La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2022

Chapitre 5 MESURES POSSIBLES EN FAVEUR D’UNE AUTOMATISATION EFFICACE, DURABLE ET INCLUSIVE DE L’AGRICULTURE

Politiques générales visant à mettre en place un environnement porteur

À l’échelle mondiale, la demande de technologies destinées à remplacer la main-d’œuvre et à améliorer la précision des tâches agricoles a joué un rôle essentiel dans la mécanisation par le passé, et est actuellement l’un des principaux moteurs de l’automatisation numérique et de la robotique. Par des politiques, une législation et des investissements généraux en faveur du développement agricole, les pouvoirs publics peuvent structurer l’environnement d’appui au profit des parties intéressées – des producteurs agricoles aux fabricants, en passant par les prestataires de services et les acteurs de la logistique4. Favoriser le développement agricole et investir dans celui-ci – par l’amélioration des infrastructures, par exemple – peut notamment contribuer à asseoir l’intérêt économique des technologies d’automatisation numérique. Ce type de politiques et d’investissements joue un rôle essentiel dans la correction des dysfonctionnements du marché et la réduction des coûts de transaction entraînés par les problèmes de connectivité, d’approvisionnement en électricité, de protection des données et d’accès aux services (financement, assurance et éducation, par exemple), et améliore l’efficience économique globale. Les sections ci-après mettent en lumière les domaines d’action importants.

Amélioration des infrastructures de transport

Des infrastructures précaires peuvent faire supporter des coûts de transaction élevés s’agissant d’accéder aux éléments de production et aux intrants et d’atteindre les marchés des produits, ce qui diminue les incitations à investir dans la technologie, notamment dans l’automatisation de l’agriculture. De meilleures infrastructures de transport facilitent l’accès des agriculteurs aux marchés à forte valeur ajoutée, réduisent les coûts de transaction liés aux machines, aux pièces détachées, aux réparations et aux carburants, et favorisent la création de marchés de services (itinérants)5. Il est notamment très important d’améliorer le transport en Afrique subsaharienne, où il est généralement de qualité médiocre (voir les chapitres 2 et 3). Cette amélioration a également tout son intérêt dans d’autres pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire où l’utilisation de l’automatisation dans l’agriculture semble limitée.

Investissement dans les infrastructures énergétiques

Aucune technologie d’automatisation ne fonctionne sans énergie. La plupart des machines dépendent des combustibles fossiles (bien que certaines soient électriques), et l’automatisation numérique nécessite de l’électricité. Même dans les pays où le réseau électrique dessert les zones rurales, l’électricité est généralement disponible uniquement dans les agglomérations. L’accès à l’électricité dans les champs est rare, même dans les pays à revenu élevé. De nombreux pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire dépendent ainsi de la production d’électricité hors réseau pour l’approvisionnement énergétique des zones rurales – à supposer que ces dernières aient effectivement accès à l’électricité. Les politiques qui améliorent l’approvisionnement en électricité (par le développement de l’alimentation électrique hors réseau fondée sur des ressources renouvelables, par exemple) peuvent contribuer à appuyer le secteur manufacturier local, et faciliter l’adoption de l’automatisation numérique et de la mécanisation de l’agriculture (pompes pour l’irrigation ou machines pour la transformation et la conservation, par exemple)6, 7. Les pouvoirs publics souhaiteront peut-être mettre l’accent sur le potentiel des énergies renouvelables en matière de mécanisation électrique tout au long de la chaîne de valeur8. Les énergies renouvelables financées par des investissements locaux peuvent en outre amortir, du moins dans une certaine mesure, les chocs dans le secteur de l’énergie et les fluctuations des prix des carburants qui compromettent la rentabilité de l’agriculture.

Amélioration des infrastructures de communication

L’amélioration des infrastructures de communication est particulièrement importante pour augmenter l’adoption des technologies numériques et des technologies d’automatisation. Les problèmes de connectivité sont très répandus dans de nombreux pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire, mais peuvent également toucher certains pays à revenu élevé. Par ailleurs, l’accès à internet est également essentiel pour l’automatisation numérique: il permet de mettre à jour les logiciels, de renforcer les capacités informatiques (grâce à l’informatique dématérialisée) et d’accéder à des données de télédétection ou d’autres bases de données. À l’échelle mondiale, l’accès à internet est souvent rare et coûteux dans les zones rurales, notamment dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire. Parmi les politiques qui encouragent le développement des infrastructures numériques rurales, citons les prêts à faible taux d’intérêt aux fournisseurs d’accès à internet opérant en milieu rural et l’appui aux coopératives de communication qui proposent des services de données. En Europe, la connectivité s’est améliorée dans les zones rurales grâce à la mise en œuvre de différentes solutions, notamment des initiatives privées, publiques ou impulsées par les communautés, reposant pour la plupart sur une collaboration entre différentes parties (voir le cas de la Slovénie présenté à l’encadré 26). Ces exemples montrent l’importance des partenariats public-privé-communauté pour l’amélioration de la connectivité et des infrastructures dans les zones rurales9. La législation peut également jouer un rôle: dans certains pays, l’accès à internet est un droit protégé par la loi (en Finlande, par exemple)10.

Encadré 26RÉSEAU À HAUT DÉBIT OUVERT À KOMEN (SLOVÉNIE)

En Slovénie, 50 pour cent environ de la population – près d’un million de personnes – vivent dans des zones rurales qui comptent en moyenne 30 habitants au kilomètre carré. Komen, municipalité de la région de Carst (ouest de la Slovénie) où la densité de population est faible et continue de diminuer, a reçu des fonds de l’Union européenne pour créer un réseau à haut débit ouvert. Un partenariat public-privé s’est saisi de cette occasion de réduire le fossé numérique en déployant rapidement des infrastructures, et a obtenu des taux de pénétration élevés. L’accent tout particulier mis sur la durabilité à long terme et les dépenses d’exploitation a constitué un facteur clé de la réussite globale de ce projet.

