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Documents de travail

ECOLOGIE DES PECHES DES PLAINES D'INONDATION AFRICAINES1

par

R.L. Welcomme
Ressources halieutiques
(Enquêtes)
Service de la prospection et de l'évaluation des ressources aquatiques
Division des ressources halieutiques et de l'environnement
FAO, Rome

Résumé

Le présent document décrit la morphologie des plaines d'inondation et les changements physiques et chimiques accompagnant le cycle d'inondation. L'auteur présente certaines considérations sur la biologie des espèces de poissons et résume les principales méthodes de pêche. Les données sur la productivité et la biomasse ont été rassemblées, et on a évalué les effets de régimes d'inondation différents sur les captures. On a formulé des conclusions sur les recherches possibles et les politiques d'aménagement des pêcheries dans les plaines d'inondation.

1 Ce document est le rapport préliminaire du Groupe de travail sur les pêches des plaines d'inondation tel qu'il a été soumis à la Consultation sur les problèmes des pêches dans le Sahel. Un rapport révisé et complété sera publié dans la série des Documents Techniques du CPCA.

1. INTRODUCTION

Bien que ces dernières années une grosse somme de travail ait été consacrée aux pêcheries des eaux intérieures africaines, un effort ětonnamment faible a été consacré à la biologie des poissons de rivières ou de plaines d'inondation. Il en est résulté un manque général de connaissance des mécanismes écologiques régissant les populations de poissons dans ces eaux malgré que l'on y trouve certaines des plus importantes pêcheries d'Afrique.

Par suite de la forte demande mondiale de nourriture et d'énergie hydroélectrique, les cours d'eau et plaines d'inondation, comme beaucoup d'autres écosystèmes, sont l'objet de demandes croissantes d'aménagement rationnel. Dans le cas des plaines d'inondation, cela comporte le développement d'un certain nombre d'activités autres que la pêche et plusieurs d'entre elles s'opposent au maintien des communautés de poissons dans leurs eaux.

Pour assurer que la pêche joue son propre rôle dans le développement intégré de telles zones, il est vital d'obtenir les informations de base nécessaires pour évaluer les effets des changements dans l'écosystème sur les poissons. En tant qu'étape préliminaire, l'attention de la première session du Comité des pêches continentales pour l'Afrique (Fort Lamy, Tchad, 1972) a été dirigée vers ces problèmes (Welcomme, 1974) et il a été recommandé qu'un Groupe de travail par correspondance soit établi pour rassembler les données existantes sur les pêches dans les plaines d'inondation et pour stimuler la recherche dans ces zones (première session du Comité FAO des pêches continentales pour l'Afrique).

La présente communication, qui est supposée répondre à la première partie de la recommandation, est basée sur une revue de la bibliographie, des observations personnelles et des renseignements non publiés fournis par différents chercheurs halieutiques africains, et résume les connaissances sur l'écologie halieutique des systèmes des plaines d'inondation du continent africain. Quelques observations sont nécessairement spéculatives ou basées sur des preuves occasionnelles, mais l'auteur espère qu'elles stimuleront l'intérêt et la discussion et serviront de base aux travaux ultérieurs sur cette très importante zone.

2. LA MORPHOLOGIE DES PLAINES D'INONDATION

2.1 Morphologie générale

Une plaine d'inondation est généralement une bande de terrain plate, relativement basse, bordant un cours d'eau, et qui est submergée à certaines saisons. D'après Leopold, Wolman et Miller (1964), une plaine d'inondation typique présente les caractéristiques suivantes:

  1. le lit mineur du cours d'eau;

  2. des bras morts ou des lacs délaissés, représentant la partie isolée des méandres;

  3. des langues, couches de dépôts sur le côté convexe des courbes des cours d'eau;

  4. des volutes de méandres, dépressions et levées derrière le côté convexe des courbes formées quand le lit s'est déplacé latéralement vers l'aval;

  5. des laisses, flaques d'eau morte, formées à la fois dans les dépressions en volutes et le long des falaises quand l'inondation s'ěcoule directement vers l'aval, en affouillant le long des rìves;

  6. des levées naturelles, des levées (bourrelets de berge) ou des crêtes surélevées au-dessus de la surface de la plaine d'inondation voisine du lit, contenant généralement des matériaux grossiers déposés quand la crue s'écoule au-dessus des rives du lit. On les trouve le plus souvent sur les rives concaves. Quand la majeure partie de la charge transportée est composée de petites particules, les levées naturelles peuvent être absentes ou presque imperceptibles;

  7. des sédiments des marécages, les dépôts au-dessus des rives de sédiments fins déposés dans l'eau morte emprisonnée entre la levée naturelle et la falaise bordière ou la terrasse du cours d'eau;

  8. les éventails de sables, dépôts de débris de l'inondation généralement de particules de sable grossier sous forme d'éventail ou de débris dispersés.

Dans l'esprit des auteurs, les plaines d'inondation sont des caractéristiques de dépôt d'un lit de cours d'eau par lesquelles les sédiments sont conservés temporairement dans la plaine d'inondation. Dans des conditions d'équilibre moyennes obtenues sur un certain nombre d'années, l'apport net de sédiments égale l'écoulement net, bien qu'il se produise des changements locaux dans la morphologie de la plaine d'inondation par envasement de vieux lits et l'ouverture de nouveaux.

La plupart de ces caractéristiques majeures peuvent être trouvées dans les grands fleuves, quoique dans les petits cours d'eau il puisse être difficile de les distinguer par suite de la rapidité avec laquelle les changements ont lieu.

Les caractéristiques des plaines d'inondation les plus importantes pour les poissons sont (Fig. 1 et Fig. 2):

Le lit principal du cours d'eau, qui peut être simple ou entrelacé. Les lits entrelacés (voir Fig. 3) se composent de plusieurs cours d'eau anastomosés faisant des méandres parmi des îles sableuses et couvertes de végétation, qui émergent aux basses eaux et sont submergées aux hautes eaux. De tels lits sont typiques du Zambèze, du Niger et du Congo, et où ils existent, la plaine d'inondation latérale est souvent de largeur réduite. Il y a des preuves (Svensson, 1933; Gosse, 1963) qu'écologiquement parlant, ces îles sont analogues aux plaines d'inondation latérales et jouent un rôle semblable dans la biologie des poissons.

La plaine d'inondation, qui est submergée pendant la phase de crue et s'assèche pendant la phase des basses eaux. La majorité des plaines d'inondation sont sur des cours d'eau du type “soudanien”, c'est-à-dire avec une végétation de savane herbeuse, bien que des cours d'eau de type “guinéen” aient des plaines d'inondation forestières, ce qui donne la forêt inondée typique de beaucoup de rivières du Zaïre.

