Forum global sur la sécurité alimentaire et la nutrition (Forum FSN)

Consultations

Réaliser le potentiel du commerce intra-régional pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique de l’Ouest

Tout comme la production et la transformation, la commercialisation contribue à augmenter la valeur des produits agricoles. Elle contribue à rallier les zones excédentaires et les zones déficitaires de produits agricoles. Elle influence les bilans alimentaires qui déterminent les deux dimensions principales de la sécurité alimentaire que sont la disponibilité et l’accessibilité à « des aliments sains et nutritifs en quantité suffisante » (FAO, 1996). Le marché constitue donc le relais essentiel permettant aux ménages d’assurer leur sécurité alimentaire. On estime entre 62 % (Burkina Faso) et 87 % (Sénégal) la contribution des marchés à l’approvisionnement alimentaire des ménages en Afrique de l’Ouest (Allen et al., 2011).

L’intégration régionale, et donc l’intégration des marchés, serait alors d’une grande utilité pour la région ouest-africaine. En tant que moyen pour surmonter les inconvénients de la petite taille de marché de certains pays, elle permettrait de mettre en commun les ressources et d’élargir les marchés à l’espace de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’intégration régionale devrait engendrer plus de choix pour les consommateurs et accroître la concurrence au sein de la région. Car, elle devrait induire une plus grande exploitation des potentialités agroécologiques de la région et la création d’un marché de proximité important pour plusieurs spéculations.

Malheureusement, l’espace ouest-africain apparaît comme une zone faiblement intégrée, valorisant mal la diversité et la complémentarité de ses zones agroécologiques et de ses économies (CEDEAO, 2005). On estime qu’environ 10 à 15 % des échanges des pays membres sont réalisés à l’intérieur de l’espace CEDEAO, pendant que dans l’Union Européenne, à l’inverse, les Etats membres réalisent plus de 60 % de leurs échanges commerciaux extérieurs au sein même de la zone d’intégration. Pire, l’exportation de certains produits agricoles est faite au détriment des besoins alimentaires de la région. Pendant que l’insécurité alimentaire sévit encore en Afrique de l’Ouest, on note que des produits alimentaires sont convoyés vers d’autres continents, alors même que la demande reste insatisfaite dans la région. C’est par exemple le cas de la banane plantain dont la production du Ghana est essentiellement exportée vers les USA et l’Europe, alors que la demande interne n’est pas couverte. Pourtant, la préoccupation de développement agricole centré sur l’espace ouest africain a fait l’objet de résolutions importantes, notamment le Traité révisé de la CEDEAO du 24 juillet 1993 et la Politique agricole régionale de l’Afrique de l’Ouest (ECOWAP) adoptée par les Chefs d’Etats de la CEDEAO le 19 janvier 2005 à Accra (Ghana) (CEDEAO, 2005 ; CEDEAO, 2008). Le Traité révisé de la CEDEAO prévoit en son article 25 des dispositions sur le développement et la sécurité alimentaire dans l’espace ouest africain, notamment l’harmonisation des politiques de sécurité alimentaire en accordant une attention particulière à l’adoption d’une politique agricole commune. L’ECOWAP quant à elle vise à «… contribuer de manière durable à la satisfaction des besoins alimentaires de la population, au développement économique et social et à la réduction de la pauvreté dans les États membres, ainsi que des inégalités entre les territoires, zones et pays ».

Dans ces conditions, on se pose les questions suivantes :

  1. Quels produits agricoles de l’Afrique de l’Ouest sont exportés hors du continent pendant que leur demande intérieure dans la région n’est pas couverte, et pourquoi ?
  1. Quels produits agricoles sont mal distribués, déficitaires dans certains pays et perdus ou gaspillés dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, et pourquoi ?
  1. Quels sont les obstacles matériels à la mise en œuvre des dispositions réglementaires régionales sur le commerce des produits agricoles en Afrique de l’Ouest ?
  1. Comment améliorer la fluidité des échanges de produits agricoles dans la région, surtout avec le Nigeria, le plus grand marché de consommation en Afrique de l’Ouest ?

