Systèmes Agroalimentaires

Dialogue d’apprentissage entre pays sur la gouvernance multipartite pour la transformation des systèmes agroalimentaires

11/04/2024 Réunir des voix diverses pour mettre en œuvre collectivement une vision à long terme

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Le 7 mars 2024, 57 personnes issues de 14 pays, méditerranéens ou autres, ont participé à un dialogue en ligne dans le cadre d’une activité d’apprentissage collectif et interactif, au cours de laquelle différents points de vue ont été présentés et discutés.

Des récits relatifs à la gouvernance multipartite au Maroc, en Égypte et au Monténégro ont servi à ancrer les échanges dans des expériences concrètes. Ils ont été suivis par un dialogue ouvert entre les personnes présentes, issues de gouvernements nationaux, d’organismes régionaux et mondiaux, d’ONG et du monde agricole.

Ce dialogue a été organisé par la Division des systèmes agroalimentaires et de la sécurité sanitaire des aliments (ESF) de la FAO dans le cadre de la Plateforme SFS-MED, une initiative multipartite en faveur de l’instauration de systèmes agroalimentaires durables dans la région de la Méditerranée financée par le Ministère des affaires étrangères et de la coopération de l’Italie et codirigée par la FAO, le Centre International de Hautes Études Agronomiques Méditerranéennes (CIHEAM), le Partenariat pour la recherche et l'innovation dans la région méditerranéenne (PRIMA) et l'Union pour la Méditerranée (UpM).

Le dialogue s’inscrit dans le cadre du Programme d’apprentissage sur le changement systémique, une nouvelle initiative de l’ESF qui vise à renforcer les capacités et l’engagement en faveur de la transformation des systèmes agroalimentaires via l’apprentissage collectif.

Laura Aghilarre, Directrice générale adjointe pour la coopération au développement pour le Ministère italien des affaires étrangères et de la coopération, a déclaré: «Il existe aujourd’hui une dynamique et un intérêt manifeste de la part des pays à stimuler la collaboration et aller au-delà de la fragmentation. L’Italie réitère par conséquent son appui à l’avancement des systèmes agroalimentaires durables dans la région Méditerranée, qui prend la forme d’une coopération renforcée.»

Le dialogue en ligne a réuni des participants et participantes d’Albanie, de Bosnie-Herzégovine, du Canada, d’Égypte, d’Espagne, de Hongrie, d’Irlande, d’Italie, de Jordanie, du Maroc, du Monténégro, de Suisse, de Tunisie et de Türkiye.

Enseignements tirés de la pratique

La transformation des systèmes agroalimentaires peut favoriser l’accélération des progrès dans différents ordres du jour. Comme l’a souligné le Maroc, les pays doivent gérer des objectifs de développement multiples, de la décarbonation au renforcement de la résilience face à la désertification. Tirer parti de la transformation des systèmes agroalimentaires suppose de réaliser l’importance et l’urgence de travailler ensemble et de coordonner les efforts entre secteurs, afin que cette transformation puisse favoriser l’accélération des progrès dans les différents programmes.

«Tout le monde veut abandonner les combustibles fossiles; tout le monde veut une population bien nourrie et en bonne santé. Mais comment assurer la gestion simultanée des différents ordres du jour? Une solution serait de tirer parti de la transformation des systèmes alimentaires: expliquer aux autres ministères et secteurs que si nous coordonnons nos efforts, cette transformation accélérera la réalisation des autres programmes. Il est essentiel de travailler ensemble, sans compliquer la gouvernance à l’extrême.»
Redouane Arrach, Secrétaire général, Ministère de l’agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts et Coordonnateur national UNFSS 

Rassembler les parties prenantes pour assurer clarté et confiance mutuelle. La communication, le dialogue ouvert et les données informatives servent de base à la reconnaissance d’un problème commun, à l’amélioration de la clarté et à la mobilisation des parties prenantes autour d’un problème précis. Le besoin d’actions complémentaires a uni les parties prenantes et les a incitées à travailler ensemble pour lutter contre les maladies non transmissibles et l’obésité infantile au Monténégro.