Marais et mares (lagunes) situés dans les dépressions de la plaine d'inondation, qui peuvent être permanents, persistant d'une phase d'inondation à la suivante, ou temporaire, s'asséchant progressivement à mesure que progresse la phase des basses eaux. La distinction entre les marais et les mares dépend largement de la quantité de végétation qui peut se modifier au cours d'une saison. Il existe une tendance des mares permanentes à devenir des marais quand leur niveau d'eau s'abaisse. Sous leur forme la plus extrême, ces caractéristiques comprennent une partie importante de la zone de plaine d'inondation; des systèmes comme le Luapula (Fig. 1B) et le Pongola se composent de bandes de grands lacs permanents et les “Elephant marshes” de la plaine d'inondation de la rivière Shire sont des marais persistants étendus.

Canaux et marigots, qui relient entre elles les cuvettes de la plaine d'inondation et avec le cours d'eau forment un réseau sur la plaine. Plusieurs d'entre eux pénètrent dans le bourrelet riverain et représentent les voies principales du mouvement de l'eau pendant les premières périodes de la crue et les dernières phases de la décrue.

Bourrelets ou bancs surélevés bordant le lit principal du cours d'eau, qui peuvent être importants par la façon selon laquelle ils dirigent ou dévient l'écoulement de l'eau sur la plaine d'inondation et retardent à la fois l'établissement de l'inondation et le drainage et l'assèchement de la plaine.

L'importance de ces caractéristiques est fréquemment reconnue par les populations vivant sur les systèmes de plaines d'inondation et est reflétée dans leur langage où chacune est nommée (Holden, 1963; Hurault, 1965; CTFT, 1972; Rzóska, 1974). Par exemple, dans le Sénégal, le bourrelet riverain est le “Fondé” et les dépressions de la plaine d'inondation “Oualo” sont alimentées par des marigots “tiangol” et retiennent dans leur partie la plus basse une mare permanente ou un marécage “Vindou”.

2.2 Classification des plaines d'inondation

Svensson (1933) distingue trois types principaux de marais de plaine d'inondation selon le mode de leur submersion. Les marais du type 1 sont formés par les précipitations locales ou le drainage seulement et entrent en relation avec le cours d'eau ou d'autres marais à un niveau inférieur par un seul canal ou marigot. Ces marais ne sont jamais influencés par les variations de niveau du cours d'eau, mais les poissons peuvent y émigrer en remontant le canal de liaison. Les zones du type 2 sont situées immédiatement le long du cours d'eau, lequel les inonde directement. Les marais du troisième type (type 3) sont intermédiaires entre les deux autres et sont localisés dans les dépressions peu profondes de la plaine d'inondation séparée du cours d'eau par des bourrelets. L'accès se fait par les canaux et l'inondation dans le premier cas est le résultat des chutes de pluie locales et du drainage et plus tard séulement d'une élévation du niveau de cours d'eau.

Les plaines d'inondation peuvent aussi être séparées par la dimension et la permanence de la masse d'eau avec laquelle elles sont associées comme la dynamique des populations de poissons de systèmes de cours d'eau/plaine d'inondation reliés à de grands lacs (par exemple, les Yaérés des fleuves Chari-Logone (Durand, 1970) ou la plaino d'inondation des fleuves du Kenya s'écoulant dans le lac Victoria) diffère vraisemblablement beaucoup de celle des cours d'eau qui se divisent en une série de mares isolées pendant la saison séche rien que pour la raison de la capacité de transport de la masse d'eau disponible pendant les basses eaux (Van Someren, 1961).

Une distinction plus poussée peut être faite entre les plaines d'inondation frangeantes qui sont des caractères normaux de l'évolution longitudinale du cours d'eau et les surfaces qui surgissent par accident géographique. Les premières sont normalement très longues mais relativement étroites, alors que les secondes, parmi lesquelles le delta central du Niger ou les plaines du Kafue de la Zambie sont typiques, et généralement de grandes surfaces disproportionnées avec le reste du système, qui surgissent à cause de la configuration particulière du terrain et peuvent se produire à n'importe quel point du cours d'eau. D'autres plaines d'inondation de ce type sont communes dans les zones de delta vers l'embouchure d'un cours d'eau, par exemple l'Ouémé et le Sénégal.

La nature des cours d'eau eux-mêmes varie selon la région dans le continent africain. Daget et Iltis (1965) classent les cours d'eau africains en (i) type guinéen et (ii) type soudanien.

(i) Les cours d'eau guinéens sont ceux qui drainent les zones forestières de l'Ouest africain. Ils coulent à travers des forêts-galeries et ont des plaines d'inondation qui peuvent s'étendre pour inonder de grandes surfaces du sol forestier. Ils passent pour être moins productifs que les cours d'eau soudaniens.

(ii) Les cours d'eau soudaniens drainent les régions de savane ouverte et ont peu ou pas de frange forestière. La plaine d'inondation est généralement étendue et couverte d'herbe.

Néanmoins, toute classification des plaines d'inondation en types basée sur leur morphologie est difficile car la gamme de variation embrasse de trop nombreuses formes intermédiaires. Cependant, il est utile de garder à l'esprit ces différences quand on interprète le comportement des différentes régions.

2.3 Distribution et superficie

Les plaines d'inondation frangeantes peuvent être considérées comme des caractères de développement normaux des cours d'eau et elles existent avec une extension plus ou moins grande dans la plupart des cours d'eau africains. Les principales plaines d'inondation dues à des anomalies géographiques locales sont quelque peu plus rares et sont confinées seulement à certains systèmes de cours d'eau. Les superficies inondées et asséchées de quelques plaines d'inondation sont données par le tableau I.

On dispose de moins de données sur la composition des éléments en basses eaux du système (tableau II), bien que les chiffres cités indiquent la proportion relativement faible de la surface totale qui est due au lit principal.

TABLEAU I

Caractéristiques de quelques plaines d'inondation africaines

Plaine d'inondationA1
Superficie au maximum de la crue
(ha)
A2
Superficie pendant les basses eaux
(ha)
Autorité
Barotse (Zambèze)   512 000     32 915  61MacDonald
Benoué* (Nigeria)   310 000   129 00042 FAO/UN, 1970
Plaine du Kafue   434 000   145 560341Kapetsky
Massilli*       1 500          200131Barry
Niger (delta central)2 000 000   300 000151Barry
Niger* (Niger)     90 704     27 00030 FAO/UN, 1971
Niger* (Dahomey)     27 440       3 20012 FAO/UN, 1971
Niger* (Nigeria)   480 000   180 00038 FAO/UN, 1970
Okavango1 600 000   312 000201Cross
Ogun*       4 250       2 500591Tobor
Oshun*       3 740       2 000531Tobor
Ouémé   100 000       5 170  5 Obs. pers.
Pongolo*     10 416       2 927281Coke
Sénégal*1 295 000     78 700  61Lessent, Fall, Sere
Elephant et Ndinde Marshes (Shire)2     67 300     46 049631Hastings
Sudd (Nil)9 200 0001 000 00011 Rzóska, 1974
Volta* (Volta blanche)2     85 324     10 221121Vanderpuye
Yaérés (Lagone)2   460 000       2 450     0.51Ali Garam

