«La Conférence des Parties de Glasgow doit être tournée vers l’avenir, ambitieuse et porteuse de transformation pour que nous puissions nourrir la population mondiale et protéger la nature.»

Entretien avec Mme Maria Helena Semedo, Directrice générale adjointe de la FAO, à l’approche des négociations mondiales sur le climat à la COP26

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Mme Maria Helena Semedo, Directrice générale adjointe de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

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28/10/2021

Rome - Mme Maria Helena Semedo, Directrice générale adjointe de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), est une économiste et personnalité politique de Cabo Verde qui attache une grande importance au développement et à la durabilité. 

À l’approche de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26), qui se déroulera à Glasgow, nous lui avons demandé comment les organismes des Nations Unies ayant leur siège à Rome œuvraient pour éliminer la faim dans le monde tout en affrontant la crise climatique.

Que faudrait-il pour que la COP26 soit considérée comme une réussite?

Le moment est venu pour les pays de renouveler leurs engagements. Les États-Unis d’Amérique, l’une des grandes forces agissantes, sont de retour. La Chine, autre acteur important, a également annoncé des engagements. Si les pays se rendent à Glasgow et déclarent: «Ensemble, nous nous réengageons à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés à Paris», ce sera un très grand pas en avant pour l’humanité. Aujourd’hui, nous avons réellement besoin d’actions mondiales, à grande échelle. Le financement est un autre aspect essentiel. Il s’agira de veiller à ce que les pays fassent le nécessaire pour concrétiser l’objectif qui consiste à mobiliser 100 milliards de dollars par an pour les besoins de l’atténuation et de l’adaptation.

Et si nous parvenons aussi à obtenir des investissements annuels d’environ 40 à 50 milliards d’USD jusqu’en 2030, pour financer des interventions ciblées, à faible coût et à fort impact – recherche-développement agricole, innovation, agriculture numérique, réduction des pertes et du gaspillage alimentaires, augmentation de l’alphabétisation des femmes et programmes de protection sociale, entre autres –, nous serons en mesure de bâtir des systèmes agroalimentaires résilients, inclusifs et durables qui libéreront des centaines de millions de personnes de la faim. Il nous faut des engagements de plus grande envergure. Mais nous ne pouvons pas agir par petits pas, nous devons opérer un changement radical. La Conférence des Parties de Glasgow doit être tournée vers l’avenir, ambitieuse et porteuse de transformation pour que nous puissions nourrir la population mondiale et protéger la nature.

Pensez-vous que les pays réussiront à rapprocher leurs points de vue à Glasgow? 

Tous les défis que nous avons à relever sont liés entre eux – nous sommes à un stade décisif pour ce qui est de la protection de la planète et de l’alimentation d’une population mondiale de plus en plus nombreuse. Nous ne pouvons pas nous permettre d’agir chacun de notre côté. Au cours de nos discussions sur le climat, il nous est arrivé d’aborder la question de la responsabilité et de celles et ceux qui paient aujourd’hui le prix d’un problème qu’ils n’ont pas contribué à créer. Aujourd’hui, il faut faire place à la responsabilité commune. Trouvons une solution et engageons-nous, ensemble. Nous avons une responsabilité mondiale et tous les pays doivent agir, à petite et à grande échelle. Et les décisions qui seront prises auront aussi des conséquences sur notre manière de produire, de transformer, de distribuer et de consommer la nourriture.

Quelle place la FAO et nos systèmes agroalimentaires tiendront-ils dans les négociations à la COP26? Que pensez-vous du débat sur la part de l’élevage dans les émissions mondiales?

Le secteur agroalimentaire a la réputation d’être pour beaucoup dans le changement climatique, étant à l’origine d’environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre, selon la méthode de calcul. Il est donc vrai que nous y participons, mais il est aussi vrai que nous pouvons contribuer à y remédier et que nous détenons les solutions. Parlons de ces solutions et voyons comment nous pouvons parvenir à une production plus rationnelle. Par exemple, nous pouvons aisément viser une réduction des émissions de méthane qui pourrait atteindre 30 pour cent en améliorant l’alimentation, la génétique et la santé des animaux d’élevage et des animaux laitiers; il faudrait aussi recycler davantage les sous-produits de l’élevage et les utiliser, là où c’est possible, comme aliments pour animaux, carburant et engrais. Enfin, les systèmes d’alerte rapide peuvent aider les exploitants des communautés rurales vulnérables à affronter les effets du changement climatique.

