Tout au long du présent document on s'est efforcé d'analyser les avantages (et désavantages) des arbres urbains par rapport aux personnes qui vivent dans les villes du tiers monde, plutôt que d'en faire un examen abstrait. Malheureusement, comme on l'a vu, les opinions effectives des citadins sont rarement documentées. Cette section met en évidence certains des thèmes sociaux/culturels déjà été mentionnés au cours de l'analyse.
Au cours de la dernière décennie, la gestion participative des forêts dans les pays en développement a connu une importante évolution au plan conceptuel. A cet égard, des pays comme l'Inde et le Népal sont à l'avant-garde par rapport à de nombreux pays du nord où (dans certains cas) les forêts communautaires sont relativement récentes. Paradoxalement, l'approche participative de la foresterie rurale ne paraît pas s'être étendue à la gestion d'arbres établis sur des terres “publiques” en zone urbaine, alors que dans les pays du nord l'importance de faire participer les résidents locaux à la foresterie urbaine est largement reconnue. On pourrait illustrer ce fait en citant les mots d'un spécialiste de foresterie urbaine travaillant au Royaume-Uni,
“il est indispensable de réunir les intérêts et préoccupations de toutes les sections de la communauté urbaine en une stratégie et un plan d'aménagement globaux de la foresterie urbaine” (Johnston, 1992:2).
Ce fait concerne autant, sinon davantage (étant donné les possibilités accrues de production matérielle), les pays en développement.
Qu'il s'agisse du choix des essences, de leur plantation proprement dite, de leur l'entretien et (le cas échéant) de la récolte des produits forestiers, les citadins devraient pouvoir participer dans la mesure du possible à la prise de décisions et à leur mise en oeuvre, et être activement encouragés à le faire. Ce qui ne veut pas dire qu'ils devraient réaliser eux-mêmes les opérations de mise en place et de gestion des arbres (dans certains cas il conviendra de laisser ce travail aux spécilaistes alors que dans d'autres les résidents locaux pourraient souhaiter l'accomplir eux-mêmes). Le vrai sens de la participation réside dans l'intégration à la planification et à la gestion des besoins, opinions et préférences des gens. Comment organiser ce processus dépendra des circonstances locales. En général, il sera plus facile de le faire dans des quartiers résidentiels où le sens de la communauté est déjà fort mais, partout où il sera adopté, le processus participatif ne sera jamais simple. Comme indiqué dans la section deux (et ailleurs), les “communautés” urbaines se composent invariablement de personnes appartenant à des groupes qui diffèrent au plan du revenu, de l'origine ethnique, etc. Il pourrait exister d'une part des conflits entre ces groupes et, de l'autre, des variations dans la promptitude avec laquelle les particuliers expriment leur opinion et leur intérêt vis-à-vis des arbres. Le spécialiste de foresterie urbaine doit être conscient de ces différences et, dans la mesure du possible, en tenir compte. Un rapport récent sur le programme de foresterie urbaine réalisé à Baltimore aux Etats-Unis montre en détail comment ce programme a mis en oeuvre une approche participative (Burch et Grove, 1993). Les auteurs soulignent la nécessité d'un équilibre entre le dialogue au niveau communautaire et l'action des spécialistes, le premier orientant sans toutefois déterminer la deuxième.
Dans certains cas, la participation locale peut être appuyée par la désignation d'un gardien des arbres ou d'autres mesures semblables où des volontaires s'engagent à s'occuper des essences plantées dans leur quartier. Un tel programme a bien réussi à Bangalore, Inde (Shyam Sunder, 1985) alors que la plantation d'arbres au titre d'un programme de “parrains des arbres”, où les enfants ont adopté réellement un arbre, a connu du succès à Guatemala (Pokorny de Marcet, 1992). Dans les quartiers commerciaux, on pourrait inciter les commerçants à s'assurer que les arbres à proximité de leur magasin sont bien entretenus. Par exemple, on signale qu' à Longyan, sud de la Chine,
“… certains arbres d'alignement sont entretenus par un commerçant ou un habitant travaillant ou vivant à proximité lequel, en échange d'une rétribution, surveillera les arbres et les protégera contre des dommages intentionnels ou imprévus.” (Jim (1991:156).