* Plaines d'inondation frangeantes

1 Réponses aux questionnaires du Groupe de travail CIFA

2 Partie d'un plus grand système

TABLEAU II

Composition de système de plaine d'inondation en saison sèche

Plaine d'inondationCours d'eau plus canauxMaraisLagunes/lacTotalSuperficie sèche (ha)
Kafue5 380(  4)130 000(89)10 180(  7)145 560288 440
Shire724(  2)15 500(84)6 000(14)  46 049  21 251
Pongolo427(15)          - 2 500(85)    2 927    7 489
Sénégal28 100(36)          - 50 600(64)  78 7001 216 300   
Ouémé1 402(27)          - 3 768(73)    5 170  94 830

- Superficie négligeable

( ) Pourcentage de total

3. FACTEURS LIMNOLOGIQUES

3.1 Régimes d'inondation

La caractéristique essentielle de la plaine d'inondation qui la distingue des autres systèmes aquatiques, est l'alternance des phases d'inondation et d'assèchement. L'inondation peut être provoquée par deux facteurs principaux: (i) les pluies locales; et (ii) le débordement du cours d'eau.

Les pluies locales et le drainage peuvent inonder les dépressions dans la plaine indépendamment de toute élévation du niveau de cours d'eau. Ce type d'inondation a été relevé sur le fleuve Gambie par Svensson (1933) et sur le Kafue par Carey (1971) et il est probablement commun à tous les systèmes à un degré plus ou moins grand. De grandes surfaces peuvent être inondées de cette façon et l'inondation du Chari supérieur (Bar Salamat et Bar Azoum) paraît être presque entièrement de ce type (Durand, communication personnelle).

Le débordement du cours d'eau se produit quand une onde de hautes eaux descend le lit du cours d'eau en débordant des rives et bourrelets riverains pour inonder la plaine basse (Fig. 4).

Les deux types d'inondation sont assez distincts, l'un produisant l'inondation de la plaine vers le cours d'eau, et l'autre du cours d'eau vers la plaine. Dans beaucoup de régions, ils peuvent se produire à différentes périodes de l'année. Dans les fleuves longs, par exemple, l'arrivée du maximum de la crue peut être retardée jusqu'à la saison sèche. Un tel retard est typique du Niger où, au niveau de Malanville (Dahomey), deux inondations ont lieu, l'une en août–novembre causée par la pluie et le drainage des cours d'eau locaux, et la seconde en décembre–mars due à l'arrivée de la crue du cours supérieur du fleuve.

La tendance des crues à arriver à différents moments des divers tributaires des grands fleuves peut amener à des types complexes de crue ou éventuellement à la suppression effective de la fluctuation de la hauteur d'eau.

Les modes de crue typiques des principales plaines d'inondation africaines montrés dans la Fig. 5 indiquent que la phase d'inondation du cycle annuel dure environ six mois (de l'ordre de 4,5–8 mois). Il est donc difficile de donner des chiffres absolus de la durée de l'inondation pour chaque plaine d'inondation par suite du temps nécessaire pour que le maximum d'inondation traverse la zone. La Fig. 4 montre le régime hydrologique de trois plaines d'inondation où le maximum met un mois environ pour aller vers l'aval d'une extrémité à l'autre de la plaine. Le même phénomène rend difficile l'évaluation des surfaces inondées absolues car le niveau de l'eau peut diminuer dans une partie du système alors qu'il s'élève dans une autre, et dans les cas extrêmes comme l'Okovango, une partie de la plaine est sèche alors que l'autre est inondée.

Indices hydrologiques: En plus de la simple hauteur de l'eau mesurée sur une échelle, on a utilisé un certain nombre d'autres mesures de l'intensité de la crue pour évaluer les effets de l'inondation sur la dynamique des poissons dans le système. Chapman et al. (Université de l'Idaho, 1971) et Dudley (1972) ont utilisé un indice d'inondation (FI) en mesurant la surface sous une courbe de la hauteur d'eau pour la phase de crue du cycle de l'eau. Kapetsky (1974) utilise une modification de cet indice pour obtenir trois indices (Fig. 6):

  1. Indice 1: la surface sous une courbe du niveau d'eau auquel la plaine d'inondation devient inondée initialement jusqu'à ce que finalement elle soit sèche (en noir dans la Fig. 6). C'est une mesure de l'étendue annuelle et de la durée de submersion de la plaine d'inondation;

  2. Indice 2: la surface an-dessus de la courbe du niveau d'eau pour la durée pendant laquelle la plaine d'inondation s'assèche jusqu'à ce qu'elle soit inondée de nouveau. Cet indice mesure l'étendue de l'environnement aquatique quand la plaine d'inondation est sèche et comprend la durée de la phase sèche (étiage);

  3. Indice 3: la surface au-dessus de la courbe du niveau d'eau seulement jusqu'à ce que l'étiage soit atteint (indiqué par la ligne blanche dans la Fig. 6). C'est une mesure de l'étendue et de la durée de la contraction de l'environnement aquatique après que la plaine d'inondation est asséchée.

L'indice 3 est similaire au DDF (Draw-Down Factor) utilisé par Lagler et al. (Université de Michigan, 1971), qui est la somme des valeurs pour le volume d'emmagasinage d'inondation des “Kafue flats” des mois de septembre à décembre.

3.2 Facteurs physiques et chimiques

Une quantité modeste de données de divers systèmes africains indique les similarités du comportement hydrologique existant entre eux. Les changements physiques et chimiques suivent étroitement le cycle d'inondation. Il y a peu ou pas de distinction entre les conditions dans le cours d'eau et sur la plaine d'inondation pendant les crues, mais des différences surgissent après la séparation des cuvettes d'inondation d'avec le lit principal du cours d'eau.

Oxygène dissous: Les niveaux d'oxygène dissous sont généralement plus bas dans le lit du cours d'eau et dans les mares des plaines d'inondation pendant la saison sèche que pendant les crues (par exemple, Egborge, 1971; Carey, 1971), bien qu'il se produise des variations dues à l'action du vent ou à l'activité photosynthétique des plantes aquatiques (Holden et Green, 1960). Des niveaux plus bas d'oxygène dissous peuvent être provoqués dans le cours d'eau au début des inondations par le balayage d'eaux stagnantes des marais (Holden et Green, 1960; Tait, 1967). Les petites mares des plaines d'inondation peuvent être désoxygénées en saison sèche (Welcomme, 1971), et Tait (1967a) a décrit des mortalités catastrophiques de poissons attribuées à l'inversion due au vent des eaux désoxygénées des mares.

pH: Le pH est le plus variable des facteurs entre différents systèmes de cours d'eau. En général, le pH est plus bas pendant la saison de la crue et s'élève en saison sèche dans le lit du cours d'eau (Tait, 1967; Egborge, 1971). Les changements dans les cuvettes des plaines d'inondation pendant la saison sèche paraissent dépendre du type de sol; ainsi, dans les marécages du type 1 du système de la Gambie, l'eau était plus acide que celle de la rivière (Johnels, 1954), on a relevé peu de différence entre les mares et le fleuve dans le Sénégal (Centre technique forestier tropical, 1972a) et l'eau dans les lagunes du fleuve Sokoto tendaient à l'alcalinité due à la concentration du calcium par évaporation (Holden et Green, 1960).

