Nous avons vu que tous les auteurs qui ont cherché à interpréter le mouvement général de modernisation de l’agriculture s’accordent sur l’idée selon laquelle l’entrée, nécessaire et inévitable, de l’agriculture dans la modernité ne se réalise qu’à partir des années 1960. C’est le moment où une nouvelle élite paysanne, composée de jeunes agriculteurs formés à la JAC et animateurs du Cercle national des jeunes agriculteurs (CNJA) depuis 1956, conquiert les principaux postes aux dépens des responsables syndicaux traditionnels et se prononce résolument en faveur d’une politique de modernisation et de coopération étroite avec les pouvoirs publics. Cette interprétation est en réalité le produit d’une vision strictement institutionnelle et politique des mouvements sociaux et d’une application à l’agriculture de la conception économiciste et finaliste de l’histoire qui rapporte les pratiques sociales aux “nécessités” du progrès et du marché. Dans cette conception, le christianisme jaciste est jugé secondaire et le courant des jeunes agriculteurs est conçu comme le faire-valoir d’une modernisation dont ni le sens, ni le caractère inéluctable ne sont à aucun moment discutés. Au fond, dans cette version des choses, le CNJA n’aurait réussi à s’imposer dans les organismes agricoles que parce qu’il était détenteur des idées nouvelles et justes de la modernité.