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Le troisième quart de siècle

1995-2020

Le pan le plus récent de l’histoire de la FAO coïncide avec la maturation du concept de développement durable. Principe directeur de portée générale, la durabilité en vient à dominer les attitudes (mais pas nécessairement les pratiques) en matière de développement humain et de gestion de la vie sur terre. Elle empreint également les approches de l’alimentation et de l’agriculture.

Le productivisme n’est plus roi; au contraire, les éléments du discours se recentrent sur l’environnement, des droits humains et de la santé. À ce nouveau paradigme, la FAO et d’autres partenaires apportent le poids du facteur sécurité alimentaire. Dès le début des années 2000, cette nouvelle vision est renforcée par l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement, devenus par la suite Objectifs de développement durable.

2013, CISJORDANIE ET BANDE DE GAZA Homme en train de jardiner sur son toit (Cisjordanie et bande de Gaza). ©FAO/Marco Longari

À l’orée des années 1990 déjà, le modèle de l’agriculture industrielle, largement suivi en Amérique du Nord et en Europe, avait permis de produire des quantités de denrées alimentaires inimaginables à l’époque de la fondation de la FAO. Consolidation de l’agroalimentaire et montagnes d’excédents, élevages guidés par la course au rendement, ascension des monocultures et des aliments ultra-transformés – tout était preuve de modes de production et de filières d’approvisionnement destinés à remplir les allées des supermarchés sans grand égard pour la préservation des ressources, les enjeux climatiques ou l’équilibre nutritionnel. Dans une bonne partie du monde en développement, cependant, l’heure était à l’appauvrissement des sols, à l’avancée des déserts, au recul des forêts. Les habitats sauvages dépérissaient. Privé de moyens, le secteur agricole peinait toujours à satisfaire les besoins essentiels. La faim et la malnutrition continuaient de briser des vies par centaines de millions.

1995, IRAQ

Cliente du marché de Baghdad, achetant des fruits dans une échoppe achalandée en citrons, raisins et grenades. ©FAO/Rosetta Messori

On recherche désormais des modèles de développement agricole verts, moins industrialisés.

En 1996, à l’occasion d’un Sommet mondial de l’alimentation organisé par la FAO, le pape Jean-Paul II déclara que le contraste persistant entre indigence et opulence était «intolérable pour l’humanité». Un an plus tard, la FAO lançait sa campagne de collecte de fonds TeleFood, qui permit de mettre des millions de dollars entre les mains des agriculteurs et de financer des projets dans plus d’une centaine de pays.

1995, IRAQ Cliente du marché de Baghdad, achetant des fruits dans une échoppe achalandée en citrons, raisins et grenades. ©FAO/Rosetta Messori
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1995-2020

Le troisième quart de siècle

1996, ITALIE

Le pape Jean Paul II s’adressant à la Plénière lors du Sommet mondial de l'alimentation au siège de la FAO à Rome en Italie. ©FAO/Luigi Spaventa

1996, ITALIE Le pape Jean Paul II s’adressant à la Plénière lors du Sommet mondial de l'alimentation au siège de la FAO à Rome en Italie. ©FAO/Luigi Spaventa

De telles initiatives relevaient du bon sens: les fléaux de la pauvreté et de la faim s’alimentent réciproquement et doivent donc être affrontés de concert. En même temps, alors que les aspirations de l’humanité étaient de plus en plus conçues comme un tout, de nouvelles considérations, plus politiques, se faisaient entendre. Les années qui suivirent la fin de la guerre froide furent celles d’une reconnaissance par consensus de l’importance de la bonne gouvernance.

2015, ZAMBIA

Bénéficiaires du Programme de transferts monétaires sociaux recevant leur paiement en Zambie. ©FAO/Ivan Grifi

2015, ZAMBIA Bénéficiaires du Programme de transferts monétaires sociaux recevant leur paiement en Zambie. ©FAO/Ivan Grifi

Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale – 1996 (extrait)

Nous réaffirmons qu’un environnement politique, social et économique pacifique, stable et propice est la condition essentielle permettant aux États d’accorder une priorité adéquate à la sécurité alimentaire et à l’éradication de la pauvreté. La démocratie, la promotion et la protection de tous les droits de l’être humain et de ses libertés fondamentales, y compris le droit au développement, et la pleine participation des hommes et des femmes sur un pied d’égalité sont des facteurs essentiels pour parvenir à la sécurité alimentaire durable pour tous.

