Food and Agriculture Organization of the United NationsFood and Agriculture Organization of the United Nations

Comment encourager les microbes à œuvrer en notre faveur?


Les experts de la FAO contribuent à faire progresser la science du microbiome dans tous les domaines, de la nutrition à la gestion des écosystèmes

Share on Facebook Share on X Share on Linkedin

Un microbiome est le génome de tous les micro-organismes qui vivent à l’intérieur et à la surface du corps de tous les vertébrés. Bien que ce domaine d’étude soit récent, le microbiome nous aide déjà à mieux comprendre le rapport entre l’alimentation et les maladies non transmissibles. ©Kateryna Kon/shutterstock.com

13/04/2021

En 1826, le grand gastronome français Jean Anthelme Brillat-Savarin a écrit: «Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es.»

Deux cents ans plus tard, des travaux de recherche novateurs semblent indiquer que ce que nous mangeons n’est pas que source d’énergie et de plaisir, mais nourrit également les milliers de milliards de microbes de notre microbiome intestinal et constitue donc l’une des interactions les plus importantes que nous avons avec nos environnements.

Les connaissances scientifiques sur le microbiome – terme utilisé pour désigner le génome de tous les micro-organismes qui vivent à l’intérieur et à la surface du corps des vertébrés – sont encore embryonnaires mais nous aident déjà à élucider les mystères qui entourent les maladies non transmissibles liées à l’alimentation, comme le cancer et le diabète, et même nos humeurs. D’après ces connaissances, le métabolisme serait non pas une usine transformant la nourriture en apport énergétique, mais une interface régulatrice complexe qui s’appuie sur des micro-organismes, dont la fonction équivaut à celle d’organes humains comme le cœur ou le foie.

«Nous ne sommes pas les seuls concernés», dit Mme Fanette Fontaine, une microbiologiste qui établit des rapports de référence sur le sujet pour la FAO. «Nous sommes des écosystèmes ambulants.»

Le microbiome intestinal pèse autant que notre cerveau et se compose d’environ 1 000 espèces de bactéries, qui varient énormément selon les personnes, étant donné que seulement un sixième de ces espèces se retrouvent généralement chez la majorité des individus.

Grâce au développement de techniques de séquençage génomique rapides et peu onéreuses, nous pouvons maintenant déterminer la présence et la fonction d’une multitude de bactéries, de virus, de protozoaires et de champignons, ainsi que le niveau auquel ils interviennent. Il apparaît que nombre de ces organismes vivants, que l’on craignait autrefois être des microbes envahissants potentiellement dangereux, ont un rôle à jouer: ils renforcent notre système immunitaire et influencent plusieurs fonctions cérébrales et corporelles essentielles à une vie saine.

Il est aujourd’hui évident que certains microbiomes intestinaux favorisent l’obésité – même dans les cas où l’apport calorique ne justifie pas l’apparition de la maladie – tandis que d’autres sont fortement liés au diabète de type 2, aux maladies cardiovasculaires, à l’asthme, aux allergies et aux retards de croissance.

À gauche/en haut: Les microbes intestinaux digèrent mieux les fibres que notre propre système digestif! ©Moving Moment/shutterstock.com À droite/en bas: Certains microbiomes intestinaux sont liés à des allergies et à d’autres pathologies, comme l’asthme o

Élargir la «comestibilité»

Les données obtenues jusqu’à présent font nettement ressortir une conséquence pratique: nous devrions consommer davantage de fibres fermentescibles.

En théorie, l’être humain ne peut digérer la plupart des fibres alimentaires, mais les microbes intestinaux en sont capables. Ils s’en nourrissent et produisent de petites molécules bénéfiques (des acides gras à chaîne courte), qui sont une source d’énergie importante pour l’être humain.

Les aliments ultratransformés, par exemple, peuvent ne pas contenir d’éléments qui favoriseraient la survie des espèces bactériennes présentes dans notre système digestif. «L’intestin n’est jamais vide, donc si on ne nourrit pas les organismes qui nous veulent du bien, l’intestin se remplira d’autres choses», explique Mme Fontaine.

Nous recevons tous notre premier microbiome de nos mères à la naissance. L’allaitement maternel transmet également des molécules de sucre spécialisées qui n’ont aucune fonction nutritive pour l’enfant mais qui favorisent la présence, dans l’intestin du bébé, de bactéries du type Bifidobacterium (qui plus tard dans la vie sont associées à de meilleurs signaux métaboliques, à la perte de poids et à une inflammation moindre).

Lorsque la population microbienne de l’intestin est déséquilibrée, des espèces moins bégnines ont plus de chances de se mettre en quête de nourriture pour survivre et peuvent par exemple consommer des protéines et des acides gras au lieu des glucides complexes pour créer de l’énergie, processus qui favorise la résistance à l’insuline et le développement de cellules graisseuses indésirables, voire qui a des effets cancérigènes. Certaines espèces de microbes peuvent même endommager la barrière muqueuse intestinale, notre principal rempart contre les inflammations légères associées à plusieurs maladies chroniques. 