«La collecte de données servant de base à l’analyse de la situation a permis de familiariser les différents secteurs et de sensibiliser nos partenaires à l’importance d’une approche systémique pour relever le défi de la malnutrition. Leur rôle dans cette entreprise commune s’est également précisé.»
Enisa Kujundžić, Cheffe du département Alimentation et Nutrition de l’Institut de santé publique du Monténégro

«Les données sont essentielles à l’élaboration d’une stratégie relative aux systèmes alimentaires. Nous avons développé des analyses des systèmes alimentaires à l’échelle nationale par l’intermédiaire du Centre régional de coopération pour les systèmes alimentaires durables de l’Organisation de coopération économique de la mer Noire (BSEC-CSFS), mais nous nous sommes aperçus que la plupart des pays de notre région n’avaient pas les données nécessaires pour mettre en place la bonne stratégie.»
Özge İmamoğlu, Cheffe du département des Organisations internationales au sein du Ministère turc de l’agriculture et de la sylviculture

Commencer par ce qui est déjà disponible. Pour parvenir à une bonne gouvernance, les pays doivent éviter autant que possible les lourdeurs administratives. L’expérience des pays montre que la création de nouveaux organismes est chronophage et peut retarder la prise de mesures concrètes pour assurer le changement. La mise en place de comités de pilotage dans l’écosystème existant et au sein des structures déjà en place devrait suffire. La recherche de financements est elle aussi essentielle pour assurer la transformation, et la création d’organes dont la stratégie a déjà été financée peut aussi s’avérer utile.

Connaître les limites. Un cadre stratégique formel présentant les objectifs, le calendrier et le plan et les mécanismes de financement doit être en place et validé par les différentes parties prenantes. Il est également important de définir clairement les responsabilités en vue de la mise en œuvre.

«Nous croyons en des démocraties où les citoyens et citoyennes jouent un rôle clé dans la transformation des systèmes alimentaires. Le processus consistant à réunir citoyens, citoyennes et spécialistes pour émettre des recommandations représente toutefois une tâche titanesque, qui doit être ancrée dans des politiques officielles et bénéficier d’un appui financier et de structures ayant pour mission d’assurer le suivi et la mise en œuvre des recommandations.»
Daniel Seifert, Conseiller politique à Biovision

Prendre en compte le temps et le niveau de dévouement. La transformation est un processus qui doit se construire au fil du temps et être bien organisé. Elle nécessite par ailleurs un ensemble spécifique de compétences professionnelles, comme l’illustre l’expérience de l’Égypte. Pour être efficace, un comité de gouvernance pourra par exemple reposer sur un groupe de base restreint et souple constitué de personnel qualifié à plein temps, comme l’a suggéré le Maroc.

«Un domaine qui doit être renforcé est l’opérationnalisation. Il faut du temps, des compétences et un degré de dévouement pour assurer la coordination entre plusieurs organismes en vue de la réalisation d’objectifs communs. Il est également important de définir clairement les mécanismes et responsabilités de mise en œuvre, d’instaurer une relation de confiance et de sensibiliser les parties à l’objectif du comité multipartite, qui consiste à coordonner les actions complémentaires en vue de la réalisation d’un but commun.»
Dalia Yassin, Spécialiste de l’agro-entrepreneuriat et du développement de programmes de la FAO Égypte

«Le processus de transformation possède une dimension longitudinale. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il existe un large éventail d’acteurs et de parties prenantes diverses au sein du système qui ont tous et toutes des attentes et programmes légitimes à faire valoir. Essayer d’atteindre un consensus et une complémentarité tout en développant la confiance est une tâche essentielle.»
Harry O’Crowley, Chef de l’unité Développement international, Nations Unies et ODD du Ministère irlandais de l’agriculture, de l’alimentation et de la marine

Faire de la transformation un processus inclusif et participatif. Il est admis que la transformation des systèmes agroalimentaires suppose de mobiliser différentes voix. Des défis subsistent toutefois quant à la manière de mobiliser utilement certains acteurs clés moins puissants, tels que petits producteurs, petites entreprises privées, consommateurs et jeunes, dans les processus décisionnels et de gouvernance. En l’absence d’organes représentatifs à inviter à la table des négociations, il peut être envisagé de mobiliser les autorités locales, plus proches des problématiques sur le terrain (p. ex., les municipalités) ou d’utiliser des voies de communication alternatives (p. ex., programmes radio) pour combler ces lacunes.