Ce sont là les questions par rapport auxquelles vos contributions sont attendues. L’objectif est de mettre en évidence les potentialités et les obstacles au commerce intra-régional en Afrique de l’Ouest d’une part, et de recueillir les propositions de stratégies pour relever le défi en vue de l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans cette région d’autre part.

Merci d’avance de votre participation !

Emile N. HOUNGBO

Université d’Agriculture de Kétou,

Bénin

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Oui, la mise en marché des produits agricoles alimentaires en Afrique de l’Ouest est l’un des principaux agents de régulation du flux alimentaire, surtout dans les villes. Cette question est d’autant plus cruciale car, non seulement la production est conditionnée par des facteurs climatiques imprévisibles, mais la récolte des produits alimentaires de base (facilement exportables comme les céréales) se fait une fois par an. Aussi, la quantité et la qualité des récoltes varient d’une année à l’autre et d’une zone agroécologique à l’autre. Dans le même temps, la demande en produits alimentaires est incompressible, voire en légère augmentation le long de l’année. Dans ces conditions, l’intégration réelle des marchés de la région pourrait être un vrai moyen de répartition équilibrée des denrées alimentaires, puisque plusieurs études ont démontré le potentiel d'autossiffisance alimentaire de la zone (IFAD, FAO, 2013)

Le problème, qui est en même temps l’originalité du commerce ouest-africain, c’est le caractère informel et la multitude de petits acteurs sans qui, l’intégration du marché serait une utopie. En effet, ce sont ces petits commerçants qui se chargent de la difficile tâche de constitution des stocks exportables dans un contexte où les stocks publics sont presque inexistants et malgré l’affirmation des organisations de producteurs. L’activité de ces acteurs, qui ignorent totalement la notion de la « régionalité » telle qu’exprimée ici, est souvent mal prise en compte par les statistiques qui n’en maîtrisent pas les différents contours. Par exemple, je n’ai pas connaissance d'une étude qui documente le commerce de l’ananas entre Bénin et les pays de l’hinterland par les conducteurs de camions citernes.

Mais malgré tous les pessimismes qu’il peut y avoir autour de l’intégration des marchés de la sous-région, quelques changements encourageants méritent d'être cités (mêmes s’ils restent à mieux structurés).

Bénin : il est relativement autosuffisant et semble commercialiser peu de produits agricoles sur le marché communautaire. Les principaux produits exportés sont les racines et tubercules (l’igname et manioc) et le maïs. Les débouchés sont le Nigéria et le Niger et un peu vers le Burkina et Togo. Depuis quelques années, l'ananas prend des parts de marché croissantes (en direction des pays sahéliens). Mais cette filière a des débouchés plus rémunérateurs vers les pays européens, fragilisant ainsi l’offre sur le marché communautaire. Enfin, le pays est une plaque tournante du commerce du bétail vers le Nigeria qui est le gros consommateur de viande de la région. Par contre la mangue est gaspillée au Bénin, par manque d’une volonté politique de transformation en s’inspirant du Dafani au Burkinabé.

 

Burkina Faso : l’exemple de la tomate de ce pays plutôt sahélien n’est plus à démontrer. Il approvisionne la plupart des grandes villes de ses voisins côtiers paradoxalement plus arrosés (Bénin, Togo, Ghana et Côte d’Ivoire). Il en est de même de la production céréalière (le maïs principalement) qui est exportée vers le Niger (produit à Logobou et vendu au marché de namounou dans la Tapoa) et Mali. Le bétail, lui est exporté vers les pays côtiers, principalement vers le Nigéria. Le pays importe des tubercules et des fruits (igname, ananas, orange et bananes y compris le Plantin) depuis le Bénin, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Il fait partie des premiers exportateurs du sésame et du beurre de karité vers l’international.

Niger : il exporte surtout l’oignon vers les pays côtiers, principalement au Ghana et en Côte d’ivoire. Pendant la période de récolte, le pays se vide de sa production d’oignon et au moment de la rupture des stocks, il s’approvisionne de l’extérieur (Hollande). Là encore se pause un problème de maitrise des et de régulation des stockage, et de politiques structurantes d’auto approvisionnement peu performantes. 