Conductivité: Le Centre technique forestier tropical (1972a) a relevé une tendance générale vers une conductivité plus élevée en saison sèche qu'en saison des pluies. Le même fait a été noté par Duerre (FAO, 1969) pour la “Barotse Plain”, Egborge (1971) pour la rivière Oshun et Carey (1971) pour le Kafue. Cela ne signifie pas nécessairement que la quantité totale de sels est moindre pendant les crues; Holden et Green (1960) pensent plutôt que le total reste inchangé mais est plus dilué par suite de l'existence d'une plus grande quantité d'eau dans le système. Des anomalies dans la productivité du lac Tchad (Lamoalle, sous presse) mises en corrélation avec l'absence des inondations des Yaérés peuvent suggérer qu'il y a une augmentation d'ions descendant au Chari qui restent normalement sous forme liée sur la plaine d'inondation (Daget, communication personnelle). Le rôle des éléments nutritifs dans le système plaine d'inondation/cours d'eau reste cependant largement sous-exploré, en particulier en conjonction avec les variations de la productivité primaire (voir 3.3).

Courants: Communément, on pense peut-être que les eaux des plaines d'inondation sont très statiques. Cela ne paraît pas être le cas car des courants d'intensité variable circulent dans les plaines pendant toute la période d'inondation. Ces courants sont probablement caractéristiques des plaines et sont régis par les ouvertures dans les bourrelets riverains. Dans quelques cours d'eau, par exemple dans les Yaérés, l'eau qui déborde d'une rivière, le Logone, est évacuée par un second canal, l'El Beid. Dans d'autres cours d'eau, l'eau entrant dans le système de la plaine d'inondation en amont émerge de nouveau plusieurs kilomètres en aval. Il est évident que de tels types de courants conditionnent le comportement des poissons habitant le système.

3.3 Phytoplancton et autres organismes

Phytoplancton: A propos du système des Yaérés du Logone, Blache (1964) a écrit que l'entrée en solution immédiate des éléments nutritifs et minéraux (fèces, végétation séche, cendres, etc.) du sol amène une augmentation explosive du phyto- et du zooplancton. Cette opinion n'est pas soutenue par les autres chercheurs dans d'autres zones de l'Afrique, lesquels étant en général d'accord sur le fait que la production maximum de phytoplancton a lieu pendant la saison sèche et que pendant la crue, les concentrations sont faibles (Centre technique forestier tropical, 1972a; Holden et Green, 1960; Talling et Rzóska, 1966). En fait, Egborge (1974) a trouvé que la production de phytoplancton est en corrélation étroite avec la conductivité et la transparence, et est en corrélation inverse avec le niveau de l'eau et la vitesse du courant. Le lieu principal de production de phytoplancton dans un système de plaine d'inondation paraît être dans les lagunes après séparation du cours d'eau (Centre technique forestier tropical, 1966, 1972; Holden et Green, 1960) et Egborge (1974) a trouvé que toutes les formes de phytoplancton, sauf les diatomées, dominent dans les eaux mortes du Oshun en saison sèche. Des floraisons occasionnelles de phytoplancton ont été relevées dans des cours d'eau en saison sèche (Carey, 1971). Le maximum de production de phytoplancton paraît donc avoir lieu dans les lagunes et les mares de la plaine d'inondation en saison sèche. Cependant, Holden et Green (1960) ont suggéré que la quantité totale de phytoplancton du système change peu et qu'il y a surtout une dilution qui a pour résultat une densité réduite par unité de surface.

Zooplancton: Il existe peu d'informations sur la production de zooplancton, bien qu'une corrélation nette entre celle-ci et la conductivité ait été relevée (FAO/UN, 1969). On a noté une production élevée d'organismes du zooplancton dans les grands lacs de plaine d'inondation aux basses eaux, mais elle demeure faible dans les cours d'eau (FAO/UN, 1970). Le zooplancton paraîtrait donc suivre un mode similaire à celui du phytoplancton.

Végétaux supérieurs: La caractèristique la plus remarquable des plaines d'inondation pendant la période de montée des eaux est la rapidité de croissance des végétaux supérieurs. Souvent, ceux-ci sont brûlés complètement en saison sèche, mais ils colonisent rapidement la zone inondée et on a relevé des vitesses de croissance de 75–100 cm en deux semaines (Kapetsky, communication personnelle). Les estimations de production d'herbes indiquent un poids moyen de 16 000 kg/ha après 5 semaines environ d'inondation (Kapetsky, 1974). En corrélation avec la quantité accrue de végétation, on trouve le périphyton, comprenant les algues filamenteuses, qui apparaît attaché à la plupart des surfaces (Carey, 1971, observation personnelle), et il semble vraisemblable que pendant les périodes de hautes eaux où il faut trouver des supports appropriés, le périphyton (ou “Aufwuchs”) remplace le phytoplancton au moins jusqu'à un certain point.

Autres invertébrés: Les populations d'insectes et d'autres invertébrés des plaines d'inondation restent relativement peu étudiées. Carey (1967) déclare que les plus grandes concentrations de macro-invertébrés se trouvaient dans les herbes des lagunes, mais qu'ils étaient généralement largement distribués et abondants dans les zones inondées. Des observations personnelles ont montré l'énorme augmentation des macro-invertébrés qui est possible pendant la phase d'inondation, quand pendant trois crues successives de l'Ouémé des gastropodes pulmonés sont apparus en grandes quantités pendant le second mois de l'inondation et ont persisté jusqu'à la fin de celle-ci; ces organismes sont généralement absents de l'environnement en saison sèche.

3.4 Résumé

Il semble que peu de la traditionnelle richesse des plaines d'inondation soit discernable d'après les changements chimiques de l'eau ou la production de plancton pendant la période d'inondation du cycle. En vérité ces deux facteurs paraîtraient indiquer une plus grande productivité aux basses eaux. Cependant, cette période présente une intense activité de croissance pour les végétaux supérieurs et il est possible que l'utilisation des sols par les plantes en croissance soit si rapide que peu d'ions libres entrent dans la composition aqueuse du système. La croissance des poissons et aussi des macro-invertébrés est rapide également et bien que peu d'espèces soient planctonophages, une source appropriée d'éléments nutritifs peut être disponible pour favoriser leur croissance. Ils sembleraient se trouver dans les détritus et peut-être dans les organismes épiphytes. En général, il existe peu d'informations sur les chaînes alimentaires et les inter-relations énergétiques des organismes des plaines d'inondation et le sujet nécessite beaucoup de recherches dans le futur.