La lutte contre la faim s’inscrit dans un discours plus global, intégrant le droit à l’alimentation et ciblant la gouvernance.

Dans la seconde partie des années 1990, au fur et à mesure que la sécurité alimentaire devenait étroitement associée à la protection de l’environnement et de la santé humaine, la FAO intensifiait son travail de contrôle des pesticides dangereux. Des intersections potentiellement problématiques s’ouvraient cependant entre le monde de l’agriculture et celui du droit de la propriété intellectuelle. En 2001, après plusieurs années de négociations, le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture voyait le jour. Négocié sous l’égide de la FAO, cet instrument prévoyait le partage équitable du matériel génétique entre les sélectionneurs, les agriculteurs et les institutions de recherche publiques et privées.

Alors qu’un millénaire laissait place au suivant, l’accent fut mis sur de nouvelles dimensions et vulnérabilités – sur l’impact historique des inégalités de genre, au vu du fait que l’insécurité alimentaire frappe plus durement les femmes et les filles; sur la perte de biodiversité, qui compromet les sources de nourriture des plus pauvres; sur la détresse des populations autochtones, souvent marginalisées, dont les savoirs agricoles uniques sont en danger; et sur la manière dont la solidité des institutions fait barrière à la faim.

Les pays en développement qui avaient misé sur la croissance du produit intérieur brut (PIB) pour accélérer le progrès constataient que l’insécurité alimentaire avait un coût. Des études montrent que les pays africains perdent jusqu’à 16 pour cent de leur richesse annuelle des suites de la malnutrition infantile, qui abaisse le niveau d’instruction, réduit la longévité au travail, écorne la productivité et épuise les systèmes de santé publique.

Composantes de la stratégie de l’Organisation,
Cadre stratégique de la FAO 2000‑2015 (extrait)

  • améliorer les possibilités qui s’offrent aux populations rurales de renforcer, diversifier et maintenir leurs moyens d’existence en tirant parti des synergies potentielles entre agriculture, pêches, forêts et élevage (...);
  • soutenir les efforts visant à renforcer les institutions locales et à faire appliquer des politiques et législations qui permettront aux hommes et aux femmes d’avoir un accès équitable aux ressources naturelles (...) et aux ressources économiques et sociales qui y sont liées;
  • améliorer l’efficience et l’efficacité avec lesquelles les secteurs public et privé font face aux besoins multiples et différents des populations rurales défavorisées (...);
  • promouvoir des stratégies et des méthodes sexospécifiques, participatives et durables sensibles aux différences homme-femme, fondées sur l’auto-assistance, le renforcement des capacités et la responsabilisation, afin d’améliorer les compétences des ruraux pauvres et des populations locales, de la société civile et des associations rurales.
2012, SUÈDE

Le bureau nordique de la FAO coorganise la Journée des Nations Unies, Suède. Jeune fille avec un «tatouage» OMD. ©FAO/Linn Liviin Wexell

2012, SUÈDE Le bureau nordique de la FAO coorganise la Journée des Nations Unies, Suède. Jeune fille avec un «tatouage» OMD. ©FAO/Linn Liviin Wexell

En bref, à l’aube d’un nouveau siècle, la communauté internationale parvenait à la conclusion que pour guérir un mal, il fallait s’attaquer à beaucoup d’autres. La mission du développement humain pouvait être sous-divisée en tâches distinctes, mais c’est globalement qu’elle devait aboutir ou échouer: il fallait actionner simultanément tous les leviers.

En 2000, les Nations Unies adoptaient les huit Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), véritable feuille de route pour l’humanité. Cette année-là, le Cadre stratégique de la FAO est formulé dans le même esprit – de grande portée tout en étant circonstancié, à la fois ambitieux et attentif aux spécificités. Les lignes d’action envisagées sont plus nombreuses, tout comme les parties prenantes prises en compte. Les rôles du secteur privé et de la société civile sont explicitement reconnus.

2019, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE POPULAIRE LAO

Enfants, en formation agricole et nutrition, arrosant un potager alimentaire, République démocratique populaire lao. ©FAO/Manan Vatsyayana

La FAO porte désormais une attention plus particulière aux petits exploitants agricoles, aux problèmes des collectivités locales et aux solutions fondées sur la nature. Elle agit dans l’optique de mieux répondre aux attentes d’inclusion et de responsabilisation et préfère tourner son regard vers les catégories vulnérables, plutôt que vers des ensembles abstraits. Les notions de conservation et de durabilité entrent dans un lexique où prévalaient jusque-là celles d’intensification et de productivité.