Nigéria : première puissance de l’espace communautaire et malgré les bons exemples de réussies sur le plan agricole, il est contraint à recourir aux importations pour répondre aux besoins non couverts par la production locale à cause de son poids démographique. A lui seul, il constitue un marché que les pays membres de la CEDEAO ne peuvent pas satisfaire. Le Nigéria réalise d’importantes performances de production, dispose d’une diversité d’agro-système et  surtout d’une politique agricole (les réformes sous le ministre Akinwumi Adesina, actuel président de la BAD) qui peut inspirer d’autres pays de zone (à adapter au contexte et moyens de ces pays notamment.

Personnellement, je pense que l’essor des marchés de niches vers les pays européens est un véritable frein (pour ne pas dire un piège) à l’intégration régionale des marchés. En effet, les filières biologiques et équitables qui ont des débouchés sûrs et plus rémunérateurs pour les producteurs pénalisent la disponibilité de ces produits sur les marchés locaux. Aussi, l'insuffisance de la structuration du marché communautaire rend difficile la traçabilité des flux commercés entre pays.

Yes, the marketing of agricultural food products in West Africa is one of the main factors in the regulation of food supply, especially in the cities. This question is even more vital because not only is production governed by unpredictable climatic factors, but the harvest of basic food products (easily exportable, like cereals) takes place once a year. Furthermore, the quantity and quality of the harvest varies from year to year and from one agro-ecological area to another. At the same time, the demand for food products cannot be reduced, but rather increases gradually throughout the year. In these conditions, the actual integration of markets in the region could be a real way to balance distribution of food products because many studies have shown the potential food self-sufficiency of the area (IFAD, FAO, 2013)

The problem, which at the same time is the distinguishing factor of West African trade, is its informal character and the multitude of small operators, without which integration of the market would be a Utopia.  In fact, it is these small traders who take charge of the hard task of building exportable stocks in a context where publicly held stocks are almost non-existent despite, the statements of the producers ‘organizations. The activity of these operators, who have no knowledge of the concept of "regionality [belonging to a region]" as it is understood here, is often not taken into account by statistics which do not encompass its different aspects. For example, I do not know of any study that documents the trade in pineapples between Benin and the hinterland by drivers of fuel tanker trucks.

But despite all pessimism that may arise about market integration in the sub-region, some encouraging changes are worth mentioning (even if they need to be better structured).

Benin: is relatively self-sufficient and seems to trade few agricultural products on the sub-regional market.  The main exported products are roots and tubers (yam and cassava) and maize. The outlets are Nigeria and Niger and a small amount goes to Burkina and Togo. For some years already, pineapples constitute a growth market (towards the Sahel countries). However this sector has more profitable prospects in the European countries, which weakens availability for the community market. Finally, the country is a focal point for trade of livestock to Nigeria, the main consumer of meat in the region. On the other hand, the mango is wasted in Benin because there is a lack of political support for transformation such as that of Dafani in Burkina Faso.

Burkina Faso: the example of tomatoes  in this predominantly Sahelian country needs no further illustration. It supplies the majority of the big cities in the neighboring countries which are paradoxically better irrigated (Benin, Togo, Ghana and Ivory Coast). It is also the case with cereal production (mainly maize) which is exported to Niger (produced in Logobou and sold in the Namounou market in the Tapoa province) and Mali. Cattle are exported to the coastal countries, mainly Nigeria. The country imports tubers and fruit (yam, pineapple, oranges and bananas, including plantain) from Benin, Ghana and Ivory Coast. It is one of the main exporters of sesame and of shea butter to the international market.

Niger: exports above all onions to the coastal countries, mainly Ghana and Ivory Coast. During the harvest period, the country is emptied of its onion production and when it is out of stock it imports from outside (Holland).  In this instance there is a problem of control and regulation of stocks and of poorly performing policies on the structuring of self-sufficiency.

Nigeria: leading power of the community area yet despite good examples of success in agriculture is forced to resort to imports to meet demand not covered by local production because of its demographic density.  Just by itself, it constitutes a market that the member countries of ECOWAS cannot satisfy. Nigeria achieves significant production levels, has a diverse agro-system and above all an agricultural policy (the reforms under the Minister Akinwumi Adesina, present president of the African Development Bank) which can be an inspiration to other countries in the area (once   adapted to the  particular context and means of these countries).