4. UTILISATION DE LA PLAINE EN SAISON SECHE

En dehors de l'utilisation pour la pêche des eaux permanentes du lit mineur du cours d'eau et des mares des plaines d'inondation, la plaine ellemême remplit un certain nombre de fonctions qui peuvent influencer la productivité de la phase aquatique. A l'état natif, la plaine est colonisée par des herbes qui font vivre des populations de gibier, y compris l'hippopotame et sur quelques plaines, la population naturelle est maintenant retenue dans des parcs ou réserves. Les déjections de ces animaux restent sur la plaine comme dépôt de matériel organique. Dans beaucoup d'endroits, les herbes sont brûlées par des feux naturels ou allumés par l'homme vers la fin de la saison sèche. Cette pratique transforme les composants organiques de la terre herbeuse desséchée en cendres inorganiques, les rendant probablement par là plus facilement disponibles pendant les inondations et réduisant aussi la désoxygénation qui résulterait de l'immersion d'herbes pourrissantes. La plaine est largement pâturée et des cycles de nomadisme traditionnels se sont développés autour de ces zones, en particulier dans le delta central du Niger et le Sudd du Nil. Les déjections du bétail jouent un rôle similaire à celles du gibier. Diverses formes d'agriculture sont courantes mais ne sont pas du tout aussi répandues qu'elles pourraient l'être à cause des difficultés de vie dans ces zones. Sur certains cours d'eau seulement, comme l'Ouémé, il existe des villages sur pilotis qui sont adaptés à la vie pendant la période d'inondation. On y cultive le maïs, le manioc, le mil et divers légumes, et dans quelques endroits, on a commencé de petits projets de culture irriguée. Le riz est modérément commun mais la récolte et la majeure partie de la croissance prennent place pendant la phase des hautes eaux. L'agriculture peut avoir un effet contraire sur l'écologie de la plaine par l'emploi d'insecticides et la modification du régime d'inondation par des plans d'irrigation. Le rôle des engrais reste obscur, bien qu'ils puissent augmenter la productivité des deux phases de saison sèche et des pluies.

Les utilisations en saison sèche mentionnées dans des réponses au questionnaire du CIFA figurent dans le tableau III.

TABLEAU III

Utilisation des plaines d'inondation en saison sèche

Plaine d'inondationAgriculturePâturageRéserves de chasse ou forestières
Culture du rizHorticultureGénérale
Kafue  x x(58%)               x (2%)
(93 000 têtes de Lechwe)
Massili  x x  
Shirex  xx(148 000 têtes)x
Gambiex(50%)xxx(300 000 têtes) 
Delta centralx(1%)  x  
Okavango   xx x
Ouémé  xxx  
Ogun  x x x
Oshun   xx  
Pongolo   xx  
Sénégalx xxx x
Yaérés (Logone)    x x

5. BIOLOGIE DES POISSONS

5.1 Distribution des poissons dans le système

En général, les poissons sont concentrés dans les masses d'eau permanentes pendant la saison sèche et dispersés sur la plaine d'inondation pendant les crues. Cependant, quelques espèces semblent rester toute leur vie dans le lit principal du cours d'eau dans quelques systèmes. Dans le Niger, par exemple (Daget, 1954), il existe un certain nombre de paires d'espèces homologues dans les différentes zones dont une forme se reproduit dans la plaine d'inondation et l'autre dans le lit du fleuve.

Beaucoup d'espèces rencontrées normalement sur la plaine d'inondation sont adaptées pour survivre dans des conditions d'oxygène dissous réduit. Ces adaptations comprennent: la formation de cocon chez Protopterus sp., et des oeufs dormants chez diverses espèces de Nothobranchius et Aphyosemion, tous deux permettant la survie des espèces pendant les périodes sèches. Des filaments branchiaux externes existent chez les jeunes Heterotis et Gymnarchus et on trouve des branchies externes complètes chez Protopterus et Polypterus. Des espèces de Clarias, Heterobranchus, Ctenopoma, Parophiocephalus et Protopterus ont toutes des organes respiratoires accessoires permettant une respiration aérienne. Ces espèces forment un groupe qui est bien adapté à la vie dans les marais et tendent à se concentrer dans les petites mares et marais les plus désoxygénés de la plaine d'inondation pendant les basses eaux, quand d'autres espèces plus actives doivent être trouvées dans le cours d'eau ou les grandes lagunes. Le tableau IV donne un exemple de telles associations pour trois groupes de taille de mares de plaine d'inondation dans l'Ouémé (données d'observations personnelles non publiées).

5.2 Migrations

Les migrations de poissons dans les systèmes de cours d'eau tropicaux sont un phénomène bien établi et ont été largement décrites pour toutes les régions de l'Afrique. Daget (1960) identifie deux composantes de ces déplacements:

  1. migrations longitudinales dans le lit du cours d'eau;

  2. migrations latérales sur et hors des plaines d'inondation.

Chacune d'elles nécessite un type différent de comportement et probablement différents ensembles de stimuli physiologiques et toutes deux doivent être considérées comme des migrations “actives”. Le déplacement des poissons vers l'amont, contre les courants, est bien connue (Whitehead, 1959; Matágne, 1950; Welcomme, 1969), mais les poissons pénétrant dans la plaine d'inondation doivent fréquemment se déplacer contre des courants également forts (Johnels, 1954).

Divers auteurs (Blache, 1964; FAO/UN, 1970; Williams, 1971) classent les mouvements en quatre phases principales, en corrélation avec le régime de crue:

  1. montée de l'eau - eaux contenues entre les rives; à ce moment, les poissons peuvent entreprendre des migrations longitudinales dans le lit du cours d'eau soit des parties du cours d'eau sans plaine d'inondation soit des lacs adjacents;

  2. montée de l'eau - eaux s'étendant sur la plaine d'inondation; les poissons se dispersent par migration latérale sur la plaine d'inondation;

  3. baisse de l'eau - eau drainée de la plaine d'inondation; comme la surface inondée diminue, il y a un mouvement vers le cours d'eau et les autres masses d'eau permanentes;

  4. baisse de l'eau - une fois arrivés au cours d'eau, les poissons se dispersent vers les habitats de saison sèche.

Après le dispersion, il y a apparemment une période de stabilité avec peu de déplacement.