Réduire les risques liés à la transformation pour les parties prenantes sur le terrain. Un appel à l’action clair a été émis sur la nécessité de mettre en place des mécanismes multipartites destinés à accompagner les parties prenantes sur le terrain sur la voie de la transformation, en permettant, par exemple, aux agriculteurs et aux consommateurs d’adopter des pratiques plus durables sur le plan environnemental sans mettre en péril leurs moyens d’existence ou les finances du ménage.

«J’adopterai immédiatement toute solution durable que vous suggérez pour transformer mon entreprise si j’y vois un avantage financier. Cette solution doit être axée sur le marché et sur les consommateurs. Mais la réalité veut qu’il n’est pas possible de réduire les risques liés à cette transformation. Je peux assumer 50 pour cent du risque, mais je dois être accompagné pour pouvoir transformer mon entreprise de manière équilibrée.»
Afef Tlili, agricultrice tunisienne

«Nous voulons savoir comment transformer les données collectées en une langue que la population peut comprendre, d’une manière qui aboutira au bout du compte à une modification des habitudes.»
Enisa Kujundžić, Cheffe du département Alimentation et Nutrition de l’Institut de santé publique du Monténégro

Expériences des pays

Maroc: atteinte d’un consensus et recherche d’investissements

Le Maroc a commencé à rechercher un consensus et à sensibiliser différents groupes cibles à la transformation des systèmes agroalimentaires en menant deux cycles de dialogues multipartites. Lors du deuxième cycle, en 2023, quatre agences nationales ont participé aux discussions respectives sur la production alimentaire, les chaînes de valeur, la consommation et la dimension sociale (inclusion des femmes et des jeunes, protection sociale, etc.). Le processus a créé un consensus sur la formulation d’une feuille de route nationale pour la transformation des systèmes agroalimentaires, fondée sur une série de stratégies nationales (y compris Génération Green, la Stratégie nationale de nutrition et la Stratégie nationale à venir de réduction et de valorisation des déchets). Le pays est entré dans la phase d’action pour mettre en œuvre les priorités identifiées collectivement en créant une Plateforme nationale de coordination des systèmes alimentaires ou un comité de pilotage et en identifiant les opportunités d’investissements et déficits de financement.

Égypte: un leadership tournant pour une vision concertée

En Égypte, le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (UNFSS) a poussé différents ministères à se rassembler pour la première fois pour parler de la transformation du système agroalimentaire du pays. Ce processus collectif a conduit à la rédaction d’un énoncé de vision sur la transformation des systèmes alimentaires, qui contient plusieurs solutions suivant cinq pistes d’action. En 2023, le gouvernement a également créé pour la première fois un Comité national de l’alimentation et de la nutrition, composé de plusieurs ministères et agissant comme entité coordinatrice pour la transformation des systèmes alimentaires. Ce Comité est successivement dirigé par les Ministères de l’agriculture et de la remise en valeur des terres, de la santé (coordonnateur actuel pour la période 2023-2025), de l’environnement et par l’Autorité nationale de la sécurité sanitaire des aliments. Il formule actuellement un plan d’action, avec l’assistance technique de la FAO et d’autres organismes des Nations Unies, pour mettre en œuvre les priorités de l’énoncé de vision.

Monténégro: des données alarmantes donnent l’élan à une approche systémique de la malnutrition

Au Monténégro, le processus a été déclenché par la reconnaissance du fait que le pays avait un problème avec la malnutrition et un environnement alimentaire qui n’encourageait pas les choix alimentaires sains, comme mis en lumière par des statistiques alarmantes. Les données ont montré une incidence de 50 pour cent des maladies non transmissibles, à la tête desquelles l’hypertension, suivie par le diabète de type 2. Des enquêtes menées au cours des sept dernières années ont indiqué que le Monténégro figurait parmi les dix pays européens les plus touchés par l’obésité infantile. Ceci a conduit à la prise de conscience que les programmes et stratégies existants ne s’attaquaient que partiellement à la question. En réponse, le Monténégro a collecté des données générales et mené une analyse de situation du système alimentaire, évaluant le cadre juridique existant et l’efficacité des programmes et stratégies en vigueur. Une forte adhésion politique a conduit à la création d’un organisme national multisectoriel pour piloter le processus de transformation du système alimentaire dans son ensemble. Ce processus a aidé à sensibiliser tous les secteurs et toutes les parties prenantes à l’urgence d’une action concertée. Le Monténégro considère comme fondamentale la création future de cadres juridiques et de suivi.