2019, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE POPULAIRE LAO Enfants, en formation agricole et nutrition, arrosant un potager alimentaire, République démocratique populaire lao. ©FAO/Manan Vatsyayana

Les avancées sont notables. L’extrême pauvreté est réduite de moitié. La faim diminue. Une multitude d’autres indicateurs s’améliorent. En 2015, une communauté internationale galvanisée accélère le rythme avec les Objectifs de développement durable (ODD), regroupés sous le nom de Programme de développement durable à l’horizon 2030. Le monde est maintenant en quête d’exhaustivité: les Objectifs sont au nombre de 16, auxquels s’ajoute un objectif d’ordre méthodologique; ils permettent de cartographier la totalité des progrès sociaux et environnementaux, de la santé à l’égalité entre hommes et femmes, et jusqu’à la vie sous-marine. De plus, 169 cibles auxquelles sont associés plus de 200 indicateurs jalonnent les différents domaines d’action.

Les Objectifs de développement durable ciblent désormais la «Faim Zéro». La FAO est l’organisme responsable pour de nombreux indicateurs.

Parmi les ODD, l’un des plus importants est celui de l’élimination de la faim («Faim zéro») que seul précède l’Objectif éminemment prioritaire d’éliminer la pauvreté. La FAO, qui fournit une importante contribution technique au processus de définition des Objectifs, devient ainsi l’organisme responsable des Nations Unies pour une vaste série d’indicateurs, au nombre desquels figurent: la faim proprement dite; la durabilité de l’agriculture; l’accès des femmes à la propriété de terres agricoles; l’efficacité de l’utilisation des ressources en eau; le stress hydrique; la durabilité des stocks de poissons; et la gestion durable des forêts.

2012,BOLIVIE (ÉTAT PLURINATIONAL DE)

Cultivation de quinoa dans le cadre du projet «Semillas Andinas», Bolivie (État plurinational de). ©FAO/Claudio Guzmán

Face à l’accroissement de ses responsabilités, la FAO diversifie sa boîte à outils. Appelée à procéder à une quantité croissante d’évaluations, elle intensifie son arsenal statistique et ses capacités de calcul. Des applications sont mises au point qui permettent de relier les petits exploitants aux marchés, de faciliter la gestion du bétail et de maîtriser la propagation des nuisibles destructeurs de récolte. Des drones s’envolent pour évaluer les risques de catastrophes naturelles. Des programmes d’enseignement sont mis en place pour guider les jeunes agriculteurs et pouvoir ainsi rajeunir la main-d’œuvre agricole. Des activités de formation sont menées afin d’encourager le démarrage d’exploitations en milieu urbain et en intérieur, de potagers sous tunnel et de vergers hydroponiques.

L’accent est mis sur le renforcement des chaînes de valeur alimentaires: ces filières offrent aux petits cultivateurs des débouchés pour leurs produits et permettent le contrôle de la qualité; elles génèrent aussi des emplois décents et aident les communautés autochtones à répondre à la demande de produits alimentaires spéciaux et haut de gamme. La recherche de solutions logistiques pour réduire les pertes et le gaspillage s’accompagne d’une action de sensibilisation intense. (On estime qu’à elles seules, les pertes représentent un septième de la production alimentaire.) Mais surtout, la FAO commence à repenser les systèmes alimentaires dans leur globalité, dont elle préconise la transformation afin de créer un cercle vertueux de politiques permettant de mieux lutter contre la pauvreté, la faim et la malnutrition et de protéger les écosystèmes fragiles.