Certes, on peut mettre en doute la nécessité ou l'opportunité de rétribuer les gens pour qu'ils s'occupent des arbres. Les auteurs d'une étude conduite sur les attitudes humaines vis-à-vis des arbres d'alignement à Calcutta, qui est résumée à l'encadré 4.4, racontent:
“Nous avons observé que partout où se trouvaient des magasins ou d'autres établissements sur les bords de la route, les arbres se portaient bien, alors qu'ailleurs leur nombre était plutôt faible. Autrement dit, la densité était plus élevée dans les endroits où les habitants protégeaient et soignaient les arbres”. Malhotra et Vijayakumar (sd:286).
La participation des citadins du tiers monde à la foresterie urbaine ne manquera pas d'entraîner une révision fondamentale des objectifs de gestion des arbres établis sur des terres “publiques” et ce, en dehors des considérations écologiques habituelles, en vue aussi d'accroître le potentiel de production.
Dans l'environnement immédiat des citadins pauvres du tiers monde, les occasions de planter des arbres sont souvent rares, notamment dans les vieux quartiers résidentiels à haute densité du centre-ville. Cependant, l'examen qui précède a montré que, dans certaines agglomérations du tiers monde, les arbres urbains fournissent déjà aux citadins pauvres de l'ombre, des loisirs, du combustible et des aliments, parmi d'autres avantages. Le ramassage du bois de feu des zones péri-urbaines représente souvent aussi une importante source de revenus en espèces. A New Delhi, les pauvres dégagent un revenu de la récolte et de la vente d'un grand nombre de produits tirés des arbres qui poussent sur des terres appartenant à la municipalité. Ces arbres comprennent le jamun (Syzigium spp) et le kapokier; la municipalité vend chaque année aux enchères des droits de récolte aux ramasseurs qui campent sous les arbres (Campbell, comm. pers.). Le même informateur observe que.
“Les forêts urbaines de l'Inde ont aussi d'autres fonctions importantes - y compris celle de latrines. Les conflits concernant le droit de défécation dans les parcs et les espaces ouverts vont en s'accroissant.”
Les projets de foresterie urbaine mis en oeuvre jusqu'à présent n'ont pas toujours tenu compte des besoins des pauvres. Nous en trouverons un exemple à Guatemala où il est signalé que
“Du fait que les squatters occupaient les terrains vagues disponibles, nous avons dû planter rapidement des arbres pour montrer que ces terrains étaient occupés … Souvent, nous avons dû éliminer de petites entreprises installées sur ces terres publiques et clôturer la zone pour permettre aux arbres de pousser … nous avons dû faire preuve d'agressivité dans la démarcation de ces terres en vue de l'avenir”. (Pokorny de Marcet, 1992:221).
Dans l'ensemble, on sait assez peu sur la manière dont les citadins pauvres utilisent actuellement les arbres urbains et sur la valeur qu'ils leur attribuent. Il faudra à l'avenir accorder plus d'attention aux moyens de rendre l'arboriculture et la gestion des arbres dans les villes du tiers monde plus avantageuse pour ces pauvres.
Il a été noté dans la section deux que, dans les villes du tiers monde, les femmes sont désormais beaucoup plus nombreuses (en pourcentage aussi bien qu'au total) qu'il y a quelques décennies. On ne sait pas avec certitude si elles éprouvent un intérêt particulier pour la culture et la gestion des arbres, mais de nombreuses études sur l'agriculture urbaine montrent que les femmes en sont les principales participantes (Niñez, 1985; Streiffler, 1987). Il a également été observé à Lima, Pérou, que le type de production des parcelles agricoles est souvent déterminé par le sexe de l'agriculteur, les hommes étant plus attirés par les cultures de rapport (pépinières ou arboriculture fruitière à des fins lucratives) alors que les femmes se consacrent davantage à la production de subsistance (Niñez, 1985). Cette situation peut varier en fonction des différentes cultures; en Afrique de l'ouest, ce sont en général les femmes qui commercialisent les produits tirés des jardins familiaux (Diarra, 1975).
