N°85 : Sur la piste des transitions agroécologiques. Quels chemins parcourus ?
Il y a 10 ans, Inter-réseaux consacrait un numéro de sa revue Grain de sel aux approches agroécologiques qui se mettaient en place en Afrique de l’Ouest et du Centre. Depuis, les crises environnementales se sont aggravées (érosion de la biodiversité, changement climatique) et la nécessité de s’engager dans une transition agroécologique, aussi bien dans les pays du Nord global que ceux du Sud global, est désormais reconnue par de nombreux acteurs, politiques, opérateurs ou consommateurs. Cependant, la mise en œuvre de cette transformation et de cette possible résilience tarde, alors que la récente vague de contestations des agriculteurs et agricultrices en Europe révèle l’impasse dans laquelle ils se trouvent, coincés dans l’engrenage d’un modèle agricole qui les précarise.
Ce numéro de Grain de sel aborde le chemin parcouru et les évolutions en cours dans les approches de la transition agroécologique en Afrique de l’Ouest et du Centre. Il est le fruit d’un partenariat avec l’Iram, dont le projet associatif affirme son engagement en faveur de l’agroécologie, et qui a consacré sa Journée d’études de 2023 à la question « Comment accompagner les transitions agroécologiques dans les Suds ? ». Ce numéro conjoint permet de valoriser et de poursuivre les réflexions engagées lors de cet événement (Journée d’études 2023 à retrouver ici).
Alors quoi de neuf depuis 10 ans? La FAO vient de publier un rapport sur les coûts cachés des systèmes agroalimentaires conventionnels dont les limites, notamment environnementales, sanitaires et sociales, sont de plus en plus unanimement reconnues. Il est depuis scientifiquement prouvé que l’agroécologie peut préserver l’avenir des exploitations familiales, étant productive sans externalités négatives : elle stimule la biodiversité, créé des résiliences possibles face au changement climatique, améliore la santé des sols, réduit les quantités d’énergie et de ressources utilisées, fournit des aliments sains, variés et nutritifs, soutient l’autonomisation des femmes et des communautés et maintient des emplois agricoles et des sociétés agricoles plus justes.
En 2014, les travaux sur l’agroécologie étaient surtout focalisés sur les transitions des pratiques agricoles. La FAO (2018) et le HLPE (2019) ont alors mis en avant une compréhension plus holistique de l’agroécologie. Déclinées en fonction des territoires, les transitions incluent désormais les transformations des systèmes alimentaires, des politiques, des normes sociétales, et les cultures des consommateurs. Et déjà, dès 2017, la définition des piliers de l’agroécologie paysanne émergeait en Afrique de l’Ouest afin de mieux protéger ses principes face aux risques d’accaparements. Depuis 2014, certaines politiques publiques ont pu s’y développer favorablement, malgré des rapports de force tendus sur le terrain entre l’agro-industrie et la société civile.
Ce Grain de sel présente les enjeux de l’intensification agroécologique et de sa productivité face aux controverses existantes, expose les innovations, notamment financières, qui fonctionnent, raconte la reconnaissance du rôle et de la place des femmes, “gardiennes” de certaines pratiques agroécologiques, mais analyse aussi les problèmes non résolus pour un changement d’échelle, avec en première ligne le sujet brûlant des préoccupations foncières. Certains chiffres sur l’utilisation toxique des pesticides tirent également la sonnette d’alarme : leur usage a été multiplié par 20 entre 1993 et 2021 en Afrique de l’Ouest et présage d’une crise sanitaire silencieuse. Les récentes évolutions défavorables aux modèles d’élevage transhumant, pourtant plus respectueux des équilibres agroécologiques, témoignent également du succès encore prégnant de modèles d’intensification dont les risques pour la santé, l’environnement mais aussi le bien-être des éleveurs et de leurs animaux ne sont plus à démontrer.
Ce numéro étudie également le rôle essentiel des conseils agricoles dans ce grand travail de sensibilisation et d’agroécologisation des systèmes en transition. Il donne aussi la parole aux alliances de la société civile qui prennent en main leur pouvoir d’influence, et met en avant le rôle de la recherche-action déployée en partenariat avec les organisations paysannes pour fournir aux décideurs les preuves de sa performance à différentes échelles.
Au fur et à mesure des articles, vous découvrirez que les transitions agroécologiques sont des processus de changement complexes et multi-acteurs. Les processus de transformation sont rarement linéaires, nous avons ici tenté d’exposer la complexité des facteurs limitants qui peuvent paraître nombreux, et font que cela ne va pas aussi vite que souhaité. Cela rappelle que toute évolution peut être à la fois “lente ou rapide”, une dynamique essentielle à prendre en compte dans tout changement de paradigme impliquant un profond changement d’état d’esprit.