La région de l’Anatolie en Turquie, dans laquelle de nombreuses races bovines et ovines se sont formées pendant des siècles, a perdu une grande partie de ses ressources animales ces dernières années. Une partie importante des animaux domestiques de Turquie a disparu et les races restantes sont toujours menacées d’extinction. Les races bovines indigènes sont les plus fortement touchées. Les croisements effectués dans le but de transformer les races indigènes en races plus « productives » ont représenté la cause principale de l’extinction de ces races. La race bovine Grise (« Boz Irk » ou bovins « Gris Steppiques »), soumise intensément à des croisements pendant des années et avec une population en déclin rapide, a pu survivre dans une niche dans les zones de haute altitude, accidentées et boisées de l’Anatolie occidentale et de la Thrace. Ces zones ne conviennent guère aux races non indigènes.  

Les bovins Gris peuvent tolérer une large gamme d’aliments et ont un système digestif très développé. Les caractéristiques uniques des bovins Gris comprennent la capacité d’utiliser des pâturages de mauvaise qualité, la résistance aux maladies et aux nuisibles, l’adaptation aux conditions environnementales extrêmes et la capacité de vivre, de se nourrir et de se reproduire sans trop d’intervention humaine. Ces animaux passent la majeure partie de l’année en tant qu’animaux semi-sauvages dans des troupeaux en liberté, hormis dans les régions où les conditions hivernales sont rigoureuses. Leur instinct de protection contre les prédateurs est très développé, tout comme leur instinct maternel. De plus, les frais vétérinaires et d’alimentation sont pratiquement nuls pour les éleveurs de bovins Gris.      

Avec le changement climatique, on s’attend à ce que les bovins Gris gagnent en importance. Les bovins Gris, dont l’habitat naturel ne chevauche pas celui des races exotiques ou les zones à forte production végétale, ont un potentiel important en termes de production de viande. Le potentiel ne peut être révélé que si des mesures supplémentaires sont prises pour conserver la race.

Les études de conservation de la race bovine Grise ont été amorcées pour la première fois en 1995 dans le cadre du « Projet de Conservation des Ressources Génétiques des Animaux Domestiques » à la Station de Recherche sur l’Élevage des Moutons de Bandirma en Turquie. Ce projet a appliqué des pratiques de conservation éprouvées aux bovins Gris. Les études d’enregistrement des bovins Gris ont été achevées en 2004. Le programme de conservation qui maintient la race dans son habitat d’origine a été lancé en 2005, en incluant des troupeaux composés de 100 animaux et leurs éleveurs, dans le village de Çandır du district d’Enez en Edirne. La portée du programme s’est progressivement élargie au fil des ans et maintenant dix populations de conservation ont été établies dans huit régions différentes dans les provinces d’Edirne, Çanakkale, Balıkesir, Bursa et Kocaeli. Au total, 1325 bovins et 57 éleveurs sont inclus dans ce programme gouvernemental de conservation. Grâce à ce programme, la sensibilisation à l’importance de la race bovine Grise s’est accrue et l’élevage en race pure a été encouragé, avec en plus des approches de gestion visant à augmenter la taille de la population. La pratique du croisement a été largement éradiquée. Le succès du projet se perçoit année après année par la demande croissante de reproducteurs.

Un autre projet « Conservation in vitro et identification moléculaire préliminaire de certaines des ressources génétiques des animaux domestiques en Turquie » (TÜRKHAYGEN–I) a été réalisé. Des échantillons de tissus, d’embryons, de sperme et d’ADN ont été prélevés sur 25 bovins mâles et 25 femelles et ont été stockés dans deux banques de gènes à l’Institut Central de Recherche sur l’Élevage de Lalahan et au Centre de Recherche TUBITAK Marmara.    

En outre, la race bovine Grise est devenue la première espèce domestique de Turquie à être clonée, grâce aux efforts conjoints de TUBITAK et des Universités d’Istanbul et d’Uludağ. Cinq veaux clonés ont été obtenus avec succès entre 2009 et 2010.  

Les recherches menées par la Direction Générale Turque de la Recherche Agricole (GDAR) ont démontré que les bovins Gris pouvaient atteindre des gains quotidiens moyens d’environ 1 kg par jour dans des conditions d’engraissement extensives avec des carcasses répondant aux demandes du marché en ce qui concerne « faible teneur en gras » et la classe de conformation « bonne ». De même, la qualité de la viande était supérieure à celle des autres races bovines.

Les méthodes de conservation appliquées par le gouvernement ont pu empêcher la disparition de la race bovine Grise. Cependant, des efforts durables sont nécessaires. L’attention portée à la production des bovins Gris dans leur habitat naturel a attiré l’attention du public en raison de la prise de conscience de la société vers une meilleure nutrition et vers les systèmes de production biologique. Un projet de production de viande biologique lancé à Çanakkale a constitué un développement prometteur pour l’organisation des éleveurs de bovins Gris et pour l’utilisation durable de la race. 

Pour une conservation durable, l’organisation des éleveurs privés est essentielle. Les activités qui mènent à un consensus sur les caractéristiques distinctives d’une race et qui sensibilisent à ses attributs positifs représentent des étapes clés dans la mise en œuvre de programmes efficaces de promotion et de commercialisation. De telles actions ont été réalisées pour la conservation et l’utilisation durable de la race bovine Grise. L’intérêt et les habiletés des éleveurs se conjuguent avec l’infrastructure technique et les connaissances de la GDAR pour assurer la conservation des bovins Gris. Des efforts de conservation réussis ont fait de l’utilisation de cette race unique une réalité en Turquie.

Dr. Deniz Soysal – Édité par Briar Tenold

Sources: Dr. Deniz Soysal - Oya Akin

Photographie: Dr. Deniz Soysal