Lutter contre les impacts du COVID-19 et pallier à la crise structurelle dans le Pacifique

Avec ou sans cas de COVID-19, l’impact de la pandémie dans le Pacifique est énorme Q&R avec le Coordinateur de la FAO pour le Pacifique

Les îles du Pacifique sont géographiquement isolées avec des atolls épars à travers de vastes zones de l’Océan Pacifique.

©Photo: ©jShep/shutterstock.com

05/06/2020

Entretien avec M. Eriko Hibi, Coordinateur sous-régional pour le Pacifique et Représentant auprès de treize pays du Pacifique, sur les impacts de la pandémie du COVID-19 dans le Pacifique et les plans pour la reconstruction.

Tout d'abord, en quoi les îles du Pacifique se différencient-elles du reste du monde ?

Elles sont caractérisées par un isolement géographique, une masse terrestre et une surface arable limitées, des environnements naturels fragiles et elles disposent de moins de ressources qu'ailleurs. Elles sont aussi de plus en plus vulnérables face aux catastrophes naturelles et au changement climatique.

Elles dépendent en grande partie des importations de denrées alimentaires et de quelques secteurs économiques comme le tourisme, les envois de fonds et le revenu des licences de pêche.

Il faut aussi savoir que la plupart des produits y sont plus chers. Et l'énergie, les infrastructures, les transports, les communications et les services ont des coûts plus élevés. Ceci réduit les possibilités de développement du secteur privé, qui est essentiel pour stimuler la production d'aliments pour la consommation locale, et fait perdurer la dépendance par rapport aux importations.

De plus, les investissements dans l'agriculture sont faibles, le taux de chômage élevé, surtout parmi les jeunes, et les compétences professionnelles insuffisantes.

Tout ceci a un effet énorme sur les communautés du Pacifique.

À l'échelle mondiale, les dix pays où l'on enregistre le taux d'obésité le plus élevé se trouvent dans les Îles du Pacifique. Là, les populations souffrent du triple fardeau de la malnutrition, à savoir la sous-nutrition, les carences en micronutriments et l'obésité.

Les maladies non transmissibles sont les premières causes de mortalité et de morbidité parce que les habitants des îles se sont pour la plupart éloignés d'une nourriture à base de poissons frais et de récoltes traditionnelles, au profit d'aliments importés et transformés très énergétiques et très riches en sucres, sel et graisses.

Et malgré des efforts politiques de plus en plus grands ces dix dernières années, les difficultés perdurent.

Pouvez-vous nous dire en quoi les mesures prises contre le COVID-19 pourraient avoir aggravé ces difficultés ou les avoir rendues plus évidentes ?

Il ne s'agit pas uniquement des mesures qui ont été mises en place par les Îles du Pacifique mais de l'impact structurel de la pandémie qui est déterminé par les décisions et les mesures prises dans d'autres pays lointains et qui affectent la sécurité alimentaire et la nutrition de la région.

C'est la raison pour laquelle je parle de crise « structurelle ».

À ce jour, aucun cas de COVID-19 n'a été confirmé dans les treize pays du Pacifique où la FAO est active, à l'exception d'une faible quantité décelée précédemment à Fidji. Malgré cela, toutes les îles ont déclaré l'état d'urgence et ont fermé leurs frontières.

Qu'il y ait des cas ou non, les effets de la pandémie sont toutefois énormes ici.

Dans beaucoup de petits États insulaires en développement (PEID) du Pacifique, la moitié de la consommation alimentaire de chaque personne est constituée d'aliments importés. Si la pandémie perdure, et que la chaîne de valeur locale et mondiale - production, transformation, exportation, transport et importation - est touchée, les systèmes alimentaires de la région vont être perturbés.

Les PEID du Pacifique dépendent des arrivages par cargo d'aliments importés, et l'industrie du transport a connu des ralentissements en raison des fermetures des ports et des perturbations logistiques. Les conséquences pourraient être de longue durée.

Les prix des denrées alimentaires ont aussi été affectés. Et si certaines îles, comme Fidji, disposent d'un mécanisme de contrôle des prix pour les denrées alimentaires considérées essentielles - telles que le riz, l'huile végétale, le lait, le sel, le thon en conserve, le sucre - les prix d'autres denrées non contrôlées, comme les fruits et les légumes, ont augmenté du fait des perturbations dans la chaîne d'approvisionnement locale. Quelques jours après le confinement à Suva, la capitale de Fidji, le prix des légumes les plus consommés ont enregistré une augmentation entre 11 et 36 pour cent, atteignant dans certains cas jusqu'à 75 pour cent.

La plupart des populations rurales produisent et consomment leurs propres aliments. Mais comme certains engrais et certains aliments pour les animaux sont d'importation, la production locale pourrait en pâtir à long terme.

Les limitations des déplacements internes, la faible demande de produits frais de la part du tourisme, ainsi que les restrictions concernant les marchés touchent également les petits exploitants qui ne peuvent plus vendre leurs produits.

Le tourisme est le secteur clé de l'économie des îles. Dans les Îles de Cook, le tourisme représente 70 pour cent du PIB total et environ 35 pour cent des emplois.

Les économies qui dépendent du tourisme devront faire face à des pertes économiques plus importantes cette année et probablement l'année prochaine.