Le secteur de l’élevage est souvent vu comme le mauvais élève. À la FAO, nous ne cessons de répéter qu’il doit se trouver à la table des négociations. S’il reste à l’écart, il ne peut pas proposer de solutions. N’oubliez pas que l’on consomme en moyenne 100 kilogrammes de viande par an dans certains pays, contre seulement 3 dans d’autres. Il s’agit donc trouver le bon équilibre. D’autre part, nombreux sont celles et ceux qui gagnent leur vie dans le secteur de l’élevage en Asie et en Afrique. L’idéal serait qu’ils ne se retrouvent pas sans emploi. Aidons-les à adopter des méthodes plus durables. Nous changeons déjà notre manière de produire et de cultiver nos aliments, pour le bien des populations et de la planète, mais ce n’est pas suffisant. Et c’est là-dessus que la FAO souhaite appeler l’attention lors des débats à la COP26.

Que peuvent apporter les femmes et les peuples autochtones à la table des négociations?

Les femmes sont en première ligne et sont les plus touchées par la crise climatique, mais ce sont elles qui manquent des moyens nécessaires pour faire face aux inondations ou aux sécheresses. Trop souvent, elles n’ont accès ni à l’éducation, ni à l’innovation, ni au financement. Elles sont pourtant l’épine dorsale du système agroalimentaire. Ce sont elles qui produisent, elles qui nourrissent la famille.

Si nous ne tenons pas compte d’elles, nous n’obtiendrons pas les résultats attendus. Les peuples autochtones détiennent des connaissances précieuses sur les techniques de production durables et savent comment tirer parti de la biodiversité pour avoir une alimentation saine et variée, composée uniquement de ce qu’ils peuvent se procurer. Nous devons les épauler et leur donner des moyens d’actions car ils n’ont pas toujours leur mot à dire dans la prise de décisions.

Il y a d’autres façons de s’attaquer à la crise climatique, par exemple en réduisant la déforestation et en augmentant la séquestration du carbone dans le sol. Comment la FAO agit-elle sur ces deux fronts?

À l’échelle mondiale, on estime que 30 pour cent des paysages sont dégradés. La restauration des terres agricoles et des sols dégradés permettrait donc d’enlever jusqu’à 51 gigatonnes de carbone de l’atmosphère – quand on sait que les émissions de dioxyde de carbone devraient atteindre 33 gigatonnes cette année, la restauration des terres et des sols apparaît véritablement comme une solution gagnante. Au Paraguay, où la déforestation et la dégradation des forêts s’observent dans de nombreuses régions, nous aidons 87 000 personnes, dont beaucoup sont issues de communautés autochtones, en accordant des transferts monétaires à celles et ceux qui gèrent durablement les forêts. Quand on pense à la restauration, on doit aussi penser à l’eau. Récemment, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a souligné que le changement climatique influençait énormément le cycle de l’eau, augmentant la gravité et la fréquence des sécheresses et des inondations, et que la hausse des températures faisait monter le niveau de la mer.

Étant donné que l’agriculture est à l’origine de 72 pour cent des prélèvements d’eau douce, il est nécessaire d’agir et d’investir pour arriver à produire plus avec moins d’eau et favoriser l’adaptation aux effets du changement climatique. La FAO pilote aussi des initiatives à grande échelle, telles que la Grande Muraille verte, dans le Sahel, et travaille à l’établissement d’une carte qui permettra de localiser les zones où le potentiel de séquestration du carbone dans le sol est élevé. Nous devons aussi réduire les pertes et le gaspillage alimentaires, qui représentent 10 pour cent des émissions de gaz à effet de serre et coûtent 400 milliards d’USD en valeur alimentaire. 

La FAO travaille de plus en plus en partenariat avec le secteur privé. Quelle importance ces relations revêtent-elles?

Nous parlons beaucoup d’innovation et nous savons que les avancées dans ce domaine se font souvent dans le secteur privé. C’est là que se trouve la clé des nouveaux modes de production. Mais lorsque nous parlons de durabilité, nous avons ce qu’il faut pour convaincre les acteurs du secteur de changer leur manière de produire et de transformer les aliments pour privilégier des méthodes plus durables, et nous pouvons les aider à examiner les arbitrages et les synergies et relier les grands producteurs aux petits producteurs. Les grandes entreprises semblent parfois tout à fait déconnectées des petits producteurs. Pourtant, elles ne proposent pas que des technologies et des solutions novatrices, elles donnent aussi un accès aux marchés. Voilà pourquoi il nous faut absolument des partenariats stratégiques. Nous pouvons relier les petits producteurs aux marchés et leur montrer à quelles exigences il leur faut satisfaire en matière de qualité et de sécurité sanitaire. Voilà le rôle que joue la FAO. Nous servons en quelque sorte d’intermédiaire entre les petits et les grands producteurs.

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