«Les connaissances scientifiques sur le microbiome viennent redéfinir la nutrition et nous montrent que le microbiome n’est pas lié uniquement aux nutriments présents dans notre alimentation», dit M. Karel Callens, expert de la FAO en sécurité alimentaire qui a mis sur pied l’équipe informelle interdisciplinaire de l’Organisation chargée d’étudier le microbiome. Il fait remarquer que l’activité microbienne dans notre intestin a notamment pour effet de produire des vitamines, des acides aminés et même des neurotransmetteurs essentiels.

«Notre mode de vie n’a jamais évolué aussi vite qu’au cours des dernières décennies et notre microbiome a réagi bien plus rapidement que notre génome», ajoute Mme Fontaine. «Cette différence de vitesse d’adaptation peut avoir perturbé la relation symbiotique que nous entretenons avec notre microbiome, ce qui nuit à notre santé.»

Elle explique qu’étant donné que notre génome a évolué en même temps que notre alimentation pendant des millénaires, il serait éventuellement possible de réduire le décalage en consommant des aliments d’origine végétale plus variés.

Nous connaissons moins d’un pour cent des différentes espèces microbiennes présentes dans le monde et nous en savons peu sur leur fonctionnement, mais elles sont indispensables à la santé des personnes, des animaux, des végétaux et de l’environnement. C’est pourquoi les connaissances scientifiques dans ce domaine jouent un rôle important dans le cadre de l’approche «Une seule santé» appliquée par la FAO. ©Alpha Tauri 3D Graphics/shutterstock.com

Nouveaux horizons

«Les microbiomes n’ont pas les limites que nous imaginons souvent», fait savoir M. Callens.

D’après lui, c’est pourquoi l’approche de la FAO axée sur le système agroalimentaire est particulièrement adaptée à l’étude du fonctionnement des espèces microbiennes et de l’influence de la pollution de l’environnement et des changements climatiques sur ces dernières.

«Ces travaux de recherche nous aident à mieux comprendre ce que signifie être en bonne santé», indique Mme Anne Bogdanski, écologiste travaillant à la FAO dans les domaines des changements climatiques, de la biodiversité et de l’environnement. «Nous sommes nous-mêmes des symbiotes – nous ne serions pas en vie sans ces petits organismes.»

L’étude du microbiome contribue également à l’approche «Une seule santé», qui tient compte des relations essentielles et étroites entre la santé des personnes, des animaux et des végétaux et l’environnement.

Nous connaissons à l’heure actuelle bien moins d’un pour cent des différentes espèces microbiennes présentes dans le monde – et nous en savons plus sur les bactéries que sur les autres types de micro‑organismes. Toutefois, il reste encore de nombreuses zones d’ombre quant à la façon dont les bactéries s’acquittent de multiples fonctions écosystémiques souvent étroitement liées.

Par exemple, en Amérique du Nord, des scientifiques ont récemment découvert l’origine d’une maladie qui décime les pygargues à tête blanche. Des cyanobactéries jusqu’alors inconnues prolifèrent sur une espèce de mauvaise herbe aquatique envahissante. L’herbicide utilisé pour éliminer ces mauvaises herbes réagit avec les cyanobactéries et produit une neurotoxine liposoluble mortelle qui provoque la mort des pygargues à tête blanche lorsqu’ils mangent ces végétaux.

De telles associations montrent le rôle certes caché mais considérable que le microbiome peut jouer dans la production agricole, la foresterie et la pêche. Les bactéries et les champignons créent des relations mutualistes et réciproquement bénéfiques qui permettent une bonne absorption des nutriments et contribuent à la santé des végétaux. Sachant que 80 pour cent de la matière organique du sol est d’origine microbienne, il y a de fortes chances que le microbiome nous aide à trouver des moyens de régénérer le carbone du sol et les écosystèmes.

Au-delà de la révolution verte

«Le champ d’application des connaissances microbiologiques en faveur de la bioéconomie durable est vaste», ajoute Mme Bogdanski. La connaissance du microbiome peut ouvrir la voie à de nouveaux types d’engrais, de biostimulants ou de biopesticides qui repousseraient certains organismes nuisibles. «Il s’agit d’ailleurs plutôt d’une solution fondée sur la nature que d’une solution technologique», dit Mme Bodanski.

Le microbiome n’est pas un simple mélange auquel on ajouterait des ingrédients, mais une sorte de «forêt tropicale» ou d’environnement interactif à lui tout seul.

La FAO a un rôle important à jouer, celui d’introduire les connaissances scientifiques sur le microbiome dans les débats sur les politiques et de veiller à ce que les pays en développement ne soient pas laissés pour compte, comme le souligne M. Callens. «Il s’agit d’aller au-delà de la révolution verte.»

Liens utiles

Pour en savoir plus