Komen comprend près de 1 340 ménages regroupés en 35 villages, sur une superficie totale de 103 kilomètres carrés. Ses terrains rocailleux et difficiles et sa faible population en faisaient une zone non viable pour les prestataires de services commerciaux compte tenu des coûts importants et des rendements minimes. La municipalité a élaboré le projet avec l’aide d’un partenaire privé.

Les travaux ont été réalisés rapidement, dans des délais très courts. Les autorités locales ont collaboré activement avec le partenaire privé; elles ont aidé à résoudre les problèmes de permis, et la municipalité a pu délivrer rapidement les documents nécessaires – ce qui s’est avéré essentiel pour respecter le calendrier des travaux. Les activités de communication et de sensibilisation menées auprès de tous les citoyens de la région de Carst ont été très efficaces et ont permis d’entretenir de bonnes relations avec la population. Cette coopération étroite entre les partenaires durant la phase de déploiement s’est rapidement traduite par des taux de pénétration élevés.

SOURCE: Commission européenne, 202011.

Les investissements doivent aussi cibler les infrastructures d’appui connexes, comme les ensembles de données publiques sur les prévisions météorologiques et les calendriers de production agricole et animale. L’initiative multipartite Digital Public Goods Alliance (DPGA), dont la FAO est membre, est un exemple de coopération dans ce domaine. Dans de nombreux secteurs, y compris l’agriculture, elle facilite la découverte, l’élaboration et l’utilisation de biens publics numériques, et l’investissement dans ce domaine.

Amélioration générale des marchés du crédit et des politiques de change

Le recours au crédit est essentiel pour investir dans l’automatisation de l’agriculture et pour financer les technologies agricoles de manière générale. L’accès des petits producteurs, et notamment des femmes, au crédit est généralement limité en raison, entre autres, de l’absence de garanties (titres fonciers, par exemple) et des coûts de transaction élevés12. Du fait des taux d’intérêt prohibitifs, il leur est souvent impossible d’obtenir des crédits pour financer l’achat de machines5, 12 et d’autres technologies d’automatisation. À la différence des semences, des engrais et des pesticides, les technologies d’automatisation sont onéreuses, et leurs coûts s’étalent sur plusieurs années. Les politiques de taux d’intérêt peuvent influer fortement sur le rythme de l’automatisation, comme on a pu le voir dans différents pays asiatiques6, 13. Les politiques de change peuvent aussi influer sur l’automatisation du fait de leur incidence sur les coûts d’importation des machines, des pièces détachées et des carburants5, 13. Garantir des taux d’intérêt abordables en matière de crédit ainsi que des taux de change stables est essentiel pour favoriser les investissements à long terme dans la plupart des technologies d’automatisation.

Mise en place de politiques et d’une législation nationales transparentes en matière de données

Les technologies d’automatisation numérique reposent souvent sur la collecte de quantités considérables de données relatives à la production végétale et animale, à l’aquaculture et aux activités forestières. Ces données peuvent comprendre des informations protégées, ce qui pose des problèmes de respect de la confidentialité aux producteurs agricoles. Les données qui ne sont pas protégées par des lois sur la confidentialité peuvent avoir une valeur marchande élevée, et des cadres juridiques pourront être nécessaires pour définir clairement les bénéficiaires de l’utilisation de ces données. Une législation transparente sur la protection, le partage et la confidentialité des données est un facteur particulièrement propice à l’automatisation numérique, car elle permet de renforcer la confiance des agriculteurs. Il faut en particulier des règles claires concernant la propriété et le contrôle des données. Le «respect de la vie privée dès la conception», c’est-à-dire l’intégration de la protection des données dans la conception des technologies, est une notion qu’il sera utile d’envisager.

Il est également nécessaire de favoriser un passage au numérique à la fois progressif et responsable dans le secteur agricole, notamment en développant et en appuyant les infrastructures nationales de données. L’interopérabilité (qui se caractérise par une communication précise et fiable entre machines) est essentielle au partage des données, et doit être définie sur le plan technique et être encadrée sur le plan juridique. L’interopérabilité juridique définit le cadre réglementaire des échanges de données, tout en protégeant des aspects tels que la confidentialité.

Une autre question connexe est celle des capacités institutionnelles et politiques en matière de transformation numérique et d’automatisation. On sait d’expérience que, dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire, de puissantes entreprises privées du secteur technologique devancent souvent la mise en place d’un système de gouvernance dans ce domaine, ce qui peut avoir des conséquences néfastes. On parle dans ce cas de colonialisme numérique14, 15, système dans lequel de grandes entreprises concentrent le pouvoir et l’influence, par exemple au moyen de logiciels propriétaires, pour récupérer des données auprès de leurs utilisateurs et en tirer des bénéfices. La plupart des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire ne sont pas en mesure de développer un secteur numérique compétitif avec leurs propres ressources. Toutefois, il est important de renforcer les capacités en matière de gouvernance nationale et régionale pour pouvoir au moins orienter les technologies d’automatisation, plutôt que de laisser s’opérer le processus inverse. Il est également important de mettre en place des coopérations pour relever les défis liés aux données, à l’instar de l’initiative DPGA, qui regroupe des partenaires très divers aux fins de la diffusion de biens publics numériques. En outre, ces initiatives mettent en lumière les possibilités offertes par la communication numérique en matière de partage d’informations sur les technologies d’automatisation et de sensibilisation à leur potentiel.

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