TABLEAU IV

Différences en espèces dans la composition des captures de mares permanentes de plaine d'inondation dans des régions différentes

EspècesReprésentation du pourcentage en poids
Petites mares
(jusqu'à 500 m2)
Mares moyennes
(500–5 000 m2)
Grandes mares
(plus de 5 000 m2)
Habitant les marais   
 Clarias ebriensis72,220,0  1,3
Clarias lazera  5,013,6  3,4
Ctenopoma kingsleyae  0,9  7,2P
Gymnarchus niloticus-P  2,1
Heterotis niloticus-26,0  2,6
Parophiocephalus obscurus23,827,2  1,6
Polypterus senegalusP  0,3  0,7
Protopterus annectensP  0,8  0,7
Xenomystus nigriP  0,2P
Distribution générale   
 Citharinus latus-  0,1  1,2
Distichodus rostratus-  0,7  8,1
Hepsetus odoe-  2,3  2,6
Hemichromis (2 espèces)PPP
Hyperopisus bebe-P  5,4
Lates niloticus--10,1
Labeo senegalensis--P
Mormyrops deliciosus--18,4
petits mormyridés--18,4
Pelmatochromis güntheriPPP
Schilbe mystus--  6,0
Synodontis (2 espèces)--15,2
Tilapia (4 espèces)-  1,6  2,2

P = présent à moins de 0,1 pour cent

La phase de migration longitudinale dans le cours d'eau peut être particulièrement spectaculaire, et les migrations intenses des espèces potamodromes, en particulier du genre Labeo ont été notées dans les rivières Nzoia et Yala. Kenya (Cadwalladr, 1965) et le Luapula (Matagne, 1950) où les poissons remontent les cours d'eau depuis les lacs. Dans ces cas, il y a une composante lacustre additionnelle à la migration.

Que ce déplacement dans les cours d'eau puisse être étendu a été démontré par Williams (1971) qui a marqué des poissons dans le Kafue et quelques-uns lui ont été renvoyés d'une distance allant jusqu'à 120 km. Les poissons du Delta central du Niger émigrent aussi sur de grandes distances (jusqu'à 400 km - Daget, 1957) et atteignent la zone de Bamako avant que la construction du barrage de Markala arrête leur passage (Daget, 1960a). Des migrations similaires sur de longues distances ont été relevées pour le système Chari/lac Tchad (Durand, 1970) et le système Nzoia/lac Victoria (Cadwalladr, 1965).

Il est prouvé que les migrations sur et hors de la plaine d'inondation ne se font pas au hasard et que les différentes espèces tendent à arriver à des moments caractéristiques et en groupes particuliers. Ainsi, Williams (1971) et l'Université de l'Idaho (1971) relèvent que Clarias spp., Schilbe mystus, Barbus spp., et Tilapia spp.1, commencent leur migration plus tôt que d'autres espèces dans le Kafue et chez quelques Tilapia, les femelles tendent à émigrer plus tôt que les mâles. La ségrégation est même plus spécifique dans les migrations hors des plaines d'inondation. Il y a d'abord une tendance des poissons adultes à quitter la plaine plus tôt, dès qu'il y a des indications de la diminution du niveau de l'eau (FAO/UN, 1970). Ensuite, les jeunes poissons partent dans un ordre précis. Les poissons sensibles aux conditions de diminution de l'oxygène, comme les Alestes, quittent la plaine les premiers et d'autres genres plus résistants comme les Clarias ou les Polypterus plus tard (Daget, 1957). Différentes espèces du même genre peuvent aussi avoir différents moments de migration et Welcomme (1969) a montré que deux espèces de Barbus se comportaient d'une manière très différente à cet égard. Durand (1971) démontre aussi que les poissons quittant la plaine d'inondation des Yaérés en empruntant l'El Beid sont associés en groupes ayant chacun un moment caractéristique de migration.

1 Y compris Sarotherodon spp. (Trewavas, 1973)

5.3 Reproduction

Le cycle de reproduction des espèces de poissons de rivière en Afrique est étroitement lié aux saisons, la reproduction ayant lieu presque universellement juste avant ou pendant les crues (Blache, 1964; Daget, 1954; Svensson, 1933; Carey et Bell-Cross, 1967; FAO, 1968; Durand, 1970). Normalement, les poissons se reproduisent dans les marais herbeux au bord des inondations qui progressent (Daget, 1957), bien qu'un certain nombre d'espèces comprenant Heterotis niloticus, Gymnarchus niloticus et Hepsetus odoe, construisent des nids flottants qui permettent la ponte en eaux plus profondes. Cependant, plusieurs espèces peuvent pondre dans le lit du cours d'eau avant que l'eau déborde sur la plaine d'inondation. Cela a été relevé particulièrement pour les espèces de Clarias et Tilapia dans le Niger (Daget, 1957). Les cichlidés du Kafue peuvent se reproduire avant l'inondation et transportent les oeufs et le frai sur la plaine d'inondation (Williams, 1971; Université de l'Idaho, 1971; Dudley, 1972) et l'observation personnelle montre aussi que cela est vrai pour Hemichromis et Tilapia dans l'Ouémé, Dahomey.

L'activité reproductrice continue pendant un certain nombre de semaines et chez quelques espèces pendant toute la saison d'inondation, bien qu'elle atteigne un maximum net pendant la première phase de l'inondation et s'arrête entièrement à la fin de celle-ci (Daget, 1957). L'inondation paraît être essentielle à l'exécution du cycle de reproduction de la plupart des espèces et le manque d'inondation dû à la sécheresse sahélienne a entraîné un déclin du succès de la reproduction des poissons du delta central du Niger (Macher - rapport préliminaire) et du lac Tchad (Stauch, communication personnelle).

Il existe des indications que l'intensité de l'inondation influe sur le succès de la reproduction car on a relevé des classes d'âge plus fortes pour les années où les inondations étaient particulièrement intenses dans le Kafue (Dudley, 1972).

5.4 Alimentation

Les habitudes alimentaires de beaucoup d'espèces de poissons de rivière ont été largement décrites (Daget, 1954; Svensson, 1933; Blache, 1964; Carey, 1971; FAO/UN, 1970) et les adultes couvrent toute la gamme de types trophiques, de prédateurs à planctonophages, bien que les espèces se nourrisant seulement de plancton soient généralement rares dans les cours d'eau. Les jeunes poissons paraissent se nourrir surtout de périphyton, détritus, zooplancton et petits insectes. Il existe une variation saisonnière importante de l'intensité d'alimentation en corrélation avec le régime de crue. Pendant les crues, la mise en liberté d'éléments nutritifs, la croissance rapide de la végétation, la disponibilité accrue d'autres sources d'aliments tels que les graines, les jeunes pousses, les feuilles, les insectes et mollusques forment la base d'une activité alimentaire particulièrement intense (Blache, 1964). La plupart des poissons sont dans la meilleure condition pendant cette saison et cela se reflète dans le facteur de condition élevé et les abondants dépôts de graisse dans la cavité du corps (FAO/UN, 1970). Pendant les basses eaux, l'intensité alimentaire est réduite (Johnels, 1954; Daget, 1957, 1960) et peut cesser dans certaines zones. Ce phénomène, partiellement au moins, est responsable de la formation des anneaux clairs sur les écailles de beaucoup d'espèces fluviales.