Personally, I think that the rise of niche markets directed to European countries is a true obstacle (not to say a trap) to regional market integration. In fact, the organic and fair trade networks which have secure and well remunerated outlets for the producers penalize the availability of their products on the local markets. At the same time, the inadequate structure of the community market makes it difficult to trace the flow of trade between countries.

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La sécurité alimentaire a toujours été une notion vaste et pour la plus par du temps mal cernée dans la mesure où les différents acteurs intervenant dans le processus de la garantir l’ont toujours sans tenir compte facteurs inhérents. Ainsi garantir la sécurité alimentaire ne s’agit pas seulement d’assurer une disponibilité alimentaire au cours d’une période mais aussi garantir plusieurs autres déterminants dont la sécurité nutritionnelle des aliments, l’innocuité des aliments, le transport et les voies d’accès, la politique agricole et bien d’autres facteurs en l’occurrence les marchés (commerce, flux des produits agricoles, circuit de distribution et d’approvisionnement…etc). Le commerce régional et international des produits agricoles varie d’un pays à un autre, des potentialités agro écologiques de chaque pays, des politiques agricoles et commerciales adoptées par les gouvernements de chaque pays, de la position géostratégique que jouit chaque pays …etc. Toutes fois il est à noter que les céréales, les fruits et légumes, les racines et tubercules, les produits de pêche occupent une place importante dans le commerce régional et international aussi bien sous leur forme primaire que transformée. Certains fruits et légumes appartiennent à un groupe de produits qui sont au cours d’une période de l’année mal exploités pendant que d’autres pays ne disposant pas des mêmes conditions climatiques que d’autres en sont dans le besoin. A tout ceci s’ajoute les dispositions règlementaires et les normes de production et de commercialisations qui quelques fois au lieu de participer à une bonne fluidité des échanges commerciaux les freinent. Dans le but d’améliorer la fluidité des échanges de produits agricoles dans la région il faut :

• Réorganiser le secteur informel d’importation/exportation

• Définir entre les Etats, les produits agricoles que chaque pays est autorisé à exporter et à importer

• Renforcer les mesures de contrôles des importations/exportations dans chaque pays

• Informer et former les différents acteurs du secteur d’importation/exportation sur les normes de productions et de commercialisation

• Orienter les politiques agricoles nationales pour favoriser le commerce des produits agricoles sans pour autant affecté la production des produits agricoles non soumis au commerce régional

Food security has always been a vast concept and mostly misunderstood in the sense that the different actors intervening in the process of guaranteeing it have always done so without taking into account inherent factors. It is thus that to guarantee food security does not only mean to ensure the availability of food for a given period of time but also to guarantee several other determinants such as nutritional security of food, safety of food, transport and access routes, agricultural policies and many other factors at play in the marketplace (trading, agricultural production fluctuations, distribution and supply chains, etc.)

The regional and international trade in agricultural products varies from country to country, as does the agro-ecological potential of each country, the agricultural and commercial policies adopted by the governments in each country, the geo-strategic position that each country enjoys, etc. However, it is important to note that cereals, fruit and vegetables, roots and tubers, and fishing products have an important role in regional and international trade, both as primary and transformed products. Some fruit and vegetables belong to a group of products which at some time of the year are wastefully exploited while some countries not having the same climatic conditions as others go short. To all this, regulatory provisions and norms governing  production  and commercialization have to be added which sometimes instead of contributing  to  the efficient flow of commercial interchanges , is putting a brake on them.

In order to improve the flow of agricultural products trading in the region, it is necessary to:

• Reorganize the informal sector of import/export

• Define between the States, which agricultural products each country is authorized to export and import

• Reinforce the measures for controlling import/export in each country

• Inform and train the different actors in the import/export sector regarding the norms of production and commercialization.

• Direct national agricultural policies so that they encourage trade of agricultural products without affecting the production of those agricultural products that are not subject to regional trade.