2012,BOLIVIE (ÉTAT PLURINATIONAL DE) Cultivation de quinoa dans le cadre du projet «Semillas Andinas», Bolivie (État plurinational de). ©FAO/Claudio Guzmán

Cette démarche se heurte néanmoins au double obstacle du changement climatique et de la résurgence des conflits. Certains des pays les moins avancés souffrent le plus. En Afrique australe, l’enchaînement de sécheresses dévastatrices et d’inondations meurtrières engendre des situations d’urgence alimentaire cycliques. Les petits États insulaires en développement, dépourvus de ressources et socialement vulnérables, sont les principales victimes des cyclones et des ouragans. Dans les pays les plus riches, de l’Amérique du Nord à l’Océanie, les incendies catastrophiques se multiplient. Diverses régions voient les sources de nourriture traditionnelles se tarir et les pratiques agricoles éprouvées disparaître. Ailleurs, les régimes alimentaires homogénéisés, riches en calories mais pauvres en nutriments, favorisent une avalanche de cas de surpoids et d’obésité. Nombreuses sont les nations qui cumulent les deux phénomènes. Dans certains cas, la violence et l’instabilité agissent comme des accélérateurs d’une insécurité alimentaires structurelle.

2017, SOUDAN DU SUD

Femmes portant un sac de graines et de kits de pêche pour une distribution par la FAO à Padding au Jonglei (Soudan du Sud). ©FAO/Albert Gonzalez Farran

Dans la deuxième décennie du nouveau millénaire, les conflits civils prolongés acquièrent une normalité tragique. En Syrie, au Soudan du Sud, au Yémen et dans le nord-est du Nigéria, où les hostilités font rage ou couvent depuis des années, les victimes se comptent par centaines de milliers, tandis que des millions de personnes vivent au bord de la famine. La faim est utilisée comme une arme de guerre. En 2018, le lien funeste entre l’insécurité alimentaire et les conflits est explicitement reconnu par le Conseil de sécurité de l’ONU.

Résolution 2417 (2018) du Conseil de sécurité de l’ONU (extrait)

Rappelle le lien entre les conflits armés et la violence et l’insécurité alimentaire provoquée par les conflits et le risque de famine, et demande à toutes les parties à un conflit armé de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du droit international humanitaire pour ce qui est de respecter et de protéger les civils et de prendre toutes les précautions possibles pour épargner les biens de caractère civil, notamment les biens nécessaires à la production et à la distribution de denrées comme les exploitations agricoles, les marchés, les systèmes d’eau, les usines, les sites de traitement et de stockage des produits alimentaires, les centres de distribution et les moyens de transport de la nourriture, et de s’abstenir d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie des populations civiles tels que les denrées alimentaires, les récoltes, le bétail, les biens agricoles, les installations et réserves d’eau potable et les ouvrages d’irrigation, et de respecter et de protéger le personnel humanitaire ainsi que les articles destinés aux opérations de secours humanitaire.

Alors que la paix régresse, que les gaz nocifs s’accumulent et que la biodiversité s’appauvrit, les chiffres relatifs à la faim recommencent à grimper, après avoir été en recul pendant une dizaine d’années, jusqu’au milieu des années 2010. L’édition 2020 du rapport sur L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde – étude faisant autorité pilotée par la FAO – montre que près de 700 millions de personnes continuent de souffrir de sous‑alimentation. Elle évalue à deux milliards le nombre de ceux qui vivent dans l’insécurité alimentaire, à des degrés divers. À dix ans seulement de l’échéance, les chances de parvenir à réaliser à temps le deuxième des ODD, celui de la Faim Zéro, s’amenuisent.

2017, SOUDAN DU SUD Femmes portant un sac de graines et de kits de pêche pour une distribution par la FAO à Padding au Jonglei (Soudan du Sud). ©FAO/Albert Gonzalez Farran
2020, CHILI

Lo Valledor, principal marché de gros du Chili, continue à servir sa clientèle dans le contexte d’urgence sanitaire de la covid-19, avec des mesures de protection pour les collaborateurs et le public. ©FAO/Max Valencia

Au moment de la rédaction de ces pages, la pandémie de covid‑19, au-delà de son tribut quantifiable en vies humaines et en perte de points de PIB, menaçait d’accentuer davantage les fragilités de la relation de l’humanité avec la nourriture – une épreuve inattendue mais décisive compte tenu de la précarité de l’emploi rural, de la fragilité des filières d’approvisionnement et de la marge étroite qui, dans de nombreux pays, sépare le pouvoir-vivre de la misère. Du point de vue de la FAO, la réponse tient, partiellement du moins, à la généralisation des partenariats et à l’innovation comme pratique quotidienne.

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2020, CHILI Lo Valledor, principal marché de gros du Chili, continue à servir sa clientèle dans le contexte d’urgence sanitaire de la covid-19, avec des mesures de protection pour les collaborateurs et le public. ©FAO/Max Valencia