Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale

dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté

UNOC3 : Quand la voix des pêcheurs artisans raisonne à l’échelle mondiale

10/07/2025

Article rédigé par Mamadou Aliou Diallo, Responsable communication de la Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale (CAOPA).

Du 9 au 13 juin 2025, la ville de Nice (France) a accueilli la troisième Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC3). Pendant une semaine, plus de 60 chefs d’État, des délégations gouvernementales de nombreux pays, des organisations intergouvernementales et des acteurs de la société civile se sont réunis à Nice pour faire valoir leur attachement à une collaboration internationale afin de préserver les océans.

Sous le thème : “S’engager ensemble pour une gestion durable de l’océan”, cet événement biennal constitue un moment phare dans l’agenda international pour la gouvernance des océans, la protection de la biodiversité marine et la mise en œuvre de l’Objectif de Développement Durable 14 (ODD 14).

Pour la première fois, j’ai eu l’opportunité de participer à cet événement en tant que représentant de la CAOPA (Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale). Une expérience forte, riche, marquante. Cette présence m’a permis de prendre la mesure de l’enjeu : faire entendre la voix des pêcheurs artisans africains dans les espaces de décision mondiaux, là où se négocie l’avenir des mers… et donc, celui de millions de communautés côtières.

L’UNOC3 n’était pas seulement un espace de découverte, mais un lieu de reconnaissance et de fierté. Raïssa Madou, transformatrice ivoirienne, l’a exprimé avec force : « Nous transformons le poisson en nourriture, en dignité et en avenir pour nos enfants. »

Gouvernance, dignité et mise en œuvre des Directives SSF

Parmi les multiples panels, discours et événements parallèles, plusieurs thématiques se sont révélées importantes pour la pêche artisanale. Elles convergent autour d’un enjeu central : la mise en œuvre effective des Directives volontaires pour garantir une pêche artisanale durable (Directives SSF).

Les SSF Guidelines ont été adoptées il y a 10 ans. Pourtant, leur mise en œuvre demeure lente et souvent symbolique. Pour les pêcheurs, ces directives représentent un cadre essentiel pour exiger des droits concrets : accès aux marchés, aux infrastructures, à la formation, au crédit. Dawda Saine, de la Gambie, a rappelé avec justesse : « Le droit d’accéder à la mer ne doit pas être quémandé. Il doit être garanti. »

Justice océanique et reconnaissance des droits

Les discussions ont montré que les droits fonciers et d’accès aux zones de pêche traditionnelles sont essentiels. Sans reconnaissance juridique, les pêcheurs restent exposés à l’exclusion. Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, a souligné : « Une économie bleue qui exclut les hommes et les femmes de la pêche artisanale, ce n’est pas une économie durable. Il ne peut y avoir de durabilité sans équité. »

Une économie bleue à double vitesse ?

Plusieurs interventions ont dénoncé les conséquences néfastes d’une “économie bleue” guidée par le profit, sans consultation des communautés, comme l’a souligné Syahril Paranginangin, pêcheur artisan : « Ce n’est pas du développement, c’est de la dépossession. On nous prive de notre espace, de notre dignité, de notre avenir. »

Une économie bleue équitable doit reposer sur la reconnaissance des savoirs locaux, la gestion participative, et la justice environnementale.

Accroître la visibilité des pêcheurs artisans

Comparé aux précédentes éditions, l’UNOC3 a offert un espace inédit d’expression aux petits pêcheurs. À travers les événements parallèles, les échanges avec les ministres, les agences onusiennes et les ONG partenaires, leur présence n’était plus marginale : elle était centrale.

Raïssa Madou, transformatrice de poisson en Côte d’Ivoire a dit : « Dans les pêcheries artisanales, les femmes sont présentes sur toute la chaîne de valeur du poisson. Et dans nos communautés, nous sommes des économistes, des environnementalistes, des éducatrices. Mais nous sommes aussi invisibles. »

Devant les autorités, elle a demandé : « …nous voulons avoir notre place à la table des décisions sur les politiques maritimes, les plans de cogestion, les projets d’économie bleue. Car sans notre voix, sans notre travail, sans notre engagement, il n’y a pas de sécurité alimentaire, il n’y a pas de durabilité. »

Un événement : 40 pêcheurs artisans, 25 pays, 12 millions de voix

Le 12 juin, un événement parallèle organisé par la CAOPA et l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) a marqué les esprits. Il a réuni 40 pêcheurs artisans venus de 25 pays, représentant 12 millions de personnes.