Selon les mêmes auteurs (Johnels, 1954; Kapetsky, 1974), les prédateurs piscivores sont une exception au schéma ci-dessus, montrant une alimentation réduite pendant les stades initiaux de l'inondation quand les poissons sont largement dispersés sur la plaine d'inondation et sont protégés par la forte croissance de la végétation, et une activité accrue pendant les basses eaux quand les individus sont rassemblés dans un volume d'eau qui diminue.

5.5 Croissance

Les taux moyens de croissance sont donnés pour plusieurs espèces de poissons de rivière par FAO/UN (1970) et Kapetsky (1974). Cependant, ils sont très variables et changent à la fois selon la saison et d'une année sur l'autre.

Fluctuations saisonnières: On peut s'attendre à des changements du taux de croissance pendant l'année dus à l'expansion et à la contraction de l'environnement aquatique, à la variation saisonnière de température et des précipitations et des changements de l'abondance de nourriture associés à l'inondation (Kapetsky, 1974). Les vitesses de croissance sont généralement plus lentes en saison sèche (Daget, 1957; Johnels, 1954), et Dudley (1972) a trouvé que 75 pour cent environ de la croissance prévue pour la première année de jeunes Sarotherodon andersoni et S. macrochir se produit dans les six mois suivant la ponte (environ six semaines après le maximum des inondations sur le Kafue). Kapetsky (1974) a aussi trouvé peu de croissance en longueur pendant la saison sèche, spécialement pendant la période de “drawdown” maximum (baisse des eaux jusqu'à l'étiage).

Fluctuations annuelles: Les variations d'intensité et de durée de la crue donnent des différences de croissance d'une année à l'autre. L'Université de l'Idaho (1971), Dudley (1972) et Kapetsky (1974) ont tous trouvé des corrélations élevées entre divers indices représentatifs de l'intensité de la crue (FI et indice 1 - voir 3.1), la sévérité du “drawdown” (indices 2 et 3) et la température dans le système du Kafue sur les augmentations de croissance de la première et de la seconde année de divers poissons cichlidés (tableau V). En général, la croissance est en corrélation positive avec l'intensité de l'inondation et une faible croissance est le résultat de conditions plus sévères de “drawdown”.

5.6 Mortalité

On dispose de très peu d'informations détaillées sur les taux de mortalité des espèces fluviales en Afrique, en particulier en ce qui concerne les saisons.

Annuelle: Daget et al. (1973) ont trouvé des valeurs annuelles de Z = 2,691 et 2,656 pour deux zones de la rivière Bandama, mais peu de conclusions nettes comme le taux de mortalité vrai des poissons pourraient être tirées de ces chiffres car ils représentent la perte totale de la zone, y compris la perte par émigration. En fait, une troisième zone de la rivière avait une valeur négative de Z indiquant une importante migration dans la zone. Des chiffres sont cités par Kapetsky (1974) pour plusieurs espèces de cichlidés allant de 99 pour cent (Z = 4,6090) pour T. rendalli (troisième année) à 33 pour cent (Z = 1,7918) pour S. andersoni (septième année), bien que l'on pense que des mortalités atteignant 92–99 pour cent soient légèrement surestimées. Néanmoins, ces chiffres, avec ceux de Daget, indiquent que l'on doit rencontrer des taux de mortalité élevés chez les espèces fluviales.

Variations saisonnières: Par suite de la sévérité des conditions quand les surfaces d'eau diminuent et que les populations de poissons deviennent plus concentrées, les taux de mortalité en saison sèche peuvent être supposés plus élevés que pendant la phase d'inondation. A cette période, les poissons sont plus vulnérables à la fois aux mortalités naturelles par prédation et la pression de l'environnement, et à la mortalité due à la pêche provoquée par la plus grande accessibilité aux stocks. Les observations de l'Université du Michigan (1972) indiquent les pertes élevées rencontrées dans les lagunes des plaines d'inondation (entre 75 et 85 pour cent sur trois mois) et une diminution totale de la biomasse de 40 pour cent est estimée par ces chercheurs pour une période de trois mois (juillet–septembre 1970) sur le système du Kafue. Les chiffres du Kafue et ceux de Daget et al. (1973) sont très semblables, indiquant des pertes en saison sèche de 15 pour cent environ par mois.

TABLEAU V

Estimations du paramètre pour des régressions linéaires simples et multiples des augmentations de croissance de la première et de la seconde année de différentes espèces de cichlidés sur la température et sur des indices hydrologiques

EspècesAnnée de croissanceSexeModèleRAutorité
S. andersoni1MCroissance = 0,02FI + 12,870,92Dudley, 1972
1MTL(mm)=146,51 - 0,11(H12)0,94Kapetsky, 1974
1FCroissance = 0,014FI + 13,4 Dudley, 1972
2MTL(mm)=-29,47 +1,98(TI)0,90Kapetsky, 1974
2FTL(mm)=38,24 - 0,30(H13) + 0,83(TI)0,93Kapetsky, 1974
S. macrochir1MCroissance = 0,2FI + 11,020,9Dudley, 1972
1MTL(mm)=130,39 - 0,13(H12)0,92Kapetsky, 1974
1FTL(mm)=130,13 - 0,32(H12)0,85Kapetsky, 1974
2MTL(mm)=74,72 - 0,10(H13)0,58Kapetsky, 1974
2FTL(mm)=14,69 - 0,18(H13)0,95Kapetsky, 1974
T. melanopleura1MCroissance = 0,029FI + 12,80,80Dudley, 1972

Kapetsky (1974) établit des modèles de croissance et de mortalité pour les systèmes de plaine d'inondation par rotation et réversion des modèles exponentiels traditionnels. Cela donne de faibles taux de mortalité pour le début de l'année (saison de crue) et une mortalité croissante vers la fin de l'année (saison sèche). Alors que ce modèle est une approximation utile dans le but de calculer la production, il semble vraisemblable que les courbes de mortalité consistent en deux ou trois composants différents correspondant aux différentes phases du cycle d'inondation.

Variations d'une année à l'autre: Actuellement, il n'existe pas d'informations sur les variations du taux de mortalité d'une année à l'autre. On sait toutefois que des périodes de crue plus intense qui produisent un recrutement et une croissance meilleurs produisent aussi une survivance accrue (Université de l'Idaho, 1972). Il apparaît aussi probable que des différences de la quantité d'eau restant dans le système en saison sèche, en même temps que la durée de celle-ci influenceraient fortement la survivance d'une année à la suivante. Cela dépendrait aussi de l'intensité de l'inondation précédente car une inondation intense avec une bonne reproduction suivie d'une période sèche prolongée peut avoir pour résultat une mortalité plus élevée que celle qui se produirait pendant la même période sèche si elle était précédée d'une faible reproduction.