Irlande: tirer parti de processus stratégiques à long terme qui mobilisent différentes voix1

En Irlande, des stratégies publiées tous les dix ans par le Ministère de l’agriculture, de l’alimentation et de la marine ont joué un rôle fondamental. Cet outil politique clé est développé tous les cinq ans par des comités constitués de représentants et représentantes de secteurs et de parties prenantes, qui ont pour mandat de négocier les visions, objectifs et actions pour la période suivante, sous la supervision d’une présidence indépendante. Un comité de haut niveau, appuyé par le Ministère, est mis en place pour rédiger des documents contextuels, mener des consultations publiques, commander une analyse obligatoire d’impact environnemental et fournir un appui administratif aux comités. Le vrai débat a surtout lieu au sein du comité et des sous-comités. Le processus est facilité par le Gouvernement irlandais, qui approuve par la suite les stratégies développées dans ce cadre. Désireuse d’inviter différents points de vue, l’Irlande a récemment admis au statut de membre du Comité de développement de la stratégie la présidence de l’Association de jeunes agriculteurs. En mars 2024, l’Irlande a par ailleurs créé le Forum alimentaire national pour les jeunes qui donnera à ces derniers l’opportunité de participer au développement de politiques.

Suisse: organisation d’une assemblée citoyenne

En 2022, la Suisse a apporté son soutien à un consortium d’ONG qui ont organisé une assemblée citoyenne sur la transformation des systèmes alimentaires en vue d’obtenir le point de vue des membres de la communauté sur la trajectoire du pays vers une solution juste et durable pour produire suffisamment de denrées alimentaires pour l’avenir. Une organisation indépendante a choisi au hasard 80 citoyens et citoyennes de différents âges, genres, niveaux d’étude et professions. Pendant six mois, ces personnes ont écouté les perspectives de scientifiques, rencontré des parties prenantes (agriculteurs, activistes environnementaux, organismes de protection des consommateurs, etc.) et visité des exploitations, cuisines et autres maillons de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Tout au long de ce processus, les citoyens ont délibéré dans un cadre professionnel et émis des recommandations sur les caractéristiques d’un système alimentaire suisse plus durable. Le niveau d’engagement et d’appui financier pour ces processus ascendants ne doit pas être sous-estimé. Il est également important que des structures soient en place pour garantir le suivi des recommandations. La collaboration avec les agences publiques pour ancrer le processus dans la contribution de la Suisse à la réalisation des ODD est également essentielle.

Pour aller plus loin :

  • Brouwer, H., Guijt, J., Kelly, S. et Garcia-Campos, P. 2021. L’Irlande sur la voie des systèmes alimentaires durables – des processus et pratiques qui font la différence. (Ireland’s journey towards sustainable food systems – The processes and practices that made a difference). Rome, FAO. Disponible (en anglais) à l’adresse : https://doi.org/10.4060/cb5996en

  • FAO, CIHEAM et UpM. 2021. La transformation des systèmes alimentaires – processus et voies d’accès en région Méditerranée: bilan (Food systems transformation – processes and pathways in the Mediterranean: A stocktaking exercise). Rome, FAO. Disponible (en anglais) à l’adresse : https://doi.org/10.4060/cb7978en

  • FAO et FIDA. 2023. Cadre d’apprentissage pour des cycles de politiques publiques inclusives, intégrées et innovantes pour l’agriculture familiale (A learning framework for inclusive, integrated and innovative public policy cycles for family farming). Rome. Disponible (en anglais) à l’adresse : https://doi.org/10.4060/cc5968en

  • PNUE, FAO et PNUD. 2023. Repenser nos systèmes alimentaires: guide de collaboration multipartite (Rethinking our food systems: A guide for multi-stakeholder collaboration). Nairobi, Rome et New York. Disponible (en anglais) à l’adresse : https://doi.org/10.4060/cc6325en

[Traduction en français par Angeline Hadman.]


[1] La plupart des informations de ce paragraphe sont tirées de la publication suivante : Brouwer, H., Guijt, J., Kelly, S. et Garcia-Campos, P. 2021. L’Irlande sur la voie des systèmes alimentaires durables – des processus et pratiques qui font la différence. (Ireland’s journey towards sustainable food systems – The processes and practices that made a difference) Rome, FAO. Disponible (en anglais) à l’adresse : https://doi.org/10.4060/cb5996en