l'Aveyron, et coopérative "Chèvres Tarn" sur le département du Tarn. Un groupement de la région Aquitaine (CPIA) intervient dans le Lot et dans les départements du sud de la région. Au total, plus de 20 000 chevreaux et 400 chevrettes ont été commercialisés par ces organismes.

Les élevages "laitiers" produisent au total 15 millions de litres par an. La collecte est assurée par deux grosses entreprises, Lescure-Bougon et Valmont, ainsi que par d'autres laiteries: La Compagnie des Fromages, Capridoc, ULPAC. Les principaux départements laitiers sont l'Aveyron, le Tarn-et-Garonne, le Tarn, et dans une moindre mesure, le Lot. Un bassin de collecte s'est également mis en place dans le Gers, ainsi que dans l'Ariège, autour de la fromagerie Faup. Il faut signaler ici le rôle déterminant des unités de transformation dans la dynamisation des filières: un mouvement de création d'ateliers caprins a été lancé en 1994 à l'initiative de deux laiteries indépendantes. Cependant, les grands groupes laitiers qui collectent dans la région n'ont pas de structure de transformation sur place, ce qui constitue la principale faiblesse de la filière caprine Sud-Ouest.

Parmi les élevages "fromagers", qui produisent annuellement environ 5 millions de litres transformés à la ferme ou vendus sous forme de caillé à des affineurs artisanaux, peuvent être classés en deux catégories:

- un noyau d'une trentaine d'élevages, de plus de 100 chèvres chacun;
- un second groupe, dont les troupeaux avoisinent les 50 chèvres.

Géographiquement, ces élevages sont disséminés sur l'ensemble de la région. On trouve cependant un noyau important fédéré autour de la démarche AOC Rocamadour, dans le Lot (120 élevages) et l'Aveyron (40 élevages). Le Gers compte également une quarantaine d'élevages fromagers, et les autres départements une vingtaine chacun.

Le niveau technique des élevages de Midi-Pyrénées est comparable à celui du reste de la France: 614 litres/chèvre dans les élevages inscrits au contrôle laitier, contre 686 de moyenne nationale. Toutefois, la diffusion du progrès génétique pourrait y être plus rapide, ainsi qu'en témoigne le taux de pénétration de "Gènes +"13 chez les adhérents au contrôle laitier: 64%, contre 46% au niveau national. Par ailleurs, la région est engagée depuis 6 ans dans une démarche d'appui technique et de références (CAPSUD14), commune à 8 régions du Sud et de l'Est de la France, qui vise à constituer une base de données inter-régionales pour l'évaluation de l'efficience des différents systèmes de production et qui permet le "pilotage" individuel des exploitations, par comparaison aux référentiels établis.

13 (schéma génétique national)

14 Dispositif mis en place par les organismes de contrôle laitier et les EDE, sous le contrôle d'un GIE. L'animation régionale est assurée par l'Institut de l'Élevage.

3. La démarche Qualité

Depuis quelques années, la filière, et tout particulièrement les fromagers, s'est investie dans des démarches de qualité. Aujourd'hui, les résultats sont tangibles, puisque le Rocamadour a obtenu en 1995 son Appellation d'Origine Contrôlée. Les efforts se poursuivent autour du Cabécou Quercy-Rouergue, fromage à pâte lactique typique de la région, pour définition un label régional, et autour des produits pyrénéens, en mettant l'accent sur l'image "montagne", avec notamment les pâtes pressées non cuites. Les affineurs et artisans fromagers sont fortement impliqués: au nombre d'une dizaine, ils ne traitent encore qu'un faible volume, mais leur activité est en plein développement.

4. CONCLUSION

Aujourd'hui, la région Midi-Pyrénées n'est certes pas devenue la première région caprine de France, mais cet élevage y est bien présent. Les grands groupes laitiers y ont développé des collectes d'appoint; plusieurs petites entreprises, privées ou coopératives, y valorisent le lait, les fromages ou la viande de chevreau. Par ailleurs, le développement d'actions axées sur la qualité et la diversité vise à garantir les débouchés spécifiques et à pérenniser les efforts de promotion des produits caprins régionaux. C'est là le fruit de l'organisation des producteurs, tant il est vrai qu'«il n'est de richesse que d'hommes».


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