La mesure dans laquelle la culture et la gestion des arbres urbains sont dictées par des normes culturelles ou des valeurs religieuses varie évidemment suivant les pays. Selon un auteur kényen,
“De nombreuses croyances traditionnelles se perdent dans un milieu urbain aux populations mixtes. Cela s'explique par le fait que les kényens perçoivent leurs foyers ruraux comme un lien qui les rattache à leur culture traditionnelle, et ils n'emportent pas ces valeurs avec eux dans les centres urbains où ils n'établissent que des demeures temporaires.” (Onganga, 1992:218).
Cependant, comme il a été observé à la section 4.2, les arbres dans les milieux urbains ont souvent un sens culturel profond, et les croyances traditionnelles ou religieuses peuvent influencer grandement leur gestion. A Calcutta, Malhotra et Vijayakumar ont noté (nd:286) que si un arbre faisait l'objet d'un culte, ses chances de survie s'élevaient à “près de 100 pour cent”.
Compétences techniques et prise de conscience de la valeur des arbres
Hormis l'observation de Hill (1992) selon laquelle les travailleurs municipaux de Quito, Equateur, semblaient avoir des connaissances en matière d'arboriculture, on n'a guère trouvé dans la littérature existante d'informations sur la capacité technique des citadins à gérer des arbres. Ce manque de documentation ne devrait pas porter à croire que les populations locales ignorent nécessairement la valeur des arbres et ont besoin d'instruction à cet égard. C'est là une erreur coûteuse qui a été commise dans le cas de la foresterie dans le développement rural au Népal et ailleurs. Pour ce qui est de la foresterie urbaine, la seule information disponible provient d'Addis Abeba, Ethiopie, et indique que, là du moins, aucune instruction sur la valeur des arbres n'était nécessaire (voir encadré 4.1). Avant d'envisager un programme éducatif à l'intention des citadins, il serait sage de se renseigner sur ce qu'ils savent ou ne savent pas déjà.
“Modes” dans la culture des arbres
L'arboriculture dans certaines zones urbaines obéit parfois à des “modes” dominantes qui influencent la plantation et le choix des essences. La “mode” peut être dictée par des raisons indépendantes des populations locales, telles que des progrès technologiques ou la disponibilité de jeunes plants, ou encore par une modification de la politique nationale. Elle pourrait aussi être le fait de changements plus nébuleux dans les attitudes sociales, et traduire les désirs des citadins. Par exemple, Cline-Cole (1990) observe que, dans le cas des parcelles énergétiques établies en Afrique, il y a eu au fil des ans une succession dans le choix des essences forestières (toujours exotiques) le plus communément plantées, qui allaient de Cassia siamea à Gmelina arborea et à Eucalyptus spp. La raison dans ce cas était de caractère largement technique. En Chine, depuis environ 20 ans, le gouvernement encourage activement les plantations d'arbres urbains. Selon Jim (1991:159), à Longyan, dans le sud de la Chine, “l'engouement excessif pour certaines essences privilégiées et les nouvelles manies qui dictent la sélection des espèces sont un phénomène que partagent d'autres municipalités.”
Une étude des arbres d'alignement de Bangalore traduit bien les nouvelles “modes” qui influencent l'opinion des populations locales sur les arbres. Gadgil et Parthasarathy (1977:64) ont trouvé que
“Si les quartiers aisés plus traditionnels montrent une préférence pour les arbres ornementaux, les nouveaux quartiers riches ont tendance à éliminer les arbres des cours des maisons … Les arbres sont considérés comme un inconvénient car leurs feuilles, fleurs et fruits en tombant salissent les cours”.
Au Royaume-uni et dans une grande partie d'Europe, les “modes” dans ce domaine reflètent le débat qui opposent les partisans des essences indigènes à ceux des essences exotiques - un thème qui est discuté maintenant dans les pays en développement aussi. Il est incertain si ce débat a été orchestré par des professionnels de la foresterie urbaine et dans quelle mesure il traduit le point de vue des résidents. Dans les années 1970 et au début des années 1980, dans une grande partie d'Europe, les essences exotiques ont été supplantées par les essences indigènes. De nos jours, on note une préférence pour un mélange d'essences exotiques et indigènes propre à conférer un caractère particulier à un lieu donné (Denne et Hill, comm.pers.).