Leur message : « Pour que la conservation marine soit équitable et efficace, elle doit reposer sur une approche fondée sur les droits humains, incluant la reconnaissance des droits fonciers et d’accès. »

Des pêcheurs d’Asie, d’Amérique, d’Afrique et d’Europe ont partagé leurs réalités, leurs menaces, leurs espoirs. Ils ont rappelé que, dix ans après l’adoption des Directives SSF, les défis restent entiers : criminalisation, exclusion, perte d’accès, pauvreté persistante.

La présence des ministres de l’Environnement du Costa Rica, du Madagascar, des représentants du BMZ et du ministère sénégalais des pêches, a renforcé le poids politique de cet événement. Les communautés des pêcheurs ont rappelé que toute politique efficace commence à la base, au niveau des communautés. Gouvernance locale, participation des organisations professionnelles, transparence : voilà la colonne vertébrale de toute transformation durable.

Unité au-delà des frontières

L’UNOC3 a été un moment d’unité inédit entre continents. Les délégations des pêcheurs ont partagé la même conviction : seule une mobilisation collective permettra de peser face aux intérêts industriels. Ils ont su parler d’une même voix, malgré la diversité des contextes. Et le sentiment dominant : « seul, on ne pèse rien. Ensemble, nous avons un poids. » – Félicito Nunez, représentant Garifuna du Honduras.

Une expérience et des leçons

Ce qui m’a le plus marqué à l’UNOC3, c’est la maturité du mouvement mondial de la pêche artisanale. J’ai vu des leaders communautaires expliquer des concepts complexes de gouvernance, des jeunes pêcheurs évoquer la perte de leurs zones marines et exiger des mécanismes de redevabilité. J’ai vu des femmes transformatrices et commerçantes de poissons parler de leur accès au crédit et exiger des solutions concrètes. La parole était libre, puissante et légitime.

Cette conférence n’était pas un aboutissement. C’était le début d’une nouvelle étape. Cette confiance, cette fierté, et cette clarté du message m’ont profondément touché.

Lutte contre les promesses creuses

Les recommandations clés que je retiens de l’UNOC3: Passer à l’action. Appliquer sans délai les Directives SSF au niveau national, avec des ressources dédiées.Financer des projets portés par les communautés, adaptés à leurs besoins.Garantir l’accès aux zones de pêche traditionnelles, en protégeant les droits fonciers.Inclure les pêcheurs artisans dans les mécanismes de gouvernance (locaux, nationaux et internationaux).Renforcer les capacités des organisations de pêche artisanale, et promouvoir leur unité à l’échelle mondiale.

Mon espoir est simple. Que les engagements pris à Nice ne restent pas des déclarations. Qu’ils prennent forme dans les ports, les villages, les marchés, les institutions. Que la pêche artisanale cesse d’être un secteur résiduel, pour devenir ce qu’elle est déjà sur le terrain : le pilier d’une économie bleue juste, durable et inclusive.

Par Mamadou Aliou Diallo, Responsable communication de la CAOPA

« Ma mission était de : documenter, capter, diffuser. J’ai photographié les pêcheurs dans leurs moments de transmission, filmé leurs discours, publié leurs mots sur nos canaux. Mais surtout, j’ai écouté, car derrière chaque message se cache un combat vécu, quotidien, profondément humain. »

La participation de M. Diallo à la conférence a été soutenue dans le cadre du projet « Renforcer une pêche artisanale équitable, résiliente au climat et durable grâce à la mise en œuvre des Directives sur la pêche artisanale », financé par l'Agence suédoise de coopération internationale au développement (Sida).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues ou les politiques de la FAO.