En général, on sait peu de choses sur les variations saisonnières des taux de mortalité, et il faut des observations prolongées dans plusieurs systèmes pour clarifier cette position à tous les degrés.

5.7 Résumé

Plusieurs fonctions de la biologie des poissons vivant dans les systèmes de plaines d'inondation varient avec le cycle hydrologique. Au cours de l'année, une période de recrutement et de taux de croissance élevés, une alimentation intensive et une taux de mortalité faible pendant l'inondation, alterne avec une période de mortalité élevée, une faible croissance et une alimentation et une reproduction négligeables. Les variations de l'intensité et de la durée des inondations et la sévérité des conditions de “drawdown” pendant les basses eaux produisent des fluctuations correspondantes de plusieurs paramètres biologiques. Ainsi, les classes d'âge des années de bonne inondation et de faible “drawdown” montrent une composition numérique, une croissance et une survivance plus grandes que celles des classes d'âge des années où les conditions d'inondation étaient plus mauvaises.

6. METHODES DE PECHE

On utilise une grande variété de méthodes de pêche sur les plaines d'inondation et dans les cours d'eau africains (Stauch, 1966; FAO, 1969; Welcomme, 1970; Centre technique forestier tropical, 1972; Ratcliffe, 1972). Cependant, la plupart d'entre elles sont des méthodes générales qui sont pratiquées presque universellement dans tout le continent. Le but de ce chapitre est d'examiner les méthodes qui mettent à profit quelque caractéristique morphologique du système cours d'eau/plaine d'inondation ou les types de comportement des poissons qui s'y trouvent. Elles tombent généralement dans deux catégories: (i) les méthodes qui utilisent l'imprisonnement des poissons dans des surfaces limitées pendant les basses eaux; et (ii) les méthodes qui exploitent les migrations des poissons pour leur capture.

6.1 Saisons de pêche

Saison sèche: Pendant cette saison, quand les poissons sont confinés dans les lagunes permanentes, les marais et les lits mineurs des cours d'eau, il existe une intense activité halieutique. Des pêches collectives communales sont courantes dans les cuvettes des plaines d'inondation et ont été décrites dans beaucoup de régions africaines. L'empoisonnement des mares est bien connu aussi et généralement, ces zones sont pêchées complètement à quelque moment de la période. La pêche dans le lit majeur du cours d'eau s'effectue généralement avec une grande variété de filets, de trappes et de palangres. L'efficacité de la pêche en saison sèche varie à l'inverse de la quantité d'eau restant dans le système. En périodes de “drawdown” extrême, les poissons sont plus concentrés et faciles à capturer. De cette façon, la mortalité due à la pêche augmente avec les augmentations de HI2 de même que la mortalité naturelle.

Période de montée des eaux: Initialement, l'activité halieutique est intense et est dirigée particulièrement sur la captures des poissons migrant sur le lit du cours d'eau. Quand la crue progresse, les difficultés techniques de la pêche dans les forts courants et la dispersion des poissons sur de grandes surfaces de plaine d'inondation assurent de faibles rendements et dans la majeure partie de l'Afrique, l'activité est réduite à un minimum pendant cette période. L'efficacité de la pêche dépend beaucoup de l'intensité des stades initiaux de l'inondation. Des inondations rapides et élevées dispersent les poissons plus rapidement et les courants interfèrent sur le fonctionnement efficace de quelques types d'engines. Les captures tendent donc à être en corrélation négative avec HI1 (Muncy, 1973).

Période de baisse des eaux: Quand les eaux diminuent dans la zone les poissons se concentrent dans les dépressions de la plaine d'inondation et dans les principaux marigots de drainage. A ce moment-là, il y a encore une fois une pêche très active dirigée vers la capture des poissons migrants, en particulier les jeunes, et on essaye de retenir les poissons par des barrages ou des étangs.

6.2 Pêche en emprisonnant les poissons

La pêche en barrant les marigots a été décrite dans la Gambie (Svensson, 1933; Johnels, 1954) où les effluents des marais sont bloqués par des barrages de terre. On laisse passer l'eau par un orifice pratiqué dans le barrage et on y place une nasse pour capturer les poissons. Ces barrages empêchent l'écoulement de l'eau à une vitesse normale et l'opération est prolongée. Reed (FAO, 1969) a décrit une méthode expérimentale similaire appliquée aux plaines d'inondation du Niger, selon laquelle les effluents des marais sont bloqués par des barrages de terre, retenant ainsi plus d'eau que la normale (Fig. 7). Les barrages sont laissés en place pendant plusieurs semaines ce qui rallonge le temps pour la croissance des poissons. En saison sèche, une brêche est ouverte dans le barrage et on installe des nasses dans l'ouverture. Cette méthode a permis de doubler le rendement normal des marais.

La pêche dans les lagunes et étangs permanents de la plaine d'inondation est chose courante et dans la plaine d'inondation du delta de l'Ouémé, le nombre de ces caractéristiques naturelles de la plaine d'inondation a été beaucoup augmenté par les trous à poissons en forme de tranchées “whedos” qui ont été creusés, d'une profondeur d'environ 1 m, formant un réseau sur toute la plaine (Welcomme, 1971). En moyenne, ils couvrent 3 pour cent environ de la surface sèche de la plaine et dans quelques endroits, ils atteignent une concentration très dense (Fig. 8). Les étangs sont pêchés après l'enlèvement de la végétation qui couvre la surface de l'eau, en s'aidant de barrières qui sont avancées de manière à enfermer les poissons dans une petite enceinte d'où ils sont prélevés. Les rendements de cette méthode seront examinés dans la section 7.

6.3 Pêche des poissons en migration

La capture des poissons en migration dans les marigots drainant la plaine d'inondation a été décrite dans diverses parties de l'Afrique. Elle s'effectue principalement avec des barrières ou des parcs du type décrit par Whitehead (1958); deux de ces pêcheries peuvent être considérées comme étant particulièrement représentatives:

  1. La pêche “maalelo” de la plaine d'inondation de Barotse, qui comporte des barrages de terre et d'herbe longs et plats dans lesquels on place des paniers coniques munis de dispositifs anti-retour, a été décrite par FAO (1968) et FAO/UN (1969, 1970a) et Bell-Cross (1971). Cette pêche ramasse surtout les jeunes poissons dans leur migration vers la rivière.

  2. Durand (1970) décrit les trappes en travers du lit de l'El Beid. Là, des barrages faits de branches emmêlées et de troncs d'arbres bloquent complètement le lit principal du cours d'eau, dirigeant le flot sur la plaine frangeante étroite et où on a construit une série d'enclos en V. Le barrage est pêché avec un filet du type rabattant conçu pour clore parfaitement l'espace entre les enclos. Les barrages sont installés avec une telle densité qu'ils barrent presque complètement le passage à la migration de poissons de la plaine d'inondation des Yaérés vers le lac Tchad. La majorité des poissons capturés sont des jeunes dans leur première année.


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