Dans certains PEID, les envois de fonds représentent une importante contribution pour l'économie nationale. Par exemple, en 2018, environ 41 pour cent du PIB de Tonga trouvait son origine dans des envois de fonds. Ces fonds permettaient aux populations bénéficiaires de répondre à leurs besoins élémentaires, dont l'achat de nourriture. À Tuvalu, la moitié des envois de fonds sont utilisés pour se procurer de la nourriture.

Ces envois de fonds ont diminué pendant la pandémie, avec pour effet d'affaiblir le pouvoir d'achat des familles et probablement d'augmenter la demande pour des aliments importés moins chers et moins sains.

Les revenus des licences accordées aux bateaux pour la pêche au thon ont eux aussi chuté. Des mesures comme la fermeture des aéroports et des ports et la mise en quarantaine du personnel de bord ont retardé les interventions et ont provoqué une perte de revenu pour les sociétés de pêche à hauteur de 50 000 - 60 000 de dollars américains par jour et par bateau, et de 130 000 dollars américains par bateau en ce qui concerne les états insulaires.

Les îles du Pacifique sont souvent frappées par des cyclones. Pouvez-vous nous parler des effets du dernier d'entre eux ?

Le cyclone Harold a touché Vanuatu, Fidji, les Îles Salomon et Tonga, au début du mois d'avril, et a causé des dommages aux maisons, aux ressources hydriques et aux récoltes.

À Vanuatu, le cyclone a touché plus de la moitié de la population, en causant de sérieux dégâts aux récoltes et, de surcroît, à la période de l'année la plus délicate puisque la période de végétation venait de commencer. Il a ravagé les arbres d'avocats, de mangues et d'agrumes et il a renversé des bateaux de pêche. À Fidji, les dégâts causés aux champs et aux récoltes sont estimés à plus de 12 millions.

Comme le cyclone s'est abattu au moment où l'on craignait une propagation du COVID-19, l'approvisionnement en denrées alimentaires et autres aides a été fortement entravé.

La FAO fournit des graines, des engrais, des outils aux communautés les plus touchées à Vanuatu et à Fidji, et elle aide les exploitants agricoles à préparer leurs champs au semis.

Malgré tout on s'attend à ce que les effets combinés du cyclone et du COVID-19 aient des conséquences néfastes de longue durée sur la sécurité alimentaire, les chaînes de valeur et les moyens de subsistances de la région.

Quelles leçons la région a-t-elle tiré de la pandémie ? Qu'est-ce qui a changé ?

L'importance des ressources terrestres et océaniques n'avait jamais été aussi évidente auparavant, ni le travail en cours de la FAO et de ses partenaires en faveur de la protection et de la gestion durable de ces mêmes ressources, qui est aussi important.

Nous observons une augmentation de activités de pêche artisanale par les communautés locales, qui est sans doute la conséquence d'un moins bon accès aux aliments importés, et plus particulièrement, dans les atolls, des plans ont été mis au point pour développer la pêche artisanale.

Il est également probable que les communautés des zones urbaines et péri-urbaines se mettent à produire leurs propres aliments, par exemple en créant des jardins potagers quand ils le peuvent, et à acheter davantage de produits locaux.

L'exigence de tenir à distance les maladies et les parasites s'est fait particulièrement sentir durant cette période, et toute la région s'est souciée davantage de lutter contre la propagation de la peste porcine africaine, dont des cas ont été observés récemment en Papouasie-Nouvelle-Guinée. 

La région a également fourni des données en temps réel et de qualité afin de faire face aux impacts structurels de la pandémie.

Quel sera le rôle de la FAO afin de parvenir à des changements positifs lors de la période post COVID-19 ?

La FAO continuera à aider les PEID à renforcer leurs systèmes alimentaires et à les rendre plus attentifs à la nutrition et plus résilients aux catastrophes, que ce soit en encourageant la production alimentaire locale, en développant les activités climato-intelligentes comme l'agroforesterie et en faisant la promotion des espèces végétales locales résilientes au climat. Parmi les autres initiatives, il s'agira notamment de soutenir les communautés pratiquant la pêche côtière pour leur permettre un meilleur accès aux poissons de grande valeur et sécuriser leur vie en mer, de former de jeunes agriculteurs en les connectant notamment aux marchés, d'aider les exploitations d'élevage de bétail et les autorités responsables de la biosécurité à prévenir les maladies animales, de recueillir des données relatives à l'agriculture et à l'insécurité alimentaire afin d'élaborer de meilleures politiques, de renforcer la capacité des autorités nationales chargées de la sécurité alimentaire à travers les laboratoires et les formations, d'aider les fournisseurs des fast food à rendre leurs aliments plus sains et à sensibiliser les consommateurs - autant de mesures qui permettraient d'améliorer l'accès à une alimentation plus saine et plus nutritive.

Ce sera l'occasion de reconstruire et d'améliorer les systèmes alimentaires et les moyens de subsistance pour qu'ils soient durables.

Enfin, la FAO et les PEID du Pacifique partagent la même vision d'un accès à la nourriture sûr, suffisant et nutritif pour tous.

Contacts

Kevin Hadfield FAO Communications - Pacific (Apia) +685 20 710 / 22 127