Action contre la désertification

Au Burkina Faso, la Grande Muraille Verte prend forme

Un modèle innovant de restauration des terres développé par la FAO est prêt à être reproduit à très grande échelle


05/07/2019

Gargaboulé, Burkina Faso – Après deux années de restauration des terres au nord du Burkina Faso, les résultats montrent que la dégradation n’est pas inéluctable. Les communautés rurales s’engagent dans le projet Action Contre la Désertification de la FAO, qui met à leur disposition un savoir-faire scientifique à même de s’attaquer à l’un des plus grands fléaux des terres arides en Afrique.

« Nous avons choisi cette parcelle », s’exprime Sawadogo Mahammadi dans un champ à proximité de son village natal de Gargaboulé dans le Sahel, une région au nord du Burkina Faso. « Parce qu’il était vide », ajoute l’agriculteur, âgé de 65 ans. « Pas d’arbres, ni d’herbes, rien. »

Etant plus jeune, Sawadogo se rappelle de la forêt qui prédominait à cet endroit. Il devait protéger le bétail des hyènes et des chacals qui y vivaient. Avec ses amis, il avait coutume de manger les fruits du karité et de récolter la gomme arabique des acacias. Celle-ci, mélangée à du charbon, servait à la fabrication d’encre qu’il avait l’habitude d’utiliser à l’école.

Mais au fil du temps, les arbres ont été progressivement abattus. Les terres ont été défrichées pour laisser la place aux cultures, le bois utilisé pour la cuisson, en construction ou pour la fabrication de clôtures. Avec de plus en plus de bouches à nourrir, les terres ont rapidement été complètement épuisées, selon Sawadogo, lui-même père de 15 enfants.

Ainsi, le village a rapidement adhéré au projet Action Contre la Désertification, démarré il y a deux ans de cela. Tous, tant les hommes que les femmes ont aidé à préparer le terrain, planté les arbres et semé les herbacées. Le sol est à présent en mesure de retenir suffisamment d’eau et les cultures poussent bien. « Cette parcelle a été restaurée », déclare Sawadogo.

La preuve du concept

En marchant parmi les herbes hautes jusqu’à la taille et les premiers plants d’arbres, Moctar Sacande, coordinateur international du projet Action Contre la Désertification est ravi. Il estime à 95% le couvert végétal de la parcelle de 200 hectares. « C’est une preuve du concept de notre approche ! » s’exclame-t-il.

Gargaboulé, selon Sacande, est le premier site au Burkina Faso où Action Contre la Désertification a déployé la mécanisation pour mettre à l’échelle la restauration des terres, grâce à une charrue spécialisée appelée Delfino, afin de préparer les terres pour la plantation. C’est la seule façon, dit-il, de stopper la dégradation des terres autour du Sahara, une zone qui, selon les estimations, aurait besoin d’être restaurée à hauteur de 10 million d’hectares par an.

Mais l’enthousiasme de Sacande est toutefois tempéré par une perspective plus sombre. Le Burkina Faso, son pays d’origine, est confronté à une hausse du terrorisme, précisément ici au nord du pays. Les écoles et hôpitaux ont dû fermer, suite à des menaces sur le personnel. La ville voisine de Djibo, qui abrite l’un des principaux marchés de bétail en Afrique de l’Ouest, ressemble à une ville fantôme.

« Le plus grand danger est le fait que les habitants quittent la région » indique Sacande. « Car cela représente la victoire des djihadistes. »

Ce dont ont besoin les communautés

Action Contre la Désertification n’a pas quitté un seul de ses 104 sites dans 60 villages situés au nord du pays. On estime à 14 000 le nombre d’hectares de terres mises sous restauration. Et les communautés elles aussi restent sur place, un signe de l’efficacité de cette approche visant à les mettre au centre des operations/interventions.

Le site de Gargaboulé n’a pas seulement été choisi en consultation avec la communauté. Les espèces ont également été sélectionnées sur base des besoins exprimés par les villageois. Des arbres tels que les acacia ou le balanites, de même que les herbacées fourragères à croissance rapide remplissent des fonctions vitales et constituent des sources de revenu non-négligeables.

Action Contre la Désertification appuie les communautés à planter les bonnes espèces au bon endroit. Ce savoir-faire est fondé sur les plus récentes données scientifiques en la matière, une condition clé pour avoir un impact dans la zone, qui fait partie de la Grande Muraille Verte, et où les terres sont parfois tellement dégradées que la nature a besoin d’être aidée pour se restaurer.

Sacande indique du doigt des producteurs fauchant le foin et le liant en bottes. « Cette herbe peut être utilisée comme fourrage pour les animaux, ou pour être vendue au marché » dit-il.

Transformer le Sahel

La réussite de Gargaboulé, tout comme la menace du terrorisme, n’ont fait que renforcer la conviction de Sacande que la restauration des terres est urgente et vitale pour enclencher une transformation qui soit à même de débarrasser le Sahel de ses vieux démons que sont la faim et la pauvreté, et auxquels s’ajoutent les défis des changements climatiques et les conflits.

En plus de la démonstration sur le terrain, une étude récente d’Action Contre la Désertification renforce l’idée de cette faisabilité, indique-t-il. Le potentiel de restauration des terres dans la région du Sahel burkinabè est plus d’un million d’hectares, une superficie suffisamment grande pour potentiellement permettre l’autosuffisance alimentaire du pays. L’amélioration de l'état de ces paysages dégradés présente de multiples avantages, tels que l’augmentation de la biomasse, séquestration de carbone, les opportunités d'emploi, qui sont essentiels pour améliorer la vie des communautés rurales à faible revenu.

Et qu’en est-il des retombées économiques des produits de terres arides ? Les usages multiples de la gomme arabique n’incluent pas seulement l’encre, mais également et surtout les boissons sucrées et les sucreries, entre autres. Sans parler du karité, couramment utilisé dans les cosmétiques.

Globalement, Action Contre la Désertification aurait mis pas moins de 53 000 hectares de terres dégradées sous restauration en cinq ans, et a permis d’appuyer 700 000 petits producteurs et leurs familles dans huit pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Moctar Sacande sait que cela n’est que le début. « A présent, ce modèle doit être mis à l’échelle », dit-il. « Nous voulons susciter un appui politique pour que la priorité lui soit donnée et que les investissements nécessaires soient mobilisés en sa faveur. Une grande transformation